Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46

DERNIÈRE MISE À JOUR : OCTOBRE 2017

Partie VI – Atteinte à la vie privée

Interception des communications

189. (5) Admissibilité en preuve des communications privées

189. (5) Le contenu d'une communication privée obtenue au moyen d'une interception exécutée conformément à la présente partie ou à une autorisation accordée sous son régime ne peut être admis en preuve que si la partie qui a l'intention de la produire a donné au prévenu un préavis raisonnable de son intention de ce faire accompagné :

a) d'une transcription de la communication privée, lorsqu'elle sera produite sous forme d'enregistrement, ou d'une déclaration donnant tous les détails de la communication privée, lorsque la preuve de cette communication sera donnée de vive voix;

b) d'une déclaration relative à l'heure, à la date et au lieu de la communication privée et aux personnes y ayant pris part, si elles sont connues.

189. (6) Exemption de communication d'une preuve

189. (6) Tout renseignement obtenu par une interception et pour lequel, si ce n'était l'interception, il y aurait eu exemption de communication, demeure couvert par cette exemption et n'est pas admissible en preuve sans le consentement de la personne jouissant de l'exemption.

L.R. (1985), ch. C-46, art. 189; 1993, ch. 40, art. 10.

Annotations

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[74] Des documents préparés par le ministère public, tels que les préavis visés aux par. 189(5) et 540(8) du Code criminel, et signifiés à l’appelant sont des communications avec l’accusé émanant de la poursuite. Dans la mesure où ces communications ont lieu après que l’accusé a exercé son droit de subir son procès ou son enquête préliminaire dans sa langue, il me semble logique et nécessaire que ces communications, en l’espèce les préavis visés au par. 189(5) et 540(8) du Code criminel, soient rédigés dans la langue de l’accusé à qui ils sont envoyés, ou en format bilingue.

[75] Le ministère public soutient qu’une telle obligation n’existe pas et s’appuie sur la jurisprudence qui avait établi qu’un accusé n’avait pas le droit d’obtenir une traduction de l’acte d’accusation quand celui-ci n’était pas dans sa langue (R. c. Simard (1995), 27 O.R. (3d) 97 (C.A.)). Pour remédier à la situation, une modification du Code criminel, au par. 530.01(1), a été nécessaire. Cette modification donnait à l’accusé le droit d’exiger une traduction de l’acte d’accusation dans sa langue, mais aucun droit d’exiger la traduction d’autres documents.

[76] À mon avis, cette jurisprudence n’est aucunement pertinente. Les préavis ne sont pas des documents comme l’acte d’accusation. L’acte d’accusation est établi avant que l’accusé exerce son droit en vertu de l’article 530. Les préavis, par contre, sont des communications formelles avec l’accusé, préparées par le ministère public après que l’accusé a exercé son droit, et ils sont directement liés au procès ou à l’enquête préliminaire qui doit être tenu dans la langue de l’accusé ou être bilingue.

[77] L’alinéa 530.1b) donne à l’accusé le droit d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle dans les actes de procédure ou autres documents de l’enquête préliminaire et du procès. Le ministère public ne se voit pas accorder ce même droit. Cela laisse entendre que les actes de procédure et autres documents reliés à l’enquête préliminaire doivent être préparés par le ministère public dans la langue de l’accusé.

[78] Cette interprétation est également conforme à l’objectif voulu de ces préavis, celui de donner au prévenu « un préavis raisonnable » de l’intention du ministère public de produire certaines communications ou certains documents en preuve au procès ou à l’enquête préliminaire (voir le libellé des par. 189(5) et 540(8) du Code criminel). Il me semble raisonnable d’exiger que de tels préavis soient dans la langue du prévenu. En Ontario, un prévenu anglophone s’attend à ce que les préavis qui lui sont envoyés par le ministère public soient rédigés dans sa langue, l’anglais, et non en français. Envoyer un préavis en français à un accusé anglophone serait déraisonnable. Un prévenu francophone a le droit de s’attendre au même traitement.

[79] Ainsi, en l’espèce, l’envoi d’avis visés aux par. 189(5) et 540(8) uniquement en anglais a porté atteinte aux droits linguistiques de l’appelant. Dans un procès ou une enquête préliminaire bilingue, ces préavis doivent être bilingues, ou encore rédigés en français pour ceux ayant exercé leur droit de subir leur procès ou enquête préliminaire en français, et rédigés en anglais pour ceux ayant choisi l’anglais. La violation des droits dans la présente affaire est d’autant plus flagrante que l’envoi des préavis uniquement en anglais ne respectait pas la politique sur les procès bilingues énoncée dans le Guide du Service des poursuites pénales du Canada. De plus, un des préavis avait un seul destinataire, l’appelant, mais était rédigé uniquement en anglais.

R. c. Ng, 1996 CarswellOnt 785, [1996] O.J. No. 666, 30 W.C.B. (2d) 144 (Ontario General Division) [hyperlien non disponible ][décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[4] Le 1er mai 1995, dans le cadre de l’enquête préliminaire, le procureur de la Couronne a déposé 13 transcriptions de communications interceptées de même qu’un index. Ces transcriptions étaient des traductions anglaises des conversations originales en cantonnais. Ces transcriptions contenaient une déclaration relative à l’heure, à la date et au lieu des communications privées et aux personnes y ayant pris part. Je suis d’avis que les exigences de l’al. 189(5)b) ont été satisfaites. Je suis également d’avis que la livraison de l’avis, des copies de bande réceptrice et des disques d’ordinateurs aux avocats de chaque prévenu était un « préavis raisonnable donné au prévenu ».

[…]

Une « traduction » de l’enregistrement original constitue-t-elle une « transcription »?

[23] Le conflit de jurisprudence est entre les affaires dans lesquelles on conclut que la définition du terme « transcription » que l’on trouve à l’al. 189(5)a) est suffisamment large pour inclure une traduction de la langue parlée et les affaires dans lesquelles on conclut qu’une traduction n’est pas une « transcription » de la communication interceptée. Ce conflit survient dans les cas où la communication enregistrée est dans une langue autre que la langue dans laquelle le procès doit avoir lieu.

[]

[30] La possibilité d’erreur, de confusion ou d’interprétation erronée est encore plus importante si la « transcription » remise au prévenu en vertu du par. 189(5) est une traduction dans une langue autre que la langue parlée dans la communication. Non seulement y a-t-il une possibilité, sinon une probabilité, d’inexactitudes, il existe en outre une préoccupation additionnelle quant à l’exactitude ou à la fiabilité de la traduction. Le prévenu sera privé de son droit de se préparer à réfuter de manière efficace et complète l’élément de preuve que constitue l’enregistrement présenté au procès. De plus, son droit de contester la version traduite présentée au procès sera grandement compromis s’il n’est pas en mesure, avant le procès, de comparer l’enregistrement original et la version traduite qui sera présentée au procès. Le conflit dans l’interprétation du par. 189(5) a été reconnu par l’auteur D. Watt dans son ouvrage intitulé Law of Electronics Surveillance in Canada, à la p. 241 :

[traduction] En tenant compte de la jurisprudence quelque peu contradictoire sur cette question, il est avancé que la pratique exemplaire à adopter dans les affaires où la langue de la conversation nécessite une traduction afin de devenir intelligible pour les juges des faits est de signifier au prévenu un avis convenable de l’intention de la poursuite de présenter une preuve principale sous la forme d’un enregistrement de même qu’un enregistrement ou une transcription de la conversation pertinente dans la langue parlée et la traduction sur laquelle on projette de se fier dans l’instance. Cette forme d’avis semble remplir le mandat de l’al. 178.16(4)a) et fournir au prévenu toutes les possibilités de réfuter la preuve de la poursuite.

[31] Par conséquent, je ne suis pas d'avis que les fins du paragraphe 189(5) peuvent être atteintes par la seule prestation d'une traduction.  Alors que la Loi sur les langues officielles et l'article 530 du Code criminel exigent que l'instruction des débats au procès soient enregistrés dans l'une des langues officielles et que toute la preuve produite dans une autre langue soit traduite dans la langue employée au procès, cela ne signifie pas que la traduction puisse devenir une copie de la communication privée originale où la preuve primaire à produire est l'enregistrement original et non sa traduction.

[32] Lorsque la communication interceptée est en langue anglaise et que le procès doit avoir lieu en anglais, il est assez simple de se conformer au paragraphe 189(5) en produisant le préavis accompagné d'une copie de l'enregistrement ou d'une transcription en anglais. Toutefois, lorsque la communication privée qui a été interceptée est dans une autre langue et lorsque l'enregistrement sera produit en preuve, l'exigence de la production d'une transcription est satisfaite par la production d'une copie de la bande sonore ou d'une version écrite dans la langue employée. Si le procès doit avoir lieu en anglais, l'enregistrement original constitue la preuve primaire. Une traduction écrite sera fournie pour se conformer à la Loi sur les langues officielles et à l'article 530 du Code, et pour permettre au tribunal s'exprimant en anglais de comprendre la preuve.  La traduction fera partie du dossier tout comme la traduction du témoignage du témoin est versée au dossier officiel. C'est en ce sens que la Loi sur les langues officielles et l'article 530 s'appliquent, et non au préavis et à la divulgation requis par le paragraphe 189(5).

Voir également :

R. c. Tam, 2000 CanLII 5699 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Shayesteh, 1996 CanLII 882 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Tam, 1992 CanLII 3444 (CA QC)

R. c. Trang, 2002 ABQB 990 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Biasi, 1981 CanLII 387 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Biasi, 1981 CanLII 375 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rowbotham (No. 4), [1977] O.J. No. 1686 (Cour des sessions générales de la paix de l’Ontario) [hyperlien non disponible]

R. c. Ouellet, [1976] B.C.J. No. 1303 (BC PC) [hyperlien non disponible]

R. c. Li (No. 1), [1976] B.C.J. No. 1227 (BC Co. Ct.) [hyperlien non disponible]

 

Partie XVII – Langue de l’accusé

530. (1) Langue de l'accusé

530. (1) Sur demande d'un accusé dont la langue est l'une des langues officielles du Canada, faite au plus tard :

a) au moment où la date du procès est fixée :

(i) s'il est accusé d'une infraction mentionnée à l'article 553 ou punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

(ii) si l'accusé doit être jugé sur un acte d'accusation présenté en vertu de l'article 577;

b) au moment de son choix, s’il choisit de subir son procès devant un juge de la cour provinciale en vertu de l’article 536 ou d’être jugé par un juge sans jury et sans enquête préliminaire en vertu de l’article 536.1;

c) au moment où il est renvoyé pour subir son procès :

(i) s'il est accusé d'une infraction mentionnée à l'article 469,

(ii) s'il a choisi d'être jugé par un tribunal composé d'un juge seul ou d'un juge et d'un jury,

(iii) s'il est réputé avoir choisi d'être jugé par un tribunal composé d'un juge et d'un jury,

un juge de paix, un juge de la cour provinciale ou un juge de la Cour de justice du Nunavut ordonne que l'accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l'accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.

530. (2) Idem

530. (2) Sur demande d'un accusé dont la langue n'est pas l'une des langues officielles du Canada, faite au plus tard à celui des moments indiqués aux alinéas (1) a) à c) qui est applicable, un juge de paix ou un juge de la cour provinciale peut rendre une ordonnance à l'effet que l'accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui, de l'avis du juge de paix ou du juge de la cour provinciale, permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.

530. (3) L'accusé doit être avisé de ce droit

530. (3) Le juge de paix ou le juge de la cour provinciale devant qui l’accusé comparaît pour la première fois veille à ce que l’accusé soit avisé de son droit de demander une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) et des délais à l’intérieur desquels il doit faire une telle demande.

530. (4) Renvoi

530. (4) Lorsqu'un accusé ne présente aucune demande pour une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) et que le juge de paix, le juge de la cour provinciale ou le juge devant qui l'accusé doit subir son procès — appelés « tribunal » dans la présente partie — est convaincu qu'il est dans les meilleurs intérêts de la justice que l'accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l'accusé ou, si la langue de l'accusé n'est pas l'une des langues officielles du Canada, la langue officielle du Canada qui, de l'avis du tribunal, permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement, le tribunal peut, par ordonnance, s'il ne parle pas cette langue, renvoyer l'accusé pour qu'il subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent cette langue ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.

530. (5) Modification de l'ordonnance

530. (5) Toute ordonnance rendue en vertu du présent article prévoyant le déroulement d’un procès dans l’une des langues officielles du Canada peut, si les circonstances le justifient, être modifiée par le tribunal pour prévoir son déroulement dans les deux langues officielles du Canada, et vice versa.

530. (6) Circonstances justifiant l’utilisation des deux langues officielles

530. (6) Peut constituer une circonstance justifiant une ordonnance portant qu’un accusé subira son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent les deux langues officielles du Canada le fait que des coaccusés qui doivent être jugés conjointement ont chacun le droit d’avoir un procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent une des langues officielles du Canada, mais que cette langue n’est pas la même pour tous les coaccusés.

L.R. (1985), ch. C-46, art. 530; L.R. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 94 et 203; 1999, ch. 3, art. 34; 2008, ch. 18, art. 18.

Annotations – Général

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

1. Introduction générale et historique des procédures

[7] Notre Cour est appelée pour la première fois à interpréter les droits linguistiques prévus par l’art. 530 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C46.  La présente affaire porte sur le droit d’être entendu par un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé, ou les deux langues officielles du Canada.  La situation exceptionnelle de l’accusé nous donne l’occasion de clarifier la portée du droit prévu aux par. 530(1) et 530(4) du Code et de déterminer le régime législatif applicable lorsqu’un nouveau procès est ordonné.  Aux fins de la présente introduction, je me borne à dire que le par. 530(1) crée un droit absolu alors que le par. 530(4) assujettit le droit au pouvoir discrétionnaire du juge du procès.

[]

[23] Quand l’art. 530 est entré en vigueur en ColombieBritannique le 1er janvier 1990, l’étendue des droits linguistiques de laccusé ne devait pas être définie de façon restrictive.  Les modifications devaient apporter une réparation (voir la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I21, art. 12), et étaient censées faire partie de la structure inachevée des droits linguistiques fondamentaux (Débats de la Chambre des communes, vol. XIV, 2e sess., 33e lég., 7 juillet 1988, à la p. 17220).  Il n’y avait rien de nouveau à cet égard.  À la Chambre des communes, le ministre de la Justice avait clairement énoncé l’objet du libellé original des dispositions au moment du dépôt des modifications au Code criminel, le 2 mai 1978, qui y ajoutaient la partie XIV.1 (Loi modifiant le Code criminel, S.C. 19771978, ch. 36, art. 1):

Il me semble que toute personne vivant dans un pays qui reconnaît deux langues officielles doit avoir le droit de se servir de l’une ou l’autre de ces langues, et d’être comprise dans la langue de son choix, lorsqu’elle est traduite devant les tribunaux de compétence criminelle.  Je répète qu’un procès devant un juge ou un jury qui comprenne la langue de l’accusé devrait être un droit fondamental et non un privilège.  Le droit d’être entendu dans une cause criminelle par un juge ou un juge et un jury parlant la langue officielle de l’accusé, même si cette langue officielle est celle de la minorité dans une province donnée, constitue certes un droit qui est le strict minimum dans l’intérêt de la justice et de l’unité canadienne.  C’est essentiellement une question d’équité qui est en cause. [Je souligne.]

(Débats de la Chambre des communes, vol. V, 3e sess., 30e lég., à la p. 5087.)

[]

[34] J’estime que pour trouver la solution au problème, il suffit d’examiner l’objectif de l’art. 530.  Cet objectif vise, comme je l’ai déjà dit, à donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l’une des langues officielles du Canada afin d’aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle; Ford, précité, à la p. 749.  La langue de l’accusé est de nature très personnelle; elle forme une partie importante de son identité culturelle.  Il faut donc donner à l’accusé le droit de faire un choix entre les deux langues officielles en fonction des liens subjectifs qu’il entretient avec la langue elle-même.  Les principes sur lesquels le droit linguistique est fondé, le fait que le droit de base est absolu, l’exigence d’égalité dans la prestation de services dans les deux langues officielles au Canada et la nature substantielle du droit indiquent tous que les Canadiens sont libres d’affirmer que l’une ou l’autre langue officielle est la leur.  Je souligne que le par. 530(2) s’appliquera à des personnes qui ne parlent ni l’une ni l’autre des deux langues officielles.  Aux fins des par. 530(1) et 530(4), la langue de l’accusé est l’une ou l’autre des deux langues officielles avec laquelle cette personne a des liens suffisants.  Ce n’est pas forcément la langue dominante.  Si l’accusé a une connaissance suffisante d’une langue officielle pour donner des directives à son avocat, il pourra affirmer cette langue comme sa langue, indépendamment de sa capacité de parler l’autre langue officielle.  Le ministère public peut contester l’affirmation mais il lui incombe alors de démontrer qu’elle est sans fondement.  Dans un tel cas, le tribunal n’entreprendra pas l’examen de critères spécifiques en vue de déterminer une identité culturelle dominante ni l’examen des préférences linguistiques personnelles de l’accusé.  Il vérifiera seulement que l’accusé est en mesure de donner des directives à son avocat et de suivre le déroulement des procédures dans la langue choisie.

[]

[53] L’article 530 ne vise pas à assurer un procès plus équitable ou un verdict plus fiable.  J’estime qu’il y a lieu de faire une analogie entre la présente affaire et R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, dans lequel notre Cour a refusé d’appliquer la disposition réparatrice de l’art. 686 à une violation de l’art. 14 de la Charte.  Le juge en chef Lamer dit, à la p. 1008:

Le sousalinéa 686(1)b)(iii) est conçu pour éviter davoir à annuler une déclaration de culpabilité pour des erreurs de droit négligeables ou «inoffensives» lorsque le ministère public peut établir qu’aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit. Le sousalinéa 686(1)b)(iv), une disposition relativement nouvelle du Code introduite en 1985, vise également à permettre à un tribunal de rejeter l’appel d’une déclaration de culpabilité, mais dans les cas d’irrégularité de procédure où le ministère public peut établir que l’accusé n’a subi aucun préjudice.

Il poursuit, à la p. 1009:

Bien que la négation d’un droit garanti par la Charte constitue une erreur de droit, il s’agit, de par sa nature constitutionnelle même, d’une erreur de droit grave qui, aux fins du Code criminel, ne peut certainement pas être qualifiée de négligeable ou d’inoffensive, ni d’«irrégularité de procédure». Par conséquent, je conclus que, du point de vue juridique, la violation de l’art. 14 de la Charte empêche l’application des sousal. 686(1)b)(iii) et (iv) du Code.

[54] Compte tenu de la nature des droits linguistiques, de l’exigence d’une égalité réelle, de l’objet de l’art. 530, décrit en l’espèce, et de l’objet de l’art. 686, je crois que la violation de l’art. 530 est un tort important et non une irrégularité de procédure.  Par conséquent, l’al. 686(1)b) ne s’applique pas en l’espèce et un nouveau procès doit être ordonné.  Il faut une réparation efficace dans les cas de violation des droits prévus à l’art. 530.  L’application de l’art. 686 rendrait cela illusoire.

[55] Comme la langue dans laquelle le nouveau procès se tiendra est l’objet même du présent pourvoi, et que l’appelant a confirmé sa demande de procès devant un juge ou un juge et un jury parlant les deux langues officielles du Canada, il y a lieu d’ordonner que la demande de l’appelant soit accueillie.

6. Résumé

[56] Les tribunaux doivent donner effet à l’art. 530 du Code en tenant compte de son caractère réparateur, de sa nature substantielle et de son objet, qui vise d’abord et avant tout à aider les membres des collectivités des deux langues officielles à obtenir un accès égal à des services particuliers, dans des tribunaux particuliers, dans leur propre langue.  En l’absence de preuve établissant qu’il ne parle pas la langue choisie, l’accusé est libre de choisir la langue officielle que devront utiliser le juge ou le juge et le jury devant lesquels il subira son procès, s’il agit à temps.  L’exercice par le juge du pouvoir discrétionnaire prévu au par. 530(4) du Code est fondé sur les difficultés supplémentaires causées par une demande tardive et les raisons du retard.  Les inconvénients administratifs ne sont pas un facteur pertinent, pas plus que ne le sont les aptitudes linguistiques de l’accusé dans la langue officielle qu’il n’a pas choisie; l’équité du procès n’est pas une question de droits linguistiques.  Toute privation du droit prévu au par. 530(4) est exceptionnelle et doit être justifiée; le fardeau de justifier une telle privation incombe au ministère public.  Lorsqu’un nouveau procès est ordonné, il y a une présomption encore plus forte en faveur de l’accusé, vu la similitude qui existe entre cette situation et celle que vise le par. 530(1).

Bessette c. British Columbia (Attorney General), 2017 BCCA 264 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

CADRE LÉGISLATIF

[9] Le fondement de la demande de M. Bessette est son affirmation selon laquelle il a le droit de subir son procès en français en raison de l’effet combiné de l’art. 133 de l’Offence Act, R.S.B.C. 1996, ch. 338 et de l’art. 530 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. […]

[10] L’Offence Act régit les poursuites engagées en vertu de lois provinciales comme le Motor Vehicle Act. L’article qui a été remplacé par l’art. 133 de l’Offence Act a été adopté pour la première fois en 1955 dans le cadre de la loi intitulée An Act respecting Summary Proceedings (Summary Convictions Act, 1955), S.B.C. 1955, ch. 71, art. 102, et il était à peu près semblable à l’art. 133 actuel. Il se lisait comme suit :

[traduction] Lorsque, dans une instance, une affaire ou une chose à laquelle la présente loi s’applique, une disposition expresse n’a pas été prise dans la présente loi ou seule une disposition partielle a été prise, les dispositions du Code criminel ayant trait aux infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire s’appliqueront, mutatis mutandis, comme si les dispositions pertinentes faisaient partie de la présente loi.

[11] L’article 530 du Code criminel (alors l’art. 462.1) est entré en vigueur le 30 juin 1978. Il est entré en vigueur en Colombie-Britannique le 1er janvier 1990.

[12] Il est reconnu qu’avant le 1er janvier 1990, conformément à la loi intitulée Imperial statute of 1731 (4 Geo. II, c. 26) [Loi de 1731], toutes les procédures judiciaires en Colombie-Britannique devaient être en anglais. La Loi de 1731 a été intégrée aux lois de la Colombie-Britannique et est en vigueur conformément aux exigences de l’art. 2 du Law and Equity Act, R.S.B.C. 1996, ch. 253 : Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42 (CanLII) [Conseil scolaire]. Dans l’arrêt Conseil scolaire, la Cour suprême du Canada a confirmé que la Loi de 1731 continue de s’appliquer et que les instances civiles en Colombie-Britannique doivent se dérouler en anglais.

[13] Les parties conviennent également que depuis que l’art. 530 est entré en vigueur en Colombie-Britannique le 1er janvier 1990, un prévenu francophone accusé d’une infraction prévue au Code criminel a le droit d’être jugé en français. La question en litige est celle de savoir si une partie jugée pour une infraction provinciale peut exiger que le procès se déroule en français.

[14] M. Bessette fait valoir que l’art. 133 de l’Offence Act incorpore l’art. 530 du Code criminel et que son procès doit se dérouler en français. Le procureur général n’est pas de cet avis. Il maintient que M. Bessette n’a pas droit à un procès en français étant donné que l’accusation a trait à une infraction provinciale, et non à une infraction prévue au Code criminel ou dans une autre loi fédérale pour lesquels des règles différentes s’appliquent. Il fait valoir que les infractions provinciales doivent être jugées en anglais, conformément aux dispositions de la Loi de 1731.

[…]

ANALYSE

[29] M. Bessette fait valoir que le juge Blok a commis une erreur en ne reconnaissant pas que la décision de refuser à M. Bessette un procès en français était d’ordre juridictionnel. Il fait valoir que le juge Gulbransen a outrepassé sa compétence en refusant d’ordonner que M. Bessette subisse un procès en français. À supposer, sans en décider, que la décision était d’ordre juridictionnel, cela n’amène pas nécessairement à conclure que le juge Blok a commis une erreur en refusant une réparation extraordinaire. Le principe du recours approprié alternatif s’applique même dans les cas mettant en jeu une erreur d’ordre juridictionnel : Harelkin à la p. 586; Matsqui au par. 33.

[30] Subsidiairement, M. Bessette fait valoir que, dans la présente affaire, il existe des circonstances spéciales qui justifient l’intervention immédiate de notre Cour. Il établit une analogie avec des affaires dans lesquelles la Cour est intervenue dans le cadre d’un procès en cour provinciale afin de protéger le secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif aux indicateurs de police. Il fait valoir qu’un appel ne peut apporter un réparation efficace à la violation de son droit de subir son procès en français. Je n’accepte pas l’analogie. Dans les affaires concernant des privilèges, il n’y a pas de réparation. Il est impossible de réparer le préjudice causé par la divulgation. Si M. Bessette est jugé en anglais et déclaré coupable, et qu’il se trouve qu’il avait droit à un procès en français, il aura droit à un nouveau procès : R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768.

[31] En l’espèce, le juge Blok a conclu que l’économie des ressources judiciaires penchait fortement en faveur du règlement de la question linguistique dans le cadre d’un appel ordinaire. Il a conclu que M. Bessette n’avait pas établi que les circonstances de l’espèce étaient telles que l’intérêt de la justice exigeait l’octroi immédiat de la réparation extraordinaire demandée. Il pouvait rendre une telle décision. Il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard de sa décision. M. Bessette n’a pas démontré l’existence d’une erreur de principe ou d’une autre raison pour laquelle notre Cour devrait intervenir.

[32] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel.

NOTA. – L’appelant a déposé une demande d’autorisation d’appel auprès de la Cour Suprême du Canada. Une demande de suspension de l’instance a aussi été déposée auprès de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Dans l’attente de la décision de la Cour Suprême du Canada, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a accordé la demande de suspension de l’instance. Bessette v. British Columbia (Attorney General), 2018 BCCA 59 (CanLII)

Yamba v. Canada (Minister of Justice), 2016 BCCA 219 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

Compétences linguistiques de M. Yamba

[17] M. Yamba fait valoir que le ministre n’a pas correctement examiné ses droits et capacités linguistiques. À la lumière de son défaut d’élocution et du fait que l’anglais est sa troisième langue, M. Yamba affirme qu’il n’aura pas droit à un procès équitable aux États-Unis étant donné qu’il n’aura pas accès à un procès en français. Étant donné que le droit à un procès équitable est un principe de justice fondamentale, M. Yamba affirme que son extradition violerait ce principe.

[18] M. Yamba est d’avis que lorsque le droit à un procès en français au Canada, prévu à l’art. 530 du Code criminel, est combiné à ceux établis à l’art. 16 de la Charte en matière de langues officielles, il constitue alors un droit constitutionnel. M. Yamba soutient que la conclusion du ministre selon laquelle l’accès aux services d’un traducteur agréé répondra aux préoccupations soulevées concernant l’équité des procès aux États-Unis ne prend pas « dûment en considération » les droits linguistiques de M. Yamba au Canada.

[19] Le ministre fait valoir que les renseignements qu’il a obtenus du département de la Justice des États-Unis en ce qui a trait à la disponibilité d’un traducteur agréé et d’un défenseur public répondent aux préoccupations soulevées par M. Yamba en ce qui a trait à l’équité du procès. Le ministre affirme que l’argument de M. Yamba selon lequel son procès ne sera pas équitable parce qu’il n’a pas droit à un procès en français aux États-Unis ne saurait être retenu étant donné que l’extradition respecte les différences, même les différences importantes, qui existent dans les systèmes de justice pénale des autres administrations. Dans l’arrêt Canada c. Schmidt, 1987 CanLII 48 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 500 aux pages 522 et 523, la Cour a jugé qu’il n’est pas toujours injuste d’extrader une personne afin qu’elle subisse un procès conformément aux procédures criminelles d’un autre pays, même si ces procédures ne remplissent pas les exigences constitutionnelles précises, comme la présomption d’innocence, relatives aux procès au Canada. On ne saurait donner à la Charte un effet qui la rendrait applicable à la conduite de procédures criminelles dans un pays étranger (Schmidt à la p. 518). De plus, il est présumé qu’une personne accusée aura droit à un procès équitable dans un État étranger (Argentina c. Mellino, 1987 CanLII 49 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 536 à la p. 558). L’affirmation de M. Yamba selon laquelle son procès ne sera pas équitable aux États-Unis simplement parce qu’il ne se déroulera pas en français ne réfute pas cette présomption.

[20] À mon avis, la conclusion du ministre selon laquelle les aptitudes linguistiques et la situation personnelle de M. Yamba ne rendent pas l’extradition de M. Yamba injuste, tyrannique ou contraire aux principes de justice fondamentale est raisonnable.

[21] D’abord, il est loin d’être clair que le droit à un procès dans l’une de nos deux langues officielles, garanti par l’article 530 du Code criminel, est l’équivalent d’un droit constitutionnel. Même si, en application du paragraphe 16(1) de la Charte, l’anglais et le français sont les « langues officielles du Canada », le droit d’employer l’une ou l’autre lors de procédures judiciaires s’applique seulement aux tribunaux du Nouveau-Brunswick et à ceux établis par le Parlement (article 19 de la Charte). Dans R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII), 181 C.C.C. (3d) 485, demande de pourvoi refusée [2005] 1 R.C.S. xii, le tribunal a soutenu qu’une violation des droits énoncés à l’article 530 ne donne pas droit à une réparation constitutionnelle. Le juge Fichaud a affirmé ce qui suit :

[60] L’article 530 doit faire l’objet d’une interprétation téléologique large en raison de son statut quasi constitutionnel. Il ne fait toutefois pas partie de la Charte et sa violation ne fait pas entrer en jeu le par. 24(1) de celle-ci.

Voir aussi : R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII) au paragraphe 19, 192 C.C.C. (3d) 1, demande de pourvoi refusée [2005] 2 R.C.S. xi.

[…]

[43] Il ressort des motifs du ministre qu’il a procédé à une analyse appropriée fondée sur l’arrêt Cotroni. Il n’avait pas à prendre en considération les capacités linguistiques de M. Yamba encore une fois dans le contexte de cette analyse. L’article 530 du Code criminel confère à chaque accusé ayant une connaissance suffisante d’une langue officielle pour donner des instructions à son avocat le droit à un procès dans cette langue (R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768 aux paragraphes 28 et 34). Ce droit n’est pas fonction du fait que l’accusé est un citoyen canadien ou un résident du Canada.

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[98] Lors de l’enquête préliminaire, l’appelant a demandé que la sténographe unilingue anglophone soit remplacée par une sténographe bilingue. Le juge a tout simplement refusé d’y donner suite. Il a répondu ceci :

Alors dans les circonstances moi je prends aucune action à ce point de vue là parce que c’est pas moi qui a la charge d’administration, j’ai assez de problèmes à régler sans régler ceux de tout le monde. Alors – je comprends que ça serait préférable que nos sténos soient bilingues, ça ne l’est pas – ce n’est pas moi qui va faire des ordonnances pour en obtenir une. Donc on va procéder avec les ressources qui nous sont disponibles ce matin.

[99] L’appelant a réitéré sa demande quelques jours plus tard. Le juge a noté sa demande, mais n’a rien fait pour y donner suite.

[100] Selon l’appelant, l’inaction du juge est une violation de ses droits garantis par les articles 530 et 530.1. Le juge de révision lui a donné raison. De plus, l’appelant soutient que l’absence d’une sténographe bilingue a contribué au retard dans la préparation des transcriptions nécessaires pour présenter sa demande en certiorari.

