Chapitre 2 : Lois fédérales

Lois fédérales – Loi et règlements principaux

Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c. 31 (4e suppl.)

Loi concernant le statut et l’usage des langues officielles du Canada
Préambule

Attendu :

que la Constitution dispose que le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada et qu'ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada;

qu'elle prévoit l'universalité d'accès dans ces deux langues en ce qui a trait au Parlement et à ses lois ainsi qu'aux tribunaux établis par celui-ci;

qu'elle prévoit en outre des garanties quant au droit du public à l'emploi de l'une ou l'autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services;

qu'il convient que les agents des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada aient l'égale possibilité d'utiliser la langue officielle de leur choix dans la mise en œuvre commune des objectifs de celles-ci;

qu'il convient que les Canadiens d'expression française et d'expression anglaise, sans distinction d'origine ethnique ni égard à la première langue apprise, aient des chances égales d'emploi dans les institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada;

que le gouvernement fédéral s'est engagé à réaliser, dans le strict respect du principe du mérite en matière de sélection, la pleine participation des Canadiens d'expression française et d'expression anglaise à ses institutions;

qu'il s'est engagé à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, et à appuyer leur développement et à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne;

qu'il s'est engagé à collaborer avec les institutions et gouvernements provinciaux en vue d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones, d'offrir des services en français et en anglais, de respecter les garanties constitutionnelles sur les droits à l'instruction dans la langue de la minorité et de faciliter pour tous l'apprentissage du français et de l'anglais;

qu'il s'est engagé à promouvoir le caractère bilingue de la région de la capitale nationale et à encourager les entreprises, les organisations patronales et syndicales, ainsi que les organismes bénévoles canadiens à promouvoir la reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais;

qu'il reconnaît l'importance, parallèlement à l'affirmation du statut des langues officielles et à l'élargissement de leur usage, de maintenir et de valoriser l'usage des autres langues,

Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte :       

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 RCS 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[21] La Loi sur les langues officielles est une réponse législative importante à l’obligation imposée par la Constitution canadienne en matière de bilinguisme au Canada.  Son préambule fait expressément référence aux obligations linguistiques prévues par la Constitution.  Il rappelle le statut d’égalité quant à l’usage du français et de l’anglais dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada de même que l’universalité d’accès dans ces deux langues au Parlement et à ses lois ainsi qu’aux tribunaux.  De plus, le préambule mentionne que la Constitution offre des garanties quant au droit du public d’utiliser le français et l’anglais dans leurs communications avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services. Il ne fait donc aucun doute que la Loi sur les langues officielles est une mesure législative prise dans le but de répondre à l’obligation constitutionnelle en matière de bilinguisme.

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[33] L'article 41 de la Loi fait état d'un « engagement » du gouvernement fédéral ( « committed » dans le texte anglais) qui reprend à toutes fins utiles le septième attendu du préambule de la Loi. Le préambule, selon l'article 13 de la Loi d'interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21), « fait partie du texte et en constitue les motifs » ( « shall be read as a part of the enactment intended to assist in explaining its purport and object » ). [...]

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF)

[112] Dans son préambule, la Loi sur les langues officielles reconnaît les principes fondamentaux qui sous-tendent son édiction, dont le fondement constitutionnel de l'égalité du français et de l'anglais et du droit du public à l'emploi de l'une ou l'autre langue pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services. Le préambule met aussi en relief différents engagements pris par le gouvernement du Canada, y compris ceux de réaliser la pleine participation des Canadiens d'expression française et d'expression anglaise à ses institutions « dans le strict respect du principe du mérite en matière de sélection » , de favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones et de promouvoir le caractère bilingue de la région de la capitale nationale. [...]

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[29] Vient ensuite la Loi sur les langues officielles, dite quasi-constitutionnelle. Dans son très long préambule, elle réitère les droits et les garanties prévus à la Charte en matière de communications avec le gouvernement du Canada et des services qu'il offre dans l'une ou l'autre langue officielle. Le préambule reflète également l'obligation interne imposée au gouvernement d'offrir à ses employés l'égale possibilité d'utiliser la langue de leur choix.

[…]

[57] En l'espèce, il est évident que la Loi sur les langues officielles présente un tableau général et un tableau plus restreint. La Loi ne vise pas seulement à permettre l'emploi de nos langues officielles et à donner aux citoyens le droit de communiquer avec les institutions fédérales dans la langue de leur choix. Elle fait plus que cela. Elle vise à promouvoir l'emploi des deux langues ou, comme il est écrit dans le préambule de la Loi, à "favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones . . . et à appuyer leur développement". Un tel engagement de principe du gouvernement fédéral impose une obligation double qui doit tôt ou tard se traduire concrètement.

[…]

[64] J'aimerais maintenant me pencher sur ce qui, à mon avis, constitue la deuxième obligation légale des institutions fédérales. Si la protection du groupe linguistique majoritaire dans la fonction publique exige une marge de manœuvre étroite dans la désignation de certains postes, le préambule et l'article 41 de la Loi imposent une deuxième obligation. Mon interprétation de l'article 41 va dans le sens de la proposition selon laquelle des considérations de principe obligent l'intimée non seulement à réagir ou à répondre aux pressions exercées sur elle en vue d'obtenir des services bilingues plus nombreux ou plus efficaces, mais encore à élaborer des programmes visant la prestation de ces services là où le besoin se fait sentir, besoin que ne traduiraient pas nécessairement une analyse statistique du nombre des demandes de renseignements ou des dossiers, ou encore le pourcentage de francophones et d'anglophones dans un bureau fédéral particulier.

[…]

[86] J'ajouterais le commentaire suivant. Le respect des obligations imposées par la Loi sur les langues officielles dans l'environnement fortement anglophone du bureau d'Halifax, comme à d'autres endroits semblables, n'est sûrement pas toujours une tâche facile. La langue, on l'a souvent souligné, emporte de forts liens et traits culturels, et la dualité linguistique au Canada suscite encore des notes discordantes. Quelles que soient ses origines, le gestionnaire doit demeurer publiquement discret, même s'il entend à l'occasion des commentaires négatifs de ses collègues et ses amis, qui s'ajoutent aux contraintes de ses fonctions et lui imposent de nombreuses pressions contradictoires. Il est fréquemment aux prises avec l'ignorance du droit, qui suscite la crainte qui, elle, nourrit le ressentiment. Le gestionnaire doit tenir compte de tous ces facteurs tout en s'efforçant de satisfaire tout le monde.

Voir également :

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.) [hyperlien non disponible]

 

1. Titre abrégé

1. Loi sur les langues officielles.

 

2. Objet

2. La présente loi a pour objet :

a) d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions;

b) d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais;

c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.     

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[22] L’article 2 de la Loi sur les langues officielles en énonce la mission : […]

Ces objectifs sont fort importants, car la promotion des deux langues officielles est essentielle au bon développement du Canada. Comme le disait notre Cour dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721, p. 744 :

L’importance des droits en matière linguistique est fondée sur le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et la dignité de l’être humain.  C’est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous.  Le langage constitue le pont entre l’isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu’ils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en société.

La Loi sur les langues officielles va au-delà d’un énoncé de principes.  Elle impose des exigences pratiques aux institutions fédérales, comme le mentionne le juge Bastarache dans l’affaire R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 24 : […]

[23] L’importance de ces objectifs de même que les valeurs constitutionnelles incarnées par la Loi sur les langues officielles confèrent à celle-ci un statut privilégié dans l’ordre juridique canadien.  Son statut quasi-constitutionnel est reconnu par les tribunaux canadiens. […]

C’est à juste titre que la Cour fédérale a reconnu le statut privilégié de la Loi sur les langues officielles.  Les racines constitutionnelles de cette loi de même que son rôle primordial en matière de bilinguisme justifient une telle interprétation.

[…]

[25] […] La Loi sur les langues officielles et la Loi sur la protection des renseignements personnels sont étroitement liées aux valeurs et aux droits prévus par la Constitution, ce qui explique leur statut quasi-constitutionnel reconnu par cette Cour.  Ce statut n’a toutefois pas pour effet de modifier l’approche traditionnelle d’interprétation des lois, définie par E. A. Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87 :

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Le statut quasi-constitutionnel de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur la protection des renseignements personnels est un indicateur à considérer dans leur interprétation, mais n’est pas déterminant en soi. L’utilisation par notre Cour de l’expression « quasi-constitutionnel » pour décrire ces deux lois n’a pour effet que de reconnaître leur objet particulier. 

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[20] […] L’objectif de protéger les minorités de langue officielle, exprimé à l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles, est atteint par le fait que tous les membres de la minorité peuvent exercer des droits indépendants et individuels qui sont justifiés par l’existence de la collectivité.  Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis.  Cela concorde avec l’idée préconisée en droit international que la liberté de choisir est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques […].

[22] La Loi sur les langues officielles de 1988 et l’art. 530.1 du Code criminel, introduit comme modification connexe par l’art. 94 de cette loi, illustrent la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le par. 16(3) de la Charte; voir Simard, précité, à la p. 105.  Le principe de la progression n’épuise toutefois pas l’art. 16 qui reconnaît officiellement le principe de l’égalité des deux langues officielles du Canada.  Il ne limite pas la portée de l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles.  L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique.  En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable.  Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien.  Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s’agit de l’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada.  […]

[24] […] L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée.  Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné.  L’article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi.  Ce principe d’égalité réelle a une signification.  Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État […]. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement. […]

[25] Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la p. 850.  Dans la mesure où l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, précité, aux pp. 579 et 580, préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté.  La crainte qu’une interprétation libérale des droits linguistiques fera que les provinces seront moins disposées à prendre part à l’expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d’interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent.  Il est également utile de réaffirmer ici que les droits linguistiques sont un type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale.  Ils ont un objectif différent et une origine différente. […]

Desrochers c. Canada (Industrie), [2007] 3 RCF 3, 2006 CAF 374 (CanLII)

[37] […] L’alinéa 2a) de la LLO confère une égalité de statut et d’usage aux deux langues officielles. L’alinéa 2b) vise à appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et à favoriser la progression de l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais. Et il va sans dire qu’il ne saurait s’agir d’une égalité simplement virtuelle ou purement formelle, sans application réelle ou concrète. Partant de là, je suis disposé à souscrire à l’opinion du juge Bastarache [dans l’arrêt R. c. Beaulac] que les « droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État » : au paragraphe 24.

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.) [hyperlien non disponible]

[16] La Loi sur les langues officielles de 1988 n’est pas une loi ordinaire.  Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu.  Dans la mesure où elle est l’expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d’interprétation de cette Charte telles qu’elles ont été définies par la Cour suprême du Canada.  Dans la mesure, par ailleurs, où elle constitue un prolongement des droits et garanties reconnus dans la Charte, et de par son préambule, de par son objet défini en son article 2, de par sa primauté sur les autres lois établies en son paragraphe 82(1), elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi-constitutionnelles qui expriment « certains objectifs fondamentaux de notre société » et qui doivent être interprétées « de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent ».  Dans la mesure, enfin, où elle constitue une loi relative à des droits linguistiques qui, au Canada, ont pris valeur de droits fondamentaux mais n’en demeurent pas moins le fruit d’un compromis social et politique fragile, elle invite les tribunaux à faire preuve de prudence, et à « hésiter à servir d’instruments de changement » ainsi que le rappelait le juge Beetz dans Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Education et autres ».

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[36] La LLO est au cœur du présent litige. Son objet est « d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales » (Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67 (CanLII) [Thibodeau] au para 9). Elle vise aussi à préciser les pouvoirs et obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles. En fait, « la LLO et ses règlements forment un régime légal complet qui régit toutes les questions qui ont trait aux droits linguistiques au sein des institutions fédérales » (Norton c Via Rail Canada Inc., 2009 CF 704 (CanLII) [Norton] au para 61).

[37] Les droits linguistiques constituent une pierre d’assise de la société canadienne, et la LLO s’affiche donc comme une loi fondamentale du pays, étroitement liée aux valeurs et aux droits prévus par la Constitution canadienne, et notamment par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte]. La Cour suprême du Canada lui a d’ailleurs reconnu un statut quasi-constitutionnel (Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII) [Lavigne] au para 25). Les droits linguistiques en jeu dans la présente affaire sont donc tous de source constitutionnelle.

[…]

[49] Les principes d’interprétation applicables aux droits linguistiques ne constituent pas un point litigieux dans le présent recours.

[50] Il est largement accepté que les droits linguistiques au Canada « visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l'anglais » et « doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle » (R c Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 RCS 768 [Beaulac] aux para 25, 41). Les droits linguistiques « constituent un genre bien connu de droits de la personne et devraient être abordés en conséquence » (R c Mercure, 1988 CanLII 107 (CSC), [1988] 1 RCS 234 à la p 268).

[51] Les tribunaux sont donc tenus d’interpréter la LLO, une loi quasi-constitutionnelle, de façon libérale et téléologique (DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8 (CanLII) [DesRochers] au para 31). Cela n’a toutefois pas pour effet de modifier l’approche traditionnelle d’interprétation des lois selon laquelle il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur (Thibodeau au para 112; Lavigne au para 25, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd, Toronto, Butterworths, 1983 à la p 87).

[52] Les objectifs de la LLO assistent aussi dans l’interprétation de celle-ci :[…]

[53] Dans Beaulac au para 24, la Cour suprême du Canada expliquait que l’article 2 de la LLO confirme que la LLO protège et vise une égalité réelle au niveau des droits linguistiques au Canada : […]

LaRoque c. Société Radio-Canada, 2009 CanLII 35736 (CS ON)

[3] De plus, l’importance fondamentale que représente pour le pays la nature biculturelle de sa naissance a été soulignée par la Loi sur les langues officielles qui accorde au français et à l’anglais un statut égal à titre de langues « officielles », statut privilégié par rapport à toute autre langue au pays dans les institutions fédérales. Cette Loi est le pivot du bilinguisme au Canada, de la qualité du pays qui, à mon avis, en vertu de son effet sur le caractère de son peuple, est une source profonde et intarissable de fierté et de force à l’échelle nationale et internationale.

[4] Une langue est plus que la somme de ses composantes, soit ses mots. Elle constitue le véhicule qui permet d’exprimer les idées, les pensées, l’histoire, les événements, les émotions et les perspectives. Elle représente une porte – ouverte en permanence – à la philosophie d’autrui, à la compréhension, à l’appui, à la tolérance, au développement et à la sécurité. La langue soutient le passé, le présent et l’avenir de l’identité culturelle de l’individu et de la communauté. On ne peut trop insister sur son importance fondamentale pour la survie de l’entité culturelle pour les communautés qui forment une population minoritaire dans la région où elles vivent.

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[41] La LLO est une loi fédérale dont l’objet est « d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales » (Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67 (CanLII) [Thibodeau CSC] au para 9). Elle vise aussi à préciser les pouvoirs et obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles, et à appuyer le développement des minorités francophones et anglophones au Canada. En fait, « la LLO et ses règlements forment un régime légal complet qui régit toutes les questions qui ont trait aux droits linguistiques au sein des institutions fédérales » (Norton c Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII) [Norton] au para 61).

[42] La LLO comporte plusieurs parties. Les parties I à VI de la loi établissent une série de droits linguistiques dans de nombreux contextes, dont : les débats et travaux parlementaires; les actes législatifs et autres; l’administration de la justice; les communications avec le public; et la langue de travail. Plus particulièrement, la partie IV porte sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix. Au sein de la partie IV, l’article 21 prévoit le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. L’article 22 impose aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les membres du public puissent communiquer avec leurs bureaux et recevoir des services de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles là où l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante. L’article 25 dispose que les institutions fédérales doivent veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues à une telle obligation. L’article 27 prévoit que les obligations des institutions fédérales en matière de communications et services dans les deux langues officielles valent également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache. Enfin, l’article 28 ajoute que les institutions fédérales doivent veiller à faire de l’offre active dans les deux langues officielles.

[…]

[46] Les droits linguistiques, il faut le souligner, constituent une pierre d’assise de la société canadienne. La LLO s’affiche comme une loi fondamentale du pays, étroitement liée aux valeurs et aux droits prévus par la Constitution canadienne, et notamment par la Charte. La Cour suprême lui a reconnu un statut quasi constitutionnel (Thibodeau CSC au para 12; DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8 (CanLII) [DesRochers CSC] au para 2; Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII) [Lavigne CSC] au para 25; R c Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 RCS 768 [Beaulac] au para 21). De nombreuses parties de la LLO ont d’ailleurs un ancrage constitutionnel, par exemple le paragraphe 20(1) de la Charte pour la langue de service et le paragraphe 16(1) pour la langue de travail. Le paragraphe 20(1) de la Charte se lit ainsi :

20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

20. (1) Any member of the public in Canada has the right to communicate with, and to receive available services from, any head or central office of an institution of the Parliament or government of Canada in English or French, and has the same right with respect to any other office of any such institution where

a) l’emploi du français ou de l'anglais fait l’objet d’une demande importante;

(a) there is a significant demand for communications with and services from that office in such language; or

b) l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.

(b) due to the nature of the office, it is reasonable that communications with and services from that office be available in both English and French.

 

[...]

[48] Les droits linguistiques au Canada « visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l'anglais » et ils « doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle » (Beaulac aux para 25, 41; DesRochers CSC au para 31). Les tribunaux sont donc tenus d’interpréter la LLO, une loi quasi constitutionnelle, de façon libérale et téléologique (DesRochers CSC au para 31; Air Canada c Thibodeau, 2012 CAF 246 (CanLII) [Thibodeau CAF] au para 12). Les droits linguistiques doivent ainsi bénéficier d’une interprétation large et libérale et ce, de manière à favoriser la survie et l’épanouissement des minorités de langue officielle au Canada (DesRochers CSC au para 31; Beaulac au para 25). Dans le Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 RCS 721 à la p 744, la Cour suprême, à l’unanimité, expliquait ainsi le rôle que jouent les droits linguistiques au sein de la société canadienne :

[…] L’importance des droits en matière linguistique est fondée sur le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et la dignité de l'être humain. C’est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous. Le langage constitue le pont entre l’isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu’ils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en société.

[49] Dans l’arrêt Beaulac, au paragraphe 24, la Cour suprême a de plus consacré le principe directeur selon lequel la LLO protège et vise une égalité réelle au niveau des droits linguistiques au Canada:

Ce principe d’égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État […]. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement.

[50] Par conséquent, depuis l’arrêt Beaulac, « l’interprétation stricte des droits linguistiques a été écartée en faveur d’une approche téléologique fondée sur le principe de l’égalité réelle » (Canada (Procureur général) c Shakov, 2017 CAF 250 (CanLII) [Shakov] au para 116 (motifs dissidents, mais non sur ce point); DesRochers CSC au para 31; Lavigne CSC au para 22). Les obstacles administratifs ne peuvent donc pas servir d’excuses pour justifier le défaut d’offrir des services dans la langue de la minorité. En effet, « une demande de service dans la langue de la minorité de langue officielle ne doit pas être traitée comme s’il y avait une langue officielle principale et une obligation d’accommodement en ce qui concerne l’emploi de l’autre langue officielle » (Beaulac au para 39). Plus précisément, les dispositions prévues à la partie IV de la LLO doivent être interprétées d’une façon qui soit compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada : « [l]’égalité réelle, par opposition à l’égalité formelle, doit être la norme et l’exercice des droits linguistiques ne doit pas être considéré comme une demande d’accommodement » (DesRochers CSC au para 31).

[51] Tant les droits et obligations de fond prévus à la LLO que les mécanismes procéduraux entourant les droits linguistiques doivent être interprétés de façon large et libérale. C’est le cas pour le paragraphe 77(2) de la LLO (Dionne c Canada (Procureur général), 2015 CF 862 au para 17). Dans le même esprit, le paragraphe 77(4) de la LLO, qui confère un vaste pouvoir de réparation aux tribunaux, doit « recevoir une interprétation généreuse afin que se réalise son objet » (Thibodeau CSC au para 112). Cette approche est conforme avec la vision selon laquelle les droits linguistiques doivent être interprétés « comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent », ce qui est uniquement réalisable si les mécanismes procéduraux bénéficient de cette approche large et libérale (Beaulac au para 25).

[52] Cela ne signifie cependant pas que les règles d’interprétation législative ordinaires n’ont plus leur place lorsqu’il s’agit d’interpréter la LLO (Thibodeau CSC au para 112; Charlebois c Saint John (Ville), 2005 CSC 74 (CanLII) [Charlebois] au para 23; Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 (CanLII) [Bell ExpressVu] au para 62). Tout au contraire, l’approche moderne d’interprétation des lois, selon laquelle il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur, continue toujours de s’appliquer même en matière de droits linguistiques (Caron c Alberta, 2015 CSC 56 (CanLII) au para 38; Thibodeau CSC au para 112; Lavigne CSC au para 25, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2nd ed, Toronto, Butterworths, 1983 à la p 87; voir aussi, au sujet de l’approche moderne d’interprétation des lois, Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50 (CanLII) au para 23 et Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 RCS 27 [Rizzo] au para 21).

[…]

[84] Je suis bien conscient que les droits linguistiques doivent bénéficier d’une interprétation large et libérale susceptible de favoriser l’épanouissement et le développement des minorités de langue officielle au Canada. Mais cette interprétation large et libérale n’autorise pas la Cour à sortir du texte de la LLO, ou à s’écarter de la règle du stare decisis. Je m’attarde un instant à cette règle, considérant les propos tout récents de la Cour suprême à ce sujet dans l’affaire R c Comeau, 2018 CSC 15 (CanLII) [Comeau] et le fait que j’y référerai aussi plus loin dans les présents motifs. Suivant la règle du stare decisis dit vertical, « une juridiction inférieure est liée par les conclusions de droit particulières tirées par une juridiction supérieure susceptible d’être saisie, directement ou indirectement, de l’appel de ses décisions » (Tuccaro c Canada, 2014 CAF 184 (CanLII) au para 18). Cette règle est un principe fondamental de notre système juridique, auquel les tribunaux de première instance doivent adhérer. La Cour suprême l’a rappelé avec vigueur dans l’affaire Comeau, où elle s’exprimait ainsi au paragraphe 26 :

Les tribunaux de common law sont liés par les précédents faisant autorité. Ce principe — celui du stare decisis — est fondamental pour assurer la certitude du droit. Sous réserve d’exceptions extraordinaires, une juridiction inférieure doit appliquer les décisions des juridictions supérieures aux faits dont elle est saisie. C’est ce qu’on appelle le stare decisis vertical. Sans ce fondement, le droit fluctuerait continuellement, selon les caprices des juges ou les nouveaux éléments de preuve ésotériques produits par des plaideurs insatisfaits du statu quo.

[…]

[182] Les droits linguistiques doivent bénéficier d’une interprétation large et libérale susceptible de favoriser la survie et l’épanouissement des minorités de langue officielle au Canada, mais cette interprétation généreuse ne permet pas à la Cour de sortir du texte de la LLO et d’ignorer ce que le partage constitutionnel des compétences entre le Parlement et les provinces autorise.

[…]

[239] Un dernier mot sur l’objet de la loi. L’article 41 de la LLO fait état d’un « engagement » du gouvernement fédéral, soit celui de contribuer à la vitalité et l’épanouissement des CLOSM et à la promotion des deux langues officielles au Canada. Cet engagement reprend les grandes lignes d’un des attendus contenus au préambule de la loi et fait aussi écho à l’objet même de la LLO contenu à son article 2b). De plus, la partie VII de la LLO, qui s’intitule « Promotion du français et de l’anglais », a pour fondement les paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte, car elle a pour effet de codifier l’obligation du gouvernement fédéral de veiller au développement des communautés de langues officielles.

[…]

[256] Bref, comme l’ont plaidé les avocats des défendeurs, les tribunaux doivent toujours interpréter le texte de la loi en fonction des mots utilisés et dans son contexte global, incluant son historique, sa logique interne et son contexte législatif, et ils ne peuvent faire dire au texte de loi ce qu’il ne dit pas (R v DAI, 2012 SCC 5 (CanLII) [DAI] aux para 25, 49). Ils ne peuvent étendre une disposition au-delà des mots employés par le législateur et de la volonté législative exprimée, et se trouver à « [introduire] dans la disposition une condition que le législateur n’y a pas énoncée » (DAI au para 26).