[101] Le ministère public, pour sa part, soutient qu’il n’y a eu aucune violation. Il affirme que les articles 530 et 530.1 n’imposent pas d’obligations expresses concernant la présence d’une sténographe bilingue. De plus, vu les avancées technologiques, l’enquête préliminaire est enregistrée sur une bande sonore, et la présence en cour d’une sténographe n’est pas nécessaire. Ainsi, l’absence d’une sténographe bilingue ne peut pas constituer une violation des droits linguistiques de l’appelant.

[102] Il n’y a pas de décision qui traite précisément du droit à une sténographe bilingue dans un procès ou une enquête préliminaire bilingue. Dans Beaulac, par contre, la Cour suprême du Canada semble avoir tenu pour acquis qu’une sténographe bilingue serait présente lors d’un procès bilingue. Au para. 39, la cour a donné l’explication suivante :

Je tiens à souligner qu’un simple inconvénient administratif n’est pas un facteur pertinent. La disponibilité de sténographes judiciaires, la charge de travail des procureurs ou des juges bilingues et les coûts financiers supplémentaires de modification d’horaires ne doivent pas être pris en considération parce que l’existence de droits linguistiques exige que le gouvernement satisfasse aux dispositions de la loi en maintenant une infrastructure institutionnelle adéquate et en fournissant des services dans les deux langues officielles de façon égale. (C’est nous qui soulignons.)

[103] À mon avis, l’inaction du juge dans les circonstances constitue une violation des droits linguistiques de l’appelant. Il découle d’une ordonnance de procès ou d’enquête préliminaire bilingue rendue en vertu de l’art. 530 que tout le personnel de la cour qui joue un rôle dans le bon déroulement de l’instance doit être bilingue. Dans la mesure où la présence de la sténographe est nécessaire au bon déroulement de l’enquête ou du procès, le juge doit s’assurer que la sténographe est bilingue.

[104] Il nous est impossible, en appel, de conclure que la sténographe, en l’espèce, ne jouait aucun rôle au cours de l’enquête préliminaire. Il est fort possible que la sténographe était disponible, par exemple, pour faire entendre ou relire des extraits du témoignage, dans l’éventualité où le juge ou les parties en fassent la demande.

[105] En ce qui a trait à l’assertion du ministère public selon laquelle il ne peut y avoir de violation puisqu’il n’y a pas d’obligation expresse d’avoir une sténographe présente, aucune preuve ne nous a été présentée pour étayer les règlements et pratiques de la cour régissant la présence ou non de sténographes. Il n’en reste pas moins que la cour a estimé qu’il était approprié d’avoir une sténographe présente au cours de cette enquête préliminaire. Quand l’appelant a soulevé une objection, le juge n’a pas tout simplement indiqué que la sténographe n’avait aucun rôle à jouer. Le juge semblait être d’avis qu’une sténographe devait être présente. Il est donc raisonnable de conclure qu’en l’espèce la sténographe faisait partie intégrante de l’enquête préliminaire et de son bon déroulement et devait être en mesure de travailler dans les deux langues.

[106] Par suite de la plainte de l’appelant, le juge aurait dû déterminer si la sténographe pourrait être appelée à jouer un rôle dans le bon déroulement de l’enquête et, dans l’affirmative, s’assurer de la présence d’une sténographe bilingue. Il n’aurait pas dû se laver les mains du problème. Si le juge refuse d’être responsable pour ce qui est d’assurer le respect des droits linguistiques de l’accusé dans sa salle d’audience, l’accusé se trouve dans l’impossibilité de remédier à la situation.

[107] Je conclus donc, comme l’a fait le juge de révision, que l’absence d’une sténographe bilingue était une violation des articles 530 et 530.1. Cette violation était d’autant plus grave que le juge a refusé de donner suite à la demande de l’appelant.

[108] Quant à l’assertion de l’appelant portant que l’absence d’une sténographe bilingue aurait causé un retard dans la préparation des transcriptions nécessaires à la demande en révision, le dossier en appel n’est pas clair ni complet sur ce point. En l’absence d’un dossier factuel suffisant, en l’espèce, il est impossible de conclure que les droits linguistiques de l’appelant ont été violés pour ce motif.

W.F. c. SAE, 2015 ONSC 6751 (CanLII)

[19] Il me semble, d’après les passages de la transcription cités, que l’appelante parle couramment français et comprend bien cette langue. À mon avis, le juge saisi de la requête a commis une erreur de fait en tirant la conclusion contraire. L’avocat de l’appelante (qui n’est pas l’avocat qui l’a représentée devant le juge saisi de la requête) confirme que l’appelante communique avec lui en français. L’avocat de l’appelante ne demande pas réparation au regard de la décision et des commentaires du juge saisi de la requête portant sur sa demande d’audience bilingue, mais il demande à notre cour d’indiquer que le tribunal de juridiction inférieure a effectivement commis une erreur en contestant la demande d’instance bilingue présentée par l’appelante. Il y a bien eu une instance bilingue après que l’appelante en eut fait la demande. Le juge saisi de la requête a correctement invoqué le critère pertinent relativement à une instance lorsqu’une partie demande la tenue d’une instance bilingue. À la page 6 de ses motifs, le juge saisi de la requête a déclaré ce qui suit :

Selon la Cour Suprême du Canada, les droits linguistiques devraient être interprétés téléologiquement et de façon réparatrice : Reference Re Manitoba Language Rights, 1992 CanLII 115 (CSC), [1992] 1 SCR 212; Reference re Public Schools Act (Manitoba), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 SCR 839.  Le droit d'exiger une instance bilingue se trouve dans l’article 126(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, qui stipule : Une partie à une instance qui parle français a le droit d’exiger que l’instance soit produite en tant qu’instance bilingue. [C’est moi qui souligne.]

Les articles comme celui-ci ont bénéficié d'un statut quasi constitutionnel : R. c. McKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII).  Il est bien établi en jurisprudence que le droit d'une partie qui parle français d’exiger qu'une instance soit instruite en tant qu’instance bilingue est un droit substantiel et non purement procédural. C’est un droit absolu : Ndem c. Patel, 2008 ONCA 148 (CanLII), [2008] OJ 748. Cette partie n’a pas à établir qu’il ou elle ne peut également communiquer en anglais : Tremblay c. Picquet, [2010] O.J. 1216 (C.S. Ont.). Toutefois, lorsqu’une telle demande est faite, il incombe la Cour de s’assurer que la partie requérante en fait « parle français ».  Il est clair que la capacité de la partie requérante  de « parler français » est une condition préalable au droit à une procédure bilingue : Mimico Co-operative Homes Inc. c. Ward, [1997] OJ 519, 97 OAC 309 ; A.J.W. c. B.W., 2014 ONSC 2745 (CanLII), [2014] OJ 2209. Dans l’application de l’interprétation correcte de l'expression « parle français », je me laisse guider par la décision de la Cour Suprême du Canada dans R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 SCR 768, [1999] SCJ 25, où l'accusé s’est vu refuser un procès bilingue après avoir fait une demande en vertu de l’art. 530 du Code Criminel, qui stipule :

[…]

Bien que le juge Bastarache énonce un critère relativement détendu pour déterminer la « langue de l'accusé », il rend clair qu’on ne peut pas simplement affirmer un droit à une procédure bilingue. Sans une connexion subjective à la langue officielle, les droits linguistiques ne sont pas déclenchés parce qu’il n’y a aucune menace pour l’identité culturelle subjectivement ressenti que ces droits sont destinés à protéger.

À mon avis, les mots « parle français », dans le contexte de l'article 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, doivent être interprétés selon l'intention et l’esprit de l’article : afin de permettre des plaideurs francophone ou plaideurs qui sont plus confortables en communiquant en français qu'en anglais, pour participer aux audiences de la Cour en français. Les mots « parle français » dans cet article important devraient signifier quelque chose de plus d’être capable de commander une crème brûlée dans un restaurant. La partie demandant une instance bilingue devrait être capable à démontrer une maîtrise raisonnable suffisamment pour instruire un avocat et suivre le procès en français. À mon avis, une capacité moins que cela se moque de l’article 126 et permet l’invocation de cet article par les plaideurs obstructionnistes et leurs avocats comme une tactique de délai ou comme un moyen d'éviter un juge en particulier. Cela frappe au cœur même de l’intégrité du système de gestion de cas à juge unique, qui est une caractéristique importante du Tribunal de la famille dans cette province. Malheureusement, il s’agit d'une préoccupation très réelle, compte tenue de mes 19 ans d’expérience de juge. Malheureusement, les circonstances de l’espèce sont en aucune façon inhabituelles ou peu fréquentes.

Je ne suis pas suggérant qu'un voirdire doit être tenu chaque fois une demande pour une instance bilingue est effectuée, pour déterminer si la partie requérante parle français. Par exemple, dans les cas où les documents déposés sont en français, où la demande pour une instance bilingue est effectuée au début de l'affaire, où il est évident que la partie est francophone ou parle bien le français, le tribunal n’a pas besoin de savoir plus, et la demande pour une instance bilingue doit être immédiatement accordée. Toutefois, dans des circonstances donnant lieu à un soupçon que la demande ne peut pas être en bonne foi – en particulier lorsque la requête est pas faite en temps opportun, les documents déposés sont en anglais et l’avocat de la partie requérante ne parle pas français – alors que la Cour devrait effectuer un voir-dire afin de s’assurer que la partie requérante en fait « parle français » au sens de l'article 126. Je comprends qu’il peut être difficile et compliqué d’évaluer la facilité d'une personne dans une langue que l’évaluateur ne parle pas, mais les juges sont généralement exigés pour s’engager dans des enquêtes similaires lors de l’évaluation d’une demande pour un interprète (par exemple, R. c. Wangchuk, 2012 ONCJ 338 (CanLII)), ou de la compétence des interprètes non certifiés, et donc ce qui est suggéré ici n’est pas un exercice extraordinaire pour les juges. Généralement, la présence d’un interprète français, qui peut être appelé à converser en français avec la partie requérante, serait suffisante pour aider le tribunal à décider si la partie « parle français » suffisamment bien pour rendre la demande pour une instance bilingue légitime. Si un voir-dire avait eu lieu dans cette cause, le juge aurait tout de suite compris que les compétences en français de la mère n’étaient pas montées au niveau minimum nécessaire pour lui permettre d’invoquer l’article 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Sa demande d’une audience bilingue a été motivée par le désir de contrecarrer, entraver et retarder l’inévitable disposition ordonnée aujourd’hui. Ce n’était pas juste pour ses enfants, pour lesquels un plan permanent a été considérablement retardé par le transfert de cette affaire à un juge bilingue. 2014 ONCJ 480 (CanLII)

[20] Je n’ai pas de solution facile pour régler le problème qui, selon les dires du juge saisi de la requête, l’a préoccupé, à savoir qu’il est possible que des « plaideurs obstructionnistes » et leurs avocats fassent valoir des droits linguistiques uniquement pour différer l’instruction de l’affaire, si ce n’est que je ferai remarquer qu’il devrait être suffisant d’informer toutes les parties, au début de l’audience, de leur droit à une instance bilingue pour s’assurer que les parties sont au courant de ce droit. Si je comprends bien, le Barreau a l’obligation d’informer les clients de leur droit à une instance bilingue. Cela ne suffit peut-être pas à répondre à ce qui, selon le juge saisi de la requête, est une préoccupation dans son ressort. D’après mon expérience, il n’y a pas, et il n’y a jamais eu, de tel problème dans ce ressort. […]

[21] Il est clair, comme l’indiquent les passages précités des décisions de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel, qu’on ne peut porter atteinte aux droits linguistiques et qu’un juge qui tente de soupeser la capacité d’une personne de parler français dans l’instance, comme cela a été tenté dans la présente affaire, fait courir le risque que l’affaire soit portée en appel, que de longs retards surviennent et que les enfants en cause subissent un préjudice.

HMTQ c. Pelletier, 2002 BCSC 561 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[34] Peut-on interpréter l’art. 530 comme s’il s’appliquait également aux audiences d’admissibilité à la libération conditionnelle régies par les art. 745.6 à 745.63? Après avoir examiné avec soin ces dispositions, j’arrive à la conclusion que ce type d’audiences n’est pas visé à l’art. 530 et que M. Pelletier n’est pas un « accusé » au sens de cette disposition. Il ressort clairement d’une lecture attentive de l’art. 530 que celui-ci s’applique spécifiquement aux procès de personnes accusées. Il est tout aussi clair que les art. 745.6 à 745.63 ne s’appliquent pas à ces procès, mais aux audiences accordées aux détenus qui ont été déclarés coupables et condamnés à une peine. Les différences sont trop importantes pour pouvoir être gommées par une interprétation libérale. À mon avis, la Cour jouerait le rôle du législateur sous couvert d’interprétation si elle statuait que M. Pelletier et son audience d’amissibilité à la libération conditionnelle sont visés à l’art. 530. Si la Cour devait agir ainsi, elle empiéterait sur les pouvoirs du Parlement ou de l’assemblée législative pour réaliser un objectif qui ne devrait être atteint que par des dispositions législatives appropriées.

Amyot c. Autorité des marchés financiers (AMF), 2016 QCCQ 12492 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] Quatre acte d’accusation ont été émis à plus de vingt défendeurs. Quelques défendeurs ont comme langue maternelle l’anglais, tandis que les autres ont comme langue maternelle le français.

[…]

[7] Les requérants peuvent-ils demander que le procès se déroule en anglais seulement?

[…]

[9] Ces affaires criminelles portent sur l’interprétation de l’article 530 et/ou de l’article 530.1 du Code criminel, or les accusations en l’espèce ont été portées en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, une loi provinciale.

[10] Même si M. Amyot (le seul requérant qui risque la prison) utilise l’expression [traduction] « de nature quasi criminelle », c’est sans importance.

[11] Dans l’arrêt Beaulac, la Cour suprême a affirmé ce qui suit : « Les tribunaux saisis d’affaires criminelles sont donc tenus d’être institutionnellement bilingues afin d’assurer l’emploi égal des deux langues officielles du Canada. [I]l s’agit d’un droit substantiel et non d’un droit procédural auquel on peut déroger. » (Nous soulignons)

[12] Le Code de procédure pénale n’intègre pas l’article 530 du Code criminel.

[13] Par ailleurs, même lorsque l’article 530 du Code criminel s’applique, la tenue d’un procès bilingue peut être autorisée.

[14] Selon la Charte de la langue française, le français est la langue de la justice au Québec. Par contre, l’article 7 prévoit que toute personne peut employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Québec.

[15] L’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit le droit à un interprète. Par contre, le droit un interprète est indépendant du droit à une défense pleine et entière.

[16] Comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé dans l’arrêt R. c. Beaulac, les droits linguistiques sont distincts du droit à un procès équitable. Le droit à une défense pleine et entière est lié aux aptitudes linguistiques uniquement en ce que l’accusé doit être en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre.

[17] Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues. Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts. Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais.

[18] L’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (LC 1867) porte sur la langue des procédures judiciaires : « [D]ans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, [de la langue française ou de la langue anglaise]. » (Nous soulignons)

[19] Aux termes de l’article 36 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, « [t]out accusé a le droit d’être assisté gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas la langue employée à l’audience [...] ».

[20] L’article 204 du Code de procédure pénale prévoit le recours à un interprète.

[21] Ainsi, les requérants ont le droit de s’exprimer dans la langue officielle de leur choix, mais ils ne peuvent pas exiger que le procès se déroule uniquement en anglais.

R. c. Bauer, 2005 ONCJ 337 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[22] Quelle est l’intention qui sous-tend la partie XVII - Langue de l’accusé? Confère-t-elle des droits linguistiques à l’accusé lorsque la fourchette des peines d’emprisonnement applicables est moindre et que la norme de preuve est plus exigeante – preuve hors de tout doute raisonnable, plutôt que selon la prépondérance des probabilités – tout en niant ces mêmes droits à la personne qui répond à la désignation théorique de défendeur?

[23] La jurisprudence offre peut-être la réponse à cette question.

[…]

[28] L’arrêt R. c. Beaulac témoigne de l’appui solide que réserve la Cour suprême du Canada au droit d’une personne bilingue à ce que l’audience se déroule dans la langue de son choix, mais il ne traite pas directement de la question de savoir si le défendeur qui comparait à une audience sous le régime de l’article 810 dispose des mêmes droits que ceux conférés à l’accusé par l’article 530.

[29] Dictionary of Canadian Law, Third Edition, 2004, Thomson Carswell : le Code criminel ne définit pas le terme « accusé », mais à la page 14 du Dictionary of Canadian Law, on trouve la définition suivante :

[TRADUCTION]

1. Celui qui est accusé d’un crime;

2. a) la personne à qui un agent de la paix a délivré une citation à comparaitre en vertu de l’article 496, b) la personne arrêtée pour infraction criminelle;

3. le défendeur dans une instance de déclaration de culpabilité par procédure sommaire et l’accusé à l’égard duquel un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu – article 672.1.

[30] L’article 810, qui figure à la partie XXVII du Code criminel, traite de la procédure sommaire. Selon le Dictionary of Canadian Law, le terme « accusée » vise également le défendeur dans une procédure sommaire. Par définition, un procès se compose d’audiences. Le défendeur qui comparaît à une audience sous le régime de l’article 810 n’est pas un accusé mais il est passible, suivant l’alinéa 810(3)b), d’un emprisonnement maximal de douze mois s’il omet ou refuse de contracter un engagement conformément à l’ordonnance rendue sous le régime de l’alinéa 810(3)a). La peine applicable en cas de défaut ou de refus de se conformer à l’ordonnance visée à l’article 810 est plus sévère que la peine générale prévue au paragraphe 787(1) à l’égard des infractions punissables par déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[31] De plus, suivant l’article 811, le manquement à un engagement visé à l’article 810 constitue une infraction au Code criminel, il figure dans la liste des infractions relevant de la juridiction absolue du juge de la cour provinciale, liste dressée à l’article 553, et il permet d’invoquer les droits linguistiques prévus à l’article 530.

[32] Cela dit, je n’ai été saisi, et je n’ai pu trouver, aucune décision portant précisément sur les points soulevés dans le cadre de la présente requête. Par contre, compte tenu des règles d’interprétation des lois et de ce que dit l’arrêt R. c. Beaulac au sujet de l’article 530, et compte tenu de l’importance de pouvoir obtenir un procès ou une audience dans la langue officielle de son choix, indépendamment des inconvénients administratifs, de la possibilité de se voir infliger une peine d’emprisonnement d’une durée pouvant atteindre douze mois et de la nature criminelle du manquement à une ordonnance rendue au titre de l’article 810, je suis d’avis que le défendeur visé à l’article 810 dispose des mêmes droits linguistiques que ceux conférés à l’accusé par l’article 530.

Canada (Commissaire Aux Langues Officielles) c. Canada (Ministre de la Justice), 2001 CFPI 239 (CanLII)

[164] Pour ce qui est du traitement judiciaire des poursuites aux contraventions fédérales, la Cour a assisté et a même participé à un examen quasi-microscopique tant des dispositions du Code criminel aux articles 530 et 530.1 que des articles 125 et 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.

[165] Il est vrai qu'à première vue, les dispositions de l'article 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario semblent se comparer à l'article 530.1 du Code criminel dont les effets ont été suspendus par la mise en œuvre de la LC [Loi sur les contraventions] et des règlements subséquents.

[166] Cependant, il ne faut pas oublier, tel qu'il fut indiqué dans l'affaire R. c. Beaulac, supra, qu'en droit canadien, l'égalité réelle est la norme applicable. […] 

[167] L'article 125(2) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario établit clairement le contexte, soit que c'est l'anglais qui est la langue de l'administration de la justice en Ontario, sauf exceptions, et que ces exceptions sont encadrées dans le détail par les dispositions de l'article suivant, soit l'article 126.

[168] Il est clair que la Loi sur les tribunaux judiciaires n'adopte pas le principe de l'égalité réelle des deux langues officielles reconnu par la Charte et la LLO et qu'en fait, le principe qui régit la Loi sur les tribunaux judiciaires est à l'effet qu'il y a une langue principale dans l'administration des tribunaux en Ontario, soit l'anglais, et que la place qui revient à la langue française est celle d'une langue secondaire que l'on accepte d'accommoder. Ceci est d'autant plus clair à la lumière des articles subséquents de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

[169] Ce principe derrière la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario est précisément celui que le juge Bastarache dans l'affaire R. c. Beaulac, supra, a rejeté lorsqu'il a interprété les droits linguistiques garantis par la LLO et la Charte. En effet, ce dernier a indiqué :

Comme je l'ai dit plus tôt, dans un cadre de bilinguisme institutionnel, une demande de service dans la langue de la minorité de langue officielle ne doit pas être traitée comme s'il y avait une langue officielle principale et une obligation d'accommodement en ce qui concerne l'emploi de l'autre langue officielle. Le principe directeur est celui de l'égalité des deux langues officielles.

[170] Il faut se rappeler que le Code criminel établit que la langue de l'accusé est la règle, ce qui ne se retrouve pas de façon formelle dans les dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.

[171] De plus, il est clair que l'article 530(3) prévoit l'offre active de services en français et précise que le juge doit prendre les dispositions nécessaires pour offrir à un justiciable que son procès soit instruit en français. Ceci ne se retrouve pas de façon équivalente dans les dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.

[172] Considérant, par ailleurs, le fait que les articles 530 et 530.1 du Code criminel ne sont plus appliqués quant au traitement des contraventions suivant le nouveau régime, les justiciables perdent la possibilité de déposer une plainte auprès de la Commissaire aux langues officielles, ce qui n'est pas peu dire.

[173] La Cour a également noté que seule la partie des infractions sommaires du Code criminel a été importée dans l'application de la LC en Ontario suivant les dispositions de l'article 5 de la Loi. Ceci a pour conséquence de priver le justiciable de tout recours en vertu des droits prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel. Ces articles auraient pu servir à protéger les droits du justiciable si la preuve était faite devant une cour provinciale que les droits prévus par la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario ne protégeaient pas entièrement les droits prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel.

[…]

[181] Le procureur a aussi souligné que les dispositions du Code criminel à l'article 530.1f) autorisent sans condition le droit à un interprète pour assister l'accusé, son avocat ou un témoin, à l'enquête préliminaire ou au procès. Quant à l'article 530.1(g), il stipule le droit à la transcription de tout ce qui a été dit durant l'instance dans la langue officielle où elle a été dite, ainsi que la transcription dans l'autre langue officielle de tout ce qui a été dit. Les dispositions de l'alinéa 9 du paragraphe 126(2) de la Loi sur les tribunaux judiciaires stipulent que le tribunal fournit l'interprétation de tout ce qui est donné oralement dans l'autre langue et aux interrogatoires, hors la présence du tribunal, mais non pas la transcription de l'interprétation comme ce qui est prévu au Code criminel et ce qui est encore plus inquiétant, c'est que ce service n'est fourni que dans le cas d'une partie ou d'un avocat qui parle le français, mais pas l'anglais, ce qui rend donc à proprement parler l'application de ce paragraphe pratiquement inutilisable, puisqu'il ne pourrait s'appliquer que dans le cas d'accusés ou d'avocats qui ne parlent que le français et ne parlent pas l'anglais. Ceci constitue une diminution de droits importante par rapport à ceux qui sont garantis par les articles 530 et 530.1 du Code criminel; sans oublier que les avocats pratiquant en Ontario qui ne parleraient que le français, et non l'anglais, doivent être rares.

[182] Je n'ai donc pas d'hésitation à conclure que les mesures prises par la partie défenderesse en application de la LC et les ententes intervenues entre la partie défenderesse et le gouvernement de l'Ontario et les ententes municipales subséquentes ne protègent pas adéquatement et en totalité les droits linguistiques quasi-constitutionnels prévus par les dispositions des articles 530 et 530.1 du Code criminel et par la partie IV de la LLO

[183] La violation des droits linguistiques prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel et à la partie IV de la LLO, constitue également une violation des droits prévus aux articles 16 à 20 de la Charte.

Voir également :

R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII)

R. c. Car-Fre Transport Ltd., [2015] ABPC 280 (CanLII)

Lavigne c. Quebec (Attorney General), 2000 CanLII 30033 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

Edwards c. Lagacé, ès qualités Juge, 1998 CanLII 11790 (CS QC)

Annotations – Paragraphe 530(1)

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

1. Introduction générale et historique des procédures

[7] Notre Cour est appelée pour la première fois à interpréter les droits linguistiques prévus par l’art. 530 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C46.  La présente affaire porte sur le droit d’être entendu par un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé, ou les deux langues officielles du Canada.  La situation exceptionnelle de l’accusé nous donne l’occasion de clarifier la portée du droit prévu aux par. 530(1) et 530(4) du Code et de déterminer le régime législatif applicable lorsqu’un nouveau procès est ordonné.  Aux fins de la présente introduction, je me borne à dire que le par. 530(1) crée un droit absolu alors que le par. 530(4) assujettit le droit au pouvoir discrétionnaire du juge du procès.

[8] L’appelant, Jean Victor Beaulac, a été accusé en 1988 de meurtre au premier degré par suite d’événements survenus en 1981 mais non élucidés pendant plusieurs années.  Il a depuis subi trois procès devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique concernant ce meurtre.  Son premier procès a été déclaré nul en raison d’une conversation entre un juré et son épouse, qui avait entendu par hasard des renseignements préjudiciables.  À son deuxième procès, l’appelant a été reconnu coupable, mais cette décision a été infirmée par la Cour d’appel sur le fondement d’erreurs dans les directives au jury sur la question de l’intoxication volontaire.  Le troisième procès a aussi abouti à une déclaration de culpabilité.  Le présent pourvoi porte uniquement sur la question de la violation des droits linguistiques de l’accusé.

[9] L’article 530 est entré en vigueur en ColombieBritannique le 1er janvier 1990, soit après lenquête préliminaire de janvier 1989 au cours de laquelle laccusé a été renvoyé pour subir son procès pour la première fois.  En fait, la première demande de procès devant un juge et un jury parlant les deux langues officielles du Canada a été présentée par l’appelant le 30 octobre 1990, pendant un voirdire, cinq jours après le début du premier procès, mais elle a été rejetée par le juge Skipp.  Après l’annulation du procès, l’appelant a demandé un nouveau procès devant un tribunal composé d’un juge et d’un jury parlant les deux langues officielles du Canada.  Le juge Macdonell a rejeté la demande en soumettant des motifs écrits le 11 février 1991:  [1991] B.C.J. No. 277 (QL).  Une demande d’autorisation de pourvoi per saltum devant la Cour suprême a été rejetée sans motifs.  Bien que les motifs du juge Macdonell ne fassent pas directement l’objet du présent pourvoi, ils ont servi de fondement aux décisions rendues par la suite et sont donc très pertinents.  Le juge Macdonell a examiné ce qui serait dans les meilleurs intérêts de la justice.  Comme on le verra plus loin, il s’agit du critère qui régit l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge prévu au par. 530(4) du Code.  Le juge Macdonell a évalué la capacité de l’appelant de s’exprimer en anglais en se fondant sur la transcription de son témoignage au premier procès, qui s’est déroulé en anglais.  Il a jugé que l’anglais de l’appelant n’était pas des plus raffinés, mais qu’il se faisait comprendre clairement et vigoureusement.  Il a conclu qu’aucune injustice ne résulterait de la tenue d’un nouveau procès en anglais.  Il a également souligné les difficultés logistiques liées à la tenue d’un procès complètement en français en Colombie-Britannique.  Il a enfin mentionné que l’appelant était détenu et que la politique générale était de tenir le plus rapidement possible le procès de personnes détenues.  Le juge Macdonell a conclu que, vu les circonstances, il n’était pas dans les meilleurs intérêts de la justice de tenir le procès de l’appelant devant un juge et un jury parlant l’anglais et le français.

[10] La demande de procès devant un juge et un jury parlant les deux langues officielles du Canada a été renouvelée, mais elle a été rejetée par le juge Rowles le 18 juin 1991.  Je note qu’elle n’était pas «le juge devant qui l’accusé doit subir son procès», selon les termes du par. 530(4).  Elle a jugé que le par. 530(1) ne s’appliquait pas à un nouveau procès, avant de se prononcer sur l’application du par. 530(4).  Le deuxième procès a été entendu par le juge Murray, qui a rejeté une autre demande le 7 octobre 1991.  La déclaration de culpabilité de l’accusé a été infirmée par la Cour d’appel qui a refusé de trancher la question de la langue de l’instance dans sa décision du 21 janvier 1994: (1994), 1994 CanLII 1983 (BC CA), 40 B.C.A.C. 236.

[11] Pendant l’audience préparatoire du 4 juillet 1994, l’accusé a encore demandé un procès devant un juge et un jury parlant les deux langues officielles du Canada.  Le juge OwenFlood a rejeté la demande.  Comme le juge Rowles, il n’était pas le juge devant lequel laccusé subirait son procès.  Le procès s’est tenu en anglais et l’appelant a été déclaré coupable.  La Cour d’appel a présumé que l’ordonnance rendue aux termes du par. 530(4) se rapportait au processus judiciaire et pouvait donc être attaquée indirectement en vertu des principes de l’arrêt R. c. Litchfield, 1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333.  Elle a rejeté l’appel de la déclaration de culpabilité le 29 octobre 1997, confirmant la décision du juge OwenFlood sur la question linguistique:  (1997), 1997 CanLII 3579 (BC CA), 120 C.C.C. (3d) 16.  Il s’agit de la décision portée en appel devant notre Cour.  L’intimée n’a pas plaidé contre le pourvoi de l’appelant en se fondant sur la règle interdisant l’attaque indirecte.  Bien qu’il ne soit pas techniquement nécessaire de traiter cette question, je suis d’avis de dissiper l’incertitude soulevée par l’arrêt de la Cour d’appel en affirmant que l’ordonnance prévue au par. 530(4) régit le processus judiciaire luimême, plutôt que la conduite des parties, de sorte que les préoccupations traditionnelles en ce qui concerne la certitude et le besoin d’une administration ordonnée de la justice n’entrent pas en jeu.  L’ordonnance aurait été susceptible de contrôle judiciaire si elle avait été rendue par le juge du procès et l’appelant ne devrait pas être pénalisé pour avoir présenté sa demande en temps opportun avant le procès plutôt qu’au procès luimême.  Par conséquent, je suis davis de conclure que la règle interdisant lattaque indirecte ne sappliquait pas en lespèce et que la Cour d’appel avait compétence pour se prononcer sur la question de la langue.

[]

[28] Le paragraphe 530(1) donne à l’accusé le droit absolu à l’accès égal aux tribunaux désignés dans la langue officielle qu’il estime être la sienne.  Les tribunaux saisis d’affaires criminelles sont donc tenus d’être institutionnellement bilingues afin d’assurer l’emploi égal des deux langues officielles du Canada.  À mon avis, il s’agit d’un droit substantiel et non d’un droit procédural auquel on peut déroger. []

[…]

[31] Le but du par. 530(1) est de prescrire un droit absolu à un procès dans la langue officielle de son choix, à condition que la demande soit présentée à temps. Comme je l’ai dit plus haut, quand un nouveau procès est ordonné, théoriquement et pratiquement, les parties se trouvent dans presque la même situation qu’au début du premier procès. Cependant, il y a quelques différences. Prenons l’exemple de l’accusé qui ne présente pas de demande fondée sur l’art. 530 à un premier procès relatif à une accusation particulière et qui, par la suite, demande que son deuxième procès se déroule dans l’autre langue officielle. Dans un tel cas, il se peut que le procureur du ministère public chargé du premier procès doive être remplacé pour le nouveau procès. Cela pourrait aussi être le cas pour ce qui est de l’avocat du plaignant dans le cadre d’une demande faite en vertu des art. 278.1 à 278.9 du Code criminel et celui du coaccusé, le cas échéant. À mon avis, il se peut donc qu’il faille tenir compte de certaines circonstances lorsqu’un nouveau procès est ordonné. C’est la principale raison pour laquelle le par. 530(4) doit s’appliquer à la présente situation plutôt que le par. 530(1). Cela dit, je vais maintenant examiner comment s’applique cette disposition, en général et dans le cas d’un nouveau procès.

(ii) La langue de l’accusé

[32] Deux expressions de l’art. 530 posent un problème d’interprétation:   «langue de l’accusé» et «meilleurs intérêts de la justice».  On n’a pas traité en première instance ni en Cour d’appel de l’expression «langue de l’accusé», parce que cela ne posait pas de problème aux parties.  Il est admis que le français était la langue maternelle de l’accusé et ce fait justifiait que soit invoqué le par. 530(4).  Le procureur général du Canada a expliqué que la définition de la langue de l’accusé est une question litigieuse depuis de nombreuses années.  Dans R. c. Yancey (1899), 2 C.C.C. 320 (B.R. Qué. (juridiction criminelle)), à la p. 323, la langue [traduction] «habituell[e]» de l’accusé a été retenue.  Cette solution a été retenue dans Piperno c. The Queen, 1953 CanLII 51 (SCC), [1953] 2 R.C.S. 292, à la p. 296, et plus récemment dans Saraga c. The Queen, C.S. Qué., no 5000101624L876, 18 novembre 1988.  Dautres tribunaux ont adopté la langue maternelle, ou la première langue apprise et encore parlée; voir R. c. Brown, C.S. Qué., no 700013172840, 28 mars 1985, R.J.P.Q. 85215; R. c. LorentzAflalo, C.S. Qué., no 50001006114877, 8 octobre 1987.  Dans ces décisions, le tribunal a tenu compte de la langue des études, de la langue employée à la maison, de la langue employée dans les contacts sociaux et de la langue de la communauté à laquelle laccusé sidentifie.  Dans Saraga, précité, le juge Martin a accepté la langue de préférence.

[33] Une méthode simple, comme la langue maternelle ou la langue employée à la maison, ne convient pas, notamment parce qu’elle n’offre pas de solution pour de nombreuses situations possibles dans une société multiculturelle et ne répond pas au fait que la langue n’est pas une caractéristique statique.  Certaines personnes soutiennent qu’elles ont deux langues maternelles.  Certaines personnes ont une langue maternelle qui n’est ni le français ni l’anglais, et parlent à la maison soit leur langue maternelle, soit leur langue maternelle et le français ou l’anglais, ou le français et l’anglais.  Il se peut que leur langue au travail soit l’anglais ou le français.  Il se peut que leur langue de contacts sociaux ne soit pas la même que leur langue au travail.  La langue d’usage d’une personne peut changer lorsque cette personne change d’emploi, se marie ou divorce, ou se fait de nouveaux amis.  On pourrait décrire beaucoup d’autres situations de ce genre, mais cela n’est pas nécessaire.

[34] J’estime que pour trouver la solution au problème, il suffit d’examiner l’objectif de l’art. 530.  Cet objectif vise, comme je l’ai déjà dit, à donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l’une des langues officielles du Canada afin d’aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle; Ford, précité, à la p. 749.  La langue de l’accusé est de nature très personnelle; elle forme une partie importante de son identité culturelle.  Il faut donc donner à l’accusé le droit de faire un choix entre les deux langues officielles en fonction des liens subjectifs qu’il entretient avec la langue elle-même.  Les principes sur lesquels le droit linguistique est fondé, le fait que le droit de base est absolu, l’exigence d’égalité dans la prestation de services dans les deux langues officielles au Canada et la nature substantielle du droit indiquent tous que les Canadiens sont libres d’affirmer que l’une ou l’autre langue officielle est la leur.  Je souligne que le par. 530(2) s’appliquera à des personnes qui ne parlent ni l’une ni l’autre des deux langues officielles.  Aux fins des par. 530(1) et 530(4), la langue de l’accusé est l’une ou l’autre des deux langues officielles avec laquelle cette personne a des liens suffisants.  Ce n’est pas forcément la langue dominante.  Si l’accusé a une connaissance suffisante d’une langue officielle pour donner des directives à son avocat, il pourra affirmer cette langue comme sa langue, indépendamment de sa capacité de parler l’autre langue officielle.  Le ministère public peut contester l’affirmation mais il lui incombe alors de démontrer qu’elle est sans fondement.  Dans un tel cas, le tribunal n’entreprendra pas l’examen de critères spécifiques en vue de déterminer une identité culturelle dominante ni l’examen des préférences linguistiques personnelles de l’accusé.  Il vérifiera seulement que l’accusé est en mesure de donner des directives à son avocat et de suivre le déroulement des procédures dans la langue choisie.

[35]  L’affirmation de la langue est une condition préalable à une demande fondée sur le par. 530(1) ou 530(4).  Dès qu’est établi le droit et qu’une demande est présentée en vertu du par. 530(4), le juge doit décider s’il est dans les meilleurs intérêts de la justice d’accorder la demande.

Parsons c. R., 2014 QCCA 2206 (CanLII)

[32] À supposer qu'il soit même possible de renoncer à « un droit absolu » de la façon apparaissant au paragraphe [20] ci-dessus, ce qui est douteux, les difficultés linguistiques qu'éprouvent les avocats, le cas échéant, ne sauraient constituer à elles seules une justification valable d'une renonciation. Il est impossible d'imaginer que les parlementaires qui ont introduit les articles 530 et 530.1 au Code criminel  avaient à l'esprit qu'il était aussi simple de bafouer et de rendre inapplicables ces dispositions.

Dow c. R., 2009 QCCA 478 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[62] Quelle que puisse avoir été la capacité d’un membre de la minorité linguistique francophone d’obtenir dans d’autres provinces ou territoires canadiens, avant l’adoption et l’entrée en vigueur des modifications, un procès devant jury instruit par un juge parlant français, avec un procureur de la Couronne parlant  français et un jury composé de francophones, il est d’usage, au Québec, d’offrir en langue anglaise aux anglophones des procès criminels  devant jury,  une tradition riche et bénéfique qui précède l’adoption et l’entrée en vigueur des articles 530 et 530.1 du C.cr. Lorsque l’accusé était anglophone, il allait toujours de soi que le procès devait se faire en anglais, sans qu’il soit nécessaire d’en faire la demande officielle.

[…]

[66] L’ajout du paragraphe 530(1) au  C.cr. n’a eu en pratique  aucun effet au Québec en ce qui touche à la disponibilité, en Cour supérieure, de juges et de poursuivants capables de mener en anglais un procès devant des jurés anglophones et la fréquence des procès devant jury en anglais en matière criminelle.  En fait, un examen du journal des débats parlementaires montre qu’il était clair, tant pour les députés membres du parti formant le gouvernement que pour ceux de l’opposition, que le projet de loi cherchait à étendre au reste du Canada une pratique qui existait déjà au Québec […]

[67] S’il y a eu des manquements au Québec pour ce qui est d’offrir des procès en anglais ou les services d’un interprète conformément à la loi, ceux-ci ont été rares et n’étaient pas attribuables à des lacunes institutionnelles mais bien à des facteurs non connexes.

[…]

[71] Une interprétation littérale du par. 530(1) du C.cr. ferait en sorte que, en l’absence d’une demande présentée en application de cette disposition et d’une ordonnance y faisant droit, le procès d’un accusé devrait se tenir dans la langue officielle de la majorité linguistique de la province. Je répète que, peu importe la pratique des autres provinces, il n’a jamais été nécessaire au Québec qu’un anglophone présente une telle demande pour avoir un procès devant un jury anglophone auquel le juge et le procureur de la Couronne sont en mesure de participer pleinement en utilisant la langue anglaise. Aussi, au Québec, l’objet du par. 530(1) du C.cr. est atteint dans le cas des procès devant jury sans qu’il soit nécessaire de présenter une demande en bonne et due forme en application de cette disposition.

[72] Les circonstances en l’espèce illustrent clairement cette affirmation. Le dossier de la Cour supérieure montre que M. Dow n’a jamais présenté une demande en bonne et due forme en application du par. 530(1) du C.cr. Néanmoins, son procès s’est déroulé devant un jury parlant anglais. Tous les éléments essentiels d’un procès en anglais existaient, notamment un acte d’accusation rédigé en anglais, la présence d’un interprète pour les témoins francophones, la traduction en anglais de plusieurs pièces rédigées en français et l’assignation d’un groupe formé seulement de candidats jurés anglophones.

[73] Si la procureure de la Couronne a raison d’affirmer que les droits prévus à l’art. 530.1 du C.cr. ne s’appliquent pas lorsqu’une demande n’a pas été présentée en bonne et due forme, il s’ensuit logiquement que le procès de M. Dow aurait dû se dérouler devant un jury francophone, et que le procès d’un unilingue anglophone comme M. Dow peut avoir lieu sans que l’accusé ait droit aux garanties décrites à l’art. 530.1 du C.cr. Or, de telles propositions ne peuvent être prises sérieusement en considération, en raison en particulier de l’égalité réelle des membres des minorités linguistiques du Canada que les art. 530 et 530.1 du C.cr. visent à assurer.

[…]

[77] À mon avis, il y a une « demande » au sens du par. 530(1) du C.cr. dès que le shérif reçoit comme instruction d’assigner des jurés anglophones. En conséquence, M. Dow avait droit au respect des droits mentionnés à l’art. 530.1 du C.cr. même s’il n’avait pas présenté une demande en bonne et due forme en application du par. 530(1) du C.cr.

Voir également :

Petitpas c. R., 2017 NBCA 6 (CanLII)

Denver-Lambert c. R., 2007 QCCA 1301 (CanLII)

R. c. Deutsch, 2005 CanLII 47598 (CA ON)

R. c. Foster, 2015 CanLII 7868 (NL SCTD) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Deutsch, 2005 ONCJ 529 [hyperlien non disponible]

R. c. Tremblay, 1985 CanLII 2711 (SK QB)

Annotations – Paragraphe 530(3) – Jurisprudence postérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008

NOTA – Avant l’adoption de la loi C-13, Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l’accusé, détermination de la peine et autres modifications) en 2008, le juge de paix ou le juge de la cour provinciale devant qui l’accusé comparaissait pour la première fois devait aviser l’accusé non-représenté par avocat de son droit d’exiger une ordonnance en vertu des paragraphes 530(1) ou (2) du Code criminel et des délais à l’intérieur desquels il doit faire une telle demande.  Le par. 530(3) a été modifié en 2008 et prescrit désormais au  juge de paix ou au juge de la cour provinciale devant qui l’accusé comparaît pour la première fois de veiller à ce que tous les accusés, qu’ils soient représentés ou non, soient au courant de leur droit de demander une ordonnance au titre des paragraphes 530(1) ou (2) et des délais dans lesquels ils doivent faire une telle demande.

R. c. Caesar, 2015 NWTCA 4 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[8] L'appelant s’appuie sur les arrêts R. c MacKenzie, 2004 NSCA 10 et R. c Beaulac, [1999] 1 RCS 768 lorsqu’il soumet que le défaut de se conformer au paragraphe 530 (3) est une erreur fatale qui ébranle la légitimité du procès. L'appelant dans MacKenzie, cependant, avait une compétence linguistique suffisante pour avoir un avocat francophone. La violation dans cette affaire était substantielle. Alors que Beaulac identifie le droit à un procès dans sa propre langue comme étant de nature fondamentale, ces commentaires doivent être lus comme se rapportant au droit fondamental à un procès, pas le droit accessoire d’être avisé du droit d’exercer cette option. Quand un procès a lieu en l’absence de l’avis prévu au paragraphe 530 (3), et qu’il n'y a aucune indication que le procès était inéquitable (pour des raisons linguistiques ou autres), le pouvoir réparateur du sous-alinéa 686 (1) (b) (iii) est disponible.

[9] L'appelant soumet que la maîtrise de l'une des langues officielles n’est pas pertinente, et que tout accusé a droit à l'avis prévu au paragraphe 530 (3). Ceci est vrai. Mais alors que la maîtrise de la langue n’est pas pertinente pour le droit d'obtenir un préavis, elle est pertinente en matière de réparations. MacKenzie confirme que le constat de violation du paragraphe 530 (3) conduit à un examen de la réparation appropriée. Ici, il n'y a pas eu d'effet substantiel sur l'équité du procès de l'appelant. La Cour est confrontée à la perspective d'ordonner un nouveau procès, de laisser à l'appelant le choix de subir un procès en anglais, et exiger le tribunal de première instance, les témoins, et la Couronne de simplement répéter le processus. Cela ne peut que miner la finalité de la procédure pénale, ébranler le verdict du jury, et banaliser l'importance du droit à un procès dans sa langue maternelle.

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Nicole MacKenzie a été accusée d’excès de vitesse. Elle a comparu sans être représentée par un avocat devant la Cour provinciale pour son interpellation. Contrairement au paragraphe 530(3) du Code criminel qui s’applique en l’espèce du fait du par. 7(1) de la Summary Proceedings Act, R.S.N.S. 1989 c. 450, le juge de la Cour provinciale ne l’a pas avisée de son droit de demander un procès en français. La Cour provinciale a jugé Mme MacKenzie en anglais, l’a déclarée coupable et lui a imposé une amende.

[2] Mme MacKenzie a interjeté appel auprès de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse comme Cour d’appel en matière de poursuites sommaires (CAPS). Le juge Edwards a statué que la violation du par. 530(3) a enfreint les articles 15, 16 et 19 de la Charte des droits et, soulignant la [TRADUCTION] « violation grave de la Charte », a décidé que le recours approprié consistait en un arrêt des procédures plutôt qu’en un nouveau procès.

[3] Le ministère public demande une autorisation et, si elle est accordée, interjettera appel en invoquant une erreur de droit sous le régime du par. 839(1) du Code criminel et du par. 7(1) de la Summary Proceedings Act. Le ministère public reconnaît la violation du par. 530(3) mais affirme que la réparation appropriée consistait en la tenue d’un nouveau procès plutôt qu’en un arrêt des procédures.

[]

[7] L’article 530.1 énonce que, lorsqu’il est ordonné en vertu de l’article 530 qu’un procès se déroule dans la langue officielle de l’accusé, ce dernier jouit du droit exprès d’employer l’une ou l’autre langue officielle au cours de l’enquête préliminaire et du procès.

[8] Mme MacKenzie a été accusée d’avoir dépassé la limite de vitesse en contravention de l’article 106A de la Motor Vehicle Act, R.S.N.S. 1989, c. 293, modifiée par S.N.S. 2001, c. 12, art. 3. Le paragraphe 267(1) de la Motor Vehicle Act énonce que la Loi doit être exécutée sous le régime de la Summary Proceedings Act, R.S.N.S. 1989, c. 450.

[9] Le paragraphe 7(1) et l’alinéa (2)a) de la Summary Proceedings Act dispose :

7 (1) Sauf s’il est expressément prévu autrement, les dispositions du Code criminel (Canada), à l’exception de l’article  734.2, tel que modifié ou réadopté de temps à autre, applicables aux infractions punissables par déclaration sommaire de culpabilité, peu importe que ces dispositions soient de nature procédurale ou de fond, y compris celles qui imposent des peines et des responsabilités additionnelles, s’appliquent, mutatis mutandis, à chaque instance tenue sous le régime de la présente Loi.

(2) En appliquant les dispositions du Code criminel (Canada) aux instances tenues sous le régime de la présente Loi, l’expression ci-après se définissent comme suit :

a) « Loi du Parlement du Canada » s’entend d’une loi de la législature;

Cela comprend le par. 530(3) du Code criminel relativement à l’accusation d’excès de vitesse portée contre Mme MacKenzie.

[10] Violation du par. 530(3) : Si l’accusée n’est pas représentée par un avocat à sa première comparution, alors, comme l’a déclaré le juge Edwards, le paragraphe 530(3) est d’application obligatoire. Le juge de la cour provinciale « veille » à ce que l’accusé soit avisé de son droit de demander une ordonnance portant que le procès doit se dérouler dans l’une des langues officielles.

[11] Mme MacKenzie n’était pas représentée lorsqu’elle a comparu pour son interpellation. Le juge de la cour provinciale était tenu d’aviser Mme MacKenzie de son droit de demander une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) de l’article 530 et des délais à l’intérieur desquels il doit faire une telle demande. Or, il ne l’a pas fait. Il s’agit d’une violation du paragraphe 530(3). La seule question qu’il faut trancher est celle de la réparation.

[12] L’accusée n’a pas à prendre l’initiative : Bien que le ministère public ait reconnu qu’il y avait eu violation du paragraphe 530(3), on a laissé entendre lors de l’instruction du présent appel que l’omission du juge de la cour provinciale de donner l’avis prévu à l’article 530 était compréhensible puisque celui-ci ne disposait d’aucun document propre à lui signaler que Mme MacKenzie était francophone. Je ne suis pas d’accord. La seule condition entraînant l’obligation de donner l’avis en question est le fait que l’accusée ne soit pas représentée. L’accusée n’est pas tenue de se présenter comme francophone. Elle n’a pas à prendre de mesures avant de recevoir. L’obligation de donner l’avis prévu au paragraphe 530(3) s’explique par le fait que la personne non représentée est susceptible de ne pas savoir qu’elle a le droit de subir son procès dans l’une ou l’autre langue. Dès que l’unique condition prévue – le fait de comparaître sans être représenté – est remplie, c’est au juge qu’il incombe de prendre l’initiative.

[]

[16] Pour ces motifs, l’absence de documents devant la cour provinciale permettant d’établir que Mme MacKenzie était francophone n’a aucune incidence sur l’obligation de la Cour de donner l’avis prévu au paragraphe 530(3).

[]

[57] À mon avis, le par. 16(3) de la Charte n’a pas conféré de statut constitutionnel à l’art. 530 du Code criminel. La violation de cet article en l’espèce ne constituait donc pas une violation du par. 16(3) de la Charte.

[58] Le statut quasi-constitutionnel de l’article 530 : Dans l’arrêt Beaulac au paragraphe 21 sous la rubrique « historique constitutionnel », le juge Bastarache a affirmé que la Loi sur les langues officielles « fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi-constitutionnelles qui expriment ‘certains objectifs fondamentaux de notre société’ et qui doivent être interprétées ‘de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent’ » […]

[59] Dans l’arrêt Beaulac, la Cour suprême du Canada a statué que le droit de l’accusée de demander la tenue d’un procès bilingue en vertu du paragraphe 530(4) avait été refusé. La Cour a ordonné un nouveau procès conformément à l’article 686 du Code criminel. La Cour n’a pas conclu qu’il y avait eu violation de la Charte entraînant des réparations au titre du paragraphe 24(1) de la Charte.

[60] L’art. 530 doit faire l’objet d’une interprétation téléologique large en raison de son statut quasi constitutionnel. Il ne fait toutefois pas partie de la Charte et sa violation ne fait pas entrer en jeu le par. 24(1) de celle-ci.

R. c. Doncaster, 2013 NSSC 357 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[6] Monsieur Doncaster suggère qu’il incombe à la Couronne de rappeler au juge du procès de satisfaire aux exigences de l’article 530 du Code criminel. Cet article ne crée pas un tel devoir. Bien que l’appel aurait peut-être été sans fondement si la couronne eut rappelé au juge de le faire, le code n’impose pas un tel fardeau à la Couronne

[7] La Couronne ne peut être tenue responsable du manquement du tribunal de première instance de rencontrer les exigences que le Code lui impose à lui seul. Par conséquent, la Couronne et M. Doncaster sont dans la même situation, c’est-à-dire que les deux subissent les inconvénients et les coûts associés à l’appel et au nouveau procès découlant de l’erreur du tribunal de première instance.

Latour c. S.M.L.R., 2013 CSTNO 22 (CanLII)

[22] La teneur de l’échange entre M. Latour et le tribunal le 20 octobre consistait essentiellement à lui demander s’il avait une « préférence » dans le choix de la langue dans laquelle son procès se tiendrait. Selon moi, il y a une différence importante entre demander à une personne si elle a une préférence entre deux options, et aviser une personne de son droit de se prévaloir de l’une ou l’autre des options.

[…]

[28] Il est clair que M. Latour n’a pas été, au départ, avisé de son droit d’avoir un procès en français. Il est également clair que par la suite, il a communiqué à son avocat qu’il voulait avoir son procès en français. Il est revenu sur cette décision une semaine plus tard. Mais […] il n’est pas déraisonnable de conclure qu’il s’est cru obligé de faire un choix entre procéder en anglais à la date prévue et avec l’aide d’un avocat, ou procéder à la date prévue, en français, mais sans avocat. Évidemment, il y avait une troisième option : procéder en français, avec un avocat, à une autre date. 

[…]

[30] Dans ces circonstances, l’acquiescement de M. Latour à procéder en anglais ne peut pas raisonnablement être considéré comme une véritable renonciation à son droit de choisir la langue de son procès.

Doncaster c. Field, 2013 NSSC 18 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[103] L'appelant est à bon droit de dire que l'omission d'informer l'accusé de ses droits linguistiques peut donner lieu à un motif d'appel valable - voir R. c MacKenzie, 2004 NSCA 10. Dans le cas en l’espèce, toutefois, aucune preuve n’a été fournie à la Cour pour soutenir l'affirmation de l'appelant.

[104] La Cour n’a devant elle que la transcription de la procédure du 26 avril 2012. Tel que souligné ci-dessus, ce n’est pas à l'audience que le juge est tenu d'informer l’accusé de ses droits linguistiques, mais à sa première comparution. Aucun enregistrement de la comparution, moment propice où le droit prévu à l’article 530 doit être adressé, n’a été introduit en preuve devant cette cour. Sans preuve, telle une transcription, la Cour ne peut statuer adéquatement sur le bien-fondé de cet argument.

R. c. Ohelo, 2009 CanLII 92130 (CS ON)

[1] […] Le paragraphe 530(3) du Code criminel exige que « le juge de paix ou le juge de la cour provinciale devant qui l’accusé comparaît pour la première fois veille à ce que l’accusé soit avisé de son droit de demander une ordonnance au titre des paragraphes (1) ou (2) et des délais dans lesquels il doit faire une telle demande » […]

[2] L’accusé n’a pas été avisé de ses droits linguistiques.  L’accusé a dit à plusieurs reprises que son anglais n’était pas très bon, et que sa langue maternelle était le français.  Deux témoins appelés par l’accusé ont témoigné en français.  Il était évident qu’il ne comprenait pas les nuances des accusations contre lui.

[…]

[5] Dans l’arrêt R. c. Beaulac, la cour a conclu que le droit de l’accusé à un procès dans la langue officielle de son choix a été brimé.  En l’espèce, l’accusé n’avait pas d’avocat, et il n’y a aucune preuve qu’il savait qu’il avait le droit à un procès en français.  Le manque d’avis l’a privé de ses droits linguistiques, et la violation est aussi grave que celle décrite dans R. c. Beaulac.

Voir également :

R. c. Parsons, 2010 QCCM 354 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Annotations – Paragraphe 530(3) – Jurisprudence antérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[37] Afin de décider quelle est la définition correcte, il faut de nouveau étudier l’objet de l’art. 530. Comme la règle est d’accorder automatiquement à l’accusé un procès dans la langue officielle de son choix lorsqu’il présente une demande à temps, et de pouvoir l’accorder, par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, lorsqu’elle n’est pas présentée à temps, le juge du procès devrait donc examiner avant tout les motifs du retard. La première question qui vient à l’esprit est ce que l’accusé sait du droit. Quand a-t-il été mis au courant de son droit? A-t-il renoncé à ce droit et changé d’avis par la suite? Pourquoi a-t-il changé d’avis? Est-ce à cause des difficultés auxquelles il a dû faire face pendant l’instance? Il est important de souligner ici que le droit de l’accusé d’être informé de son droit prévu au par. 530(3) est d’une valeur douteuse parce qu’il s’applique seulement à l’accusé qui n’est pas représenté par un avocat. Il est peu réaliste de présumer que l’avocat est au courant du droit et qu’il en avisera effectivement son client dans tous les cas en l’absence d’obligation lui incombant à cet égard, comme le confirme le rapport du Commissaire aux langues officielles du Canada, L’utilisation équitable du français et de l’anglais devant les tribunaux au Canada (1995), à la p. 105.

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Nicole MacKenzie a été accusée d'excès de vitesse. Elle n’était pas représentée par un avocat lors de sa mise en accusation devant la Cour provinciale. Contrairement à l'art. 530 (3) du Code criminel qui s’applique ici par l’entremise de l'art. 7 (1) de la Loi sur les procédures sommaires, R.S.N.S. 1989 c. 450, le juge de la Cour provinciale n'a pas informé l’accusée de son droit de demander un procès en français. La Cour provinciale a jugé Mme MacKenzie en anglais, l’a reconnu coupable et lui a imposé une amende.

[…]

[10] Violation du paragraphe 530(3) : Si l’accusée n’est pas représentée par avocat à sa première comparution, alors, comme l’a déclaré le juge Edwards, le paragraphe 530(3) est d’application obligatoire. Ainsi, le juge de la cour provinciale « veille » à ce que l’accusé soit avisé de son droit de demander une ordonnance portant que le procès doit se dérouler dans l’une des langues officielles.

[11] Mme MacKenzie n’était pas représentée lors de sa première comparution. Le juge de la cour provinciale était tenu d’aviser Mme MacKenzie de son droit de demander une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) de l’article 530 et des délais à l’intérieur desquels elle doit faire une telle demande. Or, il ne l’a pas fait. Il s’agit d’une violation du paragraphe 530(3). La seule question qu’il faut trancher est celle de la réparation.

[12] L’accusée n’a pas à prendre l’initiative : Bien que le ministère public ait reconnu qu’il y avait eu violation du paragraphe 530(3), on a laissé entendre à l’audience du présent appel que l’omission du juge de la cour provinciale de donner l’avis prévu à l’article 530 était compréhensible puisque celui-ci ne disposait d’aucun document pouvant lui signaler que Mme MacKenzie était francophone. Je ne suis pas d’accord. La seule condition entraînant l’obligation de donner l’avis en question est le fait que l’accusée ne soit pas représentée. L’accusée n’est pas tenue de se présenter comme francophone. Elle n’a pas à prendre de mesures avant de recevoir l’avis. L’obligation de donner l’avis prévu au paragraphe 530(3) s’explique par le fait que la personne non représentée est susceptible de ne pas savoir qu’elle a le droit de subir son procès dans l’une ou l’autre langue. Dès que l’unique condition prévue – le fait de comparaître sans être représenté – est remplie, c’est au juge qu’il incombe de prendre l’initiative.

Voir également :

Canada (Commissaire Aux Langues Officielles) c. Canada (Ministre de la Justice), 2001 CFPI 239 (CanLII)

R. c. Deveaux, 1999 CanLII 3182 (NS SC) [décision disponible en anglais seulement]

Annotations – Paragraphe 530(4)

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

1. Introduction générale et historique des procédures

[7] Notre Cour est appelée pour la première fois à interpréter les droits linguistiques prévus par l’art. 530 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C46.  La présente affaire porte sur le droit d’être entendu par un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé, ou les deux langues officielles du Canada.  La situation exceptionnelle de l’accusé nous donne l’occasion de clarifier la portée du droit prévu aux par. 530(1) et 530(4) du Code et de déterminer le régime législatif applicable lorsqu’un nouveau procès est ordonné.  Aux fins de la présente introduction, je me borne à dire que le par. 530(1) crée un droit absolu alors que le par. 530(4) assujettit le droit au pouvoir discrétionnaire du juge du procès.

[8] L’appelant, Jean Victor Beaulac, a été accusé en 1988 de meurtre au premier degré par suite d’événements survenus en 1981 mais non élucidés pendant plusieurs années.  Il a depuis subi trois procès devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique concernant ce meurtre.  Son premier procès a été déclaré nul en raison d’une conversation entre un juré et son épouse, qui avait entendu par hasard des renseignements préjudiciables.  À son deuxième procès, l’appelant a été reconnu coupable, mais cette décision a été infirmée par la Cour d’appel sur le fondement d’erreurs dans les directives au jury sur la question de l’intoxication volontaire.  Le troisième procès a aussi abouti à une déclaration de culpabilité.  Le présent pourvoi porte uniquement sur la question de la violation des droits linguistiques de l’accusé.

[9] L’article 530 est entré en vigueur en ColombieBritannique le 1er janvier 1990, soit après lenquête préliminaire de janvier 1989 au cours de laquelle laccusé a été renvoyé pour subir son procès pour la première fois.  En fait, la première demande de procès devant un juge et un jury parlant les deux langues officielles du Canada a été présentée par l’appelant le 30 octobre 1990, pendant un voirdire, cinq jours après le début du premier procès, mais elle a été rejetée par le juge Skipp.  Après l’annulation du procès, l’appelant a demandé un nouveau procès devant un tribunal composé d’un juge et d’un jury parlant les deux langues officielles du Canada.  Le juge Macdonell a rejeté la demande en soumettant des motifs écrits le 11 février 1991:  [1991] B.C.J. No. 277 (QL).  Une demande d’autorisation de pourvoi per saltum devant la Cour suprême a été rejetée sans motifs.  Bien que les motifs du juge Macdonell ne fassent pas directement l’objet du présent pourvoi, ils ont servi de fondement aux décisions rendues par la suite et sont donc très pertinents.  Le juge Macdonell a examiné ce qui serait dans les meilleurs intérêts de la justice.  Comme on le verra plus loin, il s’agit du critère qui régit l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge prévu au par. 530(4) du Code.  Le juge Macdonell a évalué la capacité de l’appelant de s’exprimer en anglais en se fondant sur la transcription de son témoignage au premier procès, qui s’est déroulé en anglais.  Il a jugé que l’anglais de l’appelant n’était pas des plus raffinés, mais qu’il se faisait comprendre clairement et vigoureusement.  Il a conclu qu’aucune injustice ne résulterait de la tenue d’un nouveau procès en anglais.  Il a également souligné les difficultés logistiques liées à la tenue d’un procès complètement en français en Colombie-Britannique.  Il a enfin mentionné que l’appelant était détenu et que la politique générale était de tenir le plus rapidement possible le procès de personnes détenues.  Le juge Macdonell a conclu que, vu les circonstances, il n’était pas dans les meilleurs intérêts de la justice de tenir le procès de l’appelant devant un juge et un jury parlant l’anglais et le français.

[10] La demande de procès devant un juge et un jury parlant les deux langues officielles du Canada a été renouvelée, mais elle a été rejetée par le juge Rowles le 18 juin 1991.  Je note qu’elle n’était pas «le juge devant qui l’accusé doit subir son procès», selon les termes du par. 530(4).  Elle a jugé que le par. 530(1) ne s’appliquait pas à un nouveau procès, avant de se prononcer sur l’application du par. 530(4).  Le deuxième procès a été entendu par le juge Murray, qui a rejeté une autre demande le 7 octobre 1991.  La déclaration de culpabilité de l’accusé a été infirmée par la Cour d’appel qui a refusé de trancher la question de la langue de l’instance dans sa décision du 21 janvier 1994: (1994), 1994 CanLII 1983 (BC CA), 40 B.C.A.C. 236.