[257] Cela demeure vrai en matière de droits linguistiques. L’interprétation large et libérale préconisée en matière linguistique ne doit pas faire fi des règles d'interprétation reconnues (Thibodeau CSC au para 112; Charlebois aux para 23-24; Desrochers CAF au para 41). Comme l’a souligné le juge Décary dans Forum des maires, « ce n’est pas parce qu’une loi est qualifiée de quasi-constitutionnelle que les tribunaux doivent lui faire dire ce qu’elle ne dit pas » (Forum des maires au para 40). Certes, les tribunaux doivent toujours considérer le régime légal comme une « solution de droit » et l’interpréter « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, art 12). Ceci signifie, bien évidemment, que, dans le contexte de la LLO, les droits linguistiques doivent toujours recevoir une interprétation large et libérale, compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada (Beaulac au para 25; FCFA au para 26). Mais une interprétation large et libérale des droits linguistiques ne peut transformer une obligation générale d’agir en une série de prescriptions ciblées alors que le législateur ne l’a pas dit et n’avait pas l’intention de le dire, et qu’il a spécifiquement réservé au pouvoir exécutif le droit et le devoir de le faire. Ce serait ignorer la retenue pour laquelle le législateur a clairement opté à la partie VII, et imposer aux institutions fédérales des obligations linguistiques que les pouvoirs législatif et exécutif se sont jusqu’à maintenant gardés d’exiger d’elles.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Doucet c. Canada, [2005] 1 RCF 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[79] Il m'apparaît clair également qu'un accès égal aux services dans les deux langues officielles signifie justement un traitement égal. Pour les fins de la minorité francophone qui circule dans la région d'Amherst, le protocole mis en place par la GRC et décrit par le sergent-major Hastey me paraît tout à fait insatisfaisant. Un automobiliste ne devrait pas avoir à se déplacer ni à communiquer par téléphone ou par radio lorsqu'il souhaite s'adresser en français à un membre de la GRC. Un service qui laisse à désirer ne répond absolument pas aux objectifs de la LLO énoncés à son article 2, et va à l'encontre de l'article 16 de la Charte qui reconnaît l'égalité des deux langues officielles.

Rogers c. Canada (Service correctionnel), [2001] 2 RCF 586, 2001 CanLII 22031 (CF)

[59] Bien que la Loi n'affirme pas que le rapport du commissaire lie le tribunal, il constitue sans aucun doute un élément de preuve qui doit être pris en considération dans le cadre d'une demande de réparation en application de la Loi. La Loi autorise expressément le commissaire aux langues officielles à exercer un contrôle sur la protection des droits linguistiques. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373, à la page 386, a décrit comme suit le statut « quasi constitutionnel » de cette Loi : […]

[60] À mon avis, la nature quasi constitutionnelle de la Loi signifie que le rapport du commissaire, après l'enquête, peut être accepté en tant que preuve d'un manquement à la Loi. La défenderesse n'a pas sérieusement contesté les conclusions du Commissariat. En conséquence, je confirme les conclusions du Commissariat selon lesquelles le poste en question aurait dû avoir un mode de dotation « bilingue à nomination non impérative » et un profil linguistique CBC. En outre, j'estime que la désignation erronée du poste a contrevenu aux droits linguistiques du demandeur.

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF)

[128] Selon le raisonnement axé sur l'objet retenu dans l'arrêt Beaulac c. La Reine, précité, l'article 2 de la Loi sur les langues officielles constitue le point de départ de l'analyse à effectuer. Cet article exprime en termes forts et étoffés l'objet de la Loi, et notamment l'égalité de statut et l'égalité des droits et privilèges quant à l'usage du français et de l'anglais « ... dans les institutions fédérales... en ce qui touche... les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions. » L'article 2 confirme donc l'égalité réelle des droits linguistiques reconnus dans cette loi. Comme l'indique l'arrêt Beaulac c. La Reine, précité, à la page 791, le principe de l'égalité réelle a une signification et signifie notamment que les droits linguistiques institutionnels « ... exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en oeuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l'État...".

Voir également :

Thibodeau c. Air Canada, [2014] 3 R.C.S. 340, 2014 CSC 67 (CanLII)

Thorson c. Procureur Général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, 1974 CanLII 6 (CSC)

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) (C.A.F.), [1992] 3 C.F. 287 [hyperlien non disponible]

Paulin-Kaïré c. Canada, 2004 CF 296 (CanLII)

Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice), 2001 CFPI 239 (CanLII)

 

Définitions

3. (1) Définitions

3. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« commissaire »  Le commissaire aux langues officielles nommé au titre de l'article 49. (Commissioner)

« institutions fédérales »  Les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada, dont le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique et le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, le Service de protection parlementaire, les tribunaux fédéraux, tout organisme - bureau, commission, conseil, office ou autre - chargé de fonctions administratives sous le régime d'une loi fédérale ou en vertu des attributions du gouverneur en conseil, les ministères fédéraux, les sociétés d'État créées sous le régime d'une loi fédérale et tout autre organisme désigné par la loi à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada ou placé sous la tutelle du gouverneur en conseil ou d'un ministre fédéral.  Ne sont pas visés les institutions de l’Assemblée législative du Yukon, de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest ou de l’Assemblée législative du Nunavut ou celles de l’administration de chacun de ces territoires, ni les organismes — bande indienne, conseil de bande ou autres — chargés de l’administration d’une bande indienne ou d’autres groupes de peuples autochtones. (federal institution)

« ministère » Ministère au sens de l'article 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques. (department)

« région de la capitale nationale » La région de la capitale nationale au sens de l'annexe de la Loi sur la capitale nationale. (National Capital Region)

« sociétés d'État »  Les personnes morales tenues de rendre compte au Parlement de leurs activités par l'intermédiaire d'un ministre, ainsi que les sociétés d'État mères - et leurs filiales à cent pour cent - au sens de l'article 83 de la Loi sur la gestion des finances publiques. (Crown corporation)

3. (2) Définition de « tribunal »

3. (2) Pour l'application du présent article et des parties II et III, est un tribunal fédéral tout organisme créé sous le régime d'une loi fédérale pour rendre la justice.

Annotations – Définition d’ « institution fédérale »

Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada, [2008] 1 R.C.S. 383, 2008 CSC 15 (CanLII)

[14] La GRC, qui est constituée aux termes de l’art. 3 de la LGRC [Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R10], a pour mandat de voir à l’application des lois fédérales partout au Canada. Il ne fait aucun doute que la GRC demeure en tout temps une institution fédérale. Ce principe a été confirmé dans R. c. Doucet (2003), 222 N.S.R. (2d) 1, 2003 NSSCF 256, de même que dans Doucet c. Canada, où l’on a conclu que la GRC conserve le statut d’institution fédérale lorsqu’elle agit en vertu d’un contrat avec une province.  La GRC ne peut donc pas se soustraire aux responsabilités linguistiques découlant du par. 20(1) de la Charte lorsqu’elle joue le rôle de service de police provincial. C’est d’ailleurs ce que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont reconnu dans la présente affaire. Cependant, en vertu de l’art. 20 de sa loi constitutive, la GRC peut également se voir confier la responsabilité d’administrer la justice et d’assurer le respect des lois dans des ressorts provinciaux ou municipaux. Donc, le fait que la GRC soit et demeure de par sa nature et sa constitution une institution fédérale ne répond pas à la question posée à notre Cour.

3.2 L’obligation institutionnelle

[15] Le paragraphe 20(1) de la LGRC permet à la GRC de conclure des ententes avec les provinces et d’y faire respecter les lois qui y sont en vigueur. Ceci n’est pas contesté. Assurer l’application des lois provinciales suppose bien entendu que cela se fasse dans le respect de la Constitution; rien ne permet de penser que l’intention du législateur ait pu être différente dans le présent cas. Est-ce que cela soulève un problème du fait que la GRC est une institution fédérale? Je ne le pense pas.

[…]

[19] La GRC n’agit pas comme institution fédérale distincte pour l’administration de la justice au Nouveau-Brunswick; elle assume par contrat les obligations qui sont reliées à la fonction de service de police. Cette fonction est précisée dans les lois provinciales. La GRC exerce donc au Nouveau-Brunswick un pouvoir d’origine législative — qui découle non seulement de la législation fédérale, mais aussi des lois du Nouveau-Brunswick — par le truchement de ses membres qui travaillent sous l’autorité du gouvernement du Nouveau-Brunswick.

Commissaire des Territoires du Nord-Ouest c. Canada, [2001] 3 RCF 641, 2001 CAF 220 (CanLII)

[26] Le paragraphe 3(1) de la Loi sur les langues officielles (L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.)) et l’article 3 de la Loi sur le multiculturalisme canadien (L.R.C. 1985, ch. 24 (4e suppl.)) précisent que l’expression “institutions fédérales” ne comprend pas, pour les fins d’application de ces lois, “les institutions du conseil ou de l’administration [...] des Territoires du Nord-Ouest”.  Le paragraphe 7(3) de la Loi sur les langues officielles énonce, par ailleurs, que les ordonnances des Territoires et les actes en découlant ne sont pas sujets aux exigences de bilinguisme qui s’appliquent aux actes pris dans l’exercice d’un pouvoir législatif par le gouverneur en conseil ou par un ministre fédéral.

Doucet c. Canada, [2005] 1 RCF 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[34] Il est admis par les parties dans la présente affaire que la GRC, lorsqu'elle patrouille les routes de la Nouvelle-Écosse ou qu'elle répond à un appel d'un citoyen, est une institution fédérale qui offre des services au public. Les parties admettent également qu'à ce titre, elle est liée par les dispositions de la LLO et de la Charte sur le droit des Canadiens et Canadiennes, et du public en général, de communiquer avec les institutions fédérales et de recevoir des services dans l'une des deux langues officielles, selon leur choix.

[35] Le fait que la GRC exerce les fonctions d'un service policier en Nouvelle-Écosse en vertu d'un contrat conclu avec la province ne change en rien son statut d'institution fédérale. […]

R. c. Doucet, 2003 NSSC 256 (CanLII)

[29] Que la G.R.C. soit une institution du Parlement ou du gouvernement du Canada n’est aucunement remis en question. Elle est constituée en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, chap. R-10. La G.R.C. est une force policière nationale. Est-ce que la G.R.C. perd son statut fédéral quand elle remplit toutes les fonctions des agents de la paix sous contrat avec une province ou quand elle fait  respecter les lois provinciales? Dans cette province, la G.R.C. fait respecter toutes les lois, fédérales ou autres, dans les circonscriptions où elle est embauchée à contrat par le gouvernement provincial. Le juge de première instance a conclu que “l’acte de signifier le billet (d’excès de vitesse) n’était pas dans cette circonstance une activité de l’état fédéral.” Il n’y a aucun doute que les membres de la G.R.C. sont mandatés de faire respecter les lois provinciales aussi que les lois fédérales. L’article 18 de la Loi sur la G.R.C. stipule:

18. Sous réserve des ordres du commissaire, les membres qui ont qualité d’agent de la paix sont tenus:

a) de remplir toutes les fonctions des agents de la paix, en ce qui concerne le maintien de la paix, la prévention du crime et des infractions aux lois fédérales et à celles en vigueur dans la province où ils peuvent être employés, ainsi que l’arrestation des criminels, des contrevenants et des autres personnes pouvant être légalement mises sous garde;

b) d’exécuter tous les mandats – ainsi que les obligations et services s’y rattachant – qui peuvent, aux termes de la présente loi, des autres lois fédérales ou de celles en vigueur dans une province, légalement l’être par des agents de la paix”;

(soulignés ajoutés)

[31] À mon avis, les membres de la G.R.C. ne perdent pas leur statut fédéral quand ils agissent sous contrat avec une province ou qu’ils font respecter les lois provinciales. C’est leur mandat en vertu de la loi sur la G.R.C. et ils ne font que le remplir. Donc, c’est encore un service d’une institution fédérale. Le paragraphe 20 (1) de la Loi sur la G.R.C. supporte cette conclusion:

20 (1) “Avec l’agrément du gouverneur en conseil, le ministre peut conclure, avec le gouvernement d’une province, des arrangements pour l’utilisation de la gendarmerie, ou d’un élément de celle-ci, en vue de l’administration de la justice dans la province et de mise en œuvre des lois qui y sont en vigueur.”

[32] À mon avis, un contrat avec une province ne change rien à l’égard du statut de la G.R.C. Elle demeure une institution fédérale. Juger autrement permettrait à la G.R.C. d’éviter ses obligations linguistiques envers les citoyens, telles que garanties par la Charte. Cela ne s’accorderait certainement pas avec l’objet des droits linguistiques constitutionnels. Le juge Bastarache s’est prononcé sur cette question dans R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768 quand il stipule au paragraphe 25:

“Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, a la p. 850.”

[33] Il n’est pas permis aux institutions fédérales d’éviter leurs responsabilités linguistiques constitutionnelles par l’entremise de contrats ou d’autres arrangements qui transfèrent ou délèguent certaines de leurs fonctions. […]

À mon avis, le paragraphe 20(1) de la Charte s’applique en l’espèce. Juger autrement pourrait avoir l’effet illogique qu’un accusé aurait des droits linguistiques constitutionnels s’il est arrêté pour une infraction fédérale alors qu’il n’en aurait pas s’il est au même moment arrêté pour une infraction provinciale. Les gestes de la G.R.C., agissant comme agence de police en faisant respecter des lois provinciales, sont des gestes d’une institution fédérale, sous contrat avec une province ou non, et les exigences du paragraphe 20 (1) de la Charte s’y appliquent. La G.R.C. a un protocole pour fournir des services dans les deux langues officielles si un besoin se présente, même sur les routes.

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [2002] 2 RCF 165, 2001 CFPI 1365 (CanLII)

[63] Le demandeur fonde sa demande de réparation sur la Partie X de la LLO. La Section de première instance de la Cour fédérale est le tribunal désigné pour accorder réparation en vertu de la LLO, mais cette réparation ne peut être accordée, aux termes du paragraphe 77(4) de cette Loi, que si la Cour conclut qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la LLO. L'expression "institution fédérale", est définie à l'article 3 de la LLO. Les deux défendeurs québécois, soit la ministre d'État du Travail et de l'Emploi du Québec et la procureure générale du Québec ne sont pas des institutions fédérales, en raison de la compétence constitutionnelle limitée du Canada (comme de celle du Québec d'ailleurs) en matière de langue comme en a décidé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182. 

Voir également :

Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308 (CanLII)

Quigley c. Canada (Chambre des communes), [2003] 1 RCF 132, 2002 CFPI 645 (CanLII)

Annotations – Définition de « tribunal fédéral »

DesRochers c. Canada (Industrie), [2009] 1 R.C.S. 194, 2009 CSC 8 (CanLII)

[35] Même si la plainte déposée devant le commissaire [aux langues officielles du Canada] et l’enquête qui suit sont à l’origine du recours, il est important de préciser que le commissaire n’est pas un tribunal aux fins d’application de la LLO et que le recours prévu à l’art. 77 n’est pas une demande de révision judiciaire. 

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[16] La commissaire [aux langues officielles], il est important de le rappeler, n'est pas un tribunal. Elle ne rend pas de décision proprement dite; elle reçoit des plaintes, elle mène une enquête, puis elle fait un rapport qu'elle peut assortir de recommandations (paragraphes 63(1), (3)). Si l'institution fédérale concernée ne donne pas suite au rapport ou aux recommandations, la commissaire peut s'en plaindre au gouverneur en conseil (paragraphe 65(1)) et, si ce dernier ne donne pas suite non plus, la commissaire peut s'en plaindre au Parlement (paragraphe 65(3)). Le remède, à ce niveau, est politique.

Devinat c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 RCF 212, 1999 CanLII 9386 (CAF)

[22] Il ne fait aucun doute que la Commission [de l’immigration et du statut de réfugié] est un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la LCF [Loi sur la Cour fédérale]. Cet "office fédéral" est également soumis à la LLO et aux prescriptions de cette loi puisqu'il est un "tribunal fédéral" au sens du paragraphe 3(2) et de l'article 20 de la LLO. Le paragraphe 3(2) définit un "tribunal fédéral" comme étant "tout organisme créé sous le régime d'une loi fédérale pour rendre la justice". Reste à déterminer si le recours intenté par l'appelant est exclu par la partie X de la LLO, comme le prétend l'intimée.

[…]

[53] Il est admis par chacune des parties que la LLO s'applique à l'intimée puisqu'elle est un "tribunal fédéral" au sens du paragraphe 3(2) de la LLO.

Belair c. Canada (Soliciteur Général), 2000 CanLII 14967 (CF)

[7] L’article 3 de la Loi précise qu’un tribunal fédéral est un "organisme créé sous le régime d’une loi fédérale pour rendre la justice." Or, on ne met pas en question que le tribunal disciplinaire des détenus est crée sous le régime d’une loi fédérale, soit la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté conditionnelle.

[8] La seule question est de savoir si ce tribunal "rend justice" ou "carries out adjudicative functions" ce qui est la phrase qui parait dans la version anglaise de la loi.

[9] Serait-ce la première fois que la question se posait, je serais persuadé que le tribunal disciplinaire rend justice et ce à cause des conséquences que la décision du tribunal entraîne pour les détenus soit une amende, conditions restrictives etc.

[10] Mais la Cour suprême et la Cour d’appel fédérale ont décidé que ce type de tribunal est un tribunal administratif et donc n’est pas un tribunal qui rend justice. Je cite les arrêts Martineau c. Comité de discipline de l’institution Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118 (Martineau #1), [1980] 1 R.C.S. 602 (Martineau #2) et Hanna c. Établissement de Mission [1995] A.C.F. No. 1370 No. 1370 (C.A.F.) […].

[13] Donc le tribunal disciplinaire n’est pas un tribunal qui rend justice au sens de la Loi sur les langues officielles et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

Voir également :

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308 (CanLII)

Devinat c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 RCF 212, 1999 CanLII 9386 (CAF)

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes, 2012 CF 110 (CanLII)

Pelaez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 356 (CanLII)

Parasiuk c. Québec (Tribunal administratif), 2004 CanLII 16530 (CS QC) 

Taire c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l'immigration), 2003 CF 877 (CanLII)

Syndicat des débardeurs, Section locale 375 c. Association des employeurs maritimes, [1993] T.A. 79 (TAQ) [hyperlien non disponible]

 

Partie I – Débat et travaux parlementaires

4. (1) Langues officielles du Parlement

4. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Parlement; chacun a le droit d'employer l'une ou l'autre dans les débats et travaux du Parlement.

4. (2) Interprétation simultanée

4. (2) Il doit être pourvu à l'interprétation simultanée des débats et autres travaux du Parlement.

4. (3) Journal des débats

4. (3) Les comptes rendus des débats et d'autres comptes rendus des travaux du Parlement comportent la transcription des propos tenus dans une langue officielle et leur traduction dans l'autre langue officielle.

Annotations

Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308 (CanLII)

[9] Le Comité [permanent de la Chambre des communes sur le patrimoine canadien]  a bien respecté le droit de M. Knopf de s’adresser à ses membres dans la langue de son choix. La juge de première instance a correctement conclu que le Comité, lorsqu’il avait décidé de ne pas diffuser les documents envoyés par l’appelant, n’avait pas porté atteinte aux droits linguistiques de M. Knopf énoncés dans l’article 4 de la Loi.

[…]

[38] Le paragraphe 4(1) de la Loi reprend le droit qui a d’abord été consacré par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et proclamé à nouveau par le paragraphe 17(1) de la Charte. Aux termes de ces trois dispositions, toute personne qui participe aux travaux parlementaires a le droit d’« employer » (to use) l’anglais ou le français. Le paragraphe 4(1) de la Loi et le paragraphe 17(1) de la Charte créent un régime d’unilinguisme au choix de l’intéressé, qui ne peut être contraint par le Parlement à s’exprimer, oralement ou par écrit, dans une langue autre que celle qu’il choisit (voir MacDonald c. Ville de Montréal et autres, [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 483).

[39] Cependant, dans d’autres dispositions relatives aux droits linguistiques, comme le paragraphe 20(1) de la Charte et l’article 25 de la Loi, le législateur a opté pour le terme « communiquer » (to communicate). Je suis d’avis que cela était délibéré.

[40] Le terme « communiquer » suppose une interaction, des actions bilatérales entre les parties. Le verbe « employer » n’englobe pas une telle interaction. Ce droit est unilatéral : on a le droit de s’adresser à la Chambre des communes dans la langue officielle de son choix. En l’espèce, M. Knopf a fait connaître son opinion sur des sujets précis intéressant le Comité et il a déposé ses documents. Là s’arrête le droit qu’il peut invoquer en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi.

[41] À mon sens, le paragraphe 4(1) de la Loi n’oblige pas le Comité à diffuser à ses membres des documents dans une des langues officielles. Selon le paragraphe 4(1) de la Loi, l’appelant a seulement le droit de s’adresser au Comité dans la langue de son choix. Lorsque ce droit a été exercé, cette disposition n’oblige pas le Comité à agir de telle ou telle manière relativement aux renseignements qui lui ont été présentés verbalement ou par écrit.

[42] La juge Layden-Stevenson a correctement conclu que la diffusion de documents n’était pas visée par le paragraphe 4(1) de la Loi. Le droit d’employer la langue officielle de son choix ne comprend pas le droit d’imposer au Comité la diffusion immédiate et la lecture de documents déposés par le témoin à l’appui de sa déposition. C’est bien évidemment au Comité qu’il revient de décider quoi faire des renseignements présentés par le témoin, et à quel moment. Je conclus donc qu’il n’y a pas eu atteinte aux droits linguistiques de l’appelant.

 

Voir également :

Quigley c. Canada (Chambre des communes), [2003] 1 RCF 132, 2002 CFPI 645 (CanLII)

 

Partie II – Actes législatifs et autres

5. Documents parlementaires

5. Les archives, comptes rendus et procès-verbaux du Parlement sont tenus, imprimés et publiés dans les deux langues officielles.     

 

6. Lois fédérales

6. Les lois du Parlement sont adoptées, imprimées et publiées dans les deux langues officielles.  

 

7. (1) Textes d'application

7. (1) Sont établis dans les deux langues officielles les actes pris, dans l'exercice d'un pouvoir législatif conféré sous le régime d'une loi fédérale, soit par le gouverneur en conseil ou par un ou plusieurs ministres fédéraux, soit avec leur agrément, les actes astreints, sous le régime d'une loi fédérale, à l'obligation de  publication dans la Gazette du Canada, ainsi que les actes de nature publique et générale.  Leur impression et leur publication éventuelles se font dans les deux langues officielles.

7. (2) Prérogative

7. (2) Les actes qui procèdent de la prérogative ou de tout autre pouvoir exécutif et sont de nature publique et générale sont établis dans les deux langues officielles.  Leur impression et leur publication éventuelles se font dans ces deux langues.

7. (3) Exceptions

7. (3) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux textes suivants du seul fait qu'ils sont d'intérêt général et public :

a) les lois de la Législature du Yukon, de la Législature des Territoires du Nord-Ouest ou de la Législature du Nunavut, ainsi que les actes découlant de ces lois;

b) les actes pris par les organismes - bande indienne, conseil de bande ou autres - chargés de l'administration d'une bande indienne ou d'autres groupes de peuples autochtones.

Annotations – Paragraphe 7(1)

Picard c. Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86 (CanLII)

[28] À mon avis, un brevet ne satisfait pas au critère formel développé par la Cour suprême dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, ci-dessus mentionné, à la p. 224, car il n’est ni adopté par le gouvernement ni soumis à l’approbation de celui-ci, et aucune action positive du gouvernement n’est nécessaire pour lui insuffler la vie. La Cour suprême a déterminé que l’exigence du bilinguisme s’applique aux actes dont on peut dire « qu’une action positive du gouvernement est nécessaire pour leur insuffler la vie » dans l’arrêt Blaikie, ci-dessus mentionné, à la p. 329. À la lecture de cet arrêt, il est clair qu’en parlant du « gouvernement », la Cour suprême faisait référence au cabinet, et non à l’ensemble de la branche exécutive (voir notamment les pp. 319-21). Or, aucune « action positive » du cabinet fédéral n’est nécessaire pour « insuffler la vie » à un brevet. Celui-ci est effectif dès sa délivrance par le Commissaire.

[29] Un brevet ne satisfait pas non plus au critère relatif au contenu parce qu’il n’a pas « force » de loi, dans le sens où la Cour suprême utilise cette expression, puisqu’il n’est pas une règle unilatérale. Le texte d’un brevet est proposé par l’inventeur. Le Commissaire ne peut ni créer un brevet de son propre chef ni même modifier le moindre mot dans une demande de brevet.

[30] L’exigence qu’un acte soit « pris dans l’exercice d’un pouvoir législatif » est essentielle pour que le paragraphe 7(1) de la Loi sur les langues officielles trouve son application. Les brevets n’y satisfont pas, et cette disposition est donc inapplicable en l’espèce. 

Voir également :

R. c. Saulnier (1989), 90 N.S.R. (2d) 77 (Co. Ct.) [décision disponible en anglais seulement] [hyperlien non disponible]

Annotations – Paragraphe 7(2)

Picard c. Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86 (CanLII)

[31] Quant à l’argument du demandeur concernant le paragraphe 7(2) de la Loi sur les langues officielles, lequel rend obligatoire la publication dans les deux langues officielles « [l]es actes qui procèdent de la prérogative ou de tout autre pouvoir exécutif et sont de nature publique et générale », il ne peut, non plus, être retenu. Il est vrai que l’origine des brevets, en droit anglais, « rests in the royal prerogative of granting letters patent » (Adam Mossoff, « Rethinking the Development of Patents: An Intellectual History, 1550-1800 », 52 Hastings L.J. 1255 à la p. 1259), et qu’un brevet était donc, au départ, un « acte qui procède de la prérogative ».