[11] Pendant l’audience préparatoire du 4 juillet 1994, l’accusé a encore demandé un procès devant un juge et un jury parlant les deux langues officielles du Canada.  Le juge OwenFlood a rejeté la demande.  Comme le juge Rowles, il n’était pas le juge devant lequel laccusé subirait son procès.  Le procès s’est tenu en anglais et l’appelant a été déclaré coupable.  La Cour d’appel a présumé que l’ordonnance rendue aux termes du par. 530(4) se rapportait au processus judiciaire et pouvait donc être attaquée indirectement en vertu des principes de l’arrêt R. c. Litchfield, 1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333.  Elle a rejeté l’appel de la déclaration de culpabilité le 29 octobre 1997, confirmant la décision du juge OwenFlood sur la question linguistique:  (1997), 1997 CanLII 3579 (BC CA), 120 C.C.C. (3d) 16.  Il s’agit de la décision portée en appel devant notre Cour.  L’intimée n’a pas plaidé contre le pourvoi de l’appelant en se fondant sur la règle interdisant l’attaque indirecte.  Bien qu’il ne soit pas techniquement nécessaire de traiter cette question, je suis d’avis de dissiper l’incertitude soulevée par l’arrêt de la Cour d’appel en affirmant que l’ordonnance prévue au par. 530(4) régit le processus judiciaire luimême, plutôt que la conduite des parties, de sorte que les préoccupations traditionnelles en ce qui concerne la certitude et le besoin d’une administration ordonnée de la justice n’entrent pas en jeu.  L’ordonnance aurait été susceptible de contrôle judiciaire si elle avait été rendue par le juge du procès et l’appelant ne devrait pas être pénalisé pour avoir présenté sa demande en temps opportun avant le procès plutôt qu’au procès luimême.  Par conséquent, je suis davis de conclure que la règle interdisant lattaque indirecte ne sappliquait pas en lespèce et que la Cour d’appel avait compétence pour se prononcer sur la question de la langue.

[]

(i) La demande doitelle être fondée sur le par. 530(1) ou sur le par. 530(4) du Code criminel dans le cas d’un nouveau procès?

[28] Le paragraphe 530(1) donne à l’accusé le droit absolu à l’accès égal aux tribunaux désignés dans la langue officielle qu’il estime être la sienne.  Les tribunaux saisis d’affaires criminelles sont donc tenus d’être institutionnellement bilingues afin d’assurer l’emploi égal des deux langues officielles du Canada.  À mon avis, il s’agit d’un droit substantiel et non d’un droit procédural auquel on peut déroger.  Cette interprétation concorde avec le contexte interprétatif décrit plus tôt.  Il s’agit également d’un facteur important dans l’interprétation du par. 530(4) parce que ce paragraphe prévoit simplement l’application du même droit dans les cas où un retard a empêché l’application du droit absolu prévu au par. (1).  L’une des principales questions auxquelles notre Cour doit faire face concerne l’interprétation de ce régime en fonction de l’exigence de tenir un nouveau procès.  La lecture de l’art. 530 me laisse l’impression que les rédacteurs de l’article n’ont pas envisagé la situation particulière de l’accusé qui subit un nouveau procès, ce qui a pour effet de fournir aux tribunaux un ensemble très insatisfaisant de règles à appliquer dans un tel cas.  Néanmoins, nous devons trouver une solution qui non seulement respectera le mieux possible le libellé de la disposition, mais, chose encore plus importante, son esprit.

[29] Il faut donc déterminer en premier si le par. 530(1) s’applique à un nouveau procès ou s’il faut plutôt appliquer le par. 530(4) dans un tel cas.  Le juge Rowles a brièvement abordé cette question et n’a pas admis que [traduction] «le paragraphe devrait être interprété de façon telle que, dès lors qu’une ordonnance renvoie un accusé à procès [par exemple, quand un nouveau procès est ordonné par une cour d’appel], et que l’accusé demande d’être jugé par un tribunal qui parle l’une ou les deux langues officielles du Canada, la délivrance de l’ordonnance ne devrait pas être une affaire discrétionnaire».  En sa qualité de juge de cour supérieure, elle était d’avis que la structure de l’art. 530 tient compte des modes de procès disponibles et demande que seul un juge de paix ou un juge de cour provinciale rende l’ordonnance demandée en vertu du par. 530(1).

[30] À mon avis, cet argument ne répond pas à la question de fond et ne suffit pas à justifier la décision.  Après tout, le juge Rowles elle-même n’était ni «juge de paix», ni «juge de cour provinciale», ni «le juge devant qui l’accusé [devait] subir son procès» lorsqu’elle a rendu sa décision; pourtant, elle estimait que la demande fondée sur le par. 530(4) relevait de sa compétence.  Vu l’importance des droits linguistiques et le fait que le législateur souhaite manifestement que les questions de langue soient tranchées le plus tôt possible dans le cadre du procès, j’estime que le juge Rowles avait le pouvoir de rendre une telle ordonnance.  Le même raisonnement s’applique cependant au par. 530(1).  En outre, depuis qu’elle a exposé ses motifs, notre Cour a eu l’occasion de se prononcer sur des directives relatives à un nouveau procès.  Dans l’arrêt R. c. Thomas, 1998 CanLII 774 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 535, au par. 22, le juge en chef Lamer explique qu’ordonner un nouveau procès doit signifier une nouvelle instance «complète».  Selon ce raisonnement, on peut dire que l’accusé tenu de se présenter à un nouveau procès est dans une situation très semblable à celle de l’accusé renvoyé pour subir son procès pour la première fois, le cas prévu au par. 530(1).

[31] Le but du par. 530(1) est de prescrire un droit absolu à un procès dans la langue officielle de son choix, à condition que la demande soit présentée à temps. Comme je l’ai dit plus haut, quand un nouveau procès est ordonné, théoriquement et pratiquement, les parties se trouvent dans presque la même situation qu’au début du premier procès. Cependant, il y a quelques différences. Prenons l’exemple de l’accusé qui ne présente pas de demande fondée sur l’art. 530 à un premier procès relatif à une accusation particulière et qui, par la suite, demande que son deuxième procès se déroule dans l’autre langue officielle. Dans un tel cas, il se peut que le procureur du ministère public chargé du premier procès doive être remplacé pour le nouveau procès. Cela pourrait aussi être le cas pour ce qui est de l’avocat du plaignant dans le cadre d’une demande faite en vertu des art. 278.1 à 278.9 du Code criminel et celui du coaccusé, le cas échéant. À mon avis, il se peut donc qu’il faille tenir compte de certaines circonstances lorsqu’un nouveau procès est ordonné. C’est la principale raison pour laquelle le par. 530(4) doit s’appliquer à la présente situation plutôt que le par. 530(1). […]

[…]

[36] L’expression « meilleurs intérêts de la justice » est celle qui a occasionné des difficultés en l’espèce. Dans un autre contexte, on a statué que l’expression visait à la fois les intérêts de l’accusé et ceux de l’État; voir R. c. Bernardo (1997), 121 C.C.C. (3d) 123 (C.A. Ont.), à la p. 131.

[37] Afin de décider quelle est la définition correcte, il faut de nouveau étudier l’objet de l’art. 530. Comme la règle est d’accorder automatiquement à l’accusé un procès dans la langue officielle de son choix lorsqu’il présente une demande à temps, et de pouvoir l’accorder, par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, lorsqu’elle n’est pas présentée à temps, le juge du procès devrait donc examiner avant tout les motifs du retard […] La première question qui vient à l’esprit est ce que l’accusé sait du droit. Quand a-t-il été mis au courant de son droit? A-t-il renoncé à ce droit et changé d’avis par la suite? Pourquoi a-t-il changé d’avis? Est-ce à cause des difficultés auxquelles il a dû faire face pendant l’instance? Il est important de souligner ici que le droit de l’accusé d’être informé de son droit prévu au par. 530(3) est d’une valeur douteuse parce qu’il s’applique seulement à l’accusé qui n’est pas représenté par un avocat. Il est peu réaliste de présumer que l’avocat est au courant du droit et qu’il en avisera effectivement son client dans tous les cas en l’absence d’obligation lui incombant à cet égard, comme le confirme le rapport du Commissaire aux langues officielles du Canada, L’utilisation équitable du français et de l’anglais devant les tribunaux au Canada (1995), à la p. 105.

[38] Une fois que le motif du retard a été étudié, le juge du procès doit évaluer plusieurs facteurs qui se rapportent au déroulement du procès. Parmi ces facteurs, le fait que l’accusé est représenté ou non par un avocat, la langue dans laquelle les éléments de preuve sont disponibles, la langue des témoins, le fait que le jury a ou n’a pas été formé, que certains témoins peuvent avoir déjà témoigné, qu’ils soient encore disponibles ou non, que l’instance peut se poursuivre ou non dans une langue différente sans qu’il soit nécessaire de tenir un nouveau procès, la présence d’un coaccusé (et la nécessité de procès distincts), la nécessité pour l’accusé ou le ministère public de changer d’avocat, et la compétence linguistique du juge qui préside. En fait, les exigences prévues aux al. 530.1a) à h) sont une bonne indication des questions pertinentes.

[39] Je tiens à souligner qu’un simple inconvénient administratif n’est pas un facteur pertinent. La disponibilité de sténographes judiciaires, la charge de travail des procureurs ou des juges bilingues et les coûts financiers supplémentaires de modification d’horaire ne doivent pas être pris en considération parce que l’existence de droits linguistiques exige que le gouvernement satisfasse aux dispositions de la Loi en maintenant une infrastructure institutionnelle adéquate et en fournissant des services dans les deux langues officielles de façon égale. Comme je l’ai dit plus tôt, dans un cadre de bilinguisme institutionnel, une demande de service dans la langue de la minorité de langue officielle ne doit pas être traitée comme s’il y avait une langue officielle principale et une obligation d’accommodement en ce qui concerne l’emploi de l’autre langue officielle. Le principe directeur est celui de l’égalité des deux langues officielles.

[40] L’accusé qui subit un nouveau procès n’a pas à justifier la demande d’un deuxième procès dans la langue officielle de son choix lorsqu’il ne l’a pas demandé à son premier procès. L’acceptation d’une telle demande n’est pas une faveur exceptionnelle accordée par l’État à l’accusé; c’est la norme à appliquer. Les seuls facteurs pertinents à considérer en vertu du par. 530(4) sont les difficultés supplémentaires que cause une demande tardive.

[41] Une autre considération importante dans l’interprétation des « meilleurs intérêts de la justice » tient au fait que les droits linguistiques sont totalement distincts de l’équité du procès. Malheureusement, cette distinction n’est pas toujours reconnue […] Le droit à une défense pleine et entière est lié aux aptitudes linguistiques uniquement en ce que l’accusé doit être en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre. Toutefois, ce droit est déjà garanti par l’art. 14 de la Charte, une disposition qui prévoit le droit à l’assistance d’un interprète. Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues. Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts. Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais. Notre Cour a déjà tenté d’éliminer cette confusion à plusieurs occasions [...].Je réaffirme cette conclusion dans l’espoir de mettre fin à cette confusion. L’équité du procès n’est pas une considération à ce stade, et n’est certainement pas un critère qui, s’il y est satisfait, permettra de priver l’accusé des droits linguistiques que lui confère l’art. 530.

[42] On ne peut fournir aucune méthode infaillible pour déterminer s’il est dans les meilleurs intérêts de la justice d’accueillir une demande fondée sur le par. 530(4), mais on peut donner des directives. J’ai déjà expliqué qu’il ne devait être tenu compte ni de l’équité du procès, ni des inconvénients sur le plan institutionnel. Les difficultés supplémentaires causées par une demande tardive de même que les raisons du retard sont toutefois des facteurs pertinents. Le principe de base est cependant qu’en général, vu l’importance des droits linguistiques et l’intention du législateur d’assurer l’égalité du français et de l’anglais au Canada, il sera dans les meilleurs intérêts de la justice d’accepter la demande faite par l’accusé d’un procès dans la langue officielle de son choix. C’est donc le rejet de la demande qui constitue l’exception et qui doit être justifié. Le fardeau de justifier un tel rejet devrait incomber au ministère public.

[43] Cela étant, il demeure que plus la demande est présentée tardivement dans le cadre du procès, plus la raison justifiant le retard doit être bonne pour que la demande soit accordée. Si l’accusé présente sa demande au milieu du procès et ne peut fournir aucune raison pour son retard, il se peut que la demande ne soit pas accueillie, dépendant des circonstances.

[44] Lorsqu’un nouveau procès est ordonné, cependant, la présomption en faveur de l’accusé est beaucoup plus forte, vu la similitude entre cette situation et celle que vise le par. 530(1). Comme il a déjà été mentionné dans un exemple, bien que la nécessité de remplacer le procureur du ministère public soit un facteur pertinent dont il faut tenir compte dans un tel cas, cela seulement ne suffit pas pour justifier le rejet de la demande, même si l’accusé n’explique pas pourquoi il ne l’a pas faite avant le premier procès. Comme je l’ai déjà dit, l’accusé n’est aucunement obligé de justifier ses actes à cet égard, pas plus qu’il n’était obligé de présenter une demande au premier procès. En conséquence, même si l’accusé qui subit un nouveau procès doit présenter une demande fondée sur le par. 530(4), celle-ci sera automatiquement accueillie, sauf si, dans des circonstances exceptionnelles, le ministère public peut établir que la demande doit être rejetée en se fondant sur des considérations pertinentes aux fins du par. 530(4).

Denver-Lambert c. R., 2007 QCCA 1301 (CanLII)

La langue de l’accusé

[21] La première étape dans l'application du paragraphe 530(4) C.cr. consiste à déterminer la "langue de l'accusé". Dans Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, la Cour suprême consacre le droit de l'accusé d'affirmer que l'une ou l'autre langue officielle est la sienne. Le seul critère applicable et (sic) celui de savoir si l'accusé a une connaissance suffisante de la langue officielle choisie pour donner des directives à son avocat et suivre le déroulement des procédures dans cette langue "indépendamment de sa capacité de parler l'autre langue officielle".

[22] En l'espèce, le juge du procès a jugé que la demande de l'appelant n'était pas sérieuse à cause, notamment, de ses compétences linguistiques en français et du fait que les procédures, y compris l'enquête préliminaire, s'étaient jusqu'alors déroulées en français. Or, un tel critère a été expressément répudié par la Cour suprême au motif fondamental que les droits linguistiques accordés par l'article 530 C.cr. ont une origine et un rôle distincts du droit à un procès équitable. […]

[…]

Les meilleurs intérêts de la justice

[25] Parce que le droit prévu au paragraphe 350(4), à la différence de celui garanti par le paragraphe 350(1), est discrétionnaire, la seconde étape dans la démarche d’application consiste pour le juge à déterminer « s’il est convaincu qu’il est dans les meilleurs intérêts de la justice » que l’accusé subisse son procès dans la langue officielle de son choix.

[26] L’exercice de cette discrétion a toutefois ceci de particulier que le tribunal doit, au départ « présumer qu’il convient d’accueillir la demande ».  En effet, comme le dit la Cour suprême : « c’est donc le rejet de la demande qui constitue l’exception et qui doit être justifié ».

[27] Le juge du procès doit donc avant tout examiner les motifs du retard et, dans ce contexte, la première question qui vient à l’esprit est celle de déterminer ce que l‘accusé connaît de son droit.

[]

[33] Les difficultés supplémentaires causées par une demande tardive de même que les raisons du retard peuvent constituer des facteurs pertinents dans l'évaluation du bien-fondé de la requête. Parce que, comme on l'a vu, c'est le rejet de la demande sous 530(4) qui est l'exception, le fardeau de justifier un tel rejet incombe au ministère public. Plus la demande est présentée tardivement dans le cadre du procès, plus la raison justifiant le retard doit être bonne pour que la demande soit accordée.

[34] En l'espèce, ce n'est pas sur le ministère public mais bien sur l'appelant que le juge du procès a imposé la charge de prouver qu'il était dans les meilleurs intérêts de la justice d'accueillir sa demande d'un procès dans la langue officielle qu'il a choisie.

[…]

[42] En résumé, le juge du procès a commis une erreur dans l'application du paragraphe 530(4) en imposant, aux deux étapes de l'analyse, la charge de la preuve à l'appelant. Il a également appliqué le mauvais critère en ce qui concerne le choix de la langue officielle fait par l'appelant.

Voir également :

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

R. c. Foster, 2015 CanLII 7868 (NL SCTD) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Le, [2000] O.J. No. 4218 (CJ ON) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

Annotations – Paragraphe 530(5) – Jurisprudence postérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008

R. c. Rice, 2016 QCCS 1920 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

Analyse

[46] Sans être pointilleux sur le plan de procédural, la question de savoir si une ordonnance a été rendue en application de l’article 530 à cette date demeure entière. 

[47] Une ordonnance sera rendue en application de l’article 530 sur demande d’un accusé (voir le paragraphe 530(1)). 

[48] Cela est tout à fait compréhensible puisque la « langue de l’accusé est de nature très personnelle; elle forme une partie importante de son identité culturelle. » Les questions d’équité et de commodités administratives ne sont pas primordiales en raison du caractère distinctif des droits linguistiques.

[49] Cela dit, l’argument, selon lequel la langue dans laquelle les éléments de preuve sont disponibles et la langue des témoins constituent un facteur pertinent afin de déterminer si une affaire devrait être jugée devant un jury bilingue, est convaincant.

[50] Le 14 juin 2014, dans sa décision rendue oralement, la Cour a ordonné que le procès soit tenu en anglais en raison de la nature personnelle du droit linguistique soulignée dans l’arrêt Beaulac

[51] Si l’accusé avait consenti à un procès devant un jury bilingue, une telle ordonnance aurait pu être rendue.

[52] Mais la Cour voulait également souligner aux parties que les contours précis de la preuve qui serait présentée par la poursuite changeaient constamment parce que la Cour avait dû se prononcer sur l’admissibilité de certains éléments de preuve et que la poursuite avait présenté une requête visant à faire déterminer, le cas échéant, quels éléments de preuve devaient être traduits et comment la preuve pourrait être présentée par la poursuite.

[53] Dans ce contexte, il était trop tôt pour trancher la question de savoir si le procès devrait avoir lieu devant un jury bilingue et la Cour voulait que cette question soit tranchée plus tard. 

[54] Étant donné que la Cour a depuis décidé de se récuser, la question devra être tranchée par le juge responsable de la gestion de l’instance qui sera désigné. 

[55] Non seulement le paragraphe 530(5) énonce qu’une telle ordonnance peut être modifiée, mais, « [e]n règle générale, toute ordonnance relative au déroulement d'un procès peut être modifiée ou annulée s'il y a eu changement important des circonstances qui existaient au moment où elle a été rendue ».

Annotations – Paragraphe 530(6) – Jurisprudence postérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008

NOTA – Avant l’insertion du paragraphe 530(6) en 2008, il y avait un conflit jurisprudentiel sur la question de savoir quoi faire lorsque des coaccusés n’ont pas la même langue officielle et qu’ils se prévalent chacun de leur droit de subir leur procès devant un juge qui parle leur langue officielle. Est-ce que la présence de coaccusés francophone et anglophone constitue une « circonstance » qui justifie la tenue d’un procès devant un juge, ou un juge et un jury, qui parlent les deux langues officielles? Depuis 2008, la jurisprudence a établi que des coaccusés demandant à subir leur procès dans des langues officielles différentes devraient subir un procès bilingue conjoint.

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[50] L’article 530 prévoit aussi que, malgré l’exercice par un accusé de son droit de subir un procès dans sa langue maternelle, le procès ou l’enquête préliminaire devra, dans certaines circonstances, être bilingue et se dérouler en français et en anglais. En l’espèce, c’était le cas. Le ministère public a choisi d’inclure plusieurs accusés de langues officielles différentes dans un seul acte d’accusation. Rien n’empêche le ministère public de faire ainsi, et cette possibilité est prévue au par. 530(6) du Code. Ainsi, puisqu’il y avait plusieurs accusés et que certains avaient choisi que l’enquête se déroule en français et d’autres en anglais, l’enquête préliminaire a dû être bilingue.

[51] Par contre, subir une enquête préliminaire bilingue n’était aucunement le choix de l’appelant et, à mon avis, ses droits à une enquête préliminaire dans sa langue ne devraient pas être amoindris, sauf dans la mesure où cela est nécessaire et raisonnable dans les circonstances.

[52] Lorsqu’une ordonnance pour un procès bilingue est rendue, l’égalité des deux langues établie par l’article 530 et l’obligation imposée au ministère public et à la cour d’assurer l’emploi égal de celles-ci ne sont pas écartées. Comme l’explique la Cour suprême du Canada, « le droit fondamental de l’accusé est respecté dans les deux cas » (Beaulac, au para. 49).

[…]

[56] Sur le plan conceptuel, un procès ou une enquête préliminaire bilingue est la fusion d’une procédure en français et d’une procédure en anglais. Les accusés, qu’ils soient francophones ou anglophones, ne perdent pas leurs droits linguistiques mais, par nécessité, il doit être tenu compte des droits linguistiques de chaque accusé. Ainsi, chaque accusé ne peut pas avoir droit à ce que toute la preuve soit présentée dans sa langue. Une preuve orale ne peut être présentée que dans l’une ou l’autre des deux langues officielles. Dans le même sens, la poursuite et le juge ne peuvent pas parler les deux langues en même temps. Il y aura donc des moments où le témoignage rendu par un témoin et les commentaires faits par le juge et la poursuite ne seront pas dans la langue officielle de l’un ou l’autre des accusés.

[57] Par contre, dans la mesure du possible et pourvu que cela soit raisonnable, les droits linguistiques de chacun des accusés doivent être respectés. Ainsi, par exemple, si un accusé ou son procureur s’adresse au tribunal ou à la poursuite dans la langue de cet accusé, la poursuite ou le tribunal se doit de communiquer avec cet accusé ou son procureur dans cette langue. L’obligation de communiquer avec l’accusé dans sa langue ne disparaît pas et n’est pas amoindrie du fait que la procédure devient une procédure bilingue. Faire autrement, sans que ce ne soit dicté par le contexte, constituerait une atteinte aux droits linguistiques de l’appelant.

[…]

[61] L’article 530 du Code criminel impose au procureur général et aux tribunaux des « obligations positives » (R. c. Bujold, 276 C.C.C. (3d) 442, au para. 5). Cela découle de l’observation suivante de la Cour suprême : « Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. […] [L]a liberté de choisir est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques » (Beaulac, au para. 20) (c’est nous qui soulignons). Dans le contexte d’une enquête préliminaire bilingue dans laquelle il y a des accusés utilisant chacune des langues officielles, cette obligation est de s’assurer que les deux langues sont traitées de façon égale, c’est-à-dire qu’il n’y a pas une langue principale et un accommodement pour l’autre langue. Cette égalité doit être la norme et non l’exception, et elle doit être assurée sans engendrer de conflit.

[62] Il s’ensuit qu’un accusé ne devrait pas être tenu de rappeler au tribunal et à la poursuite leurs obligations linguistiques. Rendre conflictuel l’accès aux services auxquels l’accusé a droit risque non seulement de miner son droit, mais aussi de faire craindre à l’accusé qu’en exigeant le respect de ses droits, il contrarie le tribunal et la poursuite et ne bénéficie pas d’un procès équitable.

Gagnon c. R., 2013 QCCA 1744 (CanLII)

[37] Si les « circonstances de l'affaire » le permettent et à moins que le pouvoir discrétionnaire du juge ait été exercé de manière déraisonnable sur cette question, l'accusé qui demande que son procès se tienne en anglais seulement ne peut valablement s'opposer à une ordonnance de procès bilingue. Dans les deux cas (procès dans la langue officielle de l'accusé seulement ou procès bilingue), ses droits linguistiques sont respectés […].

[…]

[40] En résumé, le principe applicable en cette matière veut que la pertinence d'une ordonnance de procès bilingue repose sur la discrétion du juge du procès dont le pouvoir d'appréciation doit s'appuyer sur les « circonstances de l'affaire ». Or, contrairement à ce que soutient W. Kyling, la discrétion que possède le juge en ce domaine n'est aucunement tributaire du consentement de l'accusé.

[41] Le paragraphe 536(6) C.cr. prévoit, parmi les circonstances pouvant justifier l'utilisation des deux langues officielles, le cas d'un accusé devant être jugé conjointement avec des coaccusés pour un crime commun alors que sa langue maternelle n'est pas celle des coaccusés. Il s'agit là de la situation de W. Kyling.

R. c. Bellefroid, 2009 QCCS 3193 (CanLII)

[17] Avec égards, la Cour est d'avis qu'il est faux d'affirmer, comme on l'a fait à l'audience, que :

- un procès bilingue ne respecte pas les droits des accusés;

- qu'un procès dans sa langue est un droit absolu;

- qu'il faut le consentement de l'accusé pour un procès bilingue;

[18] Tout d'abord, si un procès bilingue ne respecte pas les droits des accusés, pourquoi le Code criminel le prévoit-il? On pourrait peut-être prétendre qu'un procès bilingue lorsqu'il y a un seul accusé ne respecte pas les droits de celui-ci. Toutefois, lorsqu'il y a un coaccusé francophone et un coaccusé anglophone, faut-il toujours tenir deux procès, même dans les cas où la poursuite prétend, comme en l'instance, qu'il y a complot ou organisation criminelle?

[19] Répondre par l'affirmative serait aller à l'encontre de la jurisprudence dominante (unanime?) qui affirme qu'il est préférable de juger ensemble :

- les comploteurs allégués;

- ceux qui ont participé aux activités d'une organisation criminelle;

- ceux qui ont commis une infraction au profit de celle-ci;

- ceux qui en ont fait partie et ont chargé quelqu'un de commettre une infraction au profit de celle-ci;

[20] D'ailleurs, affirmer qu'un procès bilingue, lorsqu'il y a au moins un accusé de chaque langue, ne respecte pas les droits des accusés ne tient pas compte des dispositions entrées en vigueur le 1er octobre 2008 qui visent à protéger les droits linguistiques des accusés.

[21] À titre d'exemples, le législateur a ajouté au Code criminel l'article 530.01 qui édicte que le poursuivant peut être tenu de faire traduire dans la langue officielle de l'accusé "les passages des dénonciations et des actes d'accusation qui ont été rédigés dans l'autre langue officielle et de lui remettre une copie de la traduction dans les meilleurs délais." De même, a été modifié l'article 530.1 d) qui prévoit maintenant que le juge présidant l'enquête préliminaire parle la même langue officielle que l'accusé ou les deux langues officielles.

[22] L'article 530.1 e) prévoit maintenant que le poursuivant parle la langue officielle de l'accusé ou les deux langues officielles. Finalement, l'article 530.2 a été ajouté et prévoit que, lorsqu'une ordonnance de procès bilingue a été prononcée, le juge peut rendre une ordonnance "prévoyant dans quelles circonstances et dans quelle mesure chacune des langues officielles sera utilisée par lui et par le poursuivant au cours de l'instance." Dans la mesure du possible, cette ordonnance respecte "le droit de l'accusé de subir son procès dans la langue officielle qui est la sienne."

[23] Lorsqu'on tient compte du contexte, on constate que le législateur a voulu rendre plus facile la tenue d'un procès bilingue tout en respectant, du même souffle, les droits linguistiques de l'accusé.

[24] Bref, un procès dans sa langue, lorsqu'il y a des coaccusés francophones et anglophones, n'est pas un droit absolu. Ce qui importe, c'est que le procès soit équitable. Or, les dispositions du Code criminel relatives à la langue permettent d'en faire un procès équitable.

Voir également :

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

Agostini c. R., 2009 QCCQ 17353 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Annotations – Paragraphe 530(6) – Jurisprudence antérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008

R. c. Sarrazin, 2005 CanLII 11388 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[43] […] À mon avis, le Code permet un « procès bilingue » si les circonstances le justifient. Qui plus est, le droit de l’accusé d’être jugé dans la langue officielle de son choix doit être considéré à la lumière du principe général qui prescrit le procès conjoint pour ceux qui sont poursuivis pour entreprise criminelle commune. […]

[…]

[45] L’article 530 prévoit ainsi trois types de procès du point de vue linguistique, savoir le procès devant un ou des juges des faits qui parlent a) la langue officielle du Canada que parle l’accusé, b) la langue officielle du Canada dans laquelle l’accusé est le plus apte à donner témoignage, ou c) si les circonstances le justifient, l’une et l’autre langues officielles du Canada. L’article 530.1 définit les droits de l’accusé et les obligations de l’État du point de vue de la procédure dans les deux premiers cas.

[…]

[47] […] Ainsi donc, si les dispositions de l’article 530 ont pour objet de reconnaître à l’accusé le droit de choisir la langue officielle qui doit être parlée et comprise par le juge ou le juge et le jury devant lesquels il passe en jugement, l’effet conjugué des articles 530 et 530.1 est de renforcer l’exercice de ce droit par une procédure fondamentalement bilingue.

[…]

[54] Tous ces facteurs supportent la conclusion que le législateur entendait prévoir davantage que la disponibilité de juges bilingues avec l’ajout de : « si les circonstances le justifient, [devant un juge ou un juge et un jury] qui parlent les deux langues officielles du Canada ». Ce quelque chose de plus que le législateur entendait prévoir, c’est l’option du procès bilingue, tel qu’expliqué plus haut.

[…]

[69] Je conclus de ce qui précède que les articles 530 et 530.1 du Code criminel ont pour effet conjugué de permettre d’ordonner la tenue d’un procès bilingue tel que je l’entends dans les présents motifs, « lorsque les circonstances le justifient » aux termes de la loi. Lorsque différents accusés, poursuivis pour entreprise commune ou complot, demandent chacun à être jugés dans la langue officielle de son choix, la séparation n’est pas obligatoire. Il appartient au juge de première instance de décider, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en la matière, si les circonstances justifient la séparation des accusés et la tenue de procès individuels.

Voir également :

R. c. Schneider, 2004 NSCA 99 (CanLII)

 

530.01 (1) Traduction de documents

530.01 (1) Le poursuivant — quand il ne s’agit pas d’un poursuivant privé — est tenu, à la demande de l’accusé visé par une ordonnance rendue en vertu de l’article 530, de faire traduire, dans la langue officielle de l’accusé ou dans la langue officielle qui permettra à celui-ci de témoigner le plus facilement, les passages des dénonciations et des actes d’accusation qui ont été rédigés dans l’autre langue officielle et de lui remettre une copie de la traduction dans les meilleurs délais.

530.01 (2) Primauté de l’original

530.01 (2) En cas de divergence entre l’original d’un document et sa traduction, l’original prévaut.

2008, ch. 18, art. 19.

NOTA – Avant l’adoption de la Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l’accusé, détermination de la peines et autres modifications) en 2008, le droit de l’accusé de demander une traduction écrite de la dénonciation ou de l’acte d’accusation dans la langue officielle de son choix n’était pas prévu de façon expresse dans le Code criminel.  La Cour d’appel de l’Ontario a conclu, dans l’affaire Simard c. R. (1995), 27 O.R. (3d) 97 (CAOnt.), que pour assurer une interprétation des articles 11 et 14 de la Charte qui soit compatible avec l’objet réparateur de l’article 530, un procès équitable doit débuter par un document écrit entièrement traduit dans la langue officielle de l’accusé, sur demande de ce dernier (voir également R. c. Boutin, [1992] O.J. No. 3733). La loi C-13, Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l’accusé, détermination de la peine et autres modifications), a confirmé le droit de l’accusé de demander la traduction dans la langue officielle de son choix des portions spécifiques des dénonciations ou actes d’accusation. Il faut garder à l’esprit qu’en cas de conflit entre la traduction et la version originale, la version originale prévaut (voir le paragraphe 530.01(2)).