[32] Toutefois, les règles relatives à la prérogative de la couronne ne sont que des règles de common law, susceptibles d’être déplacées par la législation. Donc, dès qu’une loi occupe un champ autrefois laissé à la prérogative royale, c’est de cette loi que procède le pouvoir de l’exécutif de faire ce qu’autorisait auparavant la prérogative. La Loi sur les brevets crée un régime législatif complet qui remplace, au Canada, la prérogative royale d’accorder un brevet pour une invention. Ainsi, le paragraphe 7(2) de la Loi sur les langues officielles ne s’applique pas aux brevets. 

Voir également :

R. v. Layne, 1998 CanLII 6325 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

Annotations – Paragraphe 7(3)

Commissaire des Territoires du Nord-Ouest c. Canada, [2001] 3 RCF 641, 2001 CAF 220 (CanLII)

[26] Le paragraphe 3(1) de la Loi sur les langues officielles (L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.)) et l’article 3 de la Loi sur le multiculturalisme canadien (L.R.C. 1985, ch. 24 (4e suppl.)) précisent que l’expression “institutions fédérales” ne comprend pas, pour les fins d’application de ces lois, “les institutions du conseil ou de l’administration [...] des Territoires du Nord-Ouest”.  Le paragraphe 7(3) de la Loi sur les langues officielles énonce, par ailleurs, que les ordonnances des Territoires et les actes en découlant ne sont pas sujets aux exigences de bilinguisme qui s’appliquent aux actes pris dans l’exercice d’un pouvoir législatif par le gouverneur en conseil ou par un ministre fédéral.

 

8. Dépôt des documents

8. Les documents qui émanent d'une institution fédérale et qui sont déposés au Sénat ou à la Chambre des communes par le gouvernement fédéral le sont dans les deux langues officielles.  

Voir également :

Motard c. Canada (Procureure générale), 2016 QCCS 588 (CanLII)

 

9. Textes de procédures

9. Les textes régissant la procédure et la pratique des tribunaux fédéraux sont établis, imprimés et publiés dans les deux langues officielles.   

 

10. (1) Traités

10. (1) Le gouvernement fédéral prend toutes les mesures voulues pour veiller à ce que les traités et conventions intervenus entre le Canada et tout autre État soient authentifiés dans les deux langues officielles.

10. (2) Accords fédéro-provinciaux

10. (2) Il incombe au gouvernement fédéral de veiller à ce que les textes fédéro-provinciaux suivants soient établis, les deux versions ayant même valeur, dans les deux langues officielles :

a) les accords dont la prise d'effet relève du Parlement ou du gouverneur en conseil;

b) les accords conclus avec une ou plusieurs provinces lorsque l'une d'entre elles a comme langues officielles déclarées le français et l'anglais ou demande que le texte soit établi en français et en anglais;

c) les accords conclus avec plusieurs provinces dont les gouvernements n'utilisent pas la même langue officielle.

10. (3) Règlements

10. (3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, fixer les circonstances dans lesquelles les catégories d'accords qui y sont mentionnées - avec les provinces ou d'autres États -  sont à établir ou à rendre publics dans les deux langues officielles lors de leur signature ou de leur publication, ou, sur demande, à traduire.

Annotations

Wolf c. Canada, [2002] 4 RCF 396, 2002 CAF 96 (CanLII)

[99] Comme l’exige le paragraphe 10(1) de la Loi sur les langues officielles  (L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.)), le gouvernement du Canada a veillé à ce que la convention [entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune] soit « authentifié[e] dans les deux langues officielles » du Canada. L’avant-dernier paragraphe de la convention déclare expressément : « fait en langues française et anglaise, les deux textes faisant également foi ». La règle d’interprétation applicable est donc celle qui avait été exprimée plus d’un siècle auparavant par J.B. Moore, A treatise on extradition and interstate rendition, Boston, Boston Books Co., 1891, vol. 1, n° 88, page100 :

[TRADUCTION]

Lorsqu’un traité est rédigé en deux langues ou plus, celles des parties contractantes respectives, chaque texte est considéré comme un original et est censé transmettre le même sens que l’autre.

(Voir Beaupré, Interprétation de la législation bilingue, Montréal, Wilson-Lafleur, 1986, aux pages 94 et suivantes; P.G.C. c. Mekies et P.G. du Québec, [1977] C.A. 352 (C.A. Québec)).

 

11. (1) Avis et annonces

11. (1) Les textes - notamment les avis et annonces - que les institutions fédérales doivent ou peuvent, sous le régime d'une loi fédérale, publier, ou faire publier, et qui sont principalement destinés au public doivent, là où cela est possible, paraître dans des publications qui sont largement diffusées dans chacune des régions visées, la version française dans au moins une publication d'expression principalement française et son pendant anglais dans au moins une publication d'expression principalement anglaise.  En l'absence de telles publications, ils doivent paraître dans les deux langues officielles dans au moins une publication qui est largement diffusée dans la région.

11. (2) Importance

11. (2) Il est donné dans ces textes égale importance aux deux langues officielles.

Voir également :

R. c. Saulnier (1989), 90 N.S.R. (2d) 77 (Co. Ct.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

 

12. Actes destinés au public

12. Les actes qui s'adressent au public et qui sont censés émaner d'une institution fédérale sont établis ou délivrés dans les deux langues officielles.     

Annotations

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[278] Comme ni le terme « gouvernement » ni le terme « législature » ne sont synonymes  d’« Assemblée législative », et comme le Journal des débats est une publication sous l’autorité du président, il s’ensuit que le Journal des débats n’est pas visé par l’article 8 de la LLO [des Territoires du Nord-Ouest].

[279] Les dispositions correspondantes de la LLOC [Loi sur les langues officielles du Canada] et de la LLONB [Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick] diffèrent de la LLO. L’article 12 de la LLOC renvoie aux actes censés émaner d’une « institution fédérale ». Pour sa part, la LLONB contient deux dispositions similaires qui sont toutes deux libellées de façon plus générale que les dispositions de la LLO. L’article 14 fait référence aux « avis, annonces et autres pièces à caractère officiel », sans en indiquer la provenance. L’article 15 a trait aux avis, pièces ou documents dont la LLONB ou toute autre loi exige la publication « par la province ou ses institutions ». Le libellé de ces lois étaie également la conclusion selon laquelle le Journal des débats n’est pas visé à l’article 8 de la LLO.

Centre québécois du droit de l’environnement c. Office national de l’énergie, 2015 CF 192 (CanLII)

[…] De façon alternative, les requérants ont soutenu qu’ils pouvaient également se prévaloir de l’article 12 de la LLO, lequel prévoit que « [l]es actes qui s’adressent au public et qui sont censés émaner d’une institution fédérale sont établis ou délivrés dans les deux langues officielles ». Or, cette disposition ne peut clairement pas trouver application dans le présent contexte, puisque la demande déposée par Énergie Est n’émane pas de l’Office [National de l’Énergie].

Les requérants ont invoqué la décision rendue par cette Cour dans l’affaire Picard c Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86 (CanLII); cette décision n’appuie cependant pas leur prétention. Dans cette affaire, le demandeur soutenait qu’il avait le droit d’obtenir une version française d’une demande de brevet déposée devant l’Office de la propriété intellectuelle du Canada. Tout en reconnaissant qu’un brevet « s’adresse au public », la juge Tremblay-Lamer a néanmoins écarté l’application de l’article 12 de la LLO au motif que le brevet n’émane pas d’une institution fédérale, mais bien de l’inventeur. La Cour a par ailleurs explicitement rejeté toute obligation que pourrait avoir le Bureau des brevets de traduire les demandes qui lui sont soumises (aux paragraphes 48-49): […]

D’une part, dans cette situation, un demandeur de brevet sera obligé, s’il veut garder le contrôle de sa demande, de comprendre et d’approuver la traduction qui en est faite. Cela est en contradiction directe avec l’objectif de la Loi sur les langues officielles de mettre en œuvre la garantie constitutionnelle du droit de chacun de communiquer, à sa faculté, avec les institutions fédérales dans l’une ou l’autre des langues officielles.

D’autre part, si l’inventeur est tenu d’approuver la traduction de sa demande sans la comprendre, l’objectif du système de brevets de donner à l’inventeur le contrôle de sa demande et de lui faire porter l’entière responsabilité pour le brevet qui en résulte serait compromis. De plus, en cas de contradiction entre les deux versions du brevet, une interprétation du brevet en fonction des objectifs de l’inventeur, telle que préconisée par la Cour suprême dans l’arrêt Free World, ci-dessus mentionné, deviendrait impossible, à moins de reconnaître que la version « originale » du brevet – celle dans la langue de la demande de l’inventeur – prime sur la traduction. Or, le reconnaître aurait pour effet d’annuler tout bénéfice pour l’égalité linguistique résultant de ce que les deux versions d’un instrument bilingue font également autorité conformément à l’article 13 de la Loi sur les langues officielles.

Ces motifs sont tout aussi valables, me semble-t-il, dans le contexte d’une demande pour la construction d’un réseau pipelinier devant l’Office. Par conséquent, l’article 12 de la LLO ne peut davantage trouver application ici.

Picard c. Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86 (CanLII)

[40] À mon avis, un brevet est un acte hybride, à la fois privé et public. Il tire son autorité de l’approbation d’une institution publique, le Commissaire, mais son contenu est fixé par une personne privée, l’inventeur. En échange de la divulgation de ce contenu, l’inventeur obtient un droit qu’on qualifie à la fois de monopole et de droit de propriété privé. Autrefois un privilège résultant de la faveur royale, un brevet est aujourd’hui un titre confirmant un droit créé par la loi.  […]

[43] Contrairement aux prétentions des défendeurs, je suis d’opinion que les brevets sont des documents publics. Même si leur délivrance est désormais autorisée par une loi et se fait aux conditions prévues par celle-ci, les brevets n’en demeurent pas moins des lettres patentes. Or, Blackstone expliquait que celles-ci sont des « open letters, literae patentes: so called, because they are not sealed up, but exposed to open view, with the great seal pendant at the bottom; and are usually directed or addressed by the king to all his subjects at large » (William Blackstone, Commentaries on the Laws of England: a Facsimile of the First Edition 1765 – 1769, Chicago, University of Chicago Press, 1979, vol. 2 à la p. 346; je souligne). Le fait qu’un brevet, comme d’ailleurs les lettres patentes confirmant tout autre octroi royal (royal grant), soit ostensiblement destiné à son titulaire n’en change pas la nature publique.

[44] Il est du reste aisé de comprendre l’importance de la publicité d’un brevet. Un brevet est différent d’un titre de propriété sur un bien meuble ou immeuble, en ce qu’il est un monopole, ce qui veut dire qu’il confère « la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention » (Loi sur les brevets, article 42). Il crée donc une exception aux principes généraux de liberté du commerce et même de liberté tout court, en vertu desquels on devrait être libre de « fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres » tout ce dont aucune règle de droit n’interdit pas de faire le commerce. Il faut donc qu’un citoyen puisse savoir ce qu’il n’a pas le droit de « fabriquer, construire, exploiter ou vendre », alors que, par hypothèse, il peut le faire de tout bien qui n’est pas soustrait au commerce par la loi.

[45] Cependant, bien qu’il s’adresse au public, un brevet n’émane pas d’une institution fédérale, mais bien de l’inventeur. Malgré ses origines dans l’exercice discrétionnaire de la prérogative royale, le brevet représente, aujourd’hui, la reconnaissance d’un droit plutôt que l’expression de la faveur du souverain. Le rôle du Commissaire aux brevets se limite à vérifier si la demande de brevet présentée par l’inventeur remplit les conditions posées par la Loi sur les brevets et les règlements faits sous l’autorité de celle-ci. L’article 27 de la Loi sur les brevets ne lui accorde aucune discrétion à cet égard : si les conditions sont respectées, il doit délivrer le brevet (voir Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, [2002] 4 R.C.S. 45, au par. 144).

[46] En délivrant un brevet, le Commissaire aux brevets confirme le droit de l’inventeur, mais c’est celui-ci qui définit la portée de son droit en formulant les revendications. Le texte d’un brevet – y compris lorsqu’il résulte d’amendements apportés à une demande de brevet – est proposé par l’inventeur, et celui-ci en porte la responsabilité. S’il propose un texte trop restrictif, il devra assumer la perte potentielle de profits résultant de ce que le « champ » du monopole qui lui est conféré est trop étroit; s’il propose un texte trop vague, il risque l’invalidation subséquente de son brevet par un tribunal. Un brevet « émane » donc véritablement de l’inventeur, et non du Commissaire aux brevets. En conséquence, l’article 12 de la Loi sur les langues officielles ne s’applique pas.

[47] Par ailleurs, la traduction de brevets par le Bureau des brevets engendrerait de sérieuses tensions entre les divers objectifs du système de brevets canadien et de la Loi sur les langues officielles, ce qui me fait croire que le Parlement n’a jamais contemplé l’application de celle-ci aux brevets.

[48] D’une part, dans cette situation, un demandeur de brevet sera obligé, s’il veut garder le contrôle de sa demande, de comprendre et d’approuver la traduction qui en est faite. Cela est en contradiction directe avec l’objectif de la Loi sur les langues officielles de mettre en œuvre la garantie constitutionnelle du droit de chacun de communiquer, à sa faculté, avec les institutions fédérales dans l’une ou l’autre des langues officielles.

[49] D’autre part, si l’inventeur est tenu d’approuver la traduction de sa demande sans la comprendre, l’objectif du système de brevets de donner à l’inventeur le contrôle de sa demande et de lui faire porter l’entière responsabilité pour le brevet qui en résulte serait compromis. De plus, en cas de contradiction entre les deux versions du brevet, une interprétation du brevet en fonction des objectifs de l’inventeur, telle que préconisée par la Cour suprême dans l’arrêt Free World, ci-dessus mentionné, deviendrait impossible, à moins de reconnaître que la version « originale » du brevet – celle dans la langue de la demande de l’inventeur – prime sur la traduction. Or, le reconnaître aurait pour effet d’annuler tout bénéfice pour l’égalité linguistique résultant de ce que les deux versions d’un instrument bilingue font également autorité conformément à l’article 13 de la Loi sur les langues officielles.

[50] Vu toutes ces difficultés, on peut faire un parallèle avec le raisonnement du juge Bastarache et de la majorité de la Cour suprême, dans l’arrêt Harvard College, ci-dessus mentionné, au par. 167, et conclure que le fait que, dans leur état actuel, la Loi sur les langues officielles et la Loi sur les brevets ne permettent pas de traiter adéquatement la traduction des brevets est un signe que le législateur n’a jamais voulu que les termes « actes qui s’adressent au public et qui sont censés émaner d’une institution fédérale » visent ces derniers.

Voir également :

R. c. Stauffer, (1981) 62 C.C.C. (2d) 44 (AB CA) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Saulnier (1979), 50 C.C.C. (2d) 350 (NS CA) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

 

13. Valeur des deux versions

13. Tous les textes qui sont établis, imprimés, publiés ou déposés sous le régime de la présente partie dans les deux langues officielles le sont simultanément, les deux versions ayant également force de loi ou même valeur.  

Annotations

R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6 (CanLII)

[26] Cette Cour a discuté à plusieurs reprises de l’interprétation d’une loi bilingue lorsqu’il y a divergence entre les deux versions d’un même texte. […] Je souligne de nouveau la démarche en deux étapes proposée par le professeur Côté dans son ouvrage Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 410, servant à résoudre les antinomies découlant de divergences entre les deux versions d’un texte législatif :

[…] sauf disposition légale contraire, toute divergence entre les deux versions officielles d’un texte législatif est résolue en dégageant, si c’est possible, le sens qui est commun aux deux versions.  Si cela n’est pas possible, ou si le sens commun ainsi dégagé paraît contraire à l’intention du législateur révélée par recours aux règles ordinaires d’interprétation, on doit entendre le texte dans le sens qu’indiquent ces règles.

[27] Il y a donc une démarche précise à suivre pour l’interprétation des lois bilingues.  La première étape consiste à déterminer s’il y a antinomie.  Si les deux versions sont absolument et irréductiblement inconciliables, il faut alors s’en remettre aux autres principes d’interprétation : voir Côté, op. cit., p. 413.  Rappelons qu’il faut alors favoriser une interprétation téléologique et contextuelle : voir, par exemple, Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 27; R. c. Sharpe,  [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33.

[28] Il faut vérifier s’il y a ambiguïté, c’est-à-dire si une ou les deux versions de la loi sont « raisonnablement susceptible[s] de donner lieu à plus d’une interprétation » : Bell ExpressVu, précité, par. 29.  S’il y a ambiguïté dans une version de la disposition et pas dans l’autre, il faut tenter de concilier les deux versions, c’est-à-dire chercher le sens qui est commun aux deux versions : Côté, op. cit., p. 413.  Le sens commun favorisera la version qui n’est pas ambiguë, la version qui est claire : Côté, op. cit., p. 413-414; voir Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614; Kwiatkowsky c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 2 R.C.S. 856, p. 863.

[29] Si aucune des deux versions n’est ambiguë, ou si elles le sont toutes deux, le sens commun favorisera normalement la version la plus restrictive : Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, p. 669; Pfizer Co. c. Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise, [1977] 1 R.C.S. 456, p. 464-465.  Le professeur Côté illustre ce point comme suit, à la p. 414 :

Dans un troisième type de situation, l’une des deux versions a un sens plus large que l’autre, elle renvoie à un concept d’une plus grande extension.  Le sens commun aux deux versions est alors celui du texte ayant le sens le plus restreint.

[30] La deuxième étape consiste à vérifier si le sens commun ou dominant est conforme à l’intention législative suivant les règles ordinaires d’interprétation : Côté, op. cit., p. 415-416.  Sont pertinents à cette étape les propos du juge Lamer dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1071 :

Il faut donc, dans un premier temps, tenter de concilier ces deux versions.  Pour ce faire il faut tenter de dégager des textes le sens qui est commun aux deux versions et vérifier si celui-ci semble conciliable avec l’objet et l’économie générale du Code.

[31] Rappelons finalement que certains principes d’interprétation sont seulement applicables en cas d’ambiguïté d’un texte législatif.  Comme le précisait le juge Iacobucci dans l’affaire Bell ExpressVu, précitée, par. 28 : « D’autres principes d’interprétation — telles l’interprétation stricte des lois pénales et la présomption de respect des “valeurs de la Charte” — ne s’appliquent que si le sens d’une disposition est ambigu. »

Frankie c. Canada (Commissaire aux services correctionnels), [1993] 3 RCF 3, 1993 CanLII 2962 (CAF)

[52] J’ajouterais également que, contrairement à ce qui se passe en anglais, un principe de rédaction législative française veut que les références expresses constituent l’exception plutôt que la règle, et ne soient utilisées que lorsque la chose est absolument nécessaire.  Par exemple, le Guide canadien de rédaction législative française (édition permanente), section « Références législatives », mise à jour du mois de janvier 1993 et publié par le Ministère fédéral de la Justice, dit, à la page 1 : 

Le légiste francophone utilise, pour faire référence dans un texte législatif à tout ou partie d’un autre texte, des moyens souvent différents de ceux auxquels a recours le légiste anglophone et, surtout, généralement plus nuancés que les siens. 

La tendance de la rédaction anglaise à multiplier, même dans des articles courts, les références, internes ou non, s’explique par l’évolution des techniques rédactionnelles d’origine britannique.  En rédaction française, il convient de réserver les références aux seuls cas où il s’agit d’éviter toute ambiguïté. […]

[55] Il est vrai que l’article 13 de la Loi sur les langues officielles prévoit que les deux versions de la Loi ont également force de loi.  Cependant, cette disposition existe avec l’article 12 de la Loi d’interprétation, selon lequel un texte législatif s’interprète de la manière « qui soit compatible avec la réalisation de son objet », ainsi qu’avec la règle de common law voulant que les tribunaux ont [TRADUCTION] « le devoir d’interpréter une disposition législative en tenant compte de toutes les autres dispositions de la loi qui précisent l’intention du législateur et tendent à montrer qu’une disposition ne doit pas recevoir la même interprétation que si elle était considérée isolément et indépendamment du reste ».

Nordlandsbanken c. Ship Nor-Fisk I et al. (1993), 1993 CarswellNat 411, 39 A.C.W.S. (3d) 307, 62 F.T.R. 103 [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

[18] Il aurait été très utile, pour définir le terme « moyen de contrainte » utilisé dans diverses expressions telles que « le moyen de contrainte », « tout moyen de contrainte » ou « autres moyens de contrainte » (de la Cour), de pouvoir se fier à la définition énoncée dans la Loi d’interprétation (L.R.C. [1985], ch. I-21). Malheureusement, cette loi ne comprend aucune définition du terme « moyen de contrainte ». Il est toutefois possible de se fier à d’autres lois d’interprétation comme la Loi sur les langues officielles (L.R.C. [1985], ch. 31 [4e suppl.]). Les articles 6, 7 et 13 de cette loi prévoient non seulement que toute loi du Parlement ou tout texte doit être établi dans les deux langues officielles, mais aussi que « les deux versions [ont] également force de loi ou même valeur ». Dans ces circonstances, chaque version est une loi d’interprétation de l’autre version, voire une sorte de dictionnaire des termes de l’autre loi dans lequel les documents, les objets ou le matériel sont mentionnés par leur nom ou par leur désignation ou description particulière. En fait, il s’agit habituellement de noms.

[19] Ainsi, le terme anglais « process » est traduit en français par le terme de même valeur « moyen de contrainte » dans les articles 55 et 56 de la Loi sur les Cours fédérales. Le terme français est également de nature générique, bien qu’il soit un peu plus précis et plus explicite que le terme anglais. Les comparaisons faites à l’article 56 (Analogie avec les moyens de contrainte des tribunaux provinciaux) démontrent bien la nature générique des termes « moyens de contrainte/process » puisque des éléments spécifiques y sont présentés pour illustrer cette notion générale, par exemple « les brefs de saisie-exécution ou autres moyens de contrainte/any writs of execution or other process ». Plusieurs dictionnaires bilingues ont été portés à l’attention de la Cour, notamment le French-English Dictionary de Cassell, New York, MacMillan Publishing Co., le Vocabulaire français-anglais et anglais-français de termes et locutions juridiques de Jules Jéraute, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, et le Dictionnaire moderne français-anglais, Paris, Larousse.

[20] La signification anglaise des termes « moyens » et « contrainte » exprimés dans les sources susmentionnées renvoie au domaine juridique, par exemple : […]

[21] La Cour a fréquemment recours au Lexique anglais-français du droit en Ontario publié par le ministère du Procureur général de cette province. Dans l’édition de novembre 1984, le terme « process » est traduit de la façon suivante : « acte de procédure émanant du tribunal ». L’élément unificateur ici est le fait que les actes de procédure émanent de la Cour. Les actes de procédure ne sont pas soumis à la Cour ou déposés auprès de cette dernière par une partie; ils sont plutôt délivrés ou signifiés par la Cour à un agent d’exécution de la loi, par exemple un shérif, un prévôt ou un huissier, ou à la personne ou la partie sommée de se conformer à l’ordonnance ou à l’ordre de la Cour. Cette même signification du terme est inhérente à la définition non exclusive de [traduction] « moyens de contrainte » contenue à l’article 1 de la Sheriff Act, RSBC 1979, ch. 386 :

[TRADUCTION] les « moyens de contrainte » englobent les brefs, les requêtes, les mandats ou les ordonnances délivrés par le sceau du tribunal, par sommation d’un juge ou par ordonnance, avis, assignation et autre procédure judiciaire ou autrement. (italiques ajoutés)

Bien que la définition se termine bizarrement par « ou autrement » (plutôt que par « ou autres moyens, mesures ou instrumentalités semblables », par exemple, ou par d’autres termes exprimant une similitude plutôt qu’une différence), elle démontre bien que les mesures coercitives émanent de la Cour ou d’un juge de cette dernière.

Voir également :

R. c. S.A.C., [2008] 2 R.C.S. 675, 2008 CSC 47 (CanLII)

Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, 2005 CSC 51 (CanLII)

R. c. Mac, [2002] 1 R.C.S. 856, 2002 CSC 24 (CanLII)

Schreiber c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 269, 2002 CSC 62 (CanLII)

Clark c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] 2 R.C.S. 680, 1988 CanLII 18 (CSC)

La Reine c. Cie Imm. BNC Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865, 1979 CanLII 12 (CSC)

Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, 1977 CanLII 9 (CSC)

The King v. Dubois, [1935] S.C.R. 378, 1935 CanLII 1 (SCC) [décision disponible en anglais seulement]

Canada (Procureur général) c. Trochimchuk, 2011 CAF 268 (CanLII)

Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308 (CanLII)

Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 RCF 303, 1997 CanLII 6387 (CAF)

Canada (Attorney General) v. Goguen, 1989 CanLII 158 (NB CA) [hyperlien disponible en anglais seulement]

Motard c. Canada (Procureure générale), 2016 QCCS 588 (CanLII)

Gilead Sciences, Inc. c. Canada (Santé), 2016 CF 231 (CanLII)

Schmidt c. Canada (Procureur général), 2016 CF 269 (CanLII)

Pembina County Water, Resource District c. Manitoba, 2016 CF 618 (CanLII)

Pinder c. Canada, 2015 CF 1376 (CanLII)

R. c. Trang, 2001 ABQB 106 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Goguen c. Revenu Canada, [1991] R.J.Q. 363 (CS QC) [hyperlien non disponible]

Nima c. McInnes (1988), 32 B.C.L.R. (2d) 197 (BC SC) [hyperlien non disponible]

R. c. Dollan (1980), 53 C.C.C. (2d) 146 (CS ON) [hyperlien non disponible]

A & G Inc. (Alstyle Apparel) c. Agence des services frontaliers du Canada, 2009 CanLII 28049 (CA TCCE)

Laclede Chain Manufacturing Co. c. Canada (Revenu national), 1992 CanLII 4372 (CA TCCE)

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions traitant de l’interprétation de la législation bilingue.