Voir également :

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

Bellefroid c. R., 2009 QCCS 4006 (CanLII)

 

530.1 Précision

530.1 Si une ordonnance est rendue en vertu de l’article 530 :

a) l'accusé et son avocat ont le droit d'employer l'une ou l'autre langue officielle au cours de l'enquête préliminaire et du procès;

b) ils peuvent utiliser l'une ou l'autre langue officielle dans les actes de procédure ou autres documents de l'enquête préliminaire et du procès;

c) les témoins ont le droit de témoigner dans l'une ou l'autre langue officielle à l'enquête préliminaire et au procès;

c.1) le juge de paix ou le juge qui préside peut, si les circonstances le justifient, autoriser le poursuivant à interroger ou contre-interroger un témoin dans la langue officielle de ce dernier même si cette langue n’est pas celle de l’accusé ni celle qui permet à ce dernier de témoigner le plus facilement;

d) l’accusé a droit à ce que le juge de paix présidant l’enquête préliminaire parle la même langue officielle que lui ou les deux langues officielles, selon le cas;

e) l’accusé a droit à ce que le poursuivant — quand il ne s’agit pas d’un poursuivant privé — parle la même langue officielle que lui ou les deux langues officielles, selon le cas;

f) le tribunal est tenu d'offrir des services d'interprétation à l'accusé, à son avocat et aux témoins tant à l'enquête préliminaire qu'au procès;

g) le dossier de l'enquête préliminaire et celui du procès doivent comporter la totalité des débats dans la langue officielle originale et la transcription de l'interprétation, ainsi que toute la preuve documentaire dans la langue officielle de sa présentation à l'audience;

(h) le tribunal assure la disponibilité, dans la langue officielle qui est celle de l'accusé, du jugement — exposé des motifs compris — rendu par écrit dans l'une ou l'autre langue officielle.

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 94. 

Annotations – Général

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[98] Lors de l’enquête préliminaire, l’appelant a demandé que la sténographe unilingue anglophone soit remplacée par une sténographe bilingue. Le juge a tout simplement refusé d’y donner suite. Il a répondu ceci :

Alors dans les circonstances moi je prends aucune action à ce point de vue là parce que c’est pas moi qui a la charge d’administration, j’ai assez de problèmes à régler sans régler ceux de tout le monde. Alors – je comprends que ça serait préférable que nos sténos soient bilingues, ça ne l’est pas – ce n’est pas moi qui va faire des ordonnances pour en obtenir une. Donc on va procéder avec les ressources qui nous sont disponibles ce matin.

[99] L’appelant a réitéré sa demande quelques jours plus tard. Le juge a noté sa demande, mais n’a rien fait pour y donner suite.

[100] Selon l’appelant, l’inaction du juge est une violation de ses droits garantis par les articles 530 et 530.1. Le juge de révision lui a donné raison. De plus, l’appelant soutient que l’absence d’une sténographe bilingue a contribué au retard dans la préparation des transcriptions nécessaires pour présenter sa demande en certiorari.

[101] Le ministère public, pour sa part, soutient qu’il n’y a eu aucune violation. Il affirme que les articles 530 et 530.1 n’imposent pas d’obligations expresses concernant la présence d’une sténographe bilingue. De plus, vu les avancées technologiques, l’enquête préliminaire est enregistrée sur une bande sonore, et la présence en cour d’une sténographe n’est pas nécessaire. Ainsi, l’absence d’une sténographe bilingue ne peut pas constituer une violation des droits linguistiques de l’appelant.

[102] Il n’y a pas de décision qui traite précisément du droit à une sténographe bilingue dans un procès ou une enquête préliminaire bilingue. Dans Beaulac, par contre, la Cour suprême du Canada semble avoir tenu pour acquis qu’une sténographe bilingue serait présente lors d’un procès bilingue. Au para. 39, la cour a donné l’explication suivante :

Je tiens à souligner qu’un simple inconvénient administratif n’est pas un facteur pertinent. La disponibilité de sténographes judiciaires, la charge de travail des procureurs ou des juges bilingues et les coûts financiers supplémentaires de modification d’horaires ne doivent pas être pris en considération parce que l’existence de droits linguistiques exige que le gouvernement satisfasse aux dispositions de la loi en maintenant une infrastructure institutionnelle adéquate et en fournissant des services dans les deux langues officielles de façon égale. (C’est nous qui soulignons.)

[103] À mon avis, l’inaction du juge dans les circonstances constitue une violation des droits linguistiques de l’appelant. Il découle d’une ordonnance de procès ou d’enquête préliminaire bilingue rendue en vertu de l’art. 530 que tout le personnel de la cour qui joue un rôle dans le bon déroulement de l’instance doit être bilingue. Dans la mesure où la présence de la sténographe est nécessaire au bon déroulement de l’enquête ou du procès, le juge doit s’assurer que la sténographe est bilingue.

[104] Il nous est impossible, en appel, de conclure que la sténographe, en l’espèce, ne jouait aucun rôle au cours de l’enquête préliminaire. Il est fort possible que la sténographe était disponible, par exemple, pour faire entendre ou relire des extraits du témoignage, dans l’éventualité où le juge ou les parties en fassent la demande.

[105] En ce qui a trait à l’assertion du ministère public selon laquelle il ne peut y avoir de violation puisqu’il n’y a pas d’obligation expresse d’avoir une sténographe présente, aucune preuve ne nous a été présentée pour étayer les règlements et pratiques de la cour régissant la présence ou non de sténographes. Il n’en reste pas moins que la cour a estimé qu’il était approprié d’avoir une sténographe présente au cours de cette enquête préliminaire. Quand l’appelant a soulevé une objection, le juge n’a pas tout simplement indiqué que la sténographe n’avait aucun rôle à jouer. Le juge semblait être d’avis qu’une sténographe devait être présente. Il est donc raisonnable de conclure qu’en l’espèce la sténographe faisait partie intégrante de l’enquête préliminaire et de son bon déroulement et devait être en mesure de travailler dans les deux langues.

[106] Par suite de la plainte de l’appelant, le juge aurait dû déterminer si la sténographe pourrait être appelée à jouer un rôle dans le bon déroulement de l’enquête et, dans l’affirmative, s’assurer de la présence d’une sténographe bilingue. Il n’aurait pas dû se laver les mains du problème. Si le juge refuse d’être responsable pour ce qui est d’assurer le respect des droits linguistiques de l’accusé dans sa salle d’audience, l’accusé se trouve dans l’impossibilité de remédier à la situation.

[107] Je conclus donc, comme l’a fait le juge de révision, que l’absence d’une sténographe bilingue était une violation des articles 530 et 530.1. Cette violation était d’autant plus grave que le juge a refusé de donner suite à la demande de l’appelant.

[108] Quant à l’assertion de l’appelant portant que l’absence d’une sténographe bilingue aurait causé un retard dans la préparation des transcriptions nécessaires à la demande en révision, le dossier en appel n’est pas clair ni complet sur ce point. En l’absence d’un dossier factuel suffisant, en l’espèce, il est impossible de conclure que les droits linguistiques de l’appelant ont été violés pour ce motif.

Parsons c. R., 2014 QCCA 2206 (CanLII)

[32] À supposer qu'il soit même possible de renoncer à « un droit absolu » de la façon apparaissant au paragraphe [20] ci-dessus, ce qui est douteux, les difficultés linguistiques qu'éprouvent les avocats, le cas échéant, ne sauraient constituer à elles seules une justification valable d'une renonciation. Il est impossible d'imaginer que les parlementaires qui ont introduit les articles 530 et 530.1 au Code criminel  avaient à l'esprit qu'il était aussi simple de bafouer et de rendre inapplicables ces dispositions.

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

[60] Il faut d'abord retenir que l'appelant n'était pas représenté par un avocat pendant une bonne partie de son procès. Il serait particulièrement injuste dans ces circonstances de lui reprocher de ne pas s'être opposé en temps utile à cette méthode, alors qu'il revenait au juge de garantir à l'accusé le respect intégral de ses droits linguistiques.

[61] Aussi, le défaut par l'avocat de la défense ou par la partie elle-même de faire valoir en temps utile les droits prévus à l'article 530.1 C.cr. ne peut pas, pour ce seul motif, entraîner la conclusion d'une renonciation implicite de la part de l'accusé. […]

Dow c. R., 2009 QCCA 478 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[79] Il faut ensuite se demander si M. Dow renonce valablement aux droits prévus à l’art. 530.1 du C.cr.

[…]

[85] Le droit est clair : pour qu’une renonciation à des droits linguistiques dans le cadre d’un procès criminel soit valable – dans l’hypothèse où une telle renonciation est possible – un accusé doit savoir à quels droits il renonce et connaître les conséquences d’une telle renonciation. […]

[86] Dans le cas de M. Dow, il n’y a tout simplement rien dans le dossier  de la Cour qui permette de conclure que sa renonciation aux droits prévus à l’art. 530 du C.cr. et à l’art. 14 de la Charte canadienne était valide, et à la hauteur du standard élevé du juge en chef Lamer, suite à ses réponses affirmatives aux deux questions du juge du procès dont j’ai fait état aux par. [81] et [83]. De plus, ces réponses ne justifient pas l’absence d’interprétation devant le jury dans les trois cas décrits au par. [52] ci-dessus. […]

[87] Cela est d’autant plus vrai ici puisque le procureur de la Couronne n’a jamais laissé entendre, dans son mémoire ou lors de sa plaidoirie qu’il existait une raison valable de demander à M. Dow de renoncer à l’un ou l’autre de ses droits. Quelle que puisse avoir été cette raison, elle n’avait rien à voir avec quelque souci que l’on aurait eu pour M. Dow. Il faut donc nécessairement en conclure que la demande a été faite à M. Dow pour accommoder personnellement le juge du procès et l’avocat, ce qui est à mille lieues de ce que l’on peut concevoir comme étant  une raison valable. En termes simples, le juge du procès n’aurait jamais dû faire une telle demande à M. Dow.

[88] En outre, dans de telles circonstances, le juge du procès exerce une influence considérable sur un accusé tel que M. Dow du simple fait du contraste entre leurs situations respectives, qui tient du rôle exercé par le juge et de la position précaire de l’accusé dont la liberté est en jeu. On ne s’étonne donc pas que quelqu’un comme M. Dow ait répondu par l’affirmative aux deux demandes du juge du procès.

[89] Quoi qu’il en soit, en l’espèce, le juge du procès et le procureur de la Couronne se sont mépris sur la raison d’être de la présence de l’interprète au procès d’un accusé anglophone. L’interprète n’est appelé à intervenir que lorsqu’un ou plusieurs francophones témoigneront au procès. Son véritable rôle se limite à traduire de l’anglais au français les questions adressées par les avocats aux témoins francophones puis, du français à l’anglais, les réponses de ces derniers. La présence de l’interprète est pour le bénéfice des témoins francophones, de l’accusé et du jury, et non celui du juge du procès et du procureur de la Couronne, lesquels doivent se comporter comme s’il n’y avait aucun interprète dans la salle d’audience. C’est la seule conclusion que l’on puisse tirer du fait que l’alinéa 530.1f) du C.cr. ne fasse pas mention du  juge du procès ni du procureur de la Couronne.

R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII)

[28] À mon sens, puisqu’une demande d’ajournement peut être entendue par tout juge, ou même par le greffier, les droits que l’article 530 confère à Mlle Schneider n’ont pas été violés en raison de l’impossibilité pour la personne qui a entendu ses demandes de communiquer avec elle dans la langue de son choix.  Il n’y a pas eu violation du droit de Mlle Schneider de « subi[r] son procès devant » un juge parlant français. Ceci dit en toute déférence, le juge de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires a conclu erronément à une violation des droits que l’article 530 reconnaît à Mlle Schneider. Le second moyen d’appel du ministère public doit être accueilli.

[29] En revanche, une interprétation de l’article 530 en fonction de son objet, interprétation qu’impose Beaulac, exige sans doute que l’omission administrative de confier l’audition de motions préliminaires au juge du procès, ou à un autre juge qui aurait parlé la langue de l’accusée, ne lui porte pas préjudice. […]

[…]

[36] […] Comme je l’écrivais au paragraphe 29, l’impossibilité de s’adresser à la cour dans la langue de son choix lors d’une motion préliminaire ne doit pas porter préjudice à l’accusé. Si Mlle Schneider avait pu s’adresser à la juge Beach en français lors de sa demande d’ajournement le 14 mai, la cour [se serait] prononcé[e] sur l’ajournement avant que le témoin à charge n’eût fait le voyage de Calgary. Vu l’ensemble des circonstances, compte tenu des difficultés créées pour l’accusée du fait qu’elle n’avait pu être entendue dans la langue de son choix lors de ses demandes d’ajournement antérieures, la demande faite au juge du procès aurait dû être examinée à la lumière de ses droits linguistiques […]

[37] Pour conclure sur ce point, malgré que je ne souscrive pas aux motifs pour lesquels le juge de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires a accueilli l’appel de Mlle Schneider et ordonné un nouveau procès, je conviens qu’il y a lieu d’accueillir l’appel qu’elle interjette de sa déclaration de culpabilité, mais parce que le juge du procès a commis une erreur en n’examinant pas de façon judiciaire sa demande d’ajournement.

R. c. Potvin, 2004 CanLII 22752 (ON CA)

III. Analyse

(a) La langue parlée pendant l’instance

[22] L’appelant argumente qu’un procès français, conformément aux dispositions des art. 530 et 530.1 du Code criminel, en est un où le juge ainsi que le procureur de la Couronne parlent français en tout temps et où les services d’un interprète ne sont qu’accessoires au déroulement de l’instance. Il prétend que son procès n’était pas conforme à ces exigences et qu’il s’agissait plutôt d’un procès bilingue ou anglophone, où l’usage du français était tout à fait accessoire.

[23] Dans un premier temps, l’intimée prétend que ce n’est pas nécessaire en l’espèce d’interpréter l’art. 530.1 lorsqu’on tient compte du fait que le procureur de la défense ne s’est pas objecté à l’usage de l’anglais jusqu’au sixième jour du procès et que, suite à des discussions entre les parties, il a consenti à l’usage de l’anglais pour certains témoins.  L’intimée soumet que dans ces circonstances, peu importe la nature de l’ordonnance à l’origine, le juge a ordonné et la défense a consenti (au moins quant à l’usage de l’anglais pour poser des questions) à une procédure qui ressemblait plutôt à un procès bilingue. L’intimée soumet en conséquence que les directives de l’art. 530.1, qui s’engagent seulement lors d’un procès unilingue, n’étaient plus applicables.

[24] À mon avis, les prétentions de l’intimée quant au supposé consentement de l’appelant sont mal fondées. L’intimée dans son mémoire ne fait aucune référence à ce qui s’est produit pendant les journées d’audition des pré-requêtes, tel que j’ai décris (sic) plus haut. Lorsque les premiers cinq jours de témoignage sont considérés dans le contexte du procès en entier, il est déraisonnable de conclure que l’appelant, par faute d’objection, a changé d’idée, a renoncé à son droit à un procès français, et a consenti à subir un procès  bilingue ou anglophone.  Une telle conclusion m’apparaît d’autant plus déraisonnable lorsqu’on tient compte du fait que l’appelant parle très peu l’anglais. 

[25] Il est important de noter qu’un accusé a le droit d’affirmer l’une des deux langues officielles comme la sienne même s’il est capable de parler l’autre langue officielle : voir R. c. Beaulac aux paras. 45-47.  Je mentionne donc ici la capacité très limitée de M. Potvin de parler l’anglais, non pas comme fondement de son droit à un procès français, mais simplement pour souligner le fait que, dans le contexte de cette affaire, il n’est pas raisonnable de supposer que l’appelant aurait désiré autre chose qu’un procès français. 

[26] Je conclus sans hésitation que l’appelant n’a jamais consenti à ce que son procès soit bilingue. Compte tenu des difficultés auxquelles l’appelant et son procureur ont dû faire face pendant les journées précédentes, il n’est pas surprenant que le procureur de la défense ne s’est pas objecté au début du procès, en présence du jury,  lorsque le juge a ordonné que la traduction se fasse de façon simultanée. De toute façon, une fois qu’une ordonnance est faite qu’un procès se déroule uniquement dans la langue officielle de l’accusé, l’instance devrait être conforme sans que l’accusé ou son procureur soient obligés de continuellement débattre la question.  C’est la responsabilité du juge de s’assurer que le procès se déroule en français.

[27] Dans un deuxième temps, l’intimée prétend que même si l’art. 530.1 s’appliquait en l’espèce, ces dispositions n’imposent pas d’obligation au juge et au procureur de la Couronne de parler exclusivement dans la langue qui est la langue officielle de l’accusé.  Selon l’intimée, ces dispositions permettent au procureur de la Couronne et au juge de se servir de l’une ou l’autre langue, au choix, pourvu qu’ils aient la compétence de parler la langue de l’accusé. L’intimée prétend qu’il est donc suffisant que le procureur de la Couronne, le juge et le jury soient capables de comprendre et d’apprécier, sans interprétation, les témoignages offerts ou l’argumentation faite dans la langue officielle de l’accusé au cours de l’instance.

[28] Il y a peu de jurisprudence sur cette question. La Cour d’appel du Québec a eu à se pencher sur la question de la langue utilisée par le procureur de la Couronne dans un procès unilingue dans l’arrêt R. c. Cross, 1998 CanLII 13063 (QC CA), [1998] R.J.Q. 2587, 128 C.C.C. (3d) 161 (C.A.), avis de désistement de pourvoi [1999] 3 R.C.S. xi; voir aussi l’arrêt connexe R. c. Montour, [1998] A.Q. no 2630.  Dans R. c. Cross, l’accusé avait obtenu une ordonnance que son procès soit unilingue anglais. Les quatre substituts du Procureur général assignés pour plaider la cause, des francophones, ont déclaré au juge qu’ils avaient l’intention d’utiliser la langue française, à l’occasion, en l’absence du jury. Le juge d’instance leur a fait aussitôt remarquer que le para. 530.1(e) du Code criminel ne le permettait pas. Les procureurs ont donc contesté la validité constitutionnelle du para. 530.1(e) du Code criminel devant les tribunaux du Québec compte tenu de l’art. 133 du la Loi constitutionnelle de 1867 qui prévoit, entre autre, que :

… dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l’autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux du Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l’une ou l’autre [des deux langues officielles.]

[29] La Cour d’appel du Québec a confirmé la constitutionnalité du para. 530.1(e). La Cour a conclu que le juge ne pouvait pas, sans violer l’art. 133, interdire au substitut de parler la langue officielle de son choix. Par contre, en vertu des dispositions du Code criminel, le Procureur général doit s’assurer que le substitut qu’il affecte à la cause soit non seulement capable de parler la langue de l’accusé, mais aussi consentant à le faire durant tout le procès. La Cour d’appel a ajouté :

S’il arrivait qu’en cours de procès le substitut se sente incapable de faire justice à son mandat en utilisant une langue autre que la sienne et manifeste l’intention de parler le français ou l’anglais comme le lui permet l’art. 133, le juge ne pourrait certes le forcer de parler la langue officielle qui n’est pas la sienne.  Dans un tel cas, le juge devrait suspendre l’audience pour permettre au Procureur général de trouver un remplaçant prêt à continuer la cause dans la langue de l’accusé.  Si cela s’avérait impossible dans un délai raisonnable, le juge qui préside un procès devant jury pourrait devoir déclarer le procès avorté.

[30] Je suis d’accord avec cette interprétation de la portée du para. 530.1(e).  De plus, je crois que la même conclusion s’impose quant au droit de l’accusé de subir son procès devant « un juge et un jury qui parlent » la langue officielle qui est la sienne. À mon avis, cette interprétation est la seule qui puisse rencontrer l’objectif des dispositions statutaires tel que statué par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Beaulac.

[31] Dans l’arrêt Beaulac, au para. 25, la Cour suprême a décidé que « [l]es droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada ».  Au para. 34, la Cour a défini l’objectif de l’art. 530 comme visant « à donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l’une des langues officielles du Canada afin d’aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle ».  [Mes italiques.]

[32] S’il suffisait que le juge et le poursuivant comprennent le français sans toutefois qu’il soit nécessaire qu’ils l’utilisent pendant l’instance, il y aurait peu de distinction entre, d’une part, le droit à un procès unilingue dans la langue officielle de son choix et, d’autre part, le droit à l’assistance d’un interprète déjà prévu à l’art. 14 de la Charte. Le droit à l’assistance d’un interprète assure que l’accusé soit en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre et que, par ce fait, son procès soit équitable : voir R. c. Beaulac au para. 41. Mais, tel que noté par la Cour Suprême dans Beaulac aux paras. 25 et 41, « [les droits linguistiques] se distinguent des principes de justice fondamentale….  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts. Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais.»

[33] L’interprétation plus restrictive qui est proposée par l’intimée assurerait peut-être bien que l’accusé se fasse comprendre par le poursuivant, le juge et le jury dans sa langue originale sans l’intermédiaire de la traduction. Mais, dans le contexte d’égalité linguistique, il me semble tout aussi important que l’accusé aussi puisse comprendre les paroles du juge et du poursuivant dans la langue originale employée par eux au cours de l’instance. C’est sûr que l’exigence que le juge et le procureur de la Couronne, non seulement comprennent le français, mais qu’ils l’utilisent, peut occasionner des inconvénients dans certains milieux, mais ce fait n’est pas pertinent. Le juge Bastarache dans l’arrêt Beaulac l’énonce clairement au para. 39:

Je tiens à souligner qu’un simple inconvénient administratif n’est pas un facteur pertinent. La disponibilité de sténographes judiciaires, la charge de travail des procureurs ou des juges bilingues et les coûts financiers supplémentaires de modification d’horaire ne doivent pas être pris en considération  parce que l’existence de droits linguistiques exige que le gouvernement satisfasse aux dispositions de la Loi en maintenant une infrastructure institutionnelle adéquate et en fournissant des services dans les deux langues officielles de façon égale. Comme je l’ai dit plus tôt, dans un cadre de bilinguisme institutionnel, une demande de service dans la langue de la minorité de langue officielle ne doit pas être traitée comme s’il y avait une langue officielle principale et une obligation d’accommodement en ce qui concerne l’emploi de l’autre langue officielle. Le principe directeur est celui de l’égalité des deux langues officielles.

[34] Je dois donc conclure que les droits linguistiques de l’appelant prévus à l’art. 530 et au para. 530.1(e) qui exigent que le juge et le procureur de la Couronne parlent la langue officielle de l’accusé ont été violés.

(b) La transcription de la traduction

[35] Tel que noté plus tôt, l’appelant allègue qu’il y a eu aussi violation du para. 530.1(g) puisqu’aucune transcription de l’interprétation n’a été versée au dossier pendant les premiers cinq jours de témoignage. L’intimée prétend sur ce point également qu’il y a eu consentement de la part de l’appelant. J’ai déjà rejeté cette prétention comme déraisonnable en l’espèce. La violation du para. 530.1(g) est donc évidente.

(c) La disposition réparatrice

[36] Finalement, l’intimée prétend que la disposition réparatrice à l’al. 686(1)(b) devrait s’appliquer en l’espèce.  L’intimée reconnaît que la Cour suprême dans Beaulac a statué que l’art. 530(1) donne à l’accusé un droit absolu et substantiel, et non un droit procédural auquel on peut déroger.  En conséquence, la violation de ce droit ne donne pas lieu à l’application de la disposition réparatrice prévue à l’al. 686(1)(b). Cependant, l’intimée soumet que l’art. 530.1 représente des dispositions de procédure suite au droit prévu par l’art. 530(1) et par conséquence l’al. 686(1)(b)(iv) peut s’appliquer à une violation de l’art. 530.1.  L’intimée argumente que, contrairement à l’affaire Beaulac, l’appelant n’a pas été refusé a priori son droit à un procès devant un juge et jury qui parlent la langue officielle qui est la sienne.  La question ici est plutôt si toutes les dispositions de procédure ont été respectées. 

[37] À mon avis, le résultat qui s’impose en l’espèce ne dépend pas de la classification des dispositions à l’art. 530.1 comme étant procédurales plutôt que substantielles. Le droit prévu à l’art. 530 est un droit substantiel et important et l’art. 530.1, tel que le titre l’indique, apporte certaines précisions à ce droit dans son application. Ce n’est pas à chaque fois qu’il y aura quelques mots parlés dans la langue officielle autre que celle de l’accusé qu’un procès sera nécessairement vicié. Mais, le procès unilingue ordonné en vertu de l’art. 530 doit être essentiellement conforme aux dispositions de l’art. 530.1. En l’espèce, je suis d’accord avec la prétention de l’appelant que son procès a été tout autre. Dans l’ensemble, son procès a ressemblé beaucoup plus à un procès bilingue,  même, en large partie, anglophone. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’appliquer la disposition réparatrice et un nouveau procès doit être ordonné.

Voir également :

Petitpas c. R., 2017 NBCA 6 (CanLII)

Roy Martin c. R., 2011 QCCA 1179 (CanLII)

Stuart c. R., 2007 QCCA 924 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Latour c. S.M.L.R., 2013 CSTNO 22 (CanLII)

Annotations – Alinéa 530.1(b)

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[77] L’alinéa 530.1b) donne à l’accusé le droit d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle dans les actes de procédure ou autres documents de l’enquête préliminaire et du procès. Le ministère public ne se voit pas accorder ce même droit. Cela laisse entendre que les actes de procédure et autres documents reliés à l’enquête préliminaire doivent être préparés par le ministère public dans la langue de l’accusé.

[78] Cette interprétation est également conforme à l’objectif voulu de ces préavis, celui de donner au prévenu « un préavis raisonnable » de l’intention du ministère public de produire certaines communications ou certains documents en preuve au procès ou à l’enquête préliminaire (voir le libellé des par. 189(5) et 540(8) du Code criminel). Il me semble raisonnable d’exiger que de tels préavis soient dans la langue du prévenu. En Ontario, un prévenu anglophone s’attend à ce que les préavis qui lui sont envoyés par le ministère public soient rédigés dans sa langue, l’anglais, et non en français. Envoyer un préavis en français à un accusé anglophone serait déraisonnable. Un prévenu francophone a le droit de s’attendre au même traitement.

Annotations – Alinéa 530.1(c)

R. c. T.D.M., 2008 YKCA 16 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[37] La partie XVII du Code est le seul texte législatif fédéral traitant d’un droit linguistique dans le contexte des procédures pénales devant les cours provinciales et territoriales. Puisque T.D.M. n’a pas fait valoir ces dispositions, elles n’ont pas été appliquées lors de son procès. Par conséquent, il n’y a en l’espèce ni conflit ni incompatibilité entre les droits linguistiques conférés par la partie XVII et ceux conférés par l’article 5 de la Loi sur les langues. Toutefois, même si la partie XVII s’était appliquée au procès de T.D.M., la théorie de la primauté des lois fédérales n’aurait pas rendu l’article 5 inopérant.

[38] La partie XVII du Code s’intéresse aux droits linguistiques de l’accusé. Ces dispositions ne restreignent en rien les droits linguistiques des témoins. Je ne puis conclure à l’existence de quelque incompatibilité d’application entre la législation fédérale, qui permet à l’accusé de choisir la langue officielle dans laquelle se déroulera l’instance pénale, et la législation territoriale (ou provinciale), qui permet à la personne qui témoigne à l’instance en question de choisir dans quelle langue elle le fera. Le choix du témoin peut être respecté sans atténuer le choix de l’accusé. Si ce dernier ou d’autres ne sont pas en mesure de comprendre la langue officielle choisie par le témoin, on pourra alors, comme c’est le cas chaque fois qu’un témoignage est livré dans une autre langue que celle dans laquelle l’instance se déroule, faire appel à un interprète. Il ne s’agit ni d’un cas où une disposition dit « oui » et l’autre « non », ni d’un cas où « l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre » : Banque canadienne de l’Ouest au par.  99, citant un extrait de Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161.

[39] On ne peut non plus affirmer que le fait de permettre à une personne de témoigner dans la langue officielle de son choix ferait entrave à la réalisation des fins pour lesquelles le législateur a édicté la partie XVII du Code. Comme l’indique le juge Bastarache dans l’arrêt Beaulac (au para. 34), la partie XVII a été édictée dans le but de « donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l’une des langues officielles du Canada afin d’aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle ». Cela s’explique par le fait que « la “langue de l’accusé” est de nature très personnelle; elle forme une partie importante de son identité culturelle ». En donnant au témoin le droit de choisir la langue officielle dans laquelle il témoignera, on ne fait que renforcer cet objectif puisque le nombre de personnes à qui il est possible d’affirmer, dans le cadre d’une instance pénale, quelle langue officielle est la leur s’en trouve augmenté. Le choix de la langue est aussi essentiel à l’identité culturelle du témoin qu’à celle de l’accusé.

[40] En fait, le législateur admet que lorsqu’un accusé a choisi l’une des langues officielles pour la tenue d’une procédure pénale, le témoin a le droit de témoigner dans l’autre langue officielle. L’alinéa 530.1c) du Code prévoit en effet :

les témoins ont le droit de témoigner dans l’une ou l’autre langue officielle à l’enquête préliminaire et au procès);

Encore une fois, si l’on tient compte de la version française, il est évident que le droit conféré est celui d’employer l’une ou l’autre langue officielle : les témoins ont le droit de témoigner dans l’une ou l’autre langue officielle à l’enquête préliminaire et au procès.

[41] De plus, le législateur a reconnu que les provinces et les territoires avaient le pouvoir de faire des lois portant sur les droits linguistiques applicables dans les instances en matière pénale, dans la mesure où ces lois n’étaient pas incompatibles avec la législation fédérale. Ce pouvoir est prévu à l’article 532 du Code, qui est ainsi libellé :

La présente partie et la Loi sur les langues officielles n’affectent en rien les droits qu’accordent les lois d’une province en vigueur au moment de l’entrée en vigueur de la présente partie ou qui entreront en vigueur par après, à l’égard de la langue des procédures ou des témoignages en matière pénale en autant que ces lois ne sont pas incompatibles avec la présente partie ou cette loi.

Le terme « province » s’entend également du Yukon : Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, art. 35.

[42] Enfin, même si cette question n’est pas pertinente en l’espèce, je note que plusieurs modifications apportées à la partie XVII du Code sont récemment entrées en vigueur : voir la Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l’accusé, détermination de la peine et autres modifications), L.C. 2008, ch. 18, art. 18 - 21, entrés en vigueur le 1er octobre 2008 en vertu du décret TR/2008-71, Gazette du Canada, partie II, vol. 142, no 13, p. 1621. Je ne vois dans ces changements rien qui puisse rendre l’article 5 de la Loi sur les langues incompatibles avec la partie XVII.

Peters c. La Reine, 1999 CanLII 20718 (CA QC)

[NOTRE TRADUCTION]

[32] L'appelant soumet que le juge de première instance a commis une erreur de droit en n’accordant pas à la défense une opportunité complète de contre-interroger l’inspecteur Prince à l'égard d'une déclaration orale laquelle, il alléguait, lui a été faite par l'accusé. Plus particulièrement, l'avocat de la défense se plaint de ne pas avoir été autorisé à tester la crédibilité de l’inspecteur Prince en le contre-interrogeant en anglais et ainsi vérifier sa compréhension de la langue anglaise et l'exactitude de sa compréhension de la déclaration orale que l’accusé aurait faite.