 

Partie III – Administration de la justice

14. Langues officielles des tribunaux fédéraux

14. Le français et l'anglais sont les langues officielles des tribunaux fédéraux; chacun a le droit d'employer l'une ou l'autre dans toutes les affaires dont ils sont saisis et dans les actes de procédure qui en découlent.      

Annotations

Ewonde c. Canada, 2017 CF 1120 (CanLII)

[5] La Cour d’appel fédérale a fourni un résumé dans Ewonde, aux paragraphes 1 à 9, indiquant, entre autres choses, que M. Ewonde a entamé ses actions en anglais bien que le français soit sa langue maternelle; qu’il se représentait lui-même à plusieurs occasions; et qu’il n’a pas fait le nécessaire pour suivre les ordonnances du juge responsable de la gestion de l’instance.

[6] En ce qui concerne les requêtes en rejet de la défenderesse, M. Ewonde a avisé la Cour, par une lettre en français, qu’il n’était plus en mesure de se représenter convenablement en anglais, comme il l’avait fait auparavant, avec l’aide de ses camarades détenus.  Le juge responsable de la gestion de l’instance a été d’accord avec la défenderesse que M. Ewonde aurait pu intenter ses actions en français ou qu’il aurait pu présenter une demande en temps plus opportun pour changer la langue de la procédure. Le juge responsable de la gestion de l’instance a ordonné à M. Ewonde de répondre aux requêtes dans les 14 jours. M. Ewonde ne l’a pas fait.  Par conséquent, un juge de la Cour fédérale a accueilli la requête en rejet de la défenderesse.

[7] Lors de l’appel, madame la juge Johanne Trudel a conclu que, malgré le retard indu, la question essentielle était d’aborder les droits linguistiques de M. Ewonde, indiquant, au paragraphe 14 :

[14] Les progrès réalisés par l’appelant depuis le début des instances il y a cinq ans ne sont pas satisfaisants; c’est le moins qu’on puisse dire. Je pourrais conclure sur ce seul fondement que les ordonnances du juge étaient bien étayées. Or, l’affaire ne s’arrête pas là, car le juge et le protonotaire avant lui n’ont pas examiné au fond la demande présentée par l’appelant en vue d’obtenir que les instances soient dorénavant instruites en français. Ni le juge ni le protonotaire n’ont tenu compte du droit constitutionnel qu’a M. Ewonde de choisir le français comme langue d’instruction de ses instances. À mon avis, il s’agit d’une erreur de droit.

[8] En ce qui concerne le fait que M. Ewonde avait précédemment participé aux procédures en anglais aussi bien qu’en français et qu’il aurait pu sembler bilingue, la juge Trudel a souligné que le droit de s’exprimer dans la langue de son choix l’emporte, au paragraphe 17 :

Les droits constitutionnels des gens bilingues ne sont pas moins importants que ceux des gens unilingues.  Comme le signale récemment notre Cour dans l’arrêt Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII), au paragraphe 10 :

Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac] :

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais. Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[…]

[10] La juge Trudel a conclu que le juge responsable de la gestion de l’instance avait commis une erreur en suggérant que M. Ewonde pouvait continuer de plaider en anglais parce qu’il en avait été capable dans le passé, en soulignant que le droit de plaider dans l’une ou l’autre langue officielle est garanti à l’article 14 de la Loi sur les langues officielles.

[…]

[12] Comme il a été indiqué ci-dessus, afin de remédier à l’erreur de la Cour, la juge Trudel a accordé au demandeur trois semaines pour signifier et déposer ses dossiers de réponse dans la langue officielle de son choix aux requêtes de l’intimée en rejet de ses actions, la prochaine étape consistant à réexaminer les requêtes présentées par l’intimée par notre Cour.

[…]

[32] J’ai examiné les arguments de la défenderesse que le réexamen des requêtes ait offert le remède pour régler toute atteinte aux droits de M. Ewonde de participer à sa procédure en anglais ou en français. Je ne suis pas d’accord que les questions soulignées par la Cour d’appel fédérale ont été réglées ni qu’elles peuvent être isolées pour se concentrer uniquement sur la possibilité de répondre aux requêtes en rejet de la défenderesse.

Comme la juge Trudel a souligné, la Cour a une obligation positive d’encourager et de faciliter l’accès à leurs services dans l’une ou l’autre langue officielle. Cette obligation appelle la Cour à donner un effet pratique au droit de poursuivre ses instances dans l’une ou l’autre langue officielle du Canada. En l’espèce, ce ne serait pas atteint simplement en concluant que le demandeur a maintenant la possibilité de répondre aux requêtes actuelles dans la langue de son choix. Tandis que je conviens que les explications du demandeur pour ses nombreux retards et manques de se conformer aux directives, échéanciers et autres exigences procédurales ne peuvent pas toutes être attribuées à ses capacités linguistiques ou son choix de procéder en anglais ou en français, je ne puis déterminer si et dans quelle mesure certaines des étapes et des délais imposés précédant la requête en rejet ont été influencés par les aptitudes linguistiques du demandeur. Je ne puis non plus émettre de spéculation concernant tout potentiel préjudice supplémentaire pour la défenderesse. Néanmoins, le passage du temps de manière générale pose des difficultés à la fois pour le demandeur pour prouver ses revendications et pour la défenderesse dans sa défense.

[33] Le demandeur soutient que certains des retards et de manques de se conformer étaient dus au besoin de compter sur les autres détenus pour l’aider à comprendre à répondre en anglais. Il n’est pas possible de conclure si les retards importants étaient occasionnés par les barrières linguistiques ou non. Afin d’assurer la protection complète et le respect des droits linguistiques du demandeur, les requêtes de la défenderesse visant à rejeter l’action ne peuvent être accordées.

N.B. – La Cour a rejeté la requête de la défendresse et a confirmé la décision de la Cour d’appel dans Ewonde c. Canada, 2017 FCA 112 (CanLII)

Ewonde c. Canada, 2017 CAF 112 (CanLII)

[2] L’appelant (ou M. Ewonde) purge une longue peine d’emprisonnement dans un établissement fédéral. Il a intenté trois actions en Cour fédérale. Les actes de procédure avaient été rédigés en anglais. Or, M. Ewonde est originaire de Montréal et il a pour langue maternelle le français.

[…]

[5] Ainsi, le 25 janvier 2016, l’intimée a déposé des requêtes en rejet des actions de l’appelant pour cause de retard.

[6] M. Ewonde a répondu aux requêtes en français, affirmant ne plus être en mesure d’ester convenablement en anglais, qui constitue sa langue seconde. Il avait bénéficié, pour s’exprimer dans cette langue, de l’aide de son ancien avocat et de détenus à l’établissement où il était alors incarcéré en Colombie-Britannique. Il est privé de leur aide depuis son transfèrement à un établissement situé en Ontario (voir le dossier d’appel, onglet 6, p. 69 — demande présentée par le détenu en date du 6 février 2016).

[7] Alléguant l’article 18 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (LLO), l’intimée a exprimé son objection, souhaitant utiliser l’anglais pour ses prétentions écrites puisque les actions avaient été intentées dans cette langue. Elle a répondu à la demande de M. Ewonde en ces termes :

[TRADUCTION]

Si [l’appelant] avait souhaité l’instruction des instances en français, il aurait dû les introduire dans cette langue ou, à tout le moins, demander plus tôt le changement de langue. Il est trop tard pour soulever cette question, et il ne devrait pas être permis à [l’appelant] de retarder davantage les instances.

(Dossier d’appel, onglet 7, p. 70)

[8] Après cette correspondance, le protonotaire a donné des directives, indiquant qu’il souscrivait à l’avis de l’intimée. Il a ajouté ne pas être [traduction] « convaincu que [l’appelant] soit défavorisé sur le plan linguistique en devant répondre à la requête présentée par [l’intimée] » et qu’il « lui est toujours loisible de demander l’aide d’autres détenus ». Le protonotaire a donc donné pour directive à l’appelant de signifier sa réponse aux requêtes dans un délai de quatorze jours (dossier d’appel, onglet 8, p. 71).

[…]

[17] Les droits constitutionnels des gens bilingues ne sont pas moins importants que ceux des gens unilingues. Comme le signale récemment notre Cour dans l’arrêt Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII), au paragraphe 10 :

Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac]:

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais. Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[18] Par conséquent, une personne peut choisir d’intenter des poursuites contre la Couronne dans l’une ou l’autre langue officielle, sans égard à sa langue maternelle. Elle peut modifier ce choix, en cours d’instance, et la Couronne sera tenue de passer à l’autre langue, à moins qu’elle puisse démontrer qu’elle n’a pas été avisée de ce choix dans un délai raisonnable. L’article 18 de la LLO est ainsi rédigé : […]

[23] Cela étant dit, il était loisible au protonotaire de conclure que l’intimée n’avait pas été avisée dans un délai raisonnable qu’elle devrait plaider en français à l’audition de ses requêtes, la langue des requêtes présentées par l’intimée ne pouvant être changée rétroactivement par suite de la demande présentée par l’appelant.

[24] En revanche, il était erroné de suggérer que l’instruction se poursuive en anglais parce que l’appelant pouvait plaider dans cette langue seul ou avec l’aide d’autres détenus. Le droit de l’appelant d’opter pour l’une ou l’autre langue officielle est garanti à l’article 14 de la LLO, qui est ainsi libellé : « [l]e français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux fédéraux; chacun a le droit d’employer l’une ou l’autre dans toutes les affaires dont ils sont saisis et dans les actes de procédure qui en découlent ». Ne pas reconnaître le droit d’une partie de plaider dans la langue qu’elle a choisie constitue une erreur de droit.

[25] Comme je le mentionne précédemment, l’intimée affirme que M. Ewonde n’a pas été empêché de déposer un dossier préparé en français en réponse aux requêtes (mémoire des faits et du droit de l’intimée aux paragraphes 25 et 28). Une interprétation raisonnable des directives du protonotaire n’étaye malheureusement pas cette affirmation. Au contraire, j’estime qu’elles dissuadaient plutôt l’appelant de déposer des documents rédigés en français. Je le répète, non seulement on lui a dit qu’il n’était pas défavorisé par l’emploi de l’anglais, mais on l’a invité à demander encore l’aide d’autres détenus, de toute évidence pour rédiger des actes de procédure en anglais, puisqu’il ressort de la demande de l’appelant (demande du détenu) qu’il s’exprime parfaitement à l’écrit en français.

[…]

[28] À mon avis, la Cour fédérale n’a pas respecté en l’espèce les obligations que lui impose la LLO à l’égard de l’appelant, à titre de partie ou de déposant possible. Cette erreur de droit commande notre intervention.

Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII)

[8] Il est bien établi que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’elles ont un statut et des droits et privilèges égaux devant les tribunaux constitués par une loi fédérale, dont la CCI [Cour canadienne de l’impôt]. Partant, la Constitution accorde à toute personne, qu’elle comparaisse devant une cour fédérale ou y dépose des actes de procédure, le droit de le faire dans la langue officielle de son choix (Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), art. 133, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5). Ce droit constitutionnel est également repris et confirmé aux articles 16 et 19 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui figurent à la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[9] La Cour suprême dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 483, rappelle que le droit que la Constitution reconnaît d’employer la langue officielle de son choix devant les cours de justice visées par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 doit être interprété largement comme celui « des justiciables, des avocats, des témoins, des juges et autres officiers de justice ».

[10] Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac] :

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais.  Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[11] La Cour suprême affirme également :

La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l’expression qu’il ne peut y avoir de véritable liberté d’expression linguistique s’il est interdit de se servir de la langue de son choix.  Le langage n’est pas seulement un moyen ou un mode d’expression.  Il colore le contenu et le sens de l’expression.  Comme le dit le préambule de la Charte de la langue française elle-même, c’est aussi pour un peuple un moyen d’exprimer son identité culturelle. [Je souligne.]

Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748-749; cité dans Beaulac, par. 17 et 34.

[12] La Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (LLO), qui fait partie de cette catégorie privilégiée des lois dites quasi constitutionnelles (Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67 (CanLII), [2014] 3 R.C.S. 340, par. 12), dispose ainsi aux articles 14 et 15 : […]

[22] Dans chaque cas, le juge a incité l’avocat et les témoins à employer l’anglais. Tout au long de l’instruction, il a favorisé l’anglais au détriment du français, car M. Mazraani maîtrise peu le français. De ce fait, les droits en matière de langues officielles de Me Turgeon et des témoins ont été enfreints. Le juge a exercé une subtile pression sur Me Turgeon et les témoins les invitant à renoncer à leur droit de s’exprimer dans la langue officielle de leur choix, en l’occurrence le français (Chiasson c. Chiasson, [1999] A.N.-B. no 621 (C.A.)(QL)). M. Mazraani fait valoir que personne n’a obligé les témoins et Me Turgeon à s’exprimer en anglais et qu’Industrielle Alliance invoque les droits linguistiques à des fins purement stratégiques. Or, la transcription des débats n’étaye tout simplement pas cette conclusion.

[23] En outre, selon M. Mazraani, il ne saurait y avoir préjudice lorsqu’une personne peut s’exprimer dans les deux langues officielles. Un tel argument n’est pas fondé. La Constitution reconnaît à toute personne qui comparaît devant une cour fédérale le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, peu importe qu’elle soit bilingue ou non. Autrement dit, être bilingue ne prive pas une personne du droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix (Beaulac, par. 45).

[24] De plus, malgré les efforts déployés par le juge pour inciter les témoins à faire leur déposition en anglais et comme certains d’entre eux avaient du mal à s’exprimer en anglais, une partie importante des témoignages s’est déroulée en français. Soulignons celui d’Éric Leclerc, fait en grande partie en français (voir, par exemple, transcription, vol. 4, p. 1206-1207, 1222, 1228, 1266, 1323-1324 et 1332). Si le juge a traduit en anglais à l’intention de M. Mazraani certaines déclarations faites en français par des témoins, de nombreux échanges sont demeurés dans la langue originale. Parfois, M. Mazraani affirmait ne pas comprendre ce qui se passait et disait « il faut que je comprenne » (transcription, vol. 4, p. 1249 et 1320). Comme ce dernier avait demandé l’assistance d’un interprète si des témoignages devaient se dérouler en français, que des témoins et Me Turgeon se sont adressés au juge en français et que leurs propos ont été peu ou pas traduits, les droits de M. Mazraani en matière de langues officielles ont été enfreints (mémoire des faits et du droit du ministre, par. 59).

[…]

[26] En fin de compte, les efforts du juge qui visait à se montrer « pragmatique » pour éviter de lever la séance et d’obtenir des services d’interprétation ont donné lieu à la violation non seulement des droits en matière de langues officielles de Me Turgeon et des témoins, mais également de ceux de M. Mazraani. Il n’était tout simplement pas loisible au juge de transiger sur les droits en matière de langues officielles de tous les participants à l’instance. En ne s’acquittant pas de son obligation de veiller à la protection des droits en matière de langues officielles en l’espèce, le juge a causé la violation de ces droits, mais également des retards qui auraient pu être évités s’il avait levé la séance et obtenu des services d’interprétation, comme il le fallait. Le pragmatisme ne l’emporte pas sur l’obligation de respecter les droits en matière de langues officielles de tous au cours de l’instruction des instances judiciaires.

NOTA – Ce jugement fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

Szczecka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1993 CarswellNat 200, 1993 CarswellNat 2602, [1993] F.C.J. No. 934, 116 D.L.R. (4th) 333, 170 N.R. 58, 25 Imm. L.R. (2d) 70, 49 A.C.W.S. (3d) 960 [hyperlien non disponible]

[8] […] Les documents contenus dans le cartable en litige sont dans l’une ou l’autre des langues officielles de ce pays.  La requérante est représentée par un procureur qui agit en son nom.  Il appartient à ce dernier de prendre connaissance de la preuve à charge ou à décharge, disponible ou soumise au tribunal d’en mesurer l’impact et la valeur probante et d’en discuter avec sa cliente.  À cet égard, le principe qu’il convient d’appliquer à la preuve contenue dans le cartable n’est pas différent de celui qui régit toute autre preuve documentaire que le procureur de la requérante peut vouloir introduire à l’audience  : il suffit que le document soit dans l’une ou l’autre des deux langues officielles du pays conformément à l’article 14 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985 (4th Supp.), c. 31. 

[9] Lorsqu’en cours d’audience, le tribunal ou l’agent d’audition fait référence à certains extraits ou passages d’un document, soit pour obtenir des éclaircissements, soit pour confronter un revendicateur, il sera cependant nécessaire de les faire traduire par l’interprète pour permettre au revendicateur de participer pleinement au débat et de faire valoir ses droits.  […]

[10] Mais on ne saurait établir comme règle que, sous peine de manquement aux principes de justice naturelle, tout document qui est produit en preuve à l'audience, y compris les cartables d'information sur un pays, doive nécessairement être traduit dans la langue du revendicateur. 

Beaudoin c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1993] 3 RCF 518, 1993 CanLII 2961 (CAF)

[22] La demande faite de bonne foi et sur préavis par une partie qui ne se fait pas représenter pour obtenir qu'une audience se déroule dans l'autre langue officielle doit toujours être respectée en entier, et le rejet de cette demande équivaut à un déni de justice naturelle, puisqu'il empêche la partie demanderesse de présenter sa cause à sa façon. 

Centre québécois du droit de l’environnement c. Office national de l’énergie, 2015 CF 192 (CanLII)

Il ne fait aucun doute que c’est la Partie III de la LLO qui trouve application dans le cadre du présent litige. Cette loi vient en effet préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles, et la Partie III porte plus spécifiquement sur l’administration de la justice. L’article 11 de la Loi [Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, ch N-7] prévoit que l’Office [nationale de l’Énergie] est une cour d’archives, et à ce titre il s’agit clairement d’un tribunal fédéral au sens de l’article 14 de la LLO. Or, cette disposition prévoit que « [l]e français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux fédéraux », et que « chacun a le droit d’employer l’une ou l’autre dans toutes les affaires dont ils sont saisis et dans les actes de procédure qui en découlent ».

Cette disposition est tout à fait conforme aux articles 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et 16 à 22 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui traitent des droits linguistiques en matière judiciaire au Canada. Ces dispositions garantissent ce qu’il est convenu d’appeler un « unilinguisme optionnel » au choix de la personne qui s’exprime : MacDonald c Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, à la p 496. En d’autres termes, c’est le droit d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles dans toute affaire dont est saisi un tribunal et dans les procédures qui en découlent qui est garanti, et non le droit que la langue officielle utilisée sera comprise par la personne à qui s’adresse la plaidoirie ou la pièce de procédure : Société des Acadiens c Association of Parents, 1986 CanLII 66 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 549, pp 574-575.

Par conséquent, Énergie Est a le droit d’employer l’une ou l’autre des langues officielles dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 52 de la Loi, tout comme les requérants d’ailleurs. Au surplus, aucune disposition de la Partie III n’impose aux tribunaux de traduire dans l’autre langue officielle les documents déposés aux dossiers de ce tribunal. Tout au plus, le Procureur général du Canada a-t-il l’obligation d’utiliser la langue officielle choisie par l’autre partie dans ses actes de procédure et plaidoiries devant les tribunaux fédéraux (LLO, art 18). Comme cette Cour l’a précisé dans l’arrêt Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 737 au para 15, cette obligation ne s’applique pas à la preuve :

Je ne puis trouver aucun fondement juridique permettant de soutenir que Sa Majesté ou une institution fédérale est tenue de fournir à une partie une traduction des affidavits faits sous serment par ses témoins, lorsque l'affidavit en question est rédigé dans la langue officielle autre que celle qui a été choisie par la partie en question. Dans la mesure où cette obligation découle de la Constitution, de la Charte ou de la Loi sur les langues officielles, elle doit être tirée d'une garantie inscrite dans la Constitution ou du libellé de la Loi. Tel qu'il est mentionné plus haut, la garantie constitutionnelle liée à l'emploi de l'une ou l'autre des langues officielles dans les poursuites judiciaires concerne celui qui rédige les plaidoiries écrites et non celui qui les lit. Il n'existe donc aucun droit constitutionnel permettant à une partie d'exiger les affidavits produits par la partie adverse dans la langue officielle qu'elle a choisie; en conséquence, le gouvernement n'est nullement tenu de fournir une traduction.

Bref, la position des requérants m’apparaît sans fondement en droit, et ne trouve appui ni dans le texte de la Partie III de la LLO, ni dans la jurisprudence qui en découle, ni dans les textes constitutionnels dont ces dispositions se veulent le prolongement. En l’absence d’une disposition législative claire à cet effet, l’on ne saurait imposer à tous les tribunaux administratifs et à toutes les cours visés par la LLO une obligation aussi onéreuse que celle de traduire tous les dossiers qui leur sont soumis. […]

Taire c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l'immigration), 2003 CF 877 (CanLII)

[51] Concernant les droits linguistiques, le défendeur constate que les droits de la s. 19 [sic] de la Charte sont réitérés dans la LLO, qui exprime le droit de chacun d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux fédéraux et dans les actes de procédure qui en découlent [voir l'extrait de la Loi, Annexe "A" attachée]. Le défendeur constate aussi que la CISR est un « tribunal fédéral » au sens du paragraphe 3(2) de la LLO. Il note aussi que les droits énoncés à la Partie III sont reconnus aux individus qui sont libres de les faire valoir ou non.

[52] Le défendeur note que l'audience s'est déroulée en anglais, et que l'avocat de la demanderesse a choisi, conformément à l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, au paragraphe 19(1) de la Charte et à l'article 14 de la LLO, de faire ses plaidoiries orales en français. Il constate que, pour cette partie de l'audience, la demanderesse aurait pu, en vertu de l'article 15 de la LLO, demander des services d'interprétation simultanée du français à l'anglais. Le défendeur note que la demande n'avait pas été faite, car la Section du statut a indiqué ceci : « If you say, well, I would prefer to hear it in English, then we may have to get a French/English interpreter in here for the purposes of submissions. »

[53] Le défendeur souligne aussi que la demanderesse aurait également pu choisir de procéder en français, et elle aurait pu demander les services d'interprétation de la langue française à la langue anglaise. Mais, dans tous les cas, la demanderesse doit faire valoir son droit avant la tenue des procédures afin que le tribunal puisse prendre des dispositions pour qu'il puisse être exercé. À tout événement, la demanderesse a manifestement choisi de ne pas exercer son droit à des services d'interprétation du français à l'anglais.

[54] Je suis en accord avec les soumissions du défendeur. Je suis d'avis que la demanderesse n'a pas subi de préjudice en raison de l'utilisation de la langue anglaise lors de l'audience. Les conclusions négatives de crédibilité ne sont pas manifestées en raison de la langue, mais en raison du fond et de la forme du témoignage de la demanderesse. Les commissaires de la CISR ont souligné que si la demanderesse n'avait pas compris les questions, elle aurait dû demander des clarifications. Je suis satisfait que l'article 14 de la Charte a été respecté.

[55] De plus, je suis satisfait que les services linguistiques garantis par la LLO et la Loi constitutionnelle de 1982 ont été renoncé par le procureur et sa cliente. Par conséquent, je rejette les arguments de la demanderesse en ce qui a trait aux droits linguistiques.

Voir également :

Frezza c. Lauzon, 1999 CanLII 7402 (CF)

Jonik Hospitality Group Ltd. c. Voyages et circuits touristiques Atlas Conti Inc., 1996 CarswellNat 552, 63 A.C.W.S. (3d) 16, 68 C.P.R. (3d) 99 [hyperlien non disponible][jugement disponible en anglais seulement]

Brenneur c. La Reine, 2010 CCI 610 (CanLII)

 

15. (1) Droits des témoins

15. (1) Il incombe aux tribunaux fédéraux de veiller à ce que tout témoin qui comparaît devant eux puisse être entendu dans la langue officielle de son choix sans subir de préjudice du fait qu'il ne s'exprime pas dans l'autre langue officielle.

15. (2) Services d'interprétation : obligation

15. (2) Il leur incombe également de veiller, sur demande d'une partie, à ce que soient offerts, notamment pour l'audition des témoins, des services d'interprétation simultanée d'une langue officielle à l'autre langue.

15. (3) Services d'interprétation : faculté

15. (3) Ils peuvent faire aussi ordonner que soient offerts, notamment pour l'audition des témoins, des services d'interprétation simultanée d'une langue officielle à l'autre s'ils estiment que l'affaire présente de l'intérêt ou de l'importance pour le public ou qu'il est souhaitable de le faire pour l'auditoire.