[...]

[35] Il ne fait aucun doute que la déclaration orale faite par l'accusé était un élément important de la preuve de la Couronne et qu'elle a joué un rôle important dans la décision du juge de première instance de condamner l'appelant […].

[36] À mon humble avis, cependant, le juge du procès a commis une erreur en refusant d'autoriser l'appelant à contre-interroger Prince afin d’évaluer sa compréhension de ce qu’a dit l'accusé et sa crédibilité quant à ce qui était manifestement un élément important de la preuve - une déclaration qu'aurait faite l'accusé et dont le juge du procès a considéré incriminante, tel que compris par Prince.

[37] Avec respect, ce n'était pas un cas où le droit de l’inspecteur Prince de témoigner dans la  langue de son choix était en question. Ce n'était pas la question. La question était de savoir si Prince avait compris ce que l'accusé lui a dit en anglais et si la compréhension de Prince de l'anglais était suffisante pour lui permettre de comprendre et de rapporter avec précision les déclarations qui lui ont été faites en anglais.

[38] Ce n'était pas non plus un cas où la Cour avait à déterminer les subtilités de la langue anglaise.

[39] Une fois que l’inspecteur Prince a témoigné, lors de son interrogatoire, des déclarations qui lui ont été faites lors de l’entrevue, alors sûrement la défense, en contre-interrogatoire, avait le droit de tester la fiabilité de la compréhension de Prince de ce qui a été dit. Il ne suffit pas que le juge du procès accepte simplement l'affirmation de Prince que sa compréhension de la langue anglaise était adéquate. Il devait permettre à la défense de tester cette affirmation.

[40] La question de la capacité du témoin, dans ce cas, de comprendre ce qu'on lui dit ne diffère pas, en principe, de la capacité d'un témoin d’observer les événements pour lesquels il a témoigné. Le droit de tester cette capacité en contre-interrogatoire n'a jamais été mise en doute. Un tel témoin aurait pu être demandé, en contre-interrogatoire, s'il était capable de voir un objet donné dans la salle d'audience, par exemple.

[...]

[46] Bien avant l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, il était établi en droit que le droit de présenter une défense pleine et entière dans un procès criminel comprend le droit de contre-interroger pleinement un témoin. Toute ingérence abusive par le juge de première instance à ce droit serait généralement un motif suffisant pour annuler une déclaration de culpabilité (R. c Lizotte, [1951] RCS 115, 130). Avec l'avènement de la Charte, cette règle est devenue encore plus capitale, maintenant qu’elle est ancrée dans la loi suprême de notre pays (R. c Garofoli, [1990] 2 RCS 1421, 1462; Seaboyer, [1991] 2 RCS 577, 608).

[47] Le juge de première instance a, bien sûr, le pouvoir discrétionnaire de limiter le contre-interrogatoire pour des raisons de pertinence ou d'abus. Mais je ne vois pas d'abus ici et la capacité du témoin à comprendre ce qui lui a été dit par l'accusé était manifestement pertinente à la fiabilité de son témoignage. L’avocat de la défense aurait dû avoir la possibilité raisonnable de tester les capacités linguistiques du témoin en contre-interrogatoire. Il n’a pas été eu cette possibilité.

Voir également :

Dow c. R., 2009 QCCA 478 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Annotations – Alinéa 530.1(e)

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[66] L’intimée reconnait l’obligation d’affecter un procureur bilingue à une enquête préliminaire qui se déroule dans les deux langues. Elle affirme qu’une procureure bilingue était présente en l’espèce et que la présence de deux procureures unilingues supplémentaires n’a pas porté atteinte aux droits de l’appelant.

[67] Je n’accepte pas cette affirmation. Bien que la question du bilinguisme d’une équipe de procureurs n’ait pas été expressément abordée dans la jurisprudence, les décisions rendues par les tribunaux laissent entendre que tous les procureurs de la poursuite qui agissent dans le cadre d’un procès bilingue doivent être bilingues et capables de participer pleinement au procès dans les deux langues. Au para. 40 de l’arrêt Sarrazin, cette cour a expliqué qu’il est généralement entendu qu’un procès bilingue est un procès dans lequel le juge et les poursuivants, au pluriel, sont bilingues. La Cour d’appel du Québec a fait une observation semblable dans Gagnon, au para. 60, indiquant que « les représentants du ministère public sont ainsi tenus d’être institutionnellement bilingues » (c’est nous qui soulignons). De plus, dans l’arrêt R. c. Dow, [2009] R.J.Q. 679, au para. 89, autorisation de pourvoi refusée, [2009] C.S.C.A. No. 204, la Cour d’appel du Québec a précisé que l’interprétation est fournie pour les témoins et les accusés et non pas pour le procureur de la poursuite, laissant ainsi entendre que tous les représentants du ministère public doivent être bilingues.

[68] Le droit accordé à l’appelant aux articles 530 et 530.1 est celui de subir son enquête préliminaire en français, y compris le droit de s’adresser au ministère public dans sa langue. Ce droit existe au cours de l’enquête préliminaire, quel que soit le procureur qui plaide pour le ministère public à un moment ou à un autre. Je ne vois aucune raison pour laquelle l’appelant perdrait ce droit pour la seule raison que l’enquête préliminaire est bilingue.

[69] En l’espèce, les deux procureures unilingues de la poursuite ont plaidé la quasi-totalité du dossier. Si l’avocat de l’appelant formulait une objection en français relativement au témoignage présenté par une des procureures anglophones, la procureure n’était pas en mesure d’y répondre en français. Elle devait soit utiliser la traduction soit demander à la procureure bilingue d’y répondre. L’appelant se voyait donc forcé à faire un choix. Il pourrait formuler l’objection en français, mais il causerait de ce fait des délais et risquerait de contrarier le tribunal. Il pourrait formuler l’objection en anglais, ce qui serait plus simple pour tous, mais il ne respecterait pas le choix de l’appelant de subir son enquête préliminaire en français. Ou encore il pourrait choisir de ne pas formuler d’objection. Les accusés anglophones n’étaient pas obligés de faire de tels choix.

[70] Il me semble fort probable que le sergent Paul, un policier de Montréal, dont la langue première est le français, a présenté son témoignage en anglais parce que son témoignage a été préparé et présenté à la cour par une procureure anglophone. C’est aussi parce que la preuve du sergent Paul a été présentée par une procureure anglophone que, après le commentaire du juge demandant pourquoi il témoignerait en anglais quand toutes ses notes étaient rédigées en français, la poursuite a continué de le questionner en anglais. Cela constitue un bon exemple d’effets indirects découlant du fait que certains des procureurs du ministère public affectés à un procès ou à une enquête préliminaire sont unilingues. La poursuite et le témoin, dans un tel cas, ne sont pas et ne peuvent pas être neutres quant au choix de la langue du témoignage. Le français est offert accessoirement plutôt qu’offert de plein droit.

Gagnon c. R., 2013 QCCA 1744 (CanLII)

[62] Si la notion de procès équitable n'intervient pas pour décider de la pertinence d'un procès bilingue, il en va autrement dans le cas où l'accusé n'est pas assuré de la bonne compréhension du déroulement de l'instance par le juge des faits. L'exigence d'une preuve hors de tout doute raisonnable veut que ce niveau de conviction ne soit atteint que si le décideur est en mesure de bien saisir tous les aspects de la démonstration faite devant lui. L'équité du procès ne peut tolérer que l'écoute fractionnée d'une preuve rendue partiellement inaccessible en raison de la langue utilisée par un intervenant puisse, le cas échéant, conduire à un verdict de culpabilité.

[63] Le juré bilingue est celui qui, sans l'aide de l'interprétation, peut aisément évaluer la force probante de la preuve tout en demeurant sensible aux subtilités qui entourent sa présentation, peu importe la langue officielle employée. Ce niveau de compréhension lui permet de saisir le sens véritable des directives, souvent techniques, données par le juge au jury. Aussi, le moment venu, le juré bilingue pourra participer efficacement aux délibérations du jury, et ce, dans les deux langues officielles sans être subjugué par l'aisance des autres à communiquer leur propre opinion sur la preuve entendue.

[64] En empruntant à quelques mots près au mémoire de l'intimée, on peut ainsi résumer les qualités incontournables d'un juré bilingue :

- Il peut suivre sans difficulté la preuve présentée, peu importe qu'elle soit en français ou en anglais.

- Il peut suivre le langage utilisé par les avocats lors de leurs questions ou leurs objections et comprendre sans difficulté les réponses des témoins ainsi que les décisions du tribunal.

- Il peut délibérer dans les deux langues, s'exprimer dans la sienne et comprendre sans difficulté la langue utilisée par les autres membres du jury.

- Sa compréhension adéquate de la preuve, des directives du juge et des délibérations des jurés lui permettent de participer efficacement au verdict.

[…]

[89] L'exigence que les procédures, la preuve et les directives du juge au jury soient suivies dans la langue originale du procès est absolue et ne tolère aucune exception. À partir du moment où l'emploi de l'une des deux langues officielles n'est plus possible en raison du manque de compréhension de l'une d'elles par le juge ou le jury, il y a alors atteinte au droit de l'accusé à subir son procès devant une cour de justice institutionnellement bilingue. Lorsque analysée sous l'éclairage des incidents ci-devant relatés, l'atteinte est ici manifeste.

Dow c. R., 2009 QCCA 478 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[93] De la même façon que le ministère public, en tant que partie, doit assigner un avocat, dans une  affaire se déroulant devant un jury anglophone, qui sera apte et disposé à s’exprimer dans la langue choisie par l’accusé pour la durée du procès devant jury, les personnes chargées d’assigner les juges aux causes où l’accusé est anglophone devraient veiller à ce que ces juges soient à la fois aptes et disposés à s’exprimer dans la langue choisie par l’accusé pour la durée du procès. Cette règle s’étend certainement aux jugements interlocutoires rendus oralement pendant l’instruction, jugements qui peuvent être tout aussi importants pour l’accusé que les directives données par le juge du procès aux jurés. Cette importance est reflétée dans le fait que les trois autres motifs d’appel invoqués par M. Dow remettent en question le bien-fondé de jugements interlocutoires distincts. Rien ne justifie qu’une norme différente de celle que la Cour a établie à l’endroit des procureurs de la Couronne dans l’arrêt Cross s’applique aux juges du procès.

R. c. Sarrazin, 2005 CanLII 11388 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[57] Potvin clarifie le fait que le juge et le poursuivant doivent non seulement parler et comprendre la langue officielle choisie par l’accusé; ils doivent l’utiliser: par. 32-33. Cependant, je ne ne considère pas que cela requière du juge et du poursuivant qu’ils utilisent exclusivement cette langue si les circonstances justifient un procès bilingue, sans séparation, lorsque plusieurs individus, accusés dans une entreprise commune ou dans un dossier de conspiration ont choisi de subir leur procès dans des langues officielles différentes.

R. c. Potvin, 2004 CanLII 22752 (CA ON)

[26] Je conclus sans hésitation que l’appelant n’a jamais consenti à ce que son procès soit bilingue. Compte tenu des difficultés auxquelles l’appelant et son procureur ont dû faire face pendant les journées précédentes, il n’est pas surprenant que le procureur de la défense ne s’est pas objecté au début du procès, en présence du jury,  lorsque le juge a ordonné que la traduction se fasse de façon simultanée. De toute façon, une fois qu’une ordonnance est faite qu’un procès se déroule uniquement dans la langue officielle de l’accusé, l’instance devrait être conforme sans que l’accusé ou son procureur soient obligés de continuellement débattre la question.  C’est la responsabilité du juge de s’assurer que le procès se déroule en français.

[27] Dans un deuxième temps, l’intimée prétend que même si l’art. 530.1 s’appliquait en l’espèce, ces dispositions n’imposent pas d’obligation au juge et au procureur de la Couronne de parler exclusivement dans la langue qui est la langue officielle de l’accusé.  Selon l’intimée, ces dispositions permettent au procureur de la Couronne et au juge de se servir de l’une ou l’autre langue, au choix, pourvu qu’ils aient la compétence de parler la langue de l’accusé. L’intimée prétend qu’il est donc suffisant que le procureur de la Couronne, le juge et le jury soient capables de comprendre et d’apprécier, sans interprétation, les témoignages offerts ou l’argumentation faite dans la langue officielle de l’accusé au cours de l’instance.

[…]

[32] S’il suffisait que le juge et le poursuivant comprennent le français sans toutefois qu’il soit nécessaire qu’ils l’utilisent pendant l’instance, il y aurait peu de distinction entre, d’une part, le droit à un procès unilingue dans la langue officielle de son choix et, d’autre part, le droit à l’assistance d’un interprète déjà prévu à l’art. 14 de la Charte. Le droit à l’assistance d’un interprète assure que l’accusé soit en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre et que, par ce fait, son procès soit équitable : voir R. c. Beaulac au para. 41. Mais, tel que noté par la Cour Suprême dans Beaulac aux paras. 25 et 41, « [les droits linguistiques] se distinguent des principes de justice fondamentale….  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts. Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais.»

[33] L’interprétation plus restrictive qui est proposée par l’intimée assurerait peut-être bien que l’accusé se fasse comprendre par le poursuivant, le juge et le jury dans sa langue originale sans l’intermédiaire de la traduction. Mais, dans le contexte d’égalité linguistique, il me semble tout aussi important que l’accusé aussi puisse comprendre les paroles du juge et du poursuivant dans la langue originale employée par eux au cours de l’instance. C’est sûr que l’exigence que le juge et le procureur de la Couronne, non seulement comprennent le français, mais qu’ils l’utilisent, peut occasionner des inconvénients dans certains milieux, mais ce fait n’est pas pertinent. […]

[…]

[37] À mon avis, le résultat qui s’impose en l’espèce ne dépend pas de la classification des dispositions à l’art. 530.1 comme étant procédurales plutôt que substantielles. Le droit prévu à l’art. 530 est un droit substantiel et important et l’art. 530.1, tel que le titre l’indique, apporte certaines précisions à ce droit dans son application. Ce n’est pas à chaque fois qu’il y aura quelques mots parlés dans la langue officielle autre que celle de l’accusé qu’un procès sera nécessairement vicié. Mais, le procès unilingue ordonné en vertu de l’art. 530 doit être essentiellement conforme aux dispositions de l’art. 530.1. En l’espèce, je suis d’accord avec la prétention de l’appelant que son procès a été tout autre. Dans l’ensemble, son procès a ressemblé beaucoup plus à un procès bilingue,  même, en large partie, anglophone. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’appliquer la disposition réparatrice et un nouveau procès doit être ordonné. 

Cross c. Teasdale, 1998 CanLII 13063 (CA QC)

[36] J'accepte la proposition selon laquelle une fois le procès commencé, le juge ne peut, sans violer l'art. 133, interdire au substitut qui veut le faire, de parler français même si l'accusé dont la langue officielle est l'anglais a préalablement obtenu une ordonnance à l'effet qu'il subisse son procès devant un juge et un jury qui parlent la langue officielle qui est la sienne.  Avec respect pour l'opinion contraire, j'estime cependant que la question n'est pas réglée pour autant.  En effet, je suis d'avis que la question de la langue que parlera le substitut doit se poser à une étape antérieure, soit au moment du choix du substitut qui conduira les procédures. 

[37] J'accepte la proposition du Procureur général du Canada à l'effet que l'art. 530.1 impose, dans un cas comme celui sous étude, l'obligation au Procureur général du Québec de choisir un substitut qui est capable et qui accepte de conduire les procédures dans la langue officielle de l'accusé. Cependant je ne retiens pas la proposition des appelants à l'effet que l'équité du procès l'exige.  L'art. 14 de la Charte, qui donne droit à l'assistance d'un interprète lorsque la partie ne peut suivre les procédures parce qu'elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée, y pourvoit, comme le juge Beetz l'affirme dans l'arrêt Macdonald, au nom de la Cour à la majorité, aux p. 499 et 500. 

[38] […] Il n'est pas contesté que l'adoption de l'art. 530.1 entre dans le champ de compétence du Parlement du Canada.  Sa validité ne fait pas de doute partout au Canada sauf au Québec à cause de l'art. 133, au Manitoba à cause de l'art. 21 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, et au Nouveau-Brunswick à cause de l'art. 19 de la Charte. […]

[39] […] Je tiens que l'art. 530.1 impose au Procureur général du Québec qui a charge de l'administration de la justice dans cette province, de s'assurer du respect de l'art. 530.1 en affectant à la poursuite d'une cause, lorsque l'art. 530.1 s'applique, un substitut capable de parler la langue officielle de l'accusé et qui consent à le faire.Tenir le contraire m'obligerait à conclure qu'un accusé dont la langue est le français aurait le droit à un poursuivant qui parle sa langue partout au Canada sauf au Québec, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick.[…] Telle conclusion me paraît clairement insoutenable.

[40] Dans les cas où deux interprétations de la loi sont défendables, il faut adopter celle qui favorise la validité de la loi, comme le rappelait le juge Deschênes dans l'affaire Blaikie […]

[41] Lorsqu'une ordonnance prévue par l'art. 530 a été prononcée, un substitut dont la langue maternelle est différente de celle de l'accusé peut fort bien accepter, et cela est courant, de plaider la cause en utilisant la langue de l'accusé.  Normalement on doit s'attendre à ce que ce substitut respecte son engagement.  S'il arrivait qu'en cours de procès le substitut se sente incapable de faire justice à son mandat en utilisant une langue autre que la sienne et manifeste l'intention de parler le français ou l'anglais comme le lui permet l'art. 133, le juge ne pourrait certes le forcer de parler la langue officielle qui n'est pas la sienne.  Dans un tel cas, le juge devrait suspendre l'audience pour permettre au Procureur général de trouver un remplaçant prêt à continuer la cause dans la langue de l'accusé.  Si cela s'avérait impossible dans un délai raisonnable, le juge qui préside un procès devant jury pourrait devoir déclarer le procès avorté.

[…]

[43] Je propose donc d'accueillir le pourvoi, et de déclarer que l'art. 530.1 du Code criminel est valide et produit ses effets au Québec.

LSJPA – 0915, 2009 QCCQ 3897 (CanLII)

[9] Dans la décision R. c. Dow, la Cour d'appel souligne avec insistance l'obligation pour le juge du procès et pour l'avocat du ministère public d'échanger en anglais lorsque l'accusé requiert que son procès se déroule dans cette langue. Cette obligation s'applique en tout temps lors du procès. Aucune distinction ne peut être faite selon qu'il s'agisse de l'audition d'un témoin ou de discussions en droit entre le Tribunal et l'avocat du ministère public. […]

[10] L'application de ces principes à l'affaire sous étude permet au Tribunal de conclure sans hésitation qu'il y a eu contravention au droit de l'accusé d'obtenir un procès en anglais lors de l'utilisation du français au moment des remarques préliminaires, des représentations en droit du ministère public et des interventions du Tribunal à ces occasions.

[11] Est-ce à dire que les jugements interlocutoires doivent également être rendus dans la langue de l'accusé?

[12] La Cour d'appel répond fermement par l'affirmative (sic) la décision R. c. Dow […]

[13] L'acte de juger en (sic) est un exercice intellectuel exigeant. Il nécessite une analyse rigoureuse des règles de droit pertinentes au litige, une juste détermination des faits révélés par la preuve et l'application desdites règles de droit à la trame factuelle retenue par le juge.

[14] Le jugement interlocutoire, particulièrement lorsqu'il dispose de l'admissibilité de la déclaration d'un accusé aux policiers ou d'une preuve possiblement recueillie en violation d'un droit garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, obéit à ces exigences.

[15] L'évolution du droit et la sophistication de ses règles complexes nécessitent rigueur, précision, justesse et nuances. Il aurait été certes plus pratique, voire préférable pour le juge soussigné, francophone, d'utiliser sa langue maternelle pour atteindre ces objectifs lors d'un jugement interlocutoire.

[16] Néanmoins, le Tribunal s'estime lié par les conclusions de la décision R. c. Dow et a l'obligation d'en appliquer les préceptes.

[17] Au surplus, dans l'arrêt R. c. Beaulac, la Cour suprême édicte qu'en matière de bilinguisme institutionnel, les inconvénients administratifs ne constituent pas des considérations pertinentes. Comme l'indique la Cour d'appel dans le dernier extrait précité, il appartiendra dorénavant aux autorités de la Cour du Québec de désigner à la présidence d'un procès, des juges capables d'en satisfaire toutes les exigences dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.

R. c. Musasizi, 2010 QCCM 17 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[33] Dans l’arrêt R. c. Dow, la Cour d’appel a insisté sur l’obligation imposée au juge du procès et au poursuivant d’employer la langue officielle choisie par l’accusé pendant toute l’instance, y compris lors des discussions sur des points de droit et du prononcé des décisions interlocutoires. […]

[34] Dans R. c. Dow, le juge Hilton fait un très bon résumé des conclusions tirées par la juge Charron dans l’arrêt Potvin ainsi que du raisonnement du juge Bastarache dans l’arrêt Beaulac concernant l’emploi des deux langues officielles du Canada dans une même instance. […]

[35] Qu’entend-on par « quelques mots »?

[36] La portée de cette expression ne peut être élargie afin de sauvegarder une procédure qui, par nature, est plutôt bilingue.

[37] Lorsque des éléments de preuve essentiels sont présentés dans la langue officielle qui n’est pas celle choisie et demandée par l’accusé, nous sortons du territoire des « quelques mots » et pénétrons dans le monde fantastique de l’appréciation du degré d’atteinte aux droits linguistiques.

[38] L’expression « quelques mots » ne signifie rien d’autre que « quelques mots », que quelque chose de peu d’importance.

[…]

[48] La difficulté en l’espèce n’est pas de trouver des juges ou des poursuivants capables de s’exprimer dans la langue officielle choisie par l’accusé et disposés à le faire; à la Cour municipale de Montréal, les juges et les procureurs de la Couronne bilingues sont nombreux.

[49] Le problème réside dans le fait que la Cour n’a pas instauré de pratique judicieuse en vue de s’assurer que les ordonnances rendues au titre des alinéas 530.1d) et e) sont relayées aux administrateurs judiciaires afin que ceux-ci puissent prendre les mesures qui s’imposent pour que le procès de l’accusé soit instruit en entier par un juge et un poursuivant aptes et disposés à employer la langue officielle choisie par l’accusé.

[50] En l’espèce, l’accusé a, par l’entremise de son avocat, présenté dans les délais une demande conforme aux articles  530 et 530.1 du Code criminel afin de subir son procès dans une seule langue, soit l’anglais.

[51] Le juge présidant l’audience a fait droit à sa demande et a ordonné que le procès se déroule entièrement en anglais.

[52] Or, dû à un oubli de bonne foi,  l’ordonnance n’a pas été consignée au dossier de la Cour.

[53] Quant à la demande faite en vue d’obtenir l’assistance d’un interprète, elle a été accordée et dûment inscrite au dossier de la Cour. À l’ouverture du procès, l’interprète était présent.

[…]

[57] Pour ce qui est du droit prévu à l’alinéa 530.1f) du C.cr. (droit à l’assistance d’un interprète), l’avocat de la défense a eu raison de s’opposer à ce que le français soit employé et à ce que le procureur de la Couronne ait recours à l’interprète pendant les débats entourant la requête en non-lieu. Les services de l’interprète sont pour le seul bénéfice de l’accusé, de son avocat ou des témoins, et non pour celui du juge présidant l’instance ou du procureur de la Couronne.

[58] Quant à l’argument avancé, à savoir que seulement « quelques mots » avaient été dits en français et que cela devrait être toléré, il ne peut être retenu en l’espèce. Des éléments de preuve essentiels et des décisions interlocutoires ont été présentés en français ou dans un mélange de français et d’anglais. Cela a donné à la procédure un caractère bilingue au point de porter fortement atteinte aux droits linguistiques absolus de l’accusé.

[59] Tant et si bien que dans les circonstances, il n’y a qu’une seule réparation possible, soit de tout reprendre depuis le début.

Voir également :

Bordo c. R., 2013 QCCA 1745 (CanLII)

Gagnon c. R., 2013 QCCA 1744 (CanLII) (application de l’article 14 de la Loi sur les jurés du Québec)

Roy Martin c. R., 2011 QCCA 1179 (CanLII)

Bujold c. R., 2011 NBCA 24 (CanLII)

LSJPA -- 0856, 2008 QCCA 2232 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Stuart c. R., 2007 QCCA 924 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Cross c. Teasdale, 1998 CanLII 13063 (CA QC)

R. c. Weinberg, 2014 QCCS 320 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Oliynyk, Lepage and Ferris, 2006 BCSC 85 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Seenivasam, 2004 CanLII 54502 (CS ON)

R. c. Montour, [1991] J.Q. no 800 (CS QC) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Le, [2000] O.J. No. 4218 (CJ ON) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

Annotations – Alinéa 530.1(g) – Jurisprudence postérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008

NOTA – Depuis l’arrêt Rodrigue de 1994, les principes juridiques entourant la question de la preuve à divulguée avant le procès sont bien établis : l’alinéa 530.1g) du Code criminel n’oblige pas le ministère public, sur la base des droits linguistiques, de divulguer la preuve dans la langue officielle de l'accusé. Ainsi, les principes applicables aux procès qui se déroulent dans la langue de l’accusé sont les mêmes que ceux qui s’appliquent à tous les procès en matière pénale.

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[82] L’appelant, en l’espèce, n’a pas demandé au juge d’obliger le ministère public à préparer une traduction des éléments divulgués, du matériel intercepté, ou d’établir un sommaire de ceux-ci en français. Ce qu’il soutient, par contre, c’est que le ministère public a tout fait pour répondre aux besoins des accusés anglophones et n’a aucunement tenu compte de la présence d’accusés ayant exercé leur droit de subir leur enquête préliminaire en français. L’exemple le plus flagrant est que le ministère public a préparé et fourni aux accusés anglophones non seulement une transcription de tout le matériel intercepté qui était en langue anglaise, mais également une transcription de la traduction en anglais de tout le matériel intercepté dont la langue originale était le français ou une autre langue. De plus, les accusés anglophones ont reçu un index détaillé de ce matériel intercepté (trois volumes) rédigé dans leur langue.

[83] Cela contraste avec ce que les accusés francophones ont reçu. Ils n’ont reçu aucun index dans leur langue et n’ont même pas reçu de transcription en français du matériel intercepté dont la langue originale était le français. Dans au moins un cas, la version du texte intercepté déposée en preuve était la version traduite en anglais d’un texte intercepté dont la langue originale était le français.

[84] La poursuite soutient que, à l’exception de ce dernier texte intercepté, qui aurait dû être présenté en preuve en français, il n’y a rien à lui reprocher. Dans un procès ou une enquête préliminaire bilingue, le ministère public peut choisir de préparer les éléments à divulguer ainsi que toute autre documentation en anglais ou français. En l’espèce, le fait qu’il ait choisi de le faire uniquement en anglais est conforme à ses obligations linguistiques, toujours selon l’intimée.

[85] À mon avis, la seule conclusion qu’on puisse tirer du fait que la quasi-totalité des documents ait été préparée uniquement en anglais est que les procureures de la poursuite ont décidé de tout préparer pour l’enquête préliminaire en anglais et de faire le minimum pour répondre aux obligations qui leur incombaient du fait que l’enquête préliminaire était bilingue. Il est fort possible que cette façon de procéder lors de l’enquête préliminaire soit attribuable au fait que deux des procureures affectées par le ministère public à la poursuite des accusations n’étaient pas bilingues et devaient donc travailler à partir de versions anglaises de tous les documents et de la preuve. Le résultat est que tous leurs efforts ont servi à faciliter la tâche aux procureurs des accusés anglophones, et les procureures n’ont même pas fait le minimum, à savoir fournir la transcription du matériel intercepté en français, pour les accusés francophones.

[86] Il est important de noter que la quantité faramineuse de documents préparés par le ministère public comprenait plus que de la simple divulgation. Les transcriptions de tout le matériel intercepté, y compris les traductions du matériel intercepté dans d’autres langues, ainsi que les index en trois volumes, étaient des outils élaborés par la poursuite pour faciliter la tâche aux procureures, aux témoins et au juge lors de l’enquête préliminaire. S’il n’y avait eu que des accusés anglophones, la documentation aurait vraisemblablement été la même. Par contre, si les accusés étaient uniquement des francophones, il est certain que toute la documentation, ou certainement une bonne partie de celle-ci, aurait été en français. Si le ministère public avait voulu accorder un traitement réellement égal aux deux groupes linguistiques, il aurait fait un effort pour répondre aux besoins et attentes des deux groupes linguistiques. Un procès ou une enquête préliminaire bilingue ne devrait pas permettre au ministère public de choisir la langue qu’il préfère, de faciliter la tâche aux accusés utilisant cette langue et de ne rien faire pour les accusés utilisant l’autre. De fait, la politique du ministère prévoit que dans le cadre d’un procès bilingue, « les documents rédigés par le procureur de la Couronne doivent être, dans la mesure du possible, dans les deux langues officielles ». Ici, tous les documents préparés par la poursuite et mis en annexe aux avis étaient uniquement en anglais.

[87] Une tierce partie au courant de la différence de traitement des deux groupes linguistiques ne pourrait faire autrement que de conclure que les accusés francophones ont été défavorisés, et les accusés anglophones, favorisés. L’approche adoptée par le ministère public a eu pour effet de traiter la demande de l’appelant de subir son enquête préliminaire dans sa langue comme s’il y avait une langue officielle principale, l’anglais, et une obligation d’accommodement en ce qui concerne l’emploi de l’autre langue officielle, le français. Une telle approche ne respecte pas le principe directeur établi dans Beaulac, celui de « l’égalité des deux langues » (au para. 39).

[88] Il me semble que dans un cas comme celui-ci, la transcription devrait, au minimum, être dans la langue originale du matériel intercepté lorsque celui-ci était en français ou en anglais. Lorsqu’une autre langue était utilisée, la traduction pourrait être dans l’une ou l’autre langue officielle. Il incomberait ensuite à l’avocat d’un accusé qui voudrait qu’une transcription ou un index dans sa langue soit préparé d’en faire la demande au juge.

[89] Le juge, tenant compte de considérations telles que le coût, le retard dans la présentation de la demande et les retards qui pourraient s’ensuivre afin de répondre à la demande, si l’avocat et l’accusé sont bilingues, ainsi que des principes que j’ai énoncés, peut exiger que la poursuite fournisse la traduction de certains des documents ou produise des sommaires dans la langue de l’accusé, selon ce qui est juste et raisonnable dans les circonstances.

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

[56] Que faut-il retenir de ces enseignements? Les décisions précitées s'entendent pour dire que l'interprétation consécutive comporte plus d'avantages que l'interprétation simultanée. Elle permet en outre à l'accusé ou à son avocat de réagir plus rapidement et de déceler plus facilement, le cas échéant, les lacunes de l'interprétation. Elle constitue enfin, pour le moment du moins, la seule méthode permettant d'enregistrer la traduction et de la retranscrire.

[57] L'objectif poursuivi par l'alinéa 530.1g) C.cr. est d'assurer aux parties l'enregistrement complet des débats ainsi que leur interprétation. Les arrêts Dow et Martin, sous l'éclairage des conditions qui prévalent dans les différents palais de justice du Québec, affirment que l'interprétation consécutive est maintenant devenue une méthode incontournable. Quoiqu'en toute circonstance préférable à toute autre forme d'interprétation, l'interprétation consécutive est de toute façon jugée inévitable dans tous les cas où le tribunal n'est pas en mesure de garantir à l'accusé autrement que par cette méthode le respect intégral de l'alinéa 530.1g) C.cr.