Annotations

Ewonde c. Canada, 2017 CF 1120 (CanLII)

[5] La Cour d’appel fédérale a fourni un résumé dans Ewonde, aux paragraphes 1 à 9, indiquant, entre autres choses, que M. Ewonde a entamé ses actions en anglais bien que le français soit sa langue maternelle; qu’il se représentait lui-même à plusieurs occasions; et qu’il n’a pas fait le nécessaire pour suivre les ordonnances du juge responsable de la gestion de l’instance.

[6] En ce qui concerne les requêtes en rejet de la défenderesse, M. Ewonde a avisé la Cour, par une lettre en français, qu’il n’était plus en mesure de se représenter convenablement en anglais, comme il l’avait fait auparavant, avec l’aide de ses camarades détenus.  Le juge responsable de la gestion de l’instance a été d’accord avec la défenderesse que M. Ewonde aurait pu intenter ses actions en français ou qu’il aurait pu présenter une demande en temps plus opportun pour changer la langue de la procédure. Le juge responsable de la gestion de l’instance a ordonné à M. Ewonde de répondre aux requêtes dans les 14 jours. M. Ewonde ne l’a pas fait.  Par conséquent, un juge de la Cour fédérale a accueilli la requête en rejet de la défenderesse.

[7] Lors de l’appel, madame la juge Johanne Trudel a conclu que, malgré le retard indu, la question essentielle était d’aborder les droits linguistiques de M. Ewonde, indiquant, au paragraphe 14 :

[14] Les progrès réalisés par l’appelant depuis le début des instances il y a cinq ans ne sont pas satisfaisants; c’est le moins qu’on puisse dire. Je pourrais conclure sur ce seul fondement que les ordonnances du juge étaient bien étayées. Or, l’affaire ne s’arrête pas là, car le juge et le protonotaire avant lui n’ont pas examiné au fond la demande présentée par l’appelant en vue d’obtenir que les instances soient dorénavant instruites en français. Ni le juge ni le protonotaire n’ont tenu compte du droit constitutionnel qu’a M. Ewonde de choisir le français comme langue d’instruction de ses instances. À mon avis, il s’agit d’une erreur de droit.

[8] En ce qui concerne le fait que M. Ewonde avait précédemment participé aux procédures en anglais aussi bien qu’en français et qu’il aurait pu sembler bilingue, la juge Trudel a souligné que le droit de s’exprimer dans la langue de son choix l’emporte, au paragraphe 17 :

Les droits constitutionnels des gens bilingues ne sont pas moins importants que ceux des gens unilingues.  Comme le signale récemment notre Cour dans l’arrêt Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII), au paragraphe 10 :

Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac] :

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais. Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[…]

[11] La juge Trudel a souligné, au paragraphe 26, l’obligation imposée à la Cour par le paragraphe 15(1) « de veiller à ce que tout témoin qui comparaît devant [elle] puisse être entendu dans la langue officielle de son choix » et elle a de nouveau souligné cette obligation au paragraphe 27.

[27] La LLO exige des tribunaux plus que permettre simplement aux parties de comparaître dans la langue officielle de leur choix. Elle leur impose l’obligation d’encourager et de faciliter l’accès à leurs services dans l’une ou l’autre langue officielle.

[12] Comme il a été indiqué ci-dessus, afin de remédier à l’erreur de la Cour, la juge Trudel a accordé au demandeur trois semaines pour signifier et déposer ses dossiers de réponse dans la langue officielle de son choix aux requêtes de l’intimée en rejet de ses actions, la prochaine étape consistant à réexaminer les requêtes présentées par l’intimée par notre Cour.

[…]

[32] J’ai examiné les arguments de la défenderesse que le réexamen des requêtes ait offert le remède pour régler toute atteinte aux droits de M. Ewonde de participer à sa procédure en anglais ou en français. Je ne suis pas d’accord que les questions soulignées par la Cour d’appel fédérale ont été réglées ni qu’elles peuvent être isolées pour se concentrer uniquement sur la possibilité de répondre aux requêtes en rejet de la défenderesse.

Comme la juge Trudel a souligné, la Cour a une obligation positive d’encourager et de faciliter l’accès à leurs services dans l’une ou l’autre langue officielle. Cette obligation appelle la Cour à donner un effet pratique au droit de poursuivre ses instances dans l’une ou l’autre langue officielle du Canada. En l’espèce, ce ne serait pas atteint simplement en concluant que le demandeur a maintenant la possibilité de répondre aux requêtes actuelles dans la langue de son choix. Tandis que je conviens que les explications du demandeur pour ses nombreux retards et manques de se conformer aux directives, échéanciers et autres exigences procédurales ne peuvent pas toutes être attribuées à ses capacités linguistiques ou son choix de procéder en anglais ou en français, je ne puis déterminer si et dans quelle mesure certaines des étapes et des délais imposés précédant la requête en rejet ont été influencés par les aptitudes linguistiques du demandeur. Je ne puis non plus émettre de spéculation concernant tout potentiel préjudice supplémentaire pour la défenderesse. Néanmoins, le passage du temps de manière générale pose des difficultés à la fois pour le demandeur pour prouver ses revendications et pour la défenderesse dans sa défense.

[33] Le demandeur soutient que certains des retards et de manques de se conformer étaient dus au besoin de compter sur les autres détenus pour l’aider à comprendre à répondre en anglais. Il n’est pas possible de conclure si les retards importants étaient occasionnés par les barrières linguistiques ou non. Afin d’assurer la protection complète et le respect des droits linguistiques du demandeur, les requêtes de la défenderesse visant à rejeter l’action ne peuvent être accordées.

N.B. – La Cour a rejeté la requête de la défendresse et a confirmé la décision de la Cour d’appel dans Ewonde c. Canada, 2017 FCA 112 (CanLII)

Ewonde c. Canada, 2017 CAF 112 (CanLII)

[2] L’appelant (ou M. Ewonde) purge une longue peine d’emprisonnement dans un établissement fédéral. Il a intenté trois actions en Cour fédérale. Les actes de procédure avaient été rédigés en anglais. Or, M. Ewonde est originaire de Montréal et il a pour langue maternelle le français.

[…]

[5] Ainsi, le 25 janvier 2016, l’intimée a déposé des requêtes en rejet des actions de l’appelant pour cause de retard.

[6] M. Ewonde a répondu aux requêtes en français, affirmant ne plus être en mesure d’ester convenablement en anglais, qui constitue sa langue seconde. Il avait bénéficié, pour s’exprimer dans cette langue, de l’aide de son ancien avocat et de détenus à l’établissement où il était alors incarcéré en Colombie-Britannique. Il est privé de leur aide depuis son transfèrement à un établissement situé en Ontario (voir le dossier d’appel, onglet 6, p. 69 — demande présentée par le détenu en date du 6 février 2016).

[7] Alléguant l’article 18 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (LLO), l’intimée a exprimé son objection, souhaitant utiliser l’anglais pour ses prétentions écrites puisque les actions avaient été intentées dans cette langue. Elle a répondu à la demande de M. Ewonde en ces termes :

[TRADUCTION]

Si [l’appelant] avait souhaité l’instruction des instances en français, il aurait dû les introduire dans cette langue ou, à tout le moins, demander plus tôt le changement de langue. Il est trop tard pour soulever cette question, et il ne devrait pas être permis à [l’appelant] de retarder davantage les instances.

(Dossier d’appel, onglet 7, p. 70)

[8] Après cette correspondance, le protonotaire a donné des directives, indiquant qu’il souscrivait à l’avis de l’intimée. Il a ajouté ne pas être [traduction] « convaincu que [l’appelant] soit défavorisé sur le plan linguistique en devant répondre à la requête présentée par [l’intimée] » et qu’il « lui est toujours loisible de demander l’aide d’autres détenus ». Le protonotaire a donc donné pour directive à l’appelant de signifier sa réponse aux requêtes dans un délai de quatorze jours (dossier d’appel, onglet 8, p. 71).

[…]

[26] C’était une erreur encore plus grave de la part du protonotaire de suggérer que l’appelant témoigne dans une autre langue que celle qu’il avait choisie. Le paragraphe 15(1) de la LLO impose à la Cour l’obligation « de veiller à ce que tout témoin qui comparaît devant [elle] puisse être entendu dans la langue officielle de son choix ». Si l’appelant avait déposé sa réponse et son dossier de réponse aux requêtes présentées par l’intimée pour obtenir le rejet des actions, il aurait sans doute présenté un affidavit expliquant le retard. Il est clair, si l’on consulte la jurisprudence, qu’il avait le droit de déposer pareil affidavit dans l’une ou l’autre langue officielle, peu importe la langue d’instruction (voir Charlebois c. Saint John (Ville), 2005 CSC 74 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 563).

[27] La LLO exige des tribunaux plus que permettre simplement aux parties de comparaître dans la langue officielle de leur choix. Elle leur impose l’obligation d’encourager et de faciliter l’accès à leurs services dans l’une ou l’autre langue officielle.

Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII)

[8] Il est bien établi que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’elles ont un statut et des droits et privilèges égaux devant les tribunaux constitués par une loi fédérale, dont la CCI [Cour canadienne de l’impôt]. Partant, la Constitution accorde à toute personne, qu’elle comparaisse devant une cour fédérale ou y dépose des actes de procédure, le droit de le faire dans la langue officielle de son choix (Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), art. 133, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5). Ce droit constitutionnel est également repris et confirmé aux articles 16 et 19 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui figure à la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[9] La Cour suprême dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 483, rappelle que le droit que la Constitution reconnaît d’employer la langue officielle de son choix devant les cours de justice visées par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 doit être interprété largement comme celui « des justiciables, des avocats, des témoins, des juges et autres officiers de justice ».

[10] Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac] :

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais.  Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[11] La Cour suprême affirme également :

La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l’expression qu’il ne peut y avoir de véritable liberté d’expression linguistique s’il est interdit de se servir de la langue de son choix.  Le langage n’est pas seulement un moyen ou un mode d’expression.  Il colore le contenu et le sens de l’expression.  Comme le dit le préambule de la Charte de la langue française elle-même, c’est aussi pour un peuple un moyen d’exprimer son identité culturelle. [Je souligne.]

Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748-749; cité dans Beaulac, par. 17 et 34.

[12] La Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (LLO), qui fait partie de cette catégorie privilégiée des lois dites quasi constitutionnelles (Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67 (CanLII), [2014] 3 R.C.S. 340, par. 12), dispose ainsi aux articles 14 et 15 : […]

[13] Le paragraphe 15(1) de la LLO impose donc une obligation expresse aux cours fédérales, entre autres, à veiller à ce que toute personne qui témoigne devant elles puisse le faire dans la langue officielle de son choix, et ce sans qu’elle en soit lésée. Le paragraphe 15(2) crée une obligation semblable à l’égard des cours fédérales qui exige qu’elles offrent des services d’interprétation simultanée d’une langue officielle à l’autre lorsqu’une partie le demande dans le cadre de toute instance. Ainsi, la LLO exprime la notion selon laquelle « la liberté de choisir [soit le français, soit l’anglais] est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques » (Beaulac, par. 20).

[…]

[17] Dès le deuxième jour d’audience, la question de la langue d’instruction a été soulevée. L’avocat représentant Industrielle Alliance, Me Turgeon, a indiqué que son premier témoin, M. Michaud, témoignerait en français, ce à quoi M. Mazraani a clairement répondu qu’il lui faudrait dans ce cas un interprète (transcription, vol. 1, p. 269-270) :

[TRADUCTION]

LE JUGE ARCHAMBAULT: D’accord. Allons-y avec M. Michaud. C’est Michaud. Et non Comeau. C’est Michaud.

Me TURGEON: Bruno Michaud. Monsieur Bruno Michaud.

LE JUGE ARCHAMBAULT: OK. Donc ---

Me TURGEON: Qui va témoigner en français si vous n’y voyez pas ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: Je n’y vois pas d’inconvénient, sauf que la partie – vous ne comprenez pas très bien le français?

M. MAZRAANI: Non.

LE JUGE ARCHAMBAULT: Bon ---

Me TURGEON: Et j’hésite à imposer au témoin ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: OK. Parce que ---

Me TURGEON: Bien, mon collègue fait référence à la pièce E-4—A-4, qui est – qu’il parle français.

Me JILWAN: Sa demande d’emploi.

--- (COURTE PAUSE)

Me TURGEON: Et mon client sait pertinemment qu’il parle français.

LE JUGE ARCHAMBAULT: Il maîtrise le plus bas ---

Me TURGEON: Oui.

LE JUGE ARCHAMBAULT: --- le plus bas niveau de français. Seriez-vous gêné si ce témoin faisait sa déposition en français?

M. MAZRAANI: Bien entendu.

LE JUGE ARCHAMBAULT: Auriez-vous besoin – auriez-vous besoin d’un interprète?

M. MAZRAANI: Bien entendu.

LE JUGE ARCHAMBAULT: Bien entendu quoi?

M. MAZRAANI: J’ai besoin d’un interprète. Je ne peux ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: Vous avez besoin d’un interprète.

M. MAZRAANI: --- parce que l’affaire est ---

Me TURGEON: OK. Permettez-moi ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: Parce que je dois – vous savez, je dois me montrer juste envers les deux parties. Vous savez, je suis disposé à le laisser témoigner en français, mais je devrais alors faire venir un interprète pour lui.

[Je souligne.]

[18] Dès lors que l’avocat, Me Turgeon, a indiqué que le témoin, M. Michaud, voulait faire sa déposition en français et qu’une des parties, soit M. Mazraani, avait besoin des services d’un interprète, il incombait au juge de lever la séance pour obtenir des services d’interprétation. Il était obligé de respecter le choix de M. Michaud, qui voulait témoigner en français, de même que la demande de M. Mazraani, qui avait besoin des services d’un interprète (LLO, par. 15(1) et (2)).

[19] Or, le juge a plutôt accordé une pause pour permettre à Me Turgeon de trouver un compromis. Me Turgeon a proposé que M. Michaud témoigne en anglais, mais qu’il lui soit permis de s’exprimer en français au sujet des questions techniques, et que ces déclarations soient traduites vers l’anglais. Le juge a accepté ce compromis « pragmatique ». Il a ainsi manqué à son obligation expresse de faire en sorte que les témoins soient entendus dans la langue officielle de leur choix.

[20] Une autre violation des droits en matière de langues officielles a découlé du traitement réservé à un autre témoin, M. Charbonneau, qui avait aussi exprimé le souhait de faire sa déposition en français. Le juge a interrompu l’interrogatoire de M. Charbonneau par Me Turgeon, qui venait de commencer et se déroulait en français, pour demander qu’il soit mené en anglais. M. Charbonneau a alors demandé s’il pouvait répondre aux questions en français. Au lieu d’accéder à sa demande, comme l’exige le paragraphe 15(1) de la LLO, le juge a insisté sur l’incapacité de M. Mazraani de comprendre le français (transcription, vol. 2, p. 608-609) :

Me TURGEON: Monsieur Charbonneau, pouvez-vous nous dire vous êtes lié à Industrielle Alliance depuis combien…

LE JUGE ARCHAMBAULT: Est-ce que c’est possible de  -- [traduction] le faire en anglais?

Me TURGEON: [traduction] Oh, oh oui, je suis désolé, je ne suis pas certain ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: [traduction] Pouvez-vous parler?

M. CHARBONNEAU: Est-ce que je peux mentionner quelque chose?

LE JUGE ARCHAMBAULT: Oui.

M. CHARBONNEAU: Oui, en fait je suis mieux en français

LE JUGE ARCHAMBAULT: Oui.

M. CHARBONNEAU: …et puis je suis un petit peu surpris parce que dans le fond les réunions qu’on fait à notre bureau, tout se passe en français.

LE JUGE ARCHAMBAULT: M’hm.

M. CHARBONNEAU: Est-ce que je peux répondre en français?

LE JUGE ARCHAMBAULT: Mais le contribuable…la personne qui est devant nous aujourd’hui [M. Mazraani] dont c’est…dont c’est l’appel

M. CHARBONNEAU: Oui.

LE JUGE ARCHAMBAULT: …nous dit qu’il a de la difficulté à comprendre le français. Donc on demande autant que possible aux témoins de s’exprimer en anglais. Est-ce que vous vous sentez relativement à l’aise pour parler en anglais?

M. CHARBONNEAU: Ben je vais essayer

[Je souligne.]

[21] Pendant l’instruction de l’affaire par la CCI, Me Turgeon et d’autres témoins ont été traités de manière semblable et se sont vus privés de leur droit de s’exprimer en français en raison de leur maîtrise de l’anglais (voir, par exemple, transcription, vol. 2, p. 555 (Mme Lambert) et transcription, vol. 4, p. 1256 et 1336-1337 (Me Turgeon)). Le juge a traité chaque demande visant à s’exprimer dans la langue officielle de leur choix comme une demande d’accommodement, plutôt que comme l’exercice de leurs droits protégés en matière de langues officielles.

[22] Dans chaque cas, le juge a incité l’avocat et les témoins à employer l’anglais. Tout au long de l’instruction, il a favorisé l’anglais au détriment du français, car M. Mazraani maîtrise peu le français. De ce fait, les droits en matière de langues officielles de Me Turgeon et des témoins ont été enfreints. Le juge a exercé une subtile pression sur Me Turgeon et les témoins les invitant à renoncer à leur droit de s’exprimer dans la langue officielle de leur choix, en l’occurrence le français (Chiasson c. Chiasson, [1999] A.N.-B. no 621 (C.A.)(QL)). M. Mazraani fait valoir que personne n’a obligé les témoins et Me Turgeon à s’exprimer en anglais et qu’Industrielle Alliance invoque les droits linguistiques à des fins purement stratégiques. Or, la transcription des débats n’étaye tout simplement pas cette conclusion.

[23] En outre, selon M. Mazraani, il ne saurait y avoir préjudice lorsqu’une personne peut s’exprimer dans les deux langues officielles. Un tel argument n’est pas fondé. La Constitution reconnaît à toute personne qui comparaît devant une cour fédérale le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, peu importe qu’elle soit bilingue ou non. Autrement dit, être bilingue ne prive pas une personne du droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix (Beaulac, par. 45).

[24] De plus, malgré les efforts déployés par le juge pour inciter les témoins à faire leur déposition en anglais et comme certains d’entre eux avaient du mal à s’exprimer en anglais, une partie importante des témoignages s’est déroulée en français. Soulignons celui d’Éric Leclerc, fait en grande partie en français (voir, par exemple, transcription, vol. 4, p. 1206-1207, 1222, 1228, 1266, 1323-1324 et 1332). Si le juge a traduit en anglais à l’intention de M. Mazraani certaines déclarations faites en français par des témoins, de nombreux échanges sont demeurés dans la langue originale. Parfois, M. Mazraani affirmait ne pas comprendre ce qui se passait et disait « il faut que je comprenne » (transcription, vol. 4, p. 1249 et 1320). Comme ce dernier avait demandé l’assistance d’un interprète si des témoignages devaient se dérouler en français, que des témoins et Me Turgeon se sont adressés au juge en français et que leurs propos ont été peu ou pas traduits, les droits de M. Mazraani en matière de langues officielles ont été enfreints (mémoire des faits et du droit du ministre, par. 59).

[…]

[26] En fin de compte, les efforts du juge qui visait à se montrer « pragmatique » pour éviter de lever la séance et d’obtenir des services d’interprétation ont donné lieu à la violation non seulement des droits en matière de langues officielles de Me Turgeon et des témoins, mais également de ceux de M. Mazraani. Il n’était tout simplement pas loisible au juge de transiger sur les droits en matière de langues officielles de tous les participants à l’instance. En ne s’acquittant pas de son obligation de veiller à la protection des droits en matière de langues officielles en l’espèce, le juge a causé la violation de ces droits, mais également des retards qui auraient pu être évités s’il avait levé la séance et obtenu des services d’interprétation, comme il le fallait. Le pragmatisme ne l’emporte pas sur l’obligation de respecter les droits en matière de langues officielles de tous au cours de l’instruction des instances judiciaires.

NOTA – Ce jugement fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

Brahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 734 (CanLII)

[7]  Les demandeurs allèguent que la SPR [Commission de l’immigration et du statut de réfugié] a commis trois erreurs importantes dans sa décision rejetant leur demande d’asile :

a) Elle a violé leur droit d’avoir une audience dans la langue de leur choix; […]

[10] La Cour est d’accord avec le défendeur qu’il y a de graves inexactitudes dans l’argumentation des demandeurs sur ce point. Il appert clairement de la transcription de l’audience que le conseil des demandeurs lui-même a bifurqué vers l’anglais de son propre chef, voulant parler anglais, durant sa plaidoirie parce que ses notes étaient écrites en anglais (Dossier certifié du tribunal à la p 712) :

Perhaps I’ll move straight into the… just a few references in the documentation which is, my notes, in English.

[11] Les demandeurs n’ont pas du tout été privés d’une audience en français; plutôt, ils ont renoncé à leur droit à un interprète en permettant à leur conseil de plaider en anglais pour cette partie de sa plaidoirie. La SPR n’avait aucune obligation de demander aux demandeurs s’ils voulaient un interprète à ce moment ou de les solliciter à renoncer expressément à leur droit à un interprète. Cette Cour a clairement statué qu’une partie peut renoncer implicitement aux droits linguistiques qui lui sont accordés par la Loi sur les langues officielles, (LR (1985), c. 31 (4e suppl.)) (voir la décision Taire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 877).

Glaxosmithkline Inc. c. Sa Majesté la Reine (5 janvier 2006), Ottawa, 98-712(IT)G (CCI), juge Rip [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

[9] Il incombe à la Cour fédérale de s’assurer que des services d’interprétation simultanée soient offerts à la demande d’une partie à l’instance : paragraphe15(2) de la Loi sur les langues officielles. À mon sens, cela signifie que la Cour est tenue de fournir des services de traduction simultanée à la demande d’une partie qui ne comprend pas l’autre langue ou ne la parle pas couramment. La traduction simultanée de l’instance n’est pas nécessaire pour ceux qui parlent couramment les deux langues officielles. Faire droit à la demande d’interprétation simultanée d’une partie qui parle couramment la langue de l’instance ne serait d’aucune utilité et serait un gaspillage de ressources. Je ne veux pas dire que les services d’un interprète ne seront jamais offerts à la demande d’une personne qui parle couramment les deux langues, mais j’estime que lorsque Sa Majesté est une partie à l’instance, elle est tenue d’utiliser le français et l’anglais sans recourir à un interprète. Sa Majesté Chef du Canada est bilingue.

[10] Le paragraphe 102(5) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) prévoit que lorsque l’interrogatoire doit avoir lieu dans l’une des langues officielles et que la personne interrogée préférerait l’être dans l’autre langue officielle, la partie qui interroge doit en aviser le greffe, qui nomme alors un interprète. Je crois comprendre que le témoin de l’appelant sera interrogé en français et qu’il répondra en français. Bien entendu, le contre-interrogatoire est une autre histoire. Cependant, le paragraphe 102(5) est à l’avantage de la personne interrogée. D’autre part, pour les motifs formulés au paragraphe 9 ci-dessus, Sa Majesté est une personne bilingue et ne devrait pas demander les services d’un interprète.

Taire c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l'immigration), 2003 CF 877 (CanLII)

[44] La demanderesse prétend qu'une fois que le choix est fait, il revient à la Commission de faire en sorte que la demanderesse comprenne la langue dans laquelle se déroulent les procédures. La demanderesse allègue que le non-respect de ses droits a nui grandement à sa crédibilité et à l'utilité qu'aurait pu avoir son procureur dans la présente affaire.

[45] Le défendeur constate que les prétentions soulevées par la demanderesse confondent le droit à un interprète garanti par l'article 14 de la Charte et les droits linguistiques énoncés à l'article 19 de la Loi constitutionnelle de 1982 et à la Partie III de la Loi sur les langues officielles (LLO). […]

[51] Concernant les droits linguistiques, le défendeur constate que les droits de la s. 19 [sic] de la Charte sont réitérés dans la LLO, qui exprime le droit de chacun d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux fédéraux et dans les actes de procédure qui en découlent [voir l'extrait de la Loi, Annexe "A" attachée]. Le défendeur constate aussi que la CISR est un « tribunal fédéral » au sens du paragraphe 3(2) de la LLO. Il note aussi que les droits énoncés à la Partie III sont reconnus aux individus qui sont libres de les faire valoir ou non.

[52] Le défendeur note que l'audience s'est déroulée en anglais, et que l'avocat de la demanderesse a choisi, conformément à l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, au paragraphe 19(1) de la Charte et à l'article 14 de la LLO, de faire ses plaidoiries orales en français. Il constate que, pour cette partie de l'audience, la demanderesse aurait pu, en vertu de l'article 15 de la LLO, demander des services d'interprétation simultanée du français à l'anglais. Le défendeur note que la demande n'avait pas été faite, car la Section du statut a indiqué ceci : «If you say, well, I would prefer to hear it in English, then we may have to get a French/English interpreter in here for the purposes of submissions.»

[53] Le défendeur souligne aussi que la demanderesse aurait également pu choisir de procéder en français, et elle aurait pu demander les services d'interprétation de la langue française à la langue anglaise. Mais, dans tous les cas, la demanderesse doit faire valoir son droit avant la tenue des procédures afin que le tribunal puisse prendre des dispositions pour qu'il puisse être exercé. À tout événement, la demanderesse a manifestement choisi de ne pas exercer son droit à des services d'interprétation du français à l'anglais.