[58] Le dossier ne fait pas voir que le juge s’est véritablement penché sur la question de l'opportunité de la méthode d'interprétation et de ses conséquences. En ordonnant l'interprétation simultanée au lieu de l'interprétation consécutive, le juge devait s'assurer qu'en tout temps le dossier comporterait la totalité de l'enregistrement de l'interprétation, ce qui ne s'est pas réalisé. Il s'agit ici d'une erreur qui, comme on le verra plus loin, a irrémédiablement porté atteinte aux droits linguistiques de l'appelant.

Nguyen c. R., 2013 QCCA 1127 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] La question soulevée par l'appelant est celle du droit d'un accusé à la traduction consécutive de et vers l'une des langues officielles de et vers une autre langue. Puisque l'appelant a reçu l'interprétation à voix chuchotée lors de son procès, qui n'a pas été enregistrée, il n'est pas possible de vérifier la justesse de la traduction du français vers le vietnamien qui lui a été fournie.

[…]

[6] La position de l'appelant est qu’il a droit à un nouveau procès parce que la qualité de l'interprétation ne peut être vérifiée. L'exigence d'une telle vérification ne fait pas partie des exigences linguistiques prévues à l'art. 530.1g) du Code criminel.

Stockford c. R., 2009 QCCA 1573 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[8] Trois questions sont soulevées en appel.

[9] Premièrement, les appelants, qui ne parlent ni ne comprennent le français, se plaignent de ce que les documents qui leur ont été communiqués par le ministère public n’ont pas été entièrement traduits en anglais.

[10] La documentation en question représente quelque 700 000 pages qui sont, principalement, la transcription de conversations recueillies lors de l’écoute électronique.

[11] Le juge Réjean Paul s’est penché sur cette question dans un jugement daté du 24 octobre 2001, soit environ trois ans avant le procès. Il a relevé à juste titre que les appelants devaient composer avec les conséquences liées au fait qu’ils n’avaient pas retenu un avocat bilingue. Il a aussi souligné, toujours à juste titre, que l’article 530.1 du C.cr. n’obligeait pas le ministère public à traduire l’ensemble de la preuve pour les besoins de la communication. Il a fait allusion au nombre considérable d’éléments de preuve communiqués. Il a ordonné la traduction de résumés se rapportant aux divers chefs d’accusation dont les appelants faisaient l’objet ainsi que d’un index de la preuve documentaire.

[…]

[13] On constate d’emblée que ces dispositions n’imposent pas à la poursuite l’obligation de fournir la traduction de la preuve communiquée, puisqu’en réalité la seule exigence prévue consiste à verser la preuve au dossier dans la langue de sa présentation à l’audience. Par conséquent, l’article 530.1 ne prévoit pas d’obligation de traduire systématiquement tous les documents susceptibles d’être présentés ou produits au cours d’un procès criminel,  et encore moins de communiquer la preuve dans la langue de l’accusé. Toutefois, il garantit à l’accusé le droit à l’assistance d’un interprète qui pourra lui traduire les documents présentés en cour. En fait, toute la preuve versée au dossier du tribunal en l’espèce a été traduite comme il se doit.

[…]

[16] Il a été statué que  « [l]e droit à la divulgation de la preuve, affirmé par l’arrêt Stinchcombe est le droit à la divulgation de la preuve telle qu’elle existe à n’importe quel moment avant le procès. »

[17] Je partage ce point de vue. Les tribunaux ont adopté l’usage consistant à ordonner la traduction de la preuve déposée au procès selon ce qu’ils estimaient indiqués pour préserver le droit de l’accusé à une défense pleine, entière et équitable. En ce qui concerne les documents communiqués conformément aux principes établis dans Stinchcombe, toutefois :

Le droit est un droit à la divulgation de la preuve telle qu’elle existe, non pas un droit à avoir l’aide de la poursuite dans le sens de l’amélioration de la capacité de l’avocat de la défense, ou de l’accusé lui-même, d’apprécier et d’évaluer la signification ou le poids que l’on peut attacher à l’article de la défense ou de l’accusé lui-même, d’apprécier et d’évaluer la signification ou le poids que l’on peut attacher à l’article de la preuve.

[18] J’estime qu’il est utile de signaler que, dans le jugement qu’il a rendu le 19 décembre 2001, le juge Martin a mentionné que l’accusé pouvait demander la traduction de certains éléments précis de la preuve communiquée :

D’autres questions pourraient par ailleurs très bien se poser en matière de traduction, par exemple, que faut-il traduire et dans quelle mesure. De la même façon que la Cour est appelée à résoudre des différends précis concernant la communication de la preuve, elle pourrait devoir le faire pour la traduction.

[19] Non seulement les appelants ont-ils omis de présenter une demande de traduction d’éléments particuliers de la preuve communiquée, mais ils ont été incapables de montrer, jusqu’au moment de l’instruction de leurs appels, en quoi leur droit à une défense pleine, entière et équitable avait été atteint par le fait que tous les documents communiqués n’ont pas été traduits ni de citer un seul élément de preuve   qui, parce qu’il n’a pas été traduit, a compromis ce droit.

[20] On pourrait ajouter qu’une modification apportée à l’article 530 du C.cr. par le projet de loi C-13, entré en vigueur le 1er octobre 2008, prévoit ce qui suit :

530.01 (1) Traduction de documents –  Le poursuivant — quand il ne s’agit pas d’un poursuivant privé — est tenu, à la demande de l’accusé visé par une ordonnance rendue en vertu de l’article 530, de faire traduire, dans la langue officielle de l’accusé ou dans la langue officielle qui permettra à celui-ci de témoigner le plus facilement, les passages des dénonciations et des actes d’accusation qui ont été rédigés dans l’autre langue officielle et de lui remettre une copie de la traduction dans les meilleurs délais.

(2) Primauté de l’original – En cas de divergence entre l’original d’un document et sa traduction, l’original prévaut.

[21] Il s’agit de la seule modification du Code criminel portant sur la traduction de documents. Il faut donc conclure que la jurisprudence dominante fait autorité et que le législateur est satisfait de l’état du droit tel qu’il est reflété par la jurisprudence.

R. c. L’Espinay, 2008 BCCA 20 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION] 

[27] Quand j’examine le contexte et l’objet de l’art. 530.1 de même que le sens et l’usage modernes du terme anglais « transcript » et du français « transcription », je constate que les deux versions possèdent un sens commun, non pas opposé. Quand une ordonnance visée à l’art. 530 a été rendue pour protéger les droits linguistiques d’un accusé, que ce soit en vue d’un procès bilingue ou d’un procès unilingue, et que la preuve et les témoignages présentés dans le cadre de ce procès sont enregistrés, alors l’enregistrement audio qui constitue le dossier officiel du procès doit comporter tout ce qui s’est dit dans la langue officielle dans laquelle les propos ont été livrés, ce qui inclut toute interprétation d’une langue officielle à l’autre. L’art. 530 a pour but de faire en sorte que le dossier du procès renferme tout ce qui s’est dit dans les deux langues officielles, non seulement par les témoins mais aussi par l’interprète. L’interprétation de l’art. 530.1 doit permettre que soit réalisé l’objet visé par le Parlement, conformément à l’art. 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21.

[28] Le sens des termes « transcript » et « transcription » à l’al. 530.1g) est assez large pour englober la copie ou la reproduction d’un enregistrement audio. Ce dernier est l’original du dossier du procès. C’est la première source qui est consultée dans l’éventualité d’un différend au sujet de la fidélité d’une transcription écrite. L’enregistrement constitue la meilleure preuve de ce qui s’est dit. Quand le juge a rédigé les seules notes prises au procès, ces notes deviennent la meilleure preuve. Quand un sténographe a noté les mots prononcés au tribunal, la transcription de ces notes constitue la meilleure preuve de ce qui s’est dit. Cette « transcription » devient l’original du dossier du procès. Le sens du terme « transcription » a cependant évolué depuis l’époque des sténographes, dans le milieu judiciaire comme à l’extérieur, et il désigne aussi aujourd’hui une copie ou une reproduction établie par quelque moyen que ce soit.

[…]

[30] Non seulement ce sens commun aux termes « transcript » et « transcription », qui englobe la copie ou la reproduction d’un enregistrement audio, permet-il aux deux dispositions la réalisation d’un même objet législatif de la même façon, mais il s’harmonise en outre l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a adopté la partie XVII du Code criminel. La Cour suprême du Canada a statué que l’objet de l’article 530 était de « donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l’une des langues officielles du Canada afin d’aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle » : R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 au par.  34. La Cour ajoute, au paragraphe 39, que « [l]e principe directeur est celui de l’égalité des deux langues officielles ».

[31] Qu’un accusé choisisse un procès unilingue en français ou en anglais, ou un procès bilingue, la partie XVII vise à accorder à l’accusé un traitement égal à tout autre accusé, où qu’il se trouve au Canada et indépendamment de la langue officielle choisie. La partie XVII ne vise pas à permettre à l’accusé qui l’invoque d’obtenir la transcription écrite d’un enregistrement audio plus facilement que l’accusé qui ne l’invoque pas. Ce serait en pratique l’effet qu’aurait l’interprétation suggérée par l’appelant, à savoir que l’accusé qui invoque la partie XVII a automatiquement droit à ce qu’une transcription écrite soit préparée pour qu’il puisse l’examiner. Je dis « en pratique » parce qu’un accusé n’a nul besoin de l’ordonnance visée à l’article 530 pour subir son procès dans la langue officielle de son choix si le juge, les fonctionnaires de la cour et le poursuivant parlent cette langue.

[32] L’appelant fait valoir que la version anglaise commande une interprétation plus étroite qui devrait l’emporter parce que les lois pénales doivent recevoir une interprétation stricte et favorable à l’accusé, et il invoque R. c. Abbas, [1984] 2 R.C.S. 526 à l’appui de ce qu’il affirme. Je ne suis pas d’accord. Ni l’article 530 ni l’article 530.1 ne sont des dispositions pénales dans les faits. Le deuxième article est une disposition qui « fournit certaines précisions pour mettre en œuvre » le droit substantiel et important que confère le premier article à l’accusé de subir son procès devant un juge, ou devant un juge et un jury, qui parlent la langue officielle qui est la sienne ou qui lui permet de témoigner le plus facilement : R. c. Potvin (2004), 69 O.R. (3d) 641 au para. 37 (C.A.).

[33] Pour ces motifs, je conclus que l’article 530.1 ne commande pas la préparation d’une transcription écrite à la clôture des arguments du ministère public ni à aucun autre moment. Si l’accusé souhaite consulter le dossier du procès, il peut en écouter l’enregistrement audio ou en obtenir une copie conformément à ce que prévoient les lois de la province et à la pratique qui a cours au tribunal et à la direction des services judiciaires du ministère du Procureur général. À mon sens, la  juge du procès a fait une interprétation correcte du Code criminel. Celui-ci ne requiert pas qu’une transcription écrite soit soumise et présentée à chaque accusé pour examen à l’issue des arguments du ministère public ou encore, pendant ou après le procès.

Voir également :

Wilcox c. R., 2014 QCCA 321 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Gagnon c. R., 2013 QCCA 1744 (CanLII)

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

Roy Martin c. R., 2011 QCCA 1179 (CanLII)

Dow c. R., 2009 QCCA 478 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Deschambault c. R., 2010 QCCS 6851 (CanLII)

Bellefroid c. R., 2009 QCCS 4112 (CanLII)

Bellefroid c. R., 2009 QCCS 4006 (CanLII)

R. c. Saprikin, 2015 ONCJ 79 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Annotations – Alinéa 530.1(g) – Jurisprudence antérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[11] L’art. 530.1 stipule également que le dossier de l’enquête préliminaire et du procès doivent comporter la totalité des débats dans la langue officielle originale, la transcription de toute interprétation, ainsi que la preuve documentaire dans la langue officielle de sa présentation à l’audience. Ces dispositions ne créent donc pas d’exigences de traductions à l’égard de la divulgation de la preuve, puisqu’elles requièrent uniquement que la preuve documentaire soit insérée au dossier dans la langue officielle de sa présentation. Ces dispositions doivent notamment être distinguées de l’al. h) de l’art. 530.1 qui exige que les jugements écrits soient disponibles dans la langue officielle de l’accusé.

[12] Les dispositions de l’art. 530.1 n’imposent donc pas la traduction systématique de tous les documents pouvant être déposés ou produits dans le cadre d’un procès criminel, et encore moins l’obligation de fournir la divulgation de la preuve dans la langue officielle de l’accusé; le droit à l’interprète de l’accusé exigera cependant que ce dernier soit en mesure de comprendre le contenu de ces documents lors du procès et de l’enquête préliminaire.

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

Voir également :

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

Roy Martin c. R., 2011 QCCA 1179 (CanLII)

R. c. Simard, 1995 CanLII 1422 (CA ON)

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Auger, 2008 QCCS 3224 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Shyshkin, 2007 CanLII 16444 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rose, 2002 CanLII 45358 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

Stadnick c. La Reine, 2001 CanLII 39664 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

An Application For An Order Of Mandamus, 2000 BCSC 1408 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Mills, 1993 CanLII 4558 (NS SC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Bouthillier, [1991] J.Q. no. 2450 (CS QC) [hyperlien non disponible]

R. c. Maurice Frenette, 2007 NBCP 33 (CanLII)

R. c. Hunt, 2007 QCCQ 1405 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Mathias c. R., 2006 QCCQ 13383 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Smuk (3 avril 2000), Montréal 73-000946-992 (CQ QC) [hyperlien non disponible]

R. c. Cameron, [1999] J.Q. no 6204 (CQ QC) [hyperlien non disponible]

R. c. Breton (1995), 28 W.C.B (2nd) 525 (YK TC) [hyperlien non disponible]

Annotations – Alinéa 530.1(h)

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[90] Au début de l’enquête préliminaire, l’appelant a soulevé une objection en raison du fait que les procureures de la poursuite n’étaient pas toutes bilingues. L’objection a été plaidée en français mais le juge a rendu sa décision en anglais, suivie d’un bref sommaire en français. L’appelant soutient qu’en agissant ainsi le juge de l’enquête préliminaire n’a pas respecté ses droits linguistiques. Le juge de révision a donné raison à l’appelant.

[91] La poursuite soutient que le juge de l’enquête préliminaire n’a commis aucune erreur et était en droit de procéder ainsi. Selon la poursuite, l’essentiel de la décision était contenue dans le sommaire en français, de sorte que les droits de l’appelant ont été respectés.

[92] Je ne suis pas convaincu par les arguments de l’intimée. Une analyse des deux textes, français et anglais, démontre clairement que la version anglaise a étayé tous les motifs du juge, y compris la justification et le raisonnement du juge. La version française n’est qu’un sommaire, et tous les éléments nécessaires pour comprendre le fondement de la décision du juge n’y sont pas présents.

[93] L’article 530 accorde à l’appelant le droit de comparaître devant un juge qui parle sa langue officielle. Pour l’enquête préliminaire, ce droit est conféré par l’al. 530.1d). De plus, l’al. 530.1h) impose au tribunal l’obligation de rendre des jugements dans la langue de l’accusé. Cette disposition se lit comme suit :

le tribunal assure la disponibilité, dans la langue officielle qui est celle de l’accusé, du jugement — exposé des motifs compris — rendu par écrit dans l’une ou l’autre langue officielle.

[94] La Cour d’appel du Québec a dû se pencher sur le sens de l’al. 530.1h). Elle a conclu que l’obligation de rendre les jugements dans la langue officielle de l’accusé prévue à l’al. 530.1h) s’applique à tous les jugements, y compris les jugements interlocutoires (R. c. Clohosy, 2013 QCCA 1742, aux paras. 78-82). Ainsi, les mots « du jugement » en français et « any trial judgment » en anglais, qui figurent à l’al. 530.1h), visent toutes les décisions rendues au cours du procès (Clohosy, au para. 79).

[95] L’accusé a le droit de se voir communiquer la décision complète dans sa langue. Un sommaire ou résumé ne suffit pas. Tel que l’a expliqué la Cour d’appel du Québec, « lorsqu’un jugement n’est écrit qu’à moitié dans la langue de l’accusé, c’est que son droit n’est qu’à moitié respecté. L’alinéa 530.1h) exige davantage. Les droits linguistiques d’un accusé ne peuvent s’accommoder de demi-mesure. » (Clohosy, au para. 81).

[96] À mon avis, le fait que le jugement interlocutoire ait été rendu oralement n’amoindrit aucunement l’obligation du juge de rendre la décision ainsi que ses motifs complets dans la langue de l’accusé. La Cour d’appel du Québec a déjà statué que les jugements interlocutoires oraux rendus pendant le procès doivent être rendus dans la langue de l’accusé (Dow, au para. 93). Cela découle de l’obligation imposée au juge par l’art. 530 et l’al. 530.1d) de s’adresser à l’accusé dans sa langue. L’alinéa 530.1h) ne fait que préciser que l’obligation s’étend aux décisions rendues par écrit.

[97] En l’espèce, l’opposition de l’appelant à la participation des procureures du ministère public unilingues a été formulée en français et l’appelant avait le droit de se voir communiquer la décision du juge, y compris ses motifs, dans sa langue. Les plaidoiries se sont déroulées en français, sauf que certains des procureurs des co-accusés ont indiqué en anglais qu’ils appuyaient la position de Me Richer. Un sommaire incomplet en français des motifs ne suffit pas. Lorsque la plaidoirie se déroule dans la langue de l’accusé, le juge d’instance doit rendre ses jugements intégralement dans la langue de l’accusé, et il ne l’a pas fait.

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

[78] L'appelant soutient qu'une série de jugements rendus par le juge avant que ne soit rendu le verdict ont été écrits en français seulement, et ce, en violation de l'alinéa 530.1h) C.cr. [citation omise]

[79] Cette disposition crée une obligation pour le tribunal de rendre disponibles ses jugements dans la langue officielle de l'accusé. La version anglaise est encore plus précise : « any trial judgment […] issued in writing […] shall be made available by the court in the official language that is the language of the accused » [soulignement ajouté].

[80] Or, parmi les nombreux jugements interlocutoires rendus par le juge, dix ont été écrits en français seulement et deux l'ont été dans les deux langues officielles. Bref, dans certains cas, la règle édictée à l'alinéa 530.1g) C.cr. a été complètement ignorée et, dans d'autres cas, partiellement satisfaite seulement.

[81] Lorsqu'un jugement n'est écrit qu'à moitié dans la langue de l'accusé, c'est que son droit n'est qu'à moitié respecté. L'alinéa 530.1h) C.cr. exige davantage. Les droits linguistiques d'un accusé ne peuvent s'accommoder de demi-mesures.

[82] Ajoutons qu'il n'était pas nécessaire pour l'appelant de présenter une demande officielle au tribunal pour forcer le respect des droits que cette disposition lui confère.

 

530.2 (1) Précision – procès bilingue

530.2 (1) En cas d’ordonnance exigeant que l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent les deux langues officielles, le juge de paix qui préside l’enquête préliminaire ou le juge qui préside le procès peut, au début de l’instance, rendre une ordonnance prévoyant dans quelles circonstances et dans quelle mesure chacune des langues officielles sera utilisée par lui et par le poursuivant au cours de l’instance.

530.2 (2) Droit de l’accusé

530.2 (2) L'ordonnance respecte, dans la mesure du possible, le droit de l'accusé de subir son procès dans la langue officielle qui est la sienne.

2008, ch. 18, art. 21.

 

531. Renvoi devant un autre tribunal

531. Malgré toute autre disposition de la présente loi mais sous réserve des règlements pris en vertu de l’article 533, si une ordonnance rendue en vertu de l’article 530 ne peut raisonnablement être respectée dans la circonscription territoriale où l’infraction serait normalement jugée, le tribunal ordonne la tenue du procès dans une autre circonscription territoriale de la même province. Le Nouveau-Brunswick est cependant soustrait à l’application du présent article.

L.R. (1985), ch. C-46, art. 531; L.R. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 203; 2008, ch. 18, art. 21.

Annotations

R. c. Finn, 2006 QCCS 2300 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION] 

[17] La version anglaise de l’article 531 du C.cr. prévoit que le tribunal doit ordonner le renvoi du procès dans une autre circonscription territoriale si l’ordonnance entérinant le choix de la langue du procès « cannot be conveniently complied with in the territorial division in which the offence would otherwise be tried » ou, selon la version française correspondante, « ne peut raisonnablement être respectée dans la circonscription territoriale où l'infraction serait autrement jugée ».

[18] Aucune décision publiée portant sur l’interprétation de l’article 531 du C.cr n’a été mentionnée. J’en conclus que l’emploi des termes « conveniently » et « raisonnablement » dans les versions anglaise et française de l’article, respectivement, exige du tribunal qu’il tienne compte d’un certain nombre de facteurs avant de décider d’ordonner un changement de lieu. Parmi ces facteurs, mentionnons, sans respecter d’ordre particulier, les suivants :

• le nombre de personnes qu’il faut convoquer pour s’assurer de réunir un jury de douze personnes et les coûts afférents;

• les liens qu’ont l’accusé et le plaignant ou la victime avec la circonscription judiciaire où le crime présumé a eu lieu;

• les difficultés que pourrait susciter le changement de lieu pour l’accusé et, dans une moindre mesure, pour le ministère public;

• la notoriété du crime dans la circonscription judiciaire où il est présumé avoir eu lieu;

• la règle de base selon laquelle une infraction doit être jugée dans le lieu où elle est présumée avoir eu lieu.

[19] Il ne faut pas considérer cette liste comme exhaustive, ni affirmer qu’un facteur particulier aura toujours une plus grande importance que d’autres dans l’analyse. Par conséquent, contrairement à ce que soutient le défendeur, il se peut que dans certains cas les facteurs de coût et de commodité suffisent à éclipser la règle de base voulant qu’une affaire soit jugée là où elle est survenue

 

532. Réserve

532. La présente partie et la Loi sur les langues officielles n'affectent en rien les droits qu'accordent les lois d'une province en vigueur au moment de l'entrée en vigueur de la présente partie ou qui entreront en vigueur par après, à l'égard de la langue des procédures ou des témoignages en matière pénale en autant que ces lois ne sont pas incompatibles avec la présente partie ou cette loi.

1977-78, ch. 36, art. 1.

Voir également :

R. c. T.D.M., 2008 YKCA 16 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Bauer, 2005 ONCJ 337 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

 

533. Règlements

533. Le lieutenant-gouverneur en conseil d’une province peut, par règlement, prendre toute mesure nécessaire à l’application de la présente partie dans la province et les commissaires du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut peuvent, par règlement, prendre toute mesure nécessaire à l’application de la présente partie dans leur territoire respectif.

L.R. (1985), ch. C-46, art. 533; 1993, ch. 28, art. 78; 2002, ch. 7, art. 144.

 

533.1 (1) Examen

533.1 (1) Dans les trois ans suivant l’entrée en vigueur du présent article, un examen approfondi des dispositions et de l’application de la présente partie est entrepris par le comité soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, que le Parlement ou la chambre en question, selon le cas, désigne ou constitue à cette fin.

533.1 (2) Rapport

533.1 (2) Dans l’année qui suit le début de son examen ou dans le délai supérieur que le Parlement ou la chambre en question, selon le cas, lui accorde, le comité visé au paragraphe (1) remet son rapport au Parlement, accompagné des modifications qu’il recommande.

2008, ch. 18, art. 21.1.

 

Partie XX – Procédure lors d’un procès devant un jury et dispositions générales

Formation de la liste du jury

638. (1) Récusation motivée

638. (1) Un poursuivant ou un accusé a droit à n'importe quel nombre de récusations pour l'un ou l'autre des motifs suivants :

[…]

f) un juré ne parle pas la langue officielle du Canada qui est celle de l'accusé ou la langue officielle du Canada qui permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement ou les deux langues officielles du Canada, lorsque l'accusé doit, conformément à une ordonnance en vertu de l'article 530, subir son procès devant un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l'accusé ou la langue officielle du Canada qui permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement ou qui parlent les deux langues officielles du Canada, selon le cas.

L.R. (1985), ch. C-46, art. 638; L.R. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 132, ch. 31 (4e suppl.), art. 96; 1997, ch. 18, art. 74; 1998, ch. 9, art. 6.

Annotations

R. c. Jimenez Leon, 2012 ONSC 575 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] En l’absence d’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 530(1), les connaissances linguistiques des candidats jurés peuvent être vérifiées convenablement par le juge de première instance au cours de la procédure de sélection des jurés. […]

R. c. Nelson, [2000] O.J. no 5241 (CJ ON) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[11] En termes bien simples, [l’alinéa 638.(1)f)] peut être exprimé de la façon suivante : un avocat peut demander la récusation d’un juré si celui-ci ne parle ni le français ni l’anglais ou l’une de ces langues, lorsque l’accusé doit, conformément à une ordonnance en vertu de l’article 530, subir son procès en français ou en anglais ou dans les deux langues, selon le cas. De cette simplification, il est évident que les virgules séparent la proposition principale de ses deux propositions subordonnées et que les différents « ou » s’appliquent uniquement dans leur proposition respective.

[12] La proposition qui débute par « lorsque » est une proposition subordonnée circonstancielle de condition à la proposition principale. En d’autres mots, la proposition qui débute par « lorsque » modifie la première partie de la phrase, qui crée une condition devant être satisfaite avant que la cour ne permette  à un avocat de demander la récusation d’un juré.  Selon cette interprétation, il est clair qu’un avocat peut demander la récusation d’un juré sur le fondement de la capacité de ce dernier de s’exprimer en français, en anglais ou dans les langues, et ce, seulement lorsqu’une ordonnance a été rendue en vertu de l’art. 530. 

[13] La règle du « sens ordinaire des mots » s’applique à l’alinéa 638(1)f). Cet alinéa vise, semble-t-il, à permettre aux avocats de demander la récusation pour motifs de compétence des jurés en français, en anglais, ou dans les deux langues, lorsqu’une ordonnance du tribunal, rendue en vertu de l’article 530, exige que l’accusé subisse son procès en français, en anglais ou dans ces deux langues. L’alinéa 638(1)f) permet aux avocats de vérifier que l’ordonnance, rendue en vertu de l’article 530, est respectée. L’interprétation donnée par l’avocat de Mme Nelson à l’alinéa 638(1)f) serait incompatible avec l’objet de cette disposition. Il n’est tout simplement pas logique d’interpréter l’alinéa 638(1)f) sans tenir compte de l’article 530.

[14] En appliquant la règle du « sens ordinaire des mots », à mon avis, lorsqu’une ordonnance a été rendue en vertu de l’article 530, l’avocat peut uniquement demander la récusation d’un juré pour un motif  de compétence dans l’une des langues officielles.

Voir également :

R. c. Seenivasam, 2004 CanLII 54502 (CS ON)

 

Partie XXI – Appels – actes criminels

Pouvoirs de la cour d’appel

686. (1) Pouvoir

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel :

[…]

b) peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

(iii) bien qu’elle estime que, pour un motif mentionné au sous-alinéa a)(ii), l’appel pourrait être décidé en faveur de l’appelant, elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit,

(iv) nonobstant une irrégularité de procédure au procès, le tribunal de première instance était compétent à l’égard de la catégorie d’infractions dont fait partie celle dont l’appelant a été déclaré coupable et elle est d’avis qu’aucun préjudice n’a été causé à celui-ci par cette irrégularité;

[…]

686. (5) Procès aux termes de la partie XIX

686. (5) Sous réserve du paragraphe (5.01), lorsqu’un appel est porté à l’égard de procédures prévues par la partie XIX et que la cour d’appel ordonne un nouveau procès aux termes de la présente partie, les dispositions suivantes s’appliquent :

a) si l’accusé, dans son avis d’appel ou avis de demande d’autorisation d’appel, a demandé que le nouveau procès, s’il est ordonné, soit instruit devant un tribunal composé d’un juge et d’un jury, le nouveau procès s’instruit en conséquence;

b) si l’accusé, dans son avis d’appel ou avis de demande d’autorisation d’appel, n’a pas demandé que le nouveau procès, s’il est ordonné, soit instruit devant un tribunal composé d’un juge et d’un jury, le nouveau procès s’instruit, sans nouveau choix par l’accusé, devant un juge ou juge de la cour provinciale, selon le cas, agissant en vertu de la partie XIX, autre qu’un juge ou juge de la cour provinciale qui a jugé l’accusé en première instance, à moins que la cour d’appel n’ordonne que le nouveau procès ait lieu devant le juge ou juge de la cour provinciale qui a jugé l’accusé en première instance;

c) si la cour d’appel ordonne que le nouveau procès soit instruit devant un tribunal composé d’un juge et d’un jury, le nouveau procès doit commencer par un acte d’accusation écrit énonçant l’infraction à l’égard de laquelle le nouveau procès a été ordonné;

d) nonobstant l’alinéa a), si la déclaration de culpabilité dont l’accusé a interjeté appel visait une infraction mentionnée à l’article 553 et a été prononcée par un juge de la cour provinciale, le nouveau procès s’instruit devant un juge de la cour provinciale agissant en vertu de la partie XIX, autre que celui qui a jugé l’accusé en première instance, sauf si la cour d’appel ordonne que le nouveau procès s’instruise devant le juge de la cour provinciale qui a jugé l’accusé en première instance.

[…]

686. (8) Pouvoirs supplémentaires

686. (8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.

L.R. (1985), ch. C-46, art. 686; L.R. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 145 et 203; 1991, ch. 43, art. 9; 1997, ch. 18, art. 98; 1999, ch. 3, art. 52, ch. 5, art. 26; 2015, ch. 3, art. 54(F).

Annotations

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

4. Considérations de procédure

[50] Le texte de l’art. 530 ne dit pas clairement à quel juge ou à quel tribunal il faut présenter la demande, ni le délai pour le faire, lorsqu’un nouveau procès est ordonné.  À mon avis, les réponses à ces questions doivent donc être déduites de l’intention du législateur.  L’objet du par. 530(4) sera le mieux atteint si la demande est présentée le plus tôt possible, ce qui permet de penser que le moment et l’endroit idéal pour présenter la demande est devant la Cour d’appel même, d’une façon semblable à ce que prévoit le par. 686(5) du Code criminel.  L’ordonnance peut être prise par la cour conformément au par. 686(8) du Code.  Une demande pourra être présentée, ou réputée l’avoir été, dans un cas comme l’espèce, dans lequel le droit linguistique est au cœur de l’appel.  Il est peu probable qu’une demande soit présentée dans d’autres cas.  Je dirais donc que ce serait une bonne politique que les cours d’appel demandent systématiquement à l’accusé s’il souhaite présenter une demande fondée sur l’art. 530 avant d’ordonner un nouveau procès, s’il y a des signes manifestes qu’une telle possibilité existe.

[51] S’il ne présente pas de demande au moment où le nouveau procès est ordonné, l’accusé devrait la présenter au moment où la date du procès est fixée ou avant cette date.  Une telle demande sera considérée faite en temps opportun, aux fins du par. 530(4) dans le cas d’un nouveau procès.  La disposition dit clairement que l’accusé peut demander ultérieurement un procès dans la langue officielle de son choix, mais les retards sont d’importants facteurs à considérer par le juge avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

5. La réparation

[52] L’intimée se fonde sur les sousal. 686(1)b)(iii) et 686(1)b)(iv) du Code criminel.  Elle estime que le procès était équitable.  Lappelant invoque la prémisse opposée.  Il soutient que la langue employée au procès a un impact important sur les conclusions de crédibilité et qu’il y avait réellement une possibilité que le jury serait parvenu à un autre résultat s’il avait entendu les témoignages présentés en français et les témoignages présentés en anglais directement, dans les langues française et anglaise.