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 1629 (CF) [hyperlien non disponible]

[7] La règle 302.1 des Règles de la Cour fédérale traite de la langue des documents utilisés devant la Cour.  Elle prévoit que, sauf ordonnance contraire de la Cour, aucun document ne peut être utilisé en Cour à moins d’être rédigé en français ou en anglais ou d’être accompagné d’une version française ou anglaise et d’un affidavit attestant la fidélité de la traduction.  Cette règle s’applique aux actes de procédure, aux demandes, aux affidavits et aux pièces produites comme preuve.  La règle 356 prévoit l’interprétation simultanée des audiences de la Cour.  Cette règle est conforme au paragraphe 15(2) de la Loi sur les langues officielles, qui impose l’obligation de fournir l’interprétation simultanée à la demande d’une partie.  L’interprétation simultanée, d’une langue officielle à l’autre, des audiences de la Cour vise la preuve produite ou recueillie ainsi que les arguments présentés durant l’audience.  Le principe à l’origine du droit à l’assistance d’un interprète est le principe de la compréhension linguistique. 

[8] La Loi sur les langues officielles et les Règles n’obligent pas la Cour à fournir une traduction, dans l’une ou l’autre des langues officielles, des documents utilisés devant la Cour.  Le requérant pourra, sur production d’une demande écrite présentée à l’administrateur de la Cour, obtenir l’interprétation simultanée de l’instruction de sa demande de contrôle judiciaire. 

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 737 (CF) [hyperlien non disponible]

[14] J'ajouterais également que l'interprétation de la Loi sur les langues officielles de façon à forcer Sa Majesté à présenter sa preuve dans la langue officielle choisie par l'autre partie irait à l'encontre des droits des témoins, qui ont eux aussi le droit de témoigner dans la langue officielle de leur choix selon l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l'article 19 de la Charte. Ce droit est réitéré et renforcé par le paragraphe 15(1) de la Loi sur les langues officielles et il semble évident que le législateur n'aurait pas donné aux témoins le droit de témoigner dans la langue officielle de leur choix tout en permettant au même moment aux parties d'exiger la présentation de ce témoignage dans la langue officielle de leur choix.

Voir également :

R. v. Singh, 2016 ONSC 3688 (CanLII)[décision disponible en anglais seulement]

Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450 (CanLII)

Brenneur c. La Reine, 2010 CCI 610 (CanLII)

 

16. (1) Obligation relative à la compréhension des langues officielles

16. (1) Il incombe aux tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada de veiller à ce que celui qui entend l'affaire :

a) comprenne l'anglais sans l'aide d'un interprète lorsque les parties ont opté pour que l'affaire ait lieu en anglais;

b) comprenne le français sans l'aide d'un interprète lorsque les parties ont opté pour que l'affaire ait lieu en français;

(c) comprenne l'anglais et le français sans l'aide d'un interprète lorsque les parties ont opté pour que l'affaire ait lieu dans les deux langues.

16. (2) Fonctions judiciaires

16. (2) Il demeure entendu que le paragraphe (1) ne s'applique aux tribunaux fédéraux que dans le cadre de leurs fonctions judiciaires.

16. (3) Mise en œuvre progressive

16. (3) Les tribunaux fédéraux autres que la Cour d'appel fédérale, la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt disposent toutefois, pour se conformer au paragraphe (1), d'un délai de cinq ans après son entrée en vigueur.

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 16; 2002, ch. 8, art. 155.     

Annotations

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Canada (Procureur Général), 2011 CF 1207 (CanLII)

[10] Premièrement, le Syndicat entend plaider que la décision ministérielle de nommer un juge unilingue anglophone, comme arbitre des offres finales, est incorrecte ou déraisonnable en ce qu’elle fait complètement fi de l’exigence quasi-constitutionnelle de bilinguisme de tout tribunal fédéral, sauf la Cour Suprême du Canada, en vertu de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, ch 31 (4e suppl) (LLO). En effet, le Syndicat entend soutenir que l’arbitre nommé en application de l’article 8 de la Loi spéciale [Loi sur le rétablissement de la livraison du courrier aux Canadiens, LC 2011, ch 17] est une “institution fédérale” et un “tribunal fédéral” au sens du paragraphe 3(2) de la LLO. Or, l’article 16(1) de la LLO exige que tout tribunal fédéral veille à ce qu’il entende l’affaire dans les deux langues officielles, sans l’aide d’un interprète, lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu dans les deux langues, ce qui est ici le voeu du Syndicat, qui veut notamment faire entendre certains témoins s'exprimant en langue française et être représenté par un avocat s’exprimant également en français.

[…]

[18] D’un point de vue des droits de nature linguistique, il y a bien ici un préjudice irréparable. Le Syndicat est effectivement désavantagé du fait de devoir procéder à l’arbitrage, devant l’arbitre Osborne qui est apparemment un unilingue anglophone, dans une langue pour laquelle il n’a manifestement pas opté, d’autant plus qu’il n’y aura aucune façon pratique pour les parties et la Cour de vérifier ultérieurement si la traduction fournie à l’audition par l’interprète aura été en tout temps fidèle. Ainsi, lorsque le Syndicat fera entendre des témoins francophones, l’arbitre devra entendre les témoignages à l’aide d’une traduction simultanée, tandis que des notes sténographiques seront rédigées en français. De plus, le procureur principal du Syndicat a soumis que même s’il maîtrise l’anglais, le Syndicat est désavantagé du fait qu’il doit plaider devant l’arbitre dans une langue qui n’est pas la sienne. Dans l’hypothèse où la Cour devait accueillir la demande de contrôle judiciaire, je suis donc d’avis qu’il s’agit là d’un préjudice non-monnayable. On parlerait alors de la violation de droits linguistiques, donc de droits fondamentaux, pour lesquels il n’existe aucun accommodement si l’article 16 de la LLO s’applique comme le prétend le Syndicat.

Voir également :

Edirisinghe Arrachch c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 999 (CanLII)

Taire c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l'immigration), 2003 CF 877 (CanLII)

Belair c. Canada (Soliciteur Général), 2000 CanLII 14967 (CF)

 

17. (1) Pouvoir d’établir des règles de procédure

17. (1) Le gouverneur en conseil peut établir, sauf pour la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel fédérale, la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt, les règles de procédure judiciaire, y compris en matière de notification, qu'il estime nécessaires pour permettre aux tribunaux fédéraux de se conformer aux articles 15 et 16.

17. (2) Cour suprême, Cour d'appel fédérale, Cour fédérale, Cour canadienne de l'impôt

17. (2) La Cour suprême du Canada, la Cour d'appel fédérale, la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt peuvent exercer, pour leur propre fonctionnement, le pouvoir visé au paragraphe (1), sous réserve de l'agrément du gouverneur en conseil.

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 17; 2002, ch. 8, art. 156.     

 

18. Cas où Sa Majesté est partie à l'affaire

18. Dans une affaire civile à laquelle elle est partie devant un tribunal fédéral, Sa Majesté du chef du Canada ou une institution fédérale utilise, pour les plaidoiries ou les actes de la procédure, la langue officielle choisie par les autres parties à moins qu'elle n'établisse le caractère abusif du délai de l'avis l'informant de ce choix. Faute de choix ou d'accord entre les autres parties, elle utilise la langue officielle la plus justifiée dans les circonstances.  

Annotations

Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 RCS 563, 2005 CSC 74 (CanLII)

[4] L’objection de M. Charlebois soulevait deux questions :

[…]

2. Quelle est la portée de l’obligation prévue à l’art. 22 [de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick]?  La partie qui cite de la jurisprudence dans ses plaidoiries doitelle en fournir une traduction?   Doitelle fournir une traduction de la preuve?

[…]

[7] Il est facile de répondre à la deuxième question.  Je suis d’accord avec le juge Bastarache pour dire que la Cour d’appel a eu raison de conclure que les « plaidoiries orales et écrites » n’incluent pas les éléments de preuve produits en cours d’instance.  L’article 22 n’oblige pas non plus à traduire la jurisprudence citée ou incorporée dans un recueil de jurisprudence et de doctrine.

NOTA – Bien que ce jugement traite de la portée de l’art. 22 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, l’extrait ci-dessus est reproduit en raison du libellé semblable de l’art. 18 de la Loi sur les langues officielles du Canada.

Ewonde c. Canada, 2017 CF 1120 (CanLII)

[5] La Cour d’appel fédérale a fourni un résumé dans Ewonde, aux paragraphes 1 à 9, indiquant, entre autres choses, que M. Ewonde a entamé ses actions en anglais bien que le français soit sa langue maternelle; qu’il se représentait lui-même à plusieurs occasions; et qu’il n’a pas fait le nécessaire pour suivre les ordonnances du juge responsable de la gestion de l’instance.

[6] En ce qui concerne les requêtes en rejet de la défenderesse, M. Ewonde a avisé la Cour, par une lettre en français, qu’il n’était plus en mesure de se représenter convenablement en anglais, comme il l’avait fait auparavant, avec l’aide de ses camarades détenus.  Le juge responsable de la gestion de l’instance a été d’accord avec la défenderesse que M. Ewonde aurait pu intenter ses actions en français ou qu’il aurait pu présenter une demande en temps plus opportun pour changer la langue de la procédure. Le juge responsable de la gestion de l’instance a ordonné à M. Ewonde de répondre aux requêtes dans les 14 jours. M. Ewonde ne l’a pas fait.  Par conséquent, un juge de la Cour fédérale a accueilli la requête en rejet de la défenderesse.

[7] Lors de l’appel, madame la juge Johanne Trudel a conclu que, malgré le retard indu, la question essentielle était d’aborder les droits linguistiques de M. Ewonde, indiquant, au paragraphe 14 :

[14] Les progrès réalisés par l’appelant depuis le début des instances il y a cinq ans ne sont pas satisfaisants; c’est le moins qu’on puisse dire. Je pourrais conclure sur ce seul fondement que les ordonnances du juge étaient bien étayées. Or, l’affaire ne s’arrête pas là, car le juge et le protonotaire avant lui n’ont pas examiné au fond la demande présentée par l’appelant en vue d’obtenir que les instances soient dorénavant instruites en français. Ni le juge ni le protonotaire n’ont tenu compte du droit constitutionnel qu’a M. Ewonde de choisir le français comme langue d’instruction de ses instances. À mon avis, il s’agit d’une erreur de droit.

[8] En ce qui concerne le fait que M. Ewonde avait précédemment participé aux procédures en anglais aussi bien qu’en français et qu’il aurait pu sembler bilingue, la juge Trudel a souligné que le droit de s’exprimer dans la langue de son choix l’emporte, au paragraphe 17 :

Les droits constitutionnels des gens bilingues ne sont pas moins importants que ceux des gens unilingues.  Comme le signale récemment notre Cour dans l’arrêt Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII), au paragraphe 10 :

Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac] :

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais. Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[9] Prenant acte des dispositions du paragraphe 18 de la Loi sur les langues officielles, la juge Trudel a expliqué, au paragraphe 18, qu’« une personne peut choisir d’intenter des poursuites contre la Couronne dans l’une ou l’autre langue officielle, sans égard à sa langue maternelle. Elle peut modifier ce choix, en cours d’instance, et la Couronne sera tenue de passer à l’autre langue, à moins qu’elle puisse démontrer qu’elle n’a pas été avisée de ce choix dans un délai raisonnable ».

[…]

[12] Comme il a été indiqué ci-dessus, afin de remédier à l’erreur de la Cour, la juge Trudel a accordé au demandeur trois semaines pour signifier et déposer ses dossiers de réponse dans la langue officielle de son choix aux requêtes de l’intimée en rejet de ses actions, la prochaine étape consistant à réexaminer les requêtes présentées par l’intimée par notre Cour.

[…]

[32] J’ai examiné les arguments de la défenderesse que le réexamen des requêtes ait offert le remède pour régler toute atteinte aux droits de M. Ewonde de participer à sa procédure en anglais ou en français. Je ne suis pas d’accord que les questions soulignées par la Cour d’appel fédérale ont été réglées ni qu’elles peuvent être isolées pour se concentrer uniquement sur la possibilité de répondre aux requêtes en rejet de la défenderesse.

Comme la juge Trudel a souligné, la Cour a une obligation positive d’encourager et de faciliter l’accès à leurs services dans l’une ou l’autre langue officielle. Cette obligation appelle la Cour à donner un effet pratique au droit de poursuivre ses instances dans l’une ou l’autre langue officielle du Canada. En l’espèce, ce ne serait pas atteint simplement en concluant que le demandeur a maintenant la possibilité de répondre aux requêtes actuelles dans la langue de son choix. Tandis que je conviens que les explications du demandeur pour ses nombreux retards et manques de se conformer aux directives, échéanciers et autres exigences procédurales ne peuvent pas toutes être attribuées à ses capacités linguistiques ou son choix de procéder en anglais ou en français, je ne puis déterminer si et dans quelle mesure certaines des étapes et des délais imposés précédant la requête en rejet ont été influencés par les aptitudes linguistiques du demandeur. Je ne puis non plus émettre de spéculation concernant tout potentiel préjudice supplémentaire pour la défenderesse. Néanmoins, le passage du temps de manière générale pose des difficultés à la fois pour le demandeur pour prouver ses revendications et pour la défenderesse dans sa défense.

[33] Le demandeur soutient que certains des retards et de manques de se conformer étaient dus au besoin de compter sur les autres détenus pour l’aider à comprendre à répondre en anglais. Il n’est pas possible de conclure si les retards importants étaient occasionnés par les barrières linguistiques ou non. Afin d’assurer la protection complète et le respect des droits linguistiques du demandeur, les requêtes de la défenderesse visant à rejeter l’action ne peuvent être accordées.

N.B. – La Cour a rejeté la requête de la défendresse et a confirmé la décision de la Cour d’appel dans Ewonde c. Canada, 2017 FCA 112 (CanLII)

Ewonde c. Canada, 2017 CAF 112 (CanLII)

[2] L’appelant (ou M. Ewonde) purge une longue peine d’emprisonnement dans un établissement fédéral. Il a intenté trois actions en Cour fédérale. Les actes de procédure avaient été rédigés en anglais. Or, M. Ewonde est originaire de Montréal et il a pour langue maternelle le français.

[…]

[5] Ainsi, le 25 janvier 2016, l’intimée a déposé des requêtes en rejet des actions de l’appelant pour cause de retard.

[6] M. Ewonde a répondu aux requêtes en français, affirmant ne plus être en mesure d’ester convenablement en anglais, qui constitue sa langue seconde. Il avait bénéficié, pour s’exprimer dans cette langue, de l’aide de son ancien avocat et de détenus à l’établissement où il était alors incarcéré en Colombie-Britannique. Il est privé de leur aide depuis son transfèrement à un établissement situé en Ontario (voir le dossier d’appel, onglet 6, p. 69 — demande présentée par le détenu en date du 6 février 2016).

[7] Alléguant l’article 18 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (LLO), l’intimée a exprimé son objection, souhaitant utiliser l’anglais pour ses prétentions écrites puisque les actions avaient été intentées dans cette langue. Elle a répondu à la demande de M. Ewonde en ces termes :

[TRADUCTION]

Si [l’appelant] avait souhaité l’instruction des instances en français, il aurait dû les introduire dans cette langue ou, à tout le moins, demander plus tôt le changement de langue. Il est trop tard pour soulever cette question, et il ne devrait pas être permis à [l’appelant] de retarder davantage les instances.

(Dossier d’appel, onglet 7, p. 70)

[8] Après cette correspondance, le protonotaire a donné des directives, indiquant qu’il souscrivait à l’avis de l’intimée. Il a ajouté ne pas être [traduction] « convaincu que [l’appelant] soit défavorisé sur le plan linguistique en devant répondre à la requête présentée par [l’intimée] » et qu’il « lui est toujours loisible de demander l’aide d’autres détenus ». Le protonotaire a donc donné pour directive à l’appelant de signifier sa réponse aux requêtes dans un délai de quatorze jours (dossier d’appel, onglet 8, p. 71).

[…]

[17] Les droits constitutionnels des gens bilingues ne sont pas moins importants que ceux des gens unilingues. Comme le signale récemment notre Cour dans l’arrêt Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII), au paragraphe 10 :

Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac]:

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais. Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[18] Par conséquent, une personne peut choisir d’intenter des poursuites contre la Couronne dans l’une ou l’autre langue officielle, sans égard à sa langue maternelle. Elle peut modifier ce choix, en cours d’instance, et la Couronne sera tenue de passer à l’autre langue, à moins qu’elle puisse démontrer qu’elle n’a pas été avisée de ce choix dans un délai raisonnable. L’article 18 de la LLO est ainsi rédigé : […]

[20]  Comme je suis d’avis que le juge était saisi de la question des langues officielles, j’aborde maintenant les directives du protonotaire.

[21] Le libellé des directives m’amène à conclure que le protonotaire avait assimilé à une requête en bonne et due forme la demande que M. Ewonde avait présentée par voie de lettre en vue d’obtenir que les instances fussent dorénavant instruites en français. Il aurait pu donner pour consigne à M. Ewonde de signifier et de déposer des requêtes en bonne et due forme en vue de demander que soit tranchée la question relative à la langue que soulevait ce dernier. Toutefois, le protonotaire n’en a rien fait.

[22] Ce qui m’amène à faire le commentaire suivant : les directives ne servent pas à statuer sur les requêtes (Fabrikant c. Canada, 2015 FCA 53 (CanLII), [2015] A.C.F. no 243 (QL), paragraphe 9). Des ordonnances s’imposent dans ce cas. Il ressort du libellé des directives que le protonotaire se prononçait dans les faits sur la question relative à la langue, choisissant d’enjoindre simplement à l’appelant de déposer ses dossiers de réponse aux requêtes présentées par l’intimée pour solliciter le rejet de ses actions.

[23] Cela étant dit, il était loisible au protonotaire de conclure que l’intimée n’avait pas été avisée dans un délai raisonnable qu’elle devrait plaider en français à l’audition de ses requêtes, la langue des requêtes présentées par l’intimée ne pouvant être changée rétroactivement par suite de la demande présentée par l’appelant.

[…]

[28] À mon avis, la Cour fédérale n’a pas respecté en l’espèce les obligations que lui impose la LLO à l’égard de l’appelant, à titre de partie ou de déposant possible. Cette erreur de droit commande notre intervention.

Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII)

[16] L’appel devant la CCI [Cour canadienne de l’impôt] s’est déroulé suivant les prescriptions du paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T-2, qui prévoit que les appels « sont entendus d’une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent ». M. Mazraani, qui n’était pas représenté par un avocat devant la CCI, a déposé son avis d’appel en anglais. Le ministre, conformément à l’article 18 de la LLO, a déposé sa réplique en anglais. L’employeur, Industrielle Alliance, qui était intervenante dans l’instance devant la CCI, a déposé son avis d’intervention en français.

NOTA – Ce jugement fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

Centre québécois du droit de l’environnement c. Office national de l’énergie, 2015 CF 192 (CanLII)

Par conséquent, Énergie Est a le droit d’employer l’une ou l’autre des langues officielles dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 52 de la Loi [Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, ch N-7], tout comme les requérants d’ailleurs. Au surplus, aucune disposition de la Partie III n’impose aux tribunaux de traduire dans l’autre langue officielle les documents déposés aux dossiers de ce tribunal. Tout au plus, le Procureur général du Canada a-t-il l’obligation d’utiliser la langue officielle choisie par l’autre partie dans ses actes de procédure et plaidoiries devant les tribunaux fédéraux (LLO, art 18). Comme cette Cour l’a précisé dans l’arrêt Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 737 au para 15, cette obligation ne s’applique pas à la preuve :

Je ne puis trouver aucun fondement juridique permettant de soutenir que Sa Majesté ou une institution fédérale est tenue de fournir à une partie une traduction des affidavits faits sous serment par ses témoins, lorsque l'affidavit en question est rédigé dans la langue officielle autre que celle qui a été choisie par la partie en question. Dans la mesure où cette obligation découle de la Constitution, de la Charte ou de la Loi sur les langues officielles, elle doit être tirée d'une garantie inscrite dans la Constitution ou du libellé de la Loi. Tel qu'il est mentionné plus haut, la garantie constitutionnelle liée à l'emploi de l'une ou l'autre des langues officielles dans les poursuites judiciaires concerne celui qui rédige les plaidoiries écrites et non celui qui les lit. Il n'existe donc aucun droit constitutionnel permettant à une partie d'exiger les affidavits produits par la partie adverse dans la langue officielle qu'elle a choisie; en conséquence, le gouvernement n'est nullement tenu de fournir une traduction.

Bref, la position des requérants m’apparaît sans fondement en droit, et ne trouve appui ni dans le texte de la Partie III de la LLO, ni dans la jurisprudence qui en découle, ni dans les textes constitutionnels dont ces dispositions se veulent le prolongement. En l’absence d’une disposition législative claire à cet effet, l’on ne saurait imposer à tous les tribunaux administratifs et à toutes les cours visés par la LLO une obligation aussi onéreuse que celle de traduire tous les dossiers qui leur sont soumis. […]

Glaxosmithkline Inc. c. Sa Majesté la Reine (5 janvier 2006), Ottawa, 98-712(IT)G (CCI), juge Rip [hyperlien non disponible]

 [6] Dans Charlebois, l’appelant s’était opposé à l’admission en preuve d’un document rédigé en anglais, et au fait que le procureur général du Nouveau-Brunswick avait cité des décisions sans en fournir de traduction. Il invoquait l’article 22 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick aux termes duquel la province doit utiliser, dans ses plaidoiries orales ou écrites et pour les actes de procédure qui en découlent, la langue officielle choisie par la partie civile; l’appelant avait opté pour le français.

[7] La question dont je suis saisi est très différente de celle qui était soulevée dans Charlebois. Dans le cas présent, il est question du témoignage de vive voix d’un témoin qui déposera dans l’une de nos langues officielles. Suivant l’objet et l’esprit de la Loi sur les langues officielles, Sa Majesté est une personne bilingue qui non seulement offre des services dans les deux langues officielles, mais aussi prend part aux instances dans les deux langues officielles. C’est pour cette raison que le paragraphe 18(1) de la Loi autorise la partie autre que Sa Majesté à choisir la langue qui sera utilisée dans les plaidoiries orales ou écrites de l’instance. La version française du paragraphe 18(1) mentionne « les plaidoiries ou les actes de la procédure».

[8] La Loi n’empêche pas l’autre partie d’utiliser les deux langues officielles dans l’instance, et Sa Majesté doit se préparer à une telle éventualité. La version anglaise de l’alinéa 18b) de la Loi précise en effet que si l’autre partie ne choisit pas la langue officielle des plaidoiries, Sa Majesté «shall use such official language as is reasonable, having regard to the circumstances » ou, en français « elle utilise la langue officielle le plus justifiée dans les circonstances ».

[...]

[11] Dans les présentes circonstances, il est raisonnable que Sa Majesté utilise le français lorsque le témoin témoigne en français et l’anglais lorsqu’il témoigne en anglais. Le procureur général emploie des avocats qui parlent couramment les deux langues officielles. Je suis certain que Sa Majesté dispose de nombreux avocats qui parlent couramment français pour entendre la déposition des témoins appelés par l’appelant qui rendront leur témoignage en français, et pour les contre-interroger en français.

[12] Lors d’une conférence téléphonique qui s’est tenue hier, l’avocat de l’intimé a fait savoir que les témoins experts de Sa Majesté ne comprennent pas le français et donc ne seraient pas en mesure de suivre la déposition du témoin de l’appelant qui a rendu son témoignage en français. J’autorise l’intimé à obtenir, au profit de ces témoins experts, une interprétation simultanée de la déposition en français des témoins experts de l’appelant à ses frais, pour autant que les services en question ne perturbent, n’interrompent ni n’entravent d’aucune autre manière le procès. S’il en fait la demande, la Cour mettra son équipement d’interprétation à la disposition de l’intimé.

[13] Autrement la demande de l’intimé visant à obtenir des services d’interprète ou de traduction simultanée est refusée à tous les autres égards.

Commissaire à l'information du Canada c. Ministre des Travaux publics, [1995] A.C.F. no 991 (CF) [hyperlien non disponible]

[5] À l’audience, j’ai informé Me Brunet qu’il y avait abus de sa part et il a invoqué l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (précédemment l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867), L.R.C. (1985), No 5.  Certes, et le français et l’anglais sont les langues officielles du pays, mais dans les cas comme ce qui nous occupe en l’espèce, ce sont les dispositions de la Loi sur les langues officielles qui doivent prévaloir. Voici l'article applicable de cette loi :

18. Dans une affaire civile à laquelle elle est partie devant un tribunal fédéral, Sa Majesté du chef du Canada ou une institution fédérale utilise, pour les plaidoiries ou les actes de la procédure, la langue officielle choisie par les autres parties à moins qu'elle n'établisse le caractère abusif du délai de l'avis l'informant de ce choix. Faute de choix ou d'accord entre les autres parties, elle utilise la langue officielle la plus justifiée dans les circonstances.

[6] Il est clair que les institutions fédérales doivent être considérées comme bilingues.  En l’espèce, l’anglais était la langue officielle choisie par le plaignant.  De même, le Commissaire à l’information et les ministères visés par les demandes de communication de renseignements avaient, eux aussi, déjà choisi d’employer l’anglais dans les actes de procédure de même, je présume, que pour les débats.  Il y a lieu de souligner en particulier le passage de l’article 18 où il est prescrit que l’institution fédérale concernée « utilise la langue officielle la plus justifiée dans les circonstances »

[7] Il faut que le Commissaire à l’information soit représenté par l’avocat qui possède la langue choisie par l’autre et, en l’espèce, l’anglais devait être la langue la plus justifiée dans les circonstances. […]

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 737 (CF) [hyperlien non disponible]

[8] Cette disposition n’est pas ambiguë en ce qui a trait à son application au présent litige.  L’intimé est tenu d’utiliser la langue officielle que l’autre partie a employée dans les plaidoiries ou les actes de procédure (ou les oral or written pleadings), comme on peut le lire dans la version anglaise de l’article 18.  Quelle que soit l’interprétation pouvant être donnée au mot « plaidoiries » ou « pleadings », il ne comprend pas la preuve présentée au cours d’une instance. […] 

[10] Il s’ensuit que le témoignage sous forme d’affidavit ne fait pas partie des plaidoiries ou des actes de procédure au sens de l’article 18 de la Loi sur les langues officielles et que les intimés ne sont assujettis à aucune obligation linguistique à l’égard de cette preuve.  La même règle vaut également pour les documents joints à ces affidavits à titre de pièces.

[11] Cette conclusion, qui découle par ailleurs du libellé clair et non équivoque de l'article 18, est tout à fait compatible avec les garanties linguistiques liées à l'utilisation de l'une ou l'autre des langues officielles dans les instances judiciaires. L'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et le paragraphe 19(1) de la Charte garantissent tous deux le droit d'une partie d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles dans les instances introduites devant tout tribunal constitué par le Parlement. […]

[13] L’article 18 de la Loi sur les langues officielles renforce ce droit constitutionnel de s’exprimer dans la langue officielle de son choix dans les poursuites judiciaires en imposant aux institutions fédérales l’obligation d’utiliser, dans les actes de procédure ou les plaidoiries, la langue officielle choisie par l’autre partie, de sorte que la partie adverse a le droit non seulement de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, mais aussi celui d’entendre les plaidoiries et de lire les actes de procédure émanant de la partie gouvernementale dans cette langue.  Même si cette protection supplémentaire est importante, elle ne va pas au-delà de ce qui est énoncé à l’article 18 et il n’existe aucun fondement constitutionnel permettant de donner au mot « plaidoiries » un sens qui va à l’encontre de celui qui lui est reconnu, qu’il s’agisse de son sens ordinaire ou juridique.

[…]

[16] En ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles, même si elle renforce le droit constitutionnel d'une partie dans la mesure susmentionnée, cette amélioration ne s'applique pas aux documents qui sont rédigés dans l'autre langue officielle et qui ne sont pas visés par l'article 18. La seule exception est celle qui est explicitement prévue à l'article 19 et qui concerne les formulaires préimprimés qui sont utilisés dans les poursuites judiciaires. Ces formulaires doivent être imprimés dans les deux langues officielles et les renseignements qui y sont ajoutés doivent être traduits sur demande lorsqu'ils sont écrits dans une langue officielle qui n'est pas celle que la partie a choisie. Dans les autres cas, la Loi sur les langues officielles n'oblige pas les intimés à traduire les documents écrits.

[17] Avant de terminer cet aspect de l'analyse, j'aimerais souligner qu'il n'est nullement sous-entendu ici que les intimés ont choisi leurs témoins en fonction de leur langue afin de nuire à la cause du requérant. Les témoins sont soit des personnes à l'encontre desquelles le requérant a formulé des allégations précises à l'appui de sa demande, soit des personnes qui sont les mieux informées au sujet des faits sur lesquels porte leur témoignage. Les tribunaux verraient manifestement d'un bien mauvais oeil toute manoeuvre de la part de Sa Majesté ou d'une institution fédérale en vue d'obtenir un avantage stratégique par l'utilisation intentionnelle d'une preuve présentée dans l'autre langue officielle, lorsqu'une preuve tout aussi appropriée, sinon plus, est disponible dans la langue officielle choisie par la partie.

Voir également :

Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74 (CanLII)

Lavigne c. Canada Post Corporation, 2009 QCCA 776 [décision disponible en anglais seulement]

Lavigne c. Quebec (Attorney General), 2000 CanLII 30033 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 1629 (CF) [hyperlien non disponible]

 

19. (1) Actes judiciaires

19. (1) L'imprimé des actes judiciaires des tribunaux fédéraux que doivent signifier les institutions fédérales est établi dans les deux langues officielles.

19. (2) Compléments d'information

19. (2) Ces actes peuvent être remplis dans une seule des langues officielles pourvu qu'il y soit clairement indiqué que la traduction peut être obtenue sur demande; celle-ci doit dès lors être établie sans délai par l'auteur de la signification.

Annotations

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 737 (CF) [hyperlien non disponible]

[16] En ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles, même si elle renforce le droit constitutionnel d'une partie dans la mesure susmentionnée, cette amélioration ne s'applique pas aux documents qui sont rédigés dans l'autre langue officielle et qui ne sont pas visés par l'article 18. La seule exception est celle qui est explicitement prévue à l'article 19 et qui concerne les formulaires préimprimés qui sont utilisés dans les poursuites judiciaires. Ces formulaires doivent être imprimés dans les deux langues officielles et les renseignements qui y sont ajoutés doivent être traduits sur demande lorsqu'ils sont écrits dans une langue officielle qui n'est pas celle que la partie a choisie. Dans les autres cas, la Loi sur les langues officielles n'oblige pas les intimés à traduire les documents écrits.

 

20. (1) Décisions de justice importantes

20. (1) Les décisions définitives - exposé des motifs compris - des tribunaux fédéraux sont simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles :

a) si le point de droit en litige présente de l'intérêt ou de l'importance pour celui-ci;

b) lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles, ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues officielles.

20. (2) Autres décisions

20. (2) Dans les cas non visés par le paragraphe (1) ou si le tribunal estime que l'établissement au titre de l'alinéa (1)a) d'une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l'intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision - exposé des motifs compris - est rendue d'abord dans l'une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais dans l'autre langue officielle. Elle est exécutoire à la date de prise d'effet de la première version.

20. (3) Décisions orales

20. (3) Les paragraphes (1) et (2) n'ont pas pour effet d'interdire le prononcé, dans une seule langue officielle, d'une décision de justice ou de l'exposé des motifs.

20. (4) Précision

20. (4) Les décisions de justice rendues dans une seule des langues officielles ne sont pas invalides pour autant.

Annotations

Devinat c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 RCF 212, 1999 CanLII 9386 (CAF)

[1] Cet appel d'une décision de la Section de première instance porte sur l'étendue de l'obligation qui est faite à un "tribunal fédéral", telle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ("la Commission" ou "l'intimée") de traduire ses décisions dans l'une et l'autre des deux langues officielles du pays. Le litige met en cause l'article 20 de la Loi sur les langues officielles (la LLO); mais il suppose que nous nous prononcions d'abord sur la portée des dispositions de la partie X [articles 76 à 81] de la LLO et sur la compétence de notre Cour à entendre la demande de contrôle judiciaire déposée par l'appelant. […]

[57] Le juge des requêtes a ensuite conclu [à la page 613]:

À mon avis, les termes de l'article 20 de la LLO sont clairs, et ils obligent tous les tribunaux fédéraux, y compris l'intimée, à rendre leurs décisions dans les deux langues officielles dans les meilleurs délais dans la plupart des cas, et simultanément dans les cas prévus à l'alinéa 20(1)a) à moins d'un préjudice grave au public ou d'une injustice ou d'un inconvénient grave à l'une des parties, et dans les cas prévus à l'alinéa 20(1)b).

[58] Le juge des requêtes s'est ensuite demandé si la Commission s'acquitte de son obligation en vertu de l'article 20 de la LLO. Il en a conclu [à la page 614]:

À mon avis, l'intimée ne respecte pas l'obligation prévue à l'article 20 de la LLO. La politique de traduction sur demande ne rencontre pas les exigences du "meilleur délai", puisqu'elle signifie que la plupart des décisions ne seront jamais rendues dans l'autre langue officielle. Si le législateur avait voulu que les tribunaux fédéraux aient une politique de traduction sur demande, il aurait pu le spécifier.

[59] L'analyse de l'article 20 de la LLO et la conclusion à laquelle il en est arrivé nous paraissent irréprochables.

[…]

[61] […] L'article 20 de la LLO oblige la Commission à rendre ses décisions dans les deux langues officielles suivant les modalités prévues à cet article. L'appelant a demandé la communication des décisions de la Commission en s'adressant aux services de traduction de la Commission. Cette communication lui a été refusée au motif que ces décisions n'étaient pas disponibles dans l'autre langue officielle.

[…]

[70] Le Commissaire aux langues officielles dans son rapport intitulé L'utilisation équitable du français et de l'anglais devant les tribunaux fédéraux et devant les tribunaux administratifs fédéraux qui exercent des fonctions quasi judiciaires mentionné plus haut a traité des décisions rendues dans le passé par les tribunaux administratifs. Il a reconnu la portée de l'article 20 de la LLO, mais il a aussi noté que certaines des décisions antérieures rendues par l'intimée peuvent n'avoir aucune valeur de précédent. Il est utile de reproduire un extrait des commentaires et recommandations du Commissaire au chapitre de la langue des décisions:

(D) Langue des décisions

Comme l'a montré notre étude, il importe au plus haut point que les jugements et décisions des tribunaux judiciaires et quasi judiciaires fédéraux qui sont significatifs en tant que précédents ou sur le plan des principes soient mis à la disposition du public dans les deux langues officielles. La portée actuelle de l'article 20 de la Loi est plus que suffisante pour répondre à cette nécessité. En effet, l'article 20 paraît assez large pour imposer la communication, dans les deux langues officielles, des décisions qui ne font qu'appliquer des principes bien établis du droit à un ensemble de faits connus. Nous parlons ici des décisions qui ne présentent pas un intérêt particulier pour l'évolution du droit ou des lignes de conduite.

Le champ actuel de l'article 20 semble faire peser un lourd fardeau sur certains tribunaux quasi judiciaires, sans faire progresser un objectif reconnaissable. Même une cour d'archives comme la Cour canadienne de l'impôt semble actuellement dans l'impossibilité de rendre chacune de ses décisions dans les deux langues officielles, encore que tous ses jugements présentant une importance sur le plan du droit ou des principes soient ordinairement mis à disposition dans les deux langues officielles, ainsi que ses jugements découlant de procédures où les deux langues officielles ont été utilisées. Il semble raisonnable que l'on entreprenne un examen des raisons susceptibles de justifier la nécessité de rendre dans l'autre langue officielle des décisions purement factuelles découlant de procédures strictement unilingues. Il va sans dire que toute requête de la part d'une personne ayant un intérêt pour une décision particulière devrait toujours être positivement accueillie; telle semble être en effet la politique actuelle des divers tribunaux que nous avons examinés au cours de cette étude.

Recommandation numéro six

Le Commissaire recommande donc que le ministère fédéral de la Justice examine l'à-propos du champ actuel du paragraphe 20(2) de la Loi sur les langues officielles, dans la mesure où cette disposition requiert que soient rendues dans les deux langues officielles les décisions qui n'ont pas valeur de précédents ou qui n'ont pas de portée au niveau des principes.

Recommandation numéro sept

Le Commissaire recommande aussi, pour le cas où aucun principe supérieur ne justifierait la portée actuelle du paragraphe 20(2) de la Loi sur les langues officielles, que le ministère fédéral de la Justice envisage la possibilité de modifier la Loi sur les langues officielles afin de donner au gouverneur en conseil le pouvoir de préciser par règlement les tribunaux qui devraient être dispensés de l'obligation de rendre dans les deux langues officielles leurs décisions factuelles lorsque de telles décisions n'ont pas valeur de précédents ni ne sont significatives sur le plan des principes et qu'elles découlent de procédures strictement unilingues; aussi d'établir des catégories de décisions à cette fin. Les critères justifiant une telle dispense devraient être clairement définis.

[71] L'appelant a également reconnu que les décisions antérieures rendues par l'intimée depuis sa création jusqu'au jour du dépôt de la requête introductive d'instance, le 17 septembre 1996, n'ont pas toutes valeur de précédent. L'émission d'une ordonnance de mandamus qui s'appliquerait à toutes les décisions antérieures ne rencontrerait donc pas les objectifs de l'appelant qui n'a intérêt à consulter que celles qui ont cette valeur. Émettre une ordonnance de mandamus qui couvrirait toute la portée de l'article 20 de la LLO ne serait donc pas justifié puisque les sommes d'argent dépensées pour les services de traduction ne donneraient aucun résultat pratique. De plus, la bonne foi de l'intimée, telle que le démontre le dossier, ne fait aucun doute. Elle s'est appliquée, dès le début, à collaborer à l'enquête du Commissaire aux langues officielles et s'est empressée de se conformer aux recommandations de ce dernier.

[72] La difficulté en l'espèce est de déterminer lesquelles des décisions rendues par l'intimée ont valeur de précédent, et d'assurer que celles qui le sont soient accessibles aux chercheurs et au public dans les deux langues officielles.  Il s'agit là du but véritable des présentes procédures, lequel ne pourra être atteint que si, en fin d'analyse, l'intimée développe des normes administratives pertinentes, sujettes à l'approbation de l'intervenant, de façon à régler ce différend dans le cadre des objectifs poursuivis par la LLO.

[73] Dans les circonstances, tenant compte au plan pratique de l'incidence que l'octroi d'un mandamus aurait, surtout à l'égard de milliers de décisions dont la traduction du contenu est sans intérêt, et tenant compte de la balance des inconvénients, nous croyons qu'il n'est pas opportun de rendre une ordonnance de mandamus pour le passé.  Ceci dit, il est clair que la politique actuelle suivie par l'intimée déroge à la Loi et qu'elle n'a, à compter du présent jugement, d'autres choix que de s'y conformer à moins que des modifications législatives ne soient apportées à l'article 20 de la LLO

Farah c. Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 292 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[38] À la suite de audition de cette affaire, j’ai émis une directive à l’intention des parties pour les informer que la Cour envisageait la possibilité d’appliquer l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur les langues officielles (L.R.C. [1985], ch. 31 [4e suppl.]) pour rendre sa décision en l’espèce. J’ai ordonné à chaque partie de signifier et de déposer un mémoire sur l’application potentielle du paragraphe 20(2) de la Loi. L’intimé n’a présenté aucun mémoire. Le demandeur en a déposé un, qui est examiné ci-après.

[39] L’alinéa 20(1)a) de la Loi prévoit que les décisions définitives – exposé des motifs compris – des tribunaux fédéraux doivent être simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour celui-ci. Toutefois, en vertu du paragraphe 20(2) de la Loi, si le tribunal estime que l’établissement d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision – exposé des motifs compris – est rendue d’abord dans l’une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais dans l’autre langue officielle. Elle est exécutoire à la date de prise d’effet de la première version.

[40] Bien que j’estime que la question à trancher en l’espèce en soit une de droit qui présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public, le mémoire du demandeur m’a convaincu que le fait de retarder la décision afin de la faire traduire lui causerait une injustice ou un inconvénient grave. M. Farah explique qu’il a prévu une rencontre avec l’Agence des services frontaliers du Canada pour se préparer en vue de son renvoi, qu’il prépare également son dossier de demande dans le cadre d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire liée à la décision défavorable rendue à l’issue de l’examen des risques avant renvoi et qu’il pourrait présenter sous peu une demande de sursis à cette mesure de renvoi. Il affirme subir du stress et faire face à des difficultés psychologiques en raison de la nature incertaine de la situation et soutient que le fait de connaître le résultat de l’affaire l’aiderait un peu. J’estime que le fait d’obliger M. Farah à exercer les recours auxquels il fait allusion, sans l’informer du résultat de la présente demande de contrôle judiciaire, alors que le tribunal a déjà pris sa décision, constituerait une injustice ou un inconvénient grave. Par conséquent, la présente décision est publiée en anglais et la traduction française suivra dans les meilleurs délais, conformément au paragraphe 20(2) de la Loi.

Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Procureur général), 2015 CF 405 (CanLII)

[67] Enfin, vu l’importance de la Loi sur l’accès à l’information, on pourrait dire qu’il faudrait rendre simultanément les présents motifs en français et en anglais, conformément à l’article 20 de la Loi sur les langues officielles. Cependant, les parties ont toutes demandé que l’on rende une des versions en premier, quelle qu’en soit la langue, plutôt que d’en attendre la traduction. La raison en est qu’un délai pourrait être préjudiciable à l’intérêt public, car il y a un arriéré de plaintes.

Y.Z. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892 (CanLII)

[173] Vu les motifs qui précèdent, je suis disposé à accorder aux demandeurs certaines des réparations qu’ils réclament, et notamment les suivantes :

1. La Cour déclare que l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27] est incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte et qu’il est inopérant en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, ch 11;

2. Les décisions rendues par la SAR [Section d’appel des réfugiés] dans les dossiers SAR nos TB302838, TB400950 et TB400951 sont annulées et les appels interjetés par G.S. et C.S. sont renvoyés à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision.

[175] Je ne vais également pas suspendre la déclaration d’invalidité comme le demandent les défendeurs. Dans l’arrêt Schachter c Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 RCS 679, à la page 719, 93 DLR (4th) 1 [Schachter], la Cour suprême a expliqué qu’il convient de suspendre une déclaration d’invalidité lorsqu’une déclaration d’invalidité immédiate poserait un danger pour le public, menacerait la primauté du droit ou priverait de bénéfices les personnes admissibles sans profiter à la personne dont les droits ont été violés. Aucun de ces critères ne s’applique en l’espèce.

[176] Occasionnellement, la Cour suprême a toutefois suspendu temporairement l’effet d’une déclaration d’invalidité lorsque l’on pouvait soutenir que les conditions énoncées dans l’arrêt Schachter n’étaient pas réunies pour donner suffisamment de temps au législateur d’élaborer une réparation appropriée (voir, par exemple, l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1999 CanLII 687 (CSC), [1999] 2 RCS 203, aux paragraphes 116 à 121, 173 DLR (4th) avec l’appui de la juge L’HeureuxDubé; Peter W Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 2 (Toronto, Thomson Reuters, 2007) (édition à feuilles mobiles mise à jour en 2014), ch 40, 40.1d)). Ce raisonnement est très convaincant lorsque le législateur dispose de divers moyens pour vraisemblablement corriger le problème, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Une déclaration immédiate d’invalidité est susceptible d’exercer des pressions supplémentaires sur les ressources de la SAR et de retarder certains renvois, mais chaque jour qui passe où l’alinéa 110(2)d.1) est en vigueur est un jour où l’on ne peut dire, s’agissant des demandeurs d’asile en provenance d’un POD [pays d’origine désigné], que la loi « ne fait exception de personne et s’applique également à tous » et où il faut admettre qu’ils seront privés de leur « droit à la même protection et au même bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimination ». Toute personne qui, dans l’intervalle, est expulsée risque d’être renvoyée dans un pays où elle pourrait subir des persécutions parce qu’elle ne pourrait interjeter appel devant la SAR d’une décision erronée de la SPR [Section de la protection des réfugiés]. La nécessité de corriger cette inégalité dans les meilleurs délais l’emporte sur tout fardeau administratif que cette mesure est susceptible d’imposer au gouvernement.

[177] Pour la même raison, le fait de rendre la présente décision simultanément dans les deux langues officielles « entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public » (Loi sur les langues officielles, LRC 1985, ch 31 (4e suppl.), alinéa 20(2)b) [la LLO]). Je reconnais toutefois que, dès lors que la présente décision tranche « [un] point de droit [qui] présente de l’intérêt ou de l’importance pour [le public] » (LLO, alinéa 20(1)a)), elle sera traduite dans les meilleurs délais.

Hussein c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), IMM-10939-12 (20 mars 2013) [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Les demandeurs sont des demandeurs d’asile déboutés. Ils demandent l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rendue le 21 septembre 2013. À la demande expresse des demandeurs, la SPR a tenu une audience et a rendu sa décision en français. L’avocat des demandeurs, qui s’est présenté devant la SPR, parlait couramment le français.

[2] Les demandeurs ont maintenant retenu les services de M. Hamalengwa et ont déposé un affidavit attestant que [traduction] « pour les fins de l’appel, nous avons décidé de retenir les services d’un avocat anglophone, et nous avons demandé à ce dernier d’obtenir une décision en anglais de façon à ce que nous puissions poursuivre équitablement un appel dans cette langue ». Dans l’avis de demande, ils ont demandé à ce que l’audience devant ce tribunal soit tenue en anglais, si la demande de contrôle judiciaire est acceptée. Il convient de noter que rien ne laisse croire que M. Hamalengwa ne peut lire ni comprendre la décision de la SPR. Par ailleurs, soulignons que M. Hamalengwa a présenté un exposé des arguments, au nom de ses clients, faisant état des prétendues erreurs ainsi que des aspects soi‑disant déraisonnables de la décision, malgré le fait qu’il soit sous‑entendu qu’une traduction en anglais est nécessaire afin de [traduction] « poursuivre équitablement » la demande.

[3] Les demandeurs ont le choix et le droit de faire entendre leur demande en anglais, si l’autorisation est accordée, ce qui sera le cas en l’espèce. Cette cour entend souvent des causes dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada, alors que la décision faisant l’objet du contrôle a été rendue dans l’autre langue officielle. Un juge bilingue est nommé pour entendre la demande, et un juge bilingue déterminera si l’autorisation doit être accordée.

[4] Si l’avocat des demandeurs exige que la décision ou tout autre document dans le dossier de la demande soit présenté en anglais, alors il incombe aux demandeurs et à leur avocat, et non à la SPR ou à ce tribunal, d’en obtenir une traduction, dans la mesure où les demandeurs ont fait le choix que l’audience concernant leur statut de réfugié soit tenue en français.

Pelaez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 356 (CanLII)

[18] Il me paraît également important de noter que la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31, autorise explicitement les tribunaux fédéraux à rendre leurs décisions orales dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. L'article 20 de cette loi est libellé comme suit : […]

Même si la SPR [Section de la protection des réfugiés] est un tribunal administratif fédéral (federal tribunal) et non un « tribunal [judiciaire] fédéral » (federal court), la Loi sur les langues officielles garde néanmoins une valeur persuasive pour ce qui est d'établir les obligations de la CISR [Commission de l’immigration et du statut de réfugié] en matière de langues officielles. La SPR s'étant conformée à cette loi, on ne peut dire qu'elle ait commis une erreur de droit en prononçant sa décision oralement en français, sous réserve de l'établissement ultérieur d'une version anglaise, même si le demandeur avait demandé que son affaire soit instruite en anglais. Quoi qu'il en soit, il convient de répéter que, dans la présente espèce, l'avocat du demandeur a consenti à ce que la SPR prononce sa décision oralement en français sous réserve de l'établissement ultérieur d'une version anglaise.

Voir également :

Alani c. Canada (Premier ministre), 2016 CF 1139 (CanLII)

Sztern c. Canada (Procureur général), 2010 CF 181 (CanLII)

Chanel S. de R.L. c. Genève accessoires Inc., 2008 CF 87 (CanLII)

Frezza c. Lauzon, 1999 CanLII 7402 (CF)

 

Partie IV – Communications avec le public et prestation des services

Communications et services

21. Droits en matière de communication

21. Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services conformément à la présente partie.

Annotations

DesRochers c. Canada (Industrie), [2009] 1 R.C.S. 194, 2009 CSC 8 (CanLII)

[2] Il est acquis dans le présent pourvoi que les droits réclamés sont de source constitutionnelle puisque les dispositions pertinentes de la LLO mettent en œuvre le droit constitutionnel du public d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 773).  La question constitutionnelle formulée par la juge en chef est la suivante :

Le paragraphe 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et la partie IV de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31, interprétés à la lumière du principe de l’égalité énoncé au par. 16(1) de la Charte, obligent-ils Industrie Canada à fournir des services qui sont de qualité égale dans les deux langues officielles?

[3] D’un commun accord, les parties conviennent, à juste titre à mon avis, que les dispositions mentionnées dans la question constitutionnelle comportent l’obligation constitutionnelle de mettre à la disposition du public des services « qui sont de qualité égale dans les deux langues officielles ».  La réponse à la question constitutionnelle est donc clairement affirmative.  La question en litige en l’espèce concerne plutôt la portée de cette notion de « services de qualité égale ».