[53] L’article 530 ne vise pas à assurer un procès plus équitable ou un verdict plus fiable.  J’estime qu’il y a lieu de faire une analogie entre la présente affaire et R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, dans lequel notre Cour a refusé d’appliquer la disposition réparatrice de l’art. 686 à une violation de l’art. 14 de la Charte.  Le juge en chef Lamer dit, à la p. 1008:

Le sousalinéa 686(1)b)(iii) est conçu pour éviter d’avoir à annuler une déclaration de culpabilité pour des erreurs de droit négligeables ou «inoffensives» lorsque le ministère public peut établir qu’aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit. Le sousalinéa 686(1)b)(iv), une disposition relativement nouvelle du Code introduite en 1985, vise également à permettre à un tribunal de rejeter lappel dune déclaration de culpabilité, mais dans les cas dirrégularité de procédure où le ministère public peut établir que l’accusé n’a subi aucun préjudice.

Il poursuit, à la p. 1009:

Bien que la négation d’un droit garanti par la Charte constitue une erreur de droit, il s’agit, de par sa nature constitutionnelle même, d’une erreur de droit grave qui, aux fins du Code criminel, ne peut certainement pas être qualifiée de négligeable ou d’inoffensive, ni d’«irrégularité de procédure». Par conséquent, je conclus que, du point de vue juridique, la violation de l’art. 14 de la Charte empêche l’application des sousal. 686(1)b)(iii) et (iv) du Code.

[54] Compte tenu de la nature des droits linguistiques, de l’exigence d’une égalité réelle, de l’objet de l’art. 530, décrit en l’espèce, et de l’objet de l’art. 686, je crois que la violation de l’art. 530 est un tort important et non une irrégularité de procédure.  Par conséquent, l’al. 686(1)b) ne s’applique pas en l’espèce et un nouveau procès doit être ordonné.  Il faut une réparation efficace dans les cas de violation des droits prévus à l’art. 530.  L’application de l’art. 686 rendrait cela illusoire.

[55] Comme la langue dans laquelle le nouveau procès se tiendra est l’objet même du présent pourvoi, et que l’appelant a confirmé sa demande de procès devant un juge ou un juge et un jury parlant les deux langues officielles du Canada, il y a lieu d’ordonner que la demande de l’appelant soit accueillie.

Roy Martin c. R., 2011 QCCA 1179 (CanLII)

[84] Il reste à décider de la conséquence du défaut d'avoir pourvu à une procédure qui aurait permis l'enregistrement des parties traduites hors jury.

[85]  Je suis d'avis que l'art. 686 (1)b) C.cr. peut s'appliquer puisqu'il n'y a pas eu ici violation d'un droit constitutionnel, soit l'art. 14 de la Charte, ni du droit substantif reconnu à l'art. 530 C.cr., soit le droit à un procès dans la langue de son choix, mais une erreur dans le choix de la méthode de traduction, de laquelle ne découle aucun indice d'un quelconque préjudice, apparent ou réel. L'appelant n'en allègue aucun spécifiquement, plaidant plutôt que toute violation d'un aspect des droits linguistiques doit entraîner automatiquement une ordonnance de nouveau procès. Avec égards, tel n'est pas l'état du droit comme le souligne la juge Charron, alors à la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt Potvin, précité, aux par. 36 et 37.

Dow c. R., 2009 QCCA 478 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[98] Étant donné que les droits de M. Dow n’ont pas été entièrement respectés, à la lumière des décisions rendues par des tribunaux d’appel ayant interprété l’article 530.1 du C.cr. et l’article 14 de la Charte, il n’est pas possible d’appliquer les dispositions réparatrices du paragraphe 686(1)(b) du C.cr.

[99] Même si le paragraphe 686(1)(b) du C.cr. est inapplicable, peut-on quand même dire que les droits de M. Dow ont été respectés au point où le tribunal ne devrait pas intervenir? Après tout,  c’est la plupart du temps en l’absence du jury que certains aspects de l’article 530.1 du C.cr et de l’article 14 de la Charte n’ont pas été respectés. M. Dow a pu recourir à l’interprétation simultanée quand il y a eu voir-dire, argument juridique et jugements interlocutoires en français dans ce contexte.

[100] À mon avis, rien ne justifie de ne pas intervenir quand il est question de l’objectif des garanties linguistiques. Comme l’indique clairement la jurisprudence de la présente cour, de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour suprême du Canada, cet objectif est l’égalité réelle des membres de la majorité linguistique et de ceux de la minorité linguistique dans chaque province et territoire du Canada. De plus, la violation des droits découlant de l’applicabilité de l’article 530 du C.cr. est « un tort important et non une irrégularité de procédure ».

[101] En l’espèce, l’égalité réelle signifie certainement qu’il faut affecter au procès d’un accusé qui est membre d’une des minorités linguistiques du Canada, dans une province ou un territoire du Canada, un juge de première instance et un procureur qui sont non seulement capables, mais disposé à parler la langue de l’accusé pendant toute la durée du procès, comme si l’accusé était membre de la majorité linguistique de cette province ou de ce territoire.  Cela signifie également qu’aucun juge de première instance de quelque province ou territoire canadien que ce soit ne doit chercher à obtenir de l’accusé qu’il renonce à ses droits ou acquiesce à une supposée renonciation de ses droits parce que c’est plus pratique pour les autres personnes qui participent au procès.

[102] Le procès de M. Dow n’avait rien d’un modèle d’égalité réelle à un point tel que cela surpassait de simples insignifiances.

[103] Dans de telles circonstances, la cour aurait tort de fermer les yeux sur ce qui est arrivé à M. Dow et de se contenter d’exprimer l’espoir qu’aucun autre accusé ne subira la même chose. Il avait droit à un procès entièrement conforme à ses droits linguistiques, et c’est le genre de procès qu’il devrait maintenant avoir.

R. c. Potvin, 2004 CanLII 22752 (CA ON)

[36] Finalement, l’intimée prétend que la disposition réparatrice à l’al. 686(1)(b) devrait s’appliquer en l’espèce.  L’intimée reconnaît que la Cour suprême dans Beaulac a statué que l’art. 530(1) donne à l’accusé un droit absolu et substantiel, et non un droit procédural auquel on peut déroger.  En conséquence, la violation de ce droit ne donne pas lieu à l’application de la disposition réparatrice prévue à l’al. 686(1)(b). Cependant, l’intimée soumet que l’art. 530.1 représente des dispositions de procédure suite au droit prévu par l’art. 530(1) et par conséquence l’al. 686(1)(b)(iv) peut s’appliquer à une violation de l’art. 530.1.  L’intimée argumente que, contrairement à l’affaire Beaulac, l’appelant n’a pas été refusé a priori son droit à un procès devant un juge et jury qui parlent la langue officielle qui est la sienne.  La question ici est plutôt si toutes les dispositions de procédure ont été respectées. 

[37] À mon avis, le résultat qui s’impose en l’espèce ne dépend pas de la classification des dispositions à l’art. 530.1 comme étant procédurales plutôt que substantielles. Le droit prévu à l’art. 530 est un droit substantiel et important et l’art. 530.1, tel que le titre l’indique, apporte certaines précisions à ce droit dans son application. Ce n’est pas à chaque fois qu’il y aura quelques mots parlés dans la langue officielle autre que celle de l’accusé qu’un procès sera nécessairement vicié. Mais, le procès unilingue ordonné en vertu de l’art. 530 doit être essentiellement conforme aux dispositions de l’art. 530.1. En l’espèce, je suis d’accord avec la prétention de l’appelant que son procès a été tout autre. Dans l’ensemble, son procès a ressemblé beaucoup plus à un procès bilingue,  même, en large partie, anglophone. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’appliquer la disposition réparatrice et un nouveau procès doit être ordonné.

Latour c. S.M.L.R., 2013 CSTNO 22 (CanLII)

[31] La violation du droit prévu à l’article 530 de Code criminel est une erreur de droit. Les articles 686(1)(b)(iii) et 686(1)(b)(iv) du Code criminel, qui permettent à la cour d’appel de rejeter un appel même lorsqu’une erreur de droit a été commise, s’appliquent aux appels en matières sommaires. Code criminel, article 839.

[32] Cependant, un tribunal d’appel ne peut pas avoir recours à ces dispositions pour maintenir une déclaration de culpabilité d’un accusé dont les droits en vertu de l’article 530 ont été violés. La Cour suprême du Canada a décidé de cette question dans Beaulac :

Compte tenu de la nature des droits linguistiques, de l’exigence d’une égalité réelle, de l’objet de l’art. 530, décrit en l’espèce, et de l’objet de l’art. 686, je crois que la violation de l’art. 530 est un tort important et non une irrégularité de procédure. Par conséquent, l’al. 686(1)b) ne s’applique pas en l’espèce et un nouveau procès doit être ordonné. Il faut une réparation efficace dans les cas de violation des droits prévus à l’art. 530. L’application de l’art. 686 rendrait cela illusoire.

R. c. Beaulac, supra, au paragraphe 54 […]

[34] Deux possibilités s’offrent au tribunal en matière de réparation qui pourrait être ordonnée : la tenue d’un nouveau procès ou un arrêt des procédure (sic).

[35] L’arrêt de procédure est une mesure réparatrice qui est disponible en vertu du Paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, lorsqu’il y a eu violation de l’État d’un droit garanti par le Charte. Ici, il n’est pas question de violation de la Charte. Mais il est aussi depuis longtemps reconnu que même lorsque la Charte n’est pas en cause, les pouvoirs inhérents et résiduels des tribunaux incluent celui d’ordonner un arrêt de procédure pour empêcher un abus de procédure. […]

[36] Il est également clairement établi, cependant, que c’est une mesure qui ne doit être utilisée que dans les cas les plus clairs et manifestes d’abus de procédure, ceux où le préjudice causé est irréparable. L’une des raisons d’être d’un arrêt de procédure dans de tels cas est de mettre fin à l’abus de procédure et empêcher qu’il se perpétue. R. v. MacKenzie, supra, au paragraphe 88.

[37] Je conclus qu’en l’espèce, un arrêt de procédure n’est pas justifié. Bien qu’il y ait eu violation de l’article 530, il n’y a aucune indication de mauvaise foi de la part des autorités. Il est fort malheureux que M. Latour n’est (sic) pas été avisé de ses droits de façon claire dès le départ. Mais le fait est que, probablement parce que ses droits ne lui ont pas été expliqués clairement, ses prises de position concernant la langue du procès ont été quelque peu ambivalentes, et même, contradictoires à différents moments.

[38] Il va sans dire qu’un accusé ne devrait jamais avoir à faire le choix entre se passer de représentation légale ou se prévaloir de ses droits linguistiques. Mais vu dans son ensemble, ce qui s’est passé en l’espèce n’est pas un abus de procédure qui justifie que le tribunal ait recours à la mesure exceptionnelle qu’est un arrêt des procédures.

[39] De plus, il existe une autre mesure réparatrice (la tenue d’un nouveau procès), qui assurera le respect des droits de M. Latour. Il ne s’agit pas d’une situation où un arrêt de procédure est le seul moyen d’empêcher que la violation de ses droits se perpétue.

[40] Un nouveau procès doit avoir lieu et il est clair que ce procès devra se tenir en français. Il n’y a aucune ambiguïté à cet égard : M. Latour a dit, lors de l’audition de son appel, qu’il aurait demandé que son procès se tienne en français s’il avait été informé de son droit, et que ce qu’il demande dans le cadre de cet appel est la tenue d’un procès en français.

Voir également :

Gagnon c. R., 2013 QCCA 1744 (CanLII)

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

Pool c. R., 2011 QCCA 1198 (CanLII)

Bujold c. R., 2011 NBCA 24 (CanLII)

R. c. T.D.M., 2008 YKCA 16 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

LSJPA -- 0856, 2008 QCCA 2232 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Denver-Lambert c. R., 2007 QCCA 1301 (CanLII)

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Doncaster, 2013 NSSC 357 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Bellefroid c. R., 2009 QCCS 4006 (CanLII)

LSJPA – 0915, 2009 QCCQ 3897 (CanLII)

Zak c. R., 2008 QCCS 1268 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Musasizi, 2010 QCCM 17 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

 

Partie XXIII – Détermination de la peine

718.2 Principes de détermination de la peine

718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :

a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant :

(i) que l’infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique, l’orientation sexuelle ou l’identité ou l’expression de genre,

[...]

1995, ch. 22, art. 6; 1997, ch. 23, art. 17; 2000, ch. 12, art. 95; 2001, ch. 32, art. 44(F), ch. 41, art. 20; 2005, ch. 32, art. 25; 2012, ch. 29, art. 2; 2015, ch. 13, art. 24, ch. 23, art. 16; 2017, ch. 13, art. 4.

 

Partie XXVIII – Dispositions diverses

Formules

849. (3) Langues officielles [anciennement art. 841]

849. (3) Sont imprimés dans les deux langues officielles les textes des formules prévues à la présente partie.

2002, ch. 13, art. 84.

Annotations – Paragraphe 849(3) – Jurisprudence postérieure aux modifications au Code criminel en 2002

R. c. Lavoie, 2014 NBPC 43 (CanLII)

[1] Cette cause comporte, entre autres, deux questions qui demeurent sans réponse à ce jour en jurisprudence néobrunswickoise, à savoir si : (1) les agents de la paix ont l’obligation de rédiger un mandat d’entrée dans les deux langues officielles? et (2) le tribunal appelé à se prononcer sur l’admissibilité d’une déclaration doit considérer le par. 20(2) de la Charte?

[2] Le défendeur fait face à deux chefs d’accusation sous la Loi sur la Société protectrice des animaux, ch. S -12, L.N.-B. («Loi sur la SPA»).

[]

[9] Les agents Parish et Bishop arrivent au chenil du défendeur vers 10 h. Le Caporal Parish frappe à la porte et constate que le permis d’exploitation expirait le 1er octobre 2011. Comme personne ne répond, il entre et s’annonce. Le défendeur vient aussitôt à sa rencontre. Le Caporal Parish demande au défendeur dans quelle langue il veut être servi. Le défendeur répond : « En français ».

[10] Étant donné que le Caporal Parish est unilingue anglophone, il communique avec un agent bilingue de la GRC pour lui prêter assistance. []

[]

[12] La Gendarme Doucet arrive sur les lieux quelque 30 à 45 minutes plus tard où elle agira principalement à titre d’interprète entre le Caporal Parish et le défendeur. Une inspection plus approfondie reprend en sa présence avec les deux agents de la SPA et le défendeur.

[13] Vu les circonstances, le Caporal Parish signifie un Avis de saisie au défendeur visant quatre chiens, dont deux épagneuls, un Shih Tzu et un Schnauzer. L’Avis est rédigé dans les deux langues officielles et la Gendarme Doucet en explique le contenu au défendeur. L’agent Bishop transporte ensuite les quatre chiens à l’Hôpital vétérinaire d’Oromocto où ils seront examinés par le Dr Legge.

[14] Le 27 octobre 2011, les agents de la SPA retournent au chenil et présentent au défendeur un mandat décerné en vertu de la Loi sur les mandats d’entrée LRN-B 2011, ch. 150. (« Loi sur les mandats d’entrée »). Le mandat est rédigé uniquement dans la langue anglaise. Par contre, le Gendarme Saulnier, un membre bilingue de la GRC, en explique le contenu au défendeur. Comme les conditions d’hébergement n’ont guère changé, le Caporal Parish donne l’ordre de saisir les autres 129 chiens. Le Gendarme Saulnier explique au défendeur l’Avis de saisie rédigé dans les deux langues officielles.

[]

II. QUESTIONS EN LITIGE

[30] En plus de celles formulées en introduction, les questions en litige se résument ainsi :

a) Est-ce que l’exclusion d’éléments de preuve est nécessairement la réparation indiquée pour avoir porté atteinte aux droits linguistiques du défendeur le 25 octobre 2011?

b) Le 27 octobre 2011, est-ce qu’il incombait aux agents de la SPA de présenter au défendeur un mandat d’entrée rédigé dans la langue française? []

[…]

[44] De prime abord, je tiens à préciser qu’à mon avis, il n’y a eu aucune violation des droits linguistiques du défendeur le 25 octobre 2011 à partir du moment où la Gendarme Doucet, un membre bilingue de la GRC, est arrivée au chenil. En effet, dès son arrivée, une inspection approfondie reprit en sa présence, celle des agents de la SPA et le défendeur.

[]

[75] […] Conséquemment, je conclus que les agents de la paix au Nouveau-Brunswick ont l’obligation d’utiliser les textes (partie préimprimée) des formules prévues à la partie XXVII du Code criminel, notamment la formule 5, Mandat de perquisition, dans les deux langues officielles. À mon sens, le par. 849(3) le commande.

[76] J’ai aussi observé qu’il existe toute une panoplie de décisions en jurisprudence canadienne interprétant le par. 849(3) du Code criminel. Certaines suggèrent que le défaut d’utiliser les textes préimprimés des formules dans les deux langues officielles n’équivaut qu’à un vice de forme. Il reste que cet argument, s’il est indubitablement séduisant, n’est pas entièrement convaincant en ce sens qu’il ne reconnait pas le caractère unique de la province du Nouveau-Brunswick comme le dictent les paras. 16(2) et 20(2) de la Charte. Il faut se rappeler que dans cette province, les agents de la paix doivent respecter les obligations linguistiques que le par. 20(2) de la Charte impose aux institutions du Nouveau-Brunswick. C’est d’ailleurs le principe qui se dégage de l’affaire Losier, précitée, un arrêt pilier en matière de droits linguistiques au Nouveau-Brunswick. Comme l’affirmait sans équivoque le juge Bastarache dans l’affaire Beaulac, [1999], A.C.S. no. 25, les droits linguistiques doivent recevoir des tribunaux une interprétation large et généreuse.

Voir également :

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

Annotations – Paragraphe 849(3) – Jurisprudence antérieure aux modifications au Code criminel en 2002

R. c. Moore, [1988] 1 R.C.S. 1097, 1988 CanLII 43 (CSC)

[58] Depuis l’adoption de notre Code en 1892, du fait de la jurisprudence et des modifications ponctuelles apportée à l’art. 529 et aux articles qui l’ont précédé, l’obligation pour les juges d’annuler les actes d’accusation s’est graduellement transformée en une obligation de les modifier; le juge ne conserve en effet qu’un pouvoir discrétionnaire restreint pour annuler. […]

[59] Selon moi, voici ce que l’art. 529, interprété dans son intégralité, prescrit au juge du procès : en l’absence d’une nullité absolue et sous réserve de certaines restrictions énoncées au par. (9), le juge a des pouvoirs très étendus pour corriger tout vice d’une accusation en la modifiant; si le vice qui doit être corrigé au moyen d'une modification a induit l'accusé en erreur ou lui a causé un préjudice dans sa défense, le juge doit alors déterminer si l’erreur ou le préjudice peut être corrigé par un ajournement. Dans l’affirmative, il doit modifier, ajourner et ensuite reprendre le procès.

Noiseux c. Belval, 1999 CanLII 13667 (CA QC) [motifs de la majorité disponibles en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[4] Cet appel soulève un problème d’interprétation des lois, et non pas de droits linguistiques ou constitutionnels.

[…]

[23] Selon moi, le par. 841(3) du Code n'est pas contraire à l'article 133 de la Loi constitutionnelle puisqu'en vertu de celui-ci, l'État est obligé de produire des formulaires bilingues, tout en autorisant le public à recourir à la langue de son choix en les utilisant.

[24] Il ne diminue en aucune façon le droit de quiconque d'utiliser, l'anglais ou le français quelque soit la procédure devant n'importe quel tribunal au Canada ou au Québec.

[25] De plus, l'objet évident du par. 841 (3) est d'aider les intéressés à comprendre les procédures criminelles les concernant au moyen de formulaires bilingues. Cette disposition n'est pas contraire à l'article 133 de la Loi constitutionnelle. Étant donné que l'article 133 dispose qu'on peut utiliser le français ou l'anglais au cours des procédures, le para. 841(3) n'impose aucune restriction sur ce droit protégé par la Constitution.

[…]

[39] Pour ces raisons, il me semble, avec tout le respect que je dois à l'opinion contraire de la juge Otis, que les formulaires de dénonciation unilingues dont il est question dans la présente affaire ne sont pas conformes aux exigences impératives du par. 841(3) du Code criminel.

[40] Ceci ne veut pas dire, cependant, que les dénonciations comportant des parties rédigées dans une seule des langues officielles du Canada sont frappées de nullité absolue.

[41] En l'espèce, ni le dénonciateur ni l'accusé n'ont subi de préjudice du fait de l'utilisation d'un formulaire de dénonciation en français seulement. Comme le juge à qui on a présenté la dénonciation, ils sont tous deux francophones.

[42] De plus, cette cour n'a pas eu à traiter la question auparavant.

[43] Dans les circonstances, il me semble qu'on peut remédier au vice affectant les dénonciations - c'est-à-dire les formulaires unilingues - en y joignant ce qui aurait dû y figurer au départ: les formules rédigées dans l'autre langue officielle.

[44] Par conséquent, l'appel est accueilli sur ce moyen, et, ainsi que l'a proposé la juge Otis, le dossier est renvoyé au tribunal de première instance pour y suivre son cours.

R. c. Lavoie et al., [1990] J.Q. no 2642 (CS QC) [hyperlien non disponible]

[8] Il est vrai que l’article 841(3) (C.cr.) décrète que le texte déjà imprimé d’une formule mentionnée à la partie XXVIII doit l’être dans les deux langues officielles. Si la version française de cette disposition peut laisser croire qu’il suffit d’avoir deux types de formule, l’une en français et l’autre en anglais, la version anglaise fait disparaître, selon moi, toute ambiguïté :

« Any pre-printed portions of a form set out in this Part varied to suit the case or of a form to the like effect shall be printed in both official languages. »

[9] Peu importe le nom patronymique d’un suspect ou sa langue habituellement utilisée, la promesse de comparaître souscrite en vertu des articles 498 et 501 (C.cr) doit comporter un texte imprimé bilingue dont les blancs seront complétés par l’officier de police en devoir. […]

[]

[11] La promesse de comparaître tout comme la citation à comparaître ou la sommation n’est qu’un moyen d’obtenir la présence d’un citoyen à la Cour. À moins d’une déficience d’ordre juridictionnel, comme ordonner à quelqu’un d’être présent devant un tribunal qui n’a pas compétence, ou encore l’existence d’un préjudice souffert par le contrevenant, comme l’incompréhension linguistique des obligations auxquelles il s’était engagé, j’estime que les irrégularités de cet acte de procédure n’affectent pas la juridiction qu’acquiert la Cour devant laquelle l’accusé se présente ou se fait représenter par avocat.

Perry c. R., [1989] B.C.J. no 1616 (BC SC) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

Ici, je ne considère pas que l'incapacité du dénonciateur à bien comprendre les parties de la formule rédigées en français ou que l'erreur de traduction soient pertinentes. L'accusé n'a pas été induit en erreur et n'a subi aucun préjudice en conséquence. Les mots rédigés en anglais sur la formule et la description des deux chefs d'accusation dactylographiée sur la formule en cette langue, qu'il comprend, suffisent pour que soient satisfaites les exigences du Code criminel et pour l'informer des accusations auxquelles il doit répondre.

Je conclus, comme l'a fait le juge de la cour provinciale, qu'il était raisonnable et justifié de la part du dénonciateur d'utiliser la portion anglaise de la formule bilingue. Le fait que la traduction française ait été incorrecte n'a pas induit l'accusé en erreur et ne lui a pas causé de préjudice. Ce vice peut être corrigé par modification lorsque la question sera à nouveau soumise à la cour provinciale.

Je conclus qu'un dénonciateur anglophone a le droit de laisser de côté les parties françaises de la formule de dénonciation. Je conclus également que si l'absence de traduction des mots « and does believe » dans la partie française de cette formule est considérée comme un vice, alors on peut remédier à ce vice par modification dans le cas d'un accusé anglophone.

R. c. Société d’électrolyse et de chimie Alcan Limitée, [1994] J.Q. no 2394 (CQ QC) [hyperlien non disponible]

[93] Reconnaître que la non-observance des dispositions de l’art. 841(3) du Code criminel entraîne la nullité absolue d’une dénonciation qui serait unilingue, c’est méconnaître le droit du dénonciateur de s’exprimer dans la langue de son choix.

R. c. Goodine, 1992 CanLII 2618 (NS CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

À mon avis, le juge siégeant en appel des décisions de la cour des poursuites sommaires n'a pas correctement soupesé les droits que l’adoption du par. 841(3) vise à promouvoir en regard de l’intention du législateur, telle qu’exprimée à l’art. 601 du Code, de conférer aux tribunaux de très vastes pouvoirs de modification relativement aux actes d’accusation, aux chefs qu’ils contiennent et aux dénonciations. En outre, le juge siégeant en appel des décisions de la cour des poursuites sommaires n’a pas examiné convenablement les déclarations faites par la Cour suprême du Canada au sujet des vices de forme ou de fond qui peuvent entacher les dénonciations et les actes d’accusation dans les affaires que j’ai mentionnées. La dénonciation ne présentait pas d’autre vice que celui de ne pas être conforme au par. 841(3) du Code.

Malgré le libellé impératif du par. 841(3) du Code, l’art. 32 de la Loi d’interprétation prévoit que l’emploi de formulaires se présentant différemment de la présentation prescrite n’a pas pour effet de les invalider, à condition que les différences ne portent pas sur le fond ni ne visent à induire en erreur. La Formule 2, prévue par le Code, n’est que cela – une formule. Le vice qu’elle présente est de forme et non de fond. Avec tout le respect que je lui dois, j’estime que le juge siégeant en appel des décisions de la cour des poursuites sommaires a mal interprété ou mal appliqué l’art. 32 de la Loi d’interprétation.

Le fait que le par. 841(3) du Code soit rédigé en termes impératifs n’emporte pas la conclusion qu’une dénonciation non conforme à ce paragraphe est nulle. Si l’emploi de termes impératifs conduisait à une telle conclusion, les pouvoirs de modification prévus à l’art. 601 du Code seraient dépourvus de sens. Selon l’art. 581, un chef d’accusation mentionné dans un acte d’accusation doit contenir, à l’égard des circonstances de l’infraction, des détails suffisants pour aviser raisonnablement le prévenu de l’acte ou omission à être prouvée contre lui. Ainsi, même lorsqu’un chef est mal formulé, il peut, généralement, être modifié comme le prévoit l’art. 601. Compte tenu du vaste pouvoir de modification que l’art. 601 confère aux juges, si, en adoptant le par. 841(3), le législateur avait voulu que le défaut d’utiliser des formules bilingues entraîne la nullité de la dénonciation, il l’aurait dit dans les termes les plus clairs.

Pour ces motifs, j’ai conclu que la dénonciation n’était pas nulle : elle pouvait être modifiée par le juge de la Cour provinciale.

[]

L’avocat de la Couronne a agrafé à la dénonciation une formule bilingue vierge. Le paragraphe 601(7) ne précise pas comment inscrire une modification sur une dénonciation ou un acte d’accusation. La méthode adoptée par l’avocat de la Couronne pour modifier la dénonciation manquait de rigueur, mais s’avérait pratique dans les circonstances, puisque la modification avait été permise par le juge Stroud. Comme la langue maternelle de l’intimé est l’anglais, la manière qu’on a prétendu utiliser pour inscrire la modification sur la dénonciation ne lui a pas causé de préjudice. La Couronne aurait pu suivre la pratique habituelle qui consiste à déposer et à modifier une dénonciation retapée sur la formule bilingue. Il aurait été également acceptable d’insérer à la machine ou à la main la version française de la partie pré-imprimée de la formule aux endroits appropriés de la dénonciation afin de rendre cette dernière conforme à l’exigence prévue au par. 841(3) du Code.

En exerçant le pouvoir de modifier des dénonciations, le juge du procès doit, comme l’exige le par. 601(4), examiner la question du préjudice de l’accusé. Comme il a été signalé précédemment, conformément à l’art. 795, les dispositions de l’art. 601 s’appliquent aux poursuites sommaires. La dénonciation rédigée sur une formule unilingue n’a pas lésé l’accusé dont la langue maternelle était l’anglais.

En résumé, la dénonciation, telle qu’elle avait été initialement rédigée, n’était pas invalide et sa modification ne s’avérait pas nécessaire. Par conséquent, le fait que la méthode utilisée par la Couronne ait été loin d’être parfaite ne constitue pas une erreur fatale. L’utilisation de formules unilingues plus de deux ans après la modification du par. 841(3) est une pratique insouciante qui ne doit pas se poursuivre dans l’avenir. Toutefois, l’intimé était très bien informé de l’accusation portée contre lui.

R. c. Diep, [1991] A.J. no 622 (AB PC) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

Dans son mémoire, l’avocat de la Couronne fait référence à la Loi sur les langues officielles et à l’intention qu’avait le législateur en adoptant le par. 841(3) du Code criminel. Il conclut que le par. 841(3) crée une exigence procédurale dont l’importance n’est que symbolique et que l'inobservation de cette disposition, sans plus, ne justifie pas d’annuler un mandat ou d’exclure une preuve. Dans son mémoire, l’avocat de la défense ne prétend pas que le par. 841(3) fait plus que d'énoncer une exigence procédurale. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec les observations de la Couronne à cet égard et, par conséquent, les arguments de l’avocat de la défense relativement à l’inobservation du par. 841(3) doivent être rejetés.

R. c. Keenan, [1990] M.J. no 668 (MB PC) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

Le Parlement dans sa sagesse a rendu obligatoire l'utilisation de formules bilingues en matières criminelles en promulguant le paragraphe 841(3) du Code criminel. Cette exigence ne peut pas être ignorée ou contournée par l'utilisation de formules qui ont été modifiées pour convenir aux cas d'espèce, ou des formules analogues à celles qui sont reproduites dans la partie XXVIII du Code criminel.

Je conclus que la formulation du paragraphe 841(3) du Code criminel, et l'emploi du mot « shall » en anglais, confère à la disposition un caractère obligatoire et non déclaratoire. L'article 28 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, ch. 1-23, prévoit ce qui suit : « 28 : « doit » ou « devra », devant un infinitif, exprime une obligation »

Je conclus donc que le mandat de perquisition en question est visé par les mots « formules analogues ». Comme il s'agit d'une formule semblable à la formule 5 et qu'il a été émis en contravention des dispositions obligatoires du paragraphe 841(3), il est donc invalide.

Voir également :

R. c. Murphy, 1995 CanLII 4315 (NS CA) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Robinson, 1992 CanLII 2487 (NS CA) [décision disponible en anglais seulement]

Brisebois c. R. (25 septembre 1992), Montréal 505-36-000051-922 (CS QC) [hyperlien non disponible]

Cotton c. La Reine, [1991] J.Q. no 2341 (CS QC) [hyperlien non disponible]

R. c. Langlois, 1991 CanLII 1004 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

Davies c. R., [1991] O.J No. 40 (CJ ON) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Tripp, [1990] O.J. no 2172 (CJ ON) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Young (17 avril 1990), Scarborough (CJ ON) [hyperlien non disponible]

R. c. Shields, [1990] O.J. no 2534 (Dist. ON) [hyperlien non disponible]