[…]

[23] Il est clair, à la seule lecture du texte de la loi, que la distinction entre la partie IV et la partie VII est importante.  Il est également clair, d’après la preuve présentée en l’espèce, que le recours formé par les appelants DesRochers et CALDECH visait essentiellement, dans un premier temps, à démontrer qu’il existait un besoin réel de services de développement économique au sein de la communauté francophone et, dans un deuxième temps, à convaincre le tribunal que le gouvernement avait l’obligation positive de prendre des mesures concrètes pour appuyer le développement de la communauté francophone dans le comté de Simcoe afin de contrer le taux d’assimilation grandissant.  Comme nous le verrons, la question de savoir si les obligations découlant de la partie IV ont été respectées est beaucoup plus circonscrite que le but du recours formé devant la Cour fédérale.  Afin d’y répondre, il faut essentiellement faire une analyse comparative pour déterminer si les services offerts par l’institution fédérale dans l’une et l’autre communautés de langue officielle sont de qualité égale.  Je passe maintenant en revue les décisions des tribunaux d’instance inférieure dans la présente affaire.

[…]

[45] Comme je l’ai indiqué dans l’introduction de ces motifs, les parties sont d’accord qu’en règle générale, le principe de l’égalité linguistique en matière de réception  de services, prévu au par. 20(1) de la Charte et mis en œuvre par la partie IV de la LLO, comporte l’obligation de mettre à la disposition du public des services « qui sont de qualité égale dans les deux langues officielles ».  Les parties, par contre, n’ont pas la même vision de ce qu’on entend par « qualité égale ».

[…]

[51] Il me paraît clair que les intimés ont raison de dire que le principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services gouvernementaux, selon le par. 20(1) de la Charte et la partie IV de la LLO, donne une garantie par rapport aux services offerts par l’institution fédérale.  Par contre, il n’est pas tout à fait juste de dire que l’égalité linguistique en matière de prestation de services ne peut comprendre l’accès à des services dont le contenu est distinct.  Selon la nature du service en question, il se peut que l’élaboration et la mise en œuvre de services identiques pour chacune des communautés linguistiques ne permettent pas de réaliser l’égalité réelle.  Le contenu du principe de l’égalité linguistique en matière de services gouvernementaux n’est pas nécessairement uniforme.  Il doit être défini en tenant compte de la nature du service en question et de son objet.  Considérons le programme de développement économique communautaire en l’espèce.

[…]

[54] Vu la nature du service offert en l’espèce, je ne partage donc pas l’opinion du juge Létourneau que le principe de l’égalité linguistique ne confère pas un droit à « un accès à des services égaux de développement économique régional » (par. 33), ou encore que les intimés n’étaient pas tenus en vertu de la partie IV de la LLO, de « prendre les mesures nécessaires pour que les francophones soient considérés comme des partenaires égaux avec les anglophones » (par. 38) dans la définition et la prestation des services de développement économique.  Il me paraît ici, soit dit en tout respect, que le juge Létourneau n’a pas tenu compte pleinement de la nature du programme en question et de ses objectifs lorsqu’il a ainsi défini la portée des obligations découlant de la garantie d’égalité linguistique.  Ce qui compte, c’est que les services offerts soient de qualité égale dans les deux langues.  L’analyse est forcément comparative. Ainsi, dans la mesure où Simcoe Nord, conformément aux objectifs des programmes, faisait des efforts pour toucher la communauté linguistique majoritaire et l’engager dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes, il lui incombait d’en faire autant pour la communauté linguistique minoritaire.

[55] Il est important, cependant, d’apporter deux précisions quant à la portée du principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services.  Premièrement, les obligations qui découlent de la partie IV de la LLO ne requièrent pas que les services gouvernementaux atteignent un seuil minimal de qualité ou qu’ils répondent effectivement aux besoins en cause de chaque communauté de langue officielle.  Il se peut que les services soient de qualité égale dans les deux langues, mais inadéquats, ou même de mauvaise qualité, et qu’ils ne satisfassent pas aux besoins de l’une ou l’autre communauté linguistique en matière de développement économique communautaire.  Une lacune à cet égard tiendrait peut-être à un manquement aux obligations imposées par la LMI [Loi sur le ministère de l’Industrie], comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale en l’espèce.  Ou encore, comme semblait le croire la Commissaire, il pourrait s’agir d’un manquement à des obligations découlant de la partie VII.  Je reviendrai sur ce point.

[56] Deuxièmement, le principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services ne signifie pas non plus qu’il doive y avoir égalité de résultats pour chacune des deux communautés linguistiques.  Il se peut qu’une inégalité de résultats constitue un indice valable d’une inégalité dans la qualité des services offerts à chacune des communautés linguistiques.  Par contre, les résultats d’un programme de développement économique communautaire destiné à l’une ou l’autre collectivité de langue officielle peuvent être tributaires d’un grand nombre de facteurs, parfois difficiles à cerner exactement.

[…]

[62] Il ne fait aucun doute qu’une disparité dans les résultats peut être un indice d’une inégalité dans la qualité des services, mais il ne faut pas s’arrêter là.  Peuvent entrer en jeu plusieurs facteurs qui n’ont rien à voir avec la qualité comparative des services offerts par l’institution fédérale dans chacune des langues officielles.  En l’espèce, à l’appui de leur prétention que les services n’étaient pas de qualité égale, les appelants insistent beaucoup sur le succès de CALDECH, qui a mis en œuvre plus de 50 projets destinés à la communauté francophone.  La mesure dans laquelle ce fait permet d’évaluer la qualité comparative des services offerts par Simcoe Nord dans l’une et l’autre langues officielles est discutable.  Il me semble que la présence même de CALDECH peut expliquer pourquoi si peu de francophones ont choisi de se prévaloir des services offerts par Simcoe Nord, quelle qu’en soit la qualité.  Quoi qu’il en soit, l’apparente disparité qui existe en l’espèce entre les résultats pour les deux communautés linguistiques ne permet pas de conclure que les services sont de qualité inégale.

[63] Chose certaine, bien que les parties contestent le nombre des projets de CALDECH qu’Industrie Canada aurait réellement appuyés, le fait que CALDECH a réussi à toucher la communauté linguistique minoritaire et à l’engager dans de nombreux projets de développement économique communautaire démontre qu’il y a un besoin réel de tels services au sein de la communauté francophone de la Huronie et qu’il est possible d’y répondre.  Mais je ne peux conclure que le défaut de combler cette carence relève du principe de l’égalité linguistique en matière de communications et de prestation de services tel que mis en œuvre par la partie IV de la LLO.  Tout comme le juge d’instance Harrington, j’estime que les arguments des appelants se rapportent essentiellement à de prétendues violations de la partie VII de la LLO.  Il est notable que, dans chacun de ses trois rapports, la Commissaire a fait une distinction nette entre les obligations résultant  du principe de l’égalité en matière de communications et de prestation de services prévue à la partie IV et celles qui découlent de l’engagement du gouvernement de favoriser l’épanouissement et le développement des minorités linguistiques énoncé à la partie VII.  Elle a, dans tous ses rapports, situé l’obligation de prendre en considération et de répondre aux besoins et préoccupations particuliers de la communauté d’affaires de langue française du comté de Simcoe en matière de développement économique dans le cadre de la partie VII.

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[1] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31] (la Loi) permet à tout « groupe » de porter plainte devant la commissaire aux langues officielles (la commissaire). S'autorisant de ce paragraphe, le Forum des maires de la Péninsule acadienne (le Forum ou l'intimé), en octobre 1999, s'est plaint auprès de la commissaire de ce qu'une réorganisation administrative effectuée au Nouveau-Brunswick par l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'Agence) l'avait été au détriment des régions francophones du nord de la province. Le Forum reprochait plus précisément à l'Agence d'avoir transféré quatre inspecteurs du bureau de Shippagan, dans la péninsule acadienne, au bureau de Shédiac situé dans le sud-est de la province, d'avoir confié la supervision du bureau d'inspection des aliments pour la Péninsule acadienne à un gestionnaire unilingue anglophone du bureau de Blacks Harbour et d'avoir constamment diminué, depuis les années 1990, le nombre d'employés à la division de l'inspection de Shippagan. Le Forum soutenait que les décisions prises par l'Agence avaient un impact, non seulement sur le service au public et sur la capacité de l'Agence de respecter le droit des employés du bureau de Shippagan de travailler en français, mais aussi sur l'économie de la région. Le Forum soutenait également que les décisions de l'Agence reflétaient une tendance d'érosion graduelle des services en place qui se développait dans la région (D.A., vol. 1, à la page 46).

[…]

[48] Le droit dont il s'agit, dans cette partie IV, est celui du public « de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services conformément à la présente partie » (article 21). Ce droit du public l'emporte, selon l'article 31, sur le droit conféré par la partie V « Langue de travail » aux agents des institutions fédérales de travailler dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.

[…]

[52] À l'instar de la commissaire et du juge, j'estime qu'il est permis de conclure, vu la preuve au dossier, que l'Agence a réduit ses services à Shippagan sans se préoccuper de l'effet de cette réduction sur le droit de la minorité francophone de recevoir ces services en français et que la réduction des services a eu comme effet de porter atteinte au droit que l'article 21 de la Loi reconnaît à cette minorité. Il est clair, selon moi, qu'au moment où la plainte a été déposée, celle-ci était bien fondée.

Ayangma c. Canada, 2003 CAF 149 (CanLII)

[31] […] Les articles 21, 22 et 28 de la LLO se trouvent dans la partie IV de la Loi, intitulée « Communication avec le public et prestation des services ». Bien qu'elle ne soit pas définie dans la loi, l'expression « prestation des services » ne s'applique manifestement pas à un concours tenu sous le régime de la LEFP [Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33], laquelle porte sur la dotation en personnel de la fonction publique et qui renferme ses propres dispositions linguistiques. […]

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[42] La LLO comporte plusieurs parties. Les parties I à VI de la loi établissent une série de droits linguistiques dans de nombreux contextes, dont : les débats et travaux parlementaires; les actes législatifs et autres; l’administration de la justice; les communications avec le public; et la langue de travail. Plus particulièrement, la partie IV porte sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix. Au sein de la partie IV, l’article 21 prévoit le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. L’article 22 impose aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les membres du public puissent communiquer avec leurs bureaux et recevoir des services de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles là où l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante. L’article 25 dispose que les institutions fédérales doivent veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues à une telle obligation. L’article 27 prévoit que les obligations des institutions fédérales en matière de communications et services dans les deux langues officielles valent également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache. Enfin, l’article 28 ajoute que les institutions fédérales doivent veiller à faire de l’offre active dans les deux langues officielles.

[…]

[179] Si la Colombie-Britannique avait agi « pour [le] compte » d’une institution fédérale et que l’article 25 et la partie IV s’appliquaient, il faudrait alors démontrer le bien-fondé de la plainte de la FFCB devant le Commissaire, soit l’existence d’une violation des droits linguistiques énoncés à la partie IV à la date du dépôt de la plainte, en fonction des faits existant à ce moment-là et de la preuve faite devant la Cour. Toutefois, ayant déterminé que, dans le cadre de l’Entente, la Colombie-Britannique n’agit pas sous le contrôle d’EDSC ou de la Commission, que ni l’un ni l’autre ne lui a délégué ses fonctions et que la province offre ses services d’aide à l’emploi conformément à sa compétence législative, je n’ai pas à considérer si la demande de la FFCB au niveau de la partie IV était bien fondée au moment de sa plainte au Commissaire, le 15 juin 2011.

[180] Pour l’ensemble de ces raisons, je conclus que la partie IV de la LLO ne s’applique pas aux services d’aide à l’emploi visés par l’Entente. Du même souffle, il va de soi qu’aucune entrave à l’article 25 de la LLO ou au paragraphe 20(1) de la Charte ne s’est produite en l’instance. Je comprends que, comme l’a souligné le président de la FFCB, Réal Roy, dans son affidavit, les services d’aide à l’emploi sont d’une importance primordiale pour la communauté francophone de la Colombie-Britannique. Le travail, après tout, « est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société » (Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 RCS 313 au para 91). Il est, comme la langue d’ailleurs, une composante essentielle de l’identité d’une personne (Shakov aux para 111-112 (motifs dissidents, mais non sur ce point)).

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.) [hyperlien non disponible]

[20] Il y a davantage. Les dispositions précitées font voir que le Parlement a porté son attention sur la question de la sélection fondée sur le mérite. S'il avait voulu profiter de l'occasion pour conférer une compétence nouvelle au comité d'appel, il l'aurait très certainement fait, en même temps qu'il s'affairait à établir le nouveau recours judiciaire établi dans la partie X. Il ne faut pas oublier que si la Loi sur les langues officielles de 1988 consacre le droit des agents de l'État d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles (article 34), elle consacre également le droit du public d'être servi, conformément aux dispositions de la partie IV, dans l'une ou l'autre langue (article 21). Il est permis de penser que le législateur n'a pas jugé opportun de faire du comité d'appel l'instrument décisionnel approprié pour jauger les droits respectifs des agents de l'État et du public dans le domaine particulièrement sensible de la langue de travail et de la langue de service au sein de l'appareil gouvernemental fédéral. Le Parlement pouvait très certainement préférer confier cette tâche délicate au commissaire et à des juges. Il serait imprudent de remettre cette préférence en question.

Thibodeau c. Aéroport international d’Halifax, 2018 CF 223 (CanLII)

[22] […] Bien au contraire, les articles en question constituent exactement le type de preuve admissible pour vérifier le respect des obligations de la partie IV de la LLO, soit, permettre d’assurer l’égalité des services de langue anglaise et de langue française, ainsi que la protection la plus complète de ces garanties linguistiques quasi constitutionnelles.

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[38] La LLO comporte plusieurs parties, dont la partie IV sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix et la partie V sur la langue de travail et l’égalité de statut et d’usage des deux langues officielles dans les institutions du gouvernement du Canada. Chacune de ces parties a un ancrage constitutionnel, soit l’article 20 de la Charte pour la langue de service et le paragraphe 16(1) de la Charte pour la langue de travail (Schreiber c Canada, [1999] ACF no 1576 [Schreiber] au para 125; voir aussi Jennifer Klink et al, « Le droit à la prestation des services dans les langues officielles » dans Michel Bastarache et Michel Doucet, dir, Les droits linguistiques au Canada, 3e éd, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014 aux pp 523-24).

[39] Au sein de la partie IV de la LLO, l’article 21 prévoit le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services. Les articles 22 et 24 imposent aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les membres du public puissent communiquer avec leurs bureaux et recevoir des services de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles. Par ailleurs, l’article 27 prévoit que les obligations des institutions fédérales en matière de communications et services dans les deux langues officielles valent également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache.

[…]

[93]  Les droits conférés aux contribuables par la partie IV de la LLO doivent avoir un sens. Comme le disait la Cour dans Norton au para 76, le droit aux communications dans la langue officielle de son choix « emporte le droit d’être entendu et d’être compris par l’institution dans l’une ou l’autre des langues officielles ». Or, pour qu’un contribuable puisse être compris et bénéficier d’un service égal dans sa langue dans ses communications avec l’ARC, il faut que les agents d’appel soient à même de comprendre le dossier des contribuables avec qui ils communiquent, incluant les notes au « bloc-notes ». Un simple respect de forme « ne répond pas à la lettre et à l’esprit des dispositions de la partie IV de la LLO » (Norton au para 76).

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[76] Pour en revenir à la nature des droits conférés au public par la partie IV de la LLO, il faut comprendre que le droit de communiquer, qui est déjà garanti par l'article 20 de la Charte, emporte le droit d'être entendu et d'être compris par l'institution dans l'une ou l'autre des langues officielles. De plus, le concept de « services » publics, qui est également garanti par l'article 20 de la Charte, est plus large que le concept de « communications ». L'utilisation de l'interprétation simultanée ou de l'interprétation consécutive est irréaliste dans le cas de communications de vive voix et elle diminue la qualité du service. Par conséquent, il n'est possible d'être servi dans la langue officielle de son choix dans les cas visés par la loi que si des fonctionnaires bilingues sont présents. Un respect de pure forme ne répond pas à la lettre et à l'esprit des dispositions de la partie IV de la LLO, qui exigent une « offre active ». Voir Nicole Vaz et Pierre Foucher, Les droits linguistiques au Canada, 2e édition, compilé par Michel Bastarache (Les Éditions Yvon Blais, 2004), chapitre 4.

Voir également : Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner c. Via Rail Canada, 2009 CF 857 (CanLII), Temple c. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 RCF 80, 2009 CF 858 (CanLII)

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF)

[125] Sur le plan constitutionnel, les droits linguistiques constitutionnalisés dans les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte entrent en jeu en l'espèce. Quant à la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques en cause sont le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services, prévu par l'article 21, et celui conféré par l'article 34, selon lequel le français et l'anglais sont les langues de travail dans les institutions fédérales et le personnel a le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles conformément à la partie V. Les droits linguistiques prévus dans les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles font écho à ceux garantis par les paragraphes 20(1) et 16(1) de la Charte, respectivement. Les obligations correspondantes imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 de la Loi sur les langues officielles sont aussi pertinentes.

[…]

[129] Comme je l'ai déjà mentionné, les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles reconnaissent, respectivement, le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services et le droit d'un fonctionnaire d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles pour effectuer son travail, le français et l'anglais étant les langues de travail des institutions fédérales. Les obligations légales correspondantes imposées par l'article 22 et par les articles 35 et 36 exigent respectivement que les institutions fédérales veillent à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans les deux langues officielles dans la région de la capitale nationale et dans les autres régions désignées, et à ce que leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles. Ces obligations, qui incombent aux institutions fédérales en vertu de la Loi sur les langues officielles, sont conformes au principe de l'égalité réelle qui exige que le gouvernement prenne des mesures positives pour mettre en œuvre les droits linguistiques reconnus. En d'autres termes, l'objet des obligations légales imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 consiste à mettre en œuvre les droits reconnus par les articles 21 et 34 et à leur donner un effet et une signification réels. […]

Voir également :

Moore c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1127 (CanLII)

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

R. c. Jervis, 1984 CarswellMan 294, 11 C.R.R. 373, 12 W.C.B. 195, 27 Man. R. (2d) 217 [1984] M.J. No. 359 (Man. Co. ct.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

 

22. Langues des communications et services

22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale,  et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles.  Cette obligation vaut également pour leurs bureaux - auxquels sont assimilés, pour l'application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services - situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.           

Annotations

Thibodeau c. Air Canada, [2014] 3 R.C.S. 340, 2014 CSC 67 (CanLII)

[13] Air Canada et sa filiale Jazz sont assujetties à la LLO : voir Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, L.R.C. 1985, ch. 35 (4e suppl.), art. 10. (Par souci de commodité, ces deux sociétés seront collectivement appelées « Air Canada » dans les présents motifs.)  La LLO impose à Air Canada l’obligation de fournir des services en français ou en anglais là où l’emploi d’une de ces langues fait l’objet d’une « demande importante » : voir art. 22.

[…]

[15] Monsieur et Madame Thibodeau n’ont pas reçu de services en français lors de trois vols internationaux d’Air Canada et dans un aéroport, incidents survenus sur une période d’environ quatre mois en 2009.  Sur certains vols, aucun agent de bord n’était en mesure d’assurer des services en français et, dans certains cas, les annonces destinées aux passagers à bord des avions et dans le terminal ont été faites exclusivement en anglais.

[16] Le 23 janvier 2009, lors d’un vol de Toronto à Atlanta, en Géorgie, M. et Mme Thibodeau n’ont pas reçu de services en français parce qu’il n’y avait aucun agent de bord bilingue dans l’avion.  Quelques jours plus tard, alors qu’ils revenaient d’Atlanta, aucune annonce n’a été faite en français par le pilote, ni traduite dans cette langue.  Le 12 mai 2009, les Thibodeau n’ont de nouveau pas reçu de services en français, cette fois sur un vol en provenance de Charlotte, en Caroline du Nord, à destination de Toronto.  À leur arrivée à Toronto, une annonce concernant la réception des bagages a été faite exclusivement en anglais.

[17] Il est maintenant acquis aux débats qu’Air Canada a, à ces occasions, manqué aux obligations que lui impose l’art. 22 de la LLO.

[…]

[136] Il n’est pas contesté qu’Air Canada a manqué aux obligations que lui impose l’art. 22 de la Loi sur les langues officielles en omettant de fournir des services et des annonces en français. […]

DesRochers c. Canada (Industrie), [2009] 1 R.C.S. 194, 2009 CSC 8 (CanLII)

[1] La Cour est appelée en l’espèce à statuer sur la nature et la portée du principe de l’égalité linguistique en matière de communications et de prestation de services tel que mis en œuvre par la partie IV de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (« LLO »).  Il s’agit plus particulièrement du service de développement économique communautaire offert en Huronie, une région de l’Ontario où l’emploi de la langue officielle minoritaire fait l’objet d’une « demande importante » au sens de l’art. 22 de la LLO.  Ces services sont offerts par le ministère de l’Industrie du Canada dans le cadre de ses fonctions et pouvoirs prévus par la Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1 (« LMI »), et sont mis en œuvre par l’entremise de diverses sociétés d’aide au développement des collectivités (« SADC »).

[…]

[17] La partie IV de la LLO est intitulée « Communications avec le public et prestation des services ».  Il s’agit précisément en l’espèce de décider si les intimés ont manqué à l’obligation imposée par l’art. 22 de veiller à ce que le public puisse « communiquer » avec l’institution fédérale et en « recevoir les services, dans l’une ou l’autre des langues officielles ».

[…]

[23] Il est clair, à la seule lecture du texte de la loi, que la distinction entre la partie IV et la partie VII est importante.  Il est également clair, d’après la preuve présentée en l’espèce, que le recours formé par les appelants DesRochers et CALDECH visait essentiellement, dans un premier temps, à démontrer qu’il existait un besoin réel de services de développement économique au sein de la communauté francophone et, dans un deuxième temps, à convaincre le tribunal que le gouvernement avait l’obligation positive de prendre des mesures concrètes pour appuyer le développement de la communauté francophone dans le comté de Simcoe afin de contrer le taux d’assimilation grandissant.  Comme nous le verrons, la question de savoir si les obligations découlant de la partie IV ont été respectées est beaucoup plus circonscrite que le but du recours formé devant la Cour fédérale.  Afin d’y répondre, il faut essentiellement faire une analyse comparative pour déterminer si les services offerts par l’institution fédérale dans l’une et l’autre  communautés de langue officielle sont de qualité égale.  Je passe maintenant en revue les décisions des tribunaux d’instance inférieure dans la présente affaire.

[…]

[40] Il est incontesté que la Huronie est une région où l’emploi de la langue officielle minoritaire fait l’objet d’une « demande importante » au sens de l’art. 22.  Aussi, il n’est plus contesté devant la Cour que, comme l’ont conclu les instances inférieures, l’art. 25 s’applique en l’espèce.  Il s’agit de déterminer si les intimés se sont acquittés des obligations découlant de l’art. 22.

[41] La portée de l’art. 22 doit être appréciée, entre autres, selon l’objet de la LLO.  Les appelants se fondent plus particulièrement sur l’al. 2a), dont voici le texte :

2.  La présente loi a pour objet :

a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions;

[…]

[45] Comme je l’ai indiqué dans l’introduction de ces motifs, les parties sont d’accord qu’en règle générale, le principe de l’égalité linguistique en matière de réception  de services, prévu au par. 20(1) de la Charte et mis en œuvre par la partie IV de la LLO, comporte l’obligation de mettre à la disposition du public des services « qui sont de qualité égale dans les deux langues officielles ».  Les parties, par contre, n’ont pas la même vision de ce qu’on entend par « qualité égale ».

[…]

[51] Il me paraît clair que les intimés ont raison de dire que le principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services gouvernementaux, selon le par. 20(1) de la Charte et la partie IV de la LLO, donne une garantie par rapport aux services  offerts par l’institution fédérale.  Par contre, il n’est pas tout à fait juste de dire que l’égalité linguistique en matière de prestation de services ne peut comprendre l’accès à des services dont le contenu est distinct.  Selon la nature du service en question, il se peut que l’élaboration et la mise en œuvre de services identiques pour chacune des communautés linguistiques ne permettent pas de réaliser l’égalité réelle.  Le contenu du principe de l’égalité linguistique en matière de services gouvernementaux n’est pas nécessairement uniforme.  Il doit être défini en tenant compte de la nature du service en question et de son objet.

[…]

[55] Il est important, cependant, d’apporter deux précisions quant à la portée du principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services.  Premièrement, les obligations qui découlent de la partie IV de la LLO ne requièrent pas que les services gouvernementaux atteignent un seuil minimal de qualité ou qu’ils répondent effectivement aux besoins en cause de chaque communauté de langue officielle.  Il se peut que les services soient de qualité égale dans les deux langues, mais inadéquats, ou même de mauvaise qualité, et qu’ils ne satisfassent pas aux besoins de l’une ou l’autre communauté linguistique en matière de développement économique communautaire.  Une lacune à cet égard tiendrait peut-être à un manquement aux obligations imposées par la LMI, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale en l’espèce.  Ou encore, comme semblait le croire la Commissaire, il pourrait s’agir d’un manquement à des obligations découlant de la partie VII.  Je reviendrai sur ce point.

[56] Deuxièmement, le principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services ne signifie pas non plus qu’il doive y avoir égalité de résultats pour chacune des deux communautés linguistiques.  Il se peut qu’une inégalité de résultats constitue un indice valable d’une inégalité dans la qualité des services offerts à chacune des communautés linguistiques.  Par contre, les résultats d’un programme de développement économique communautaire destiné à l’une ou l’autre collectivité de langue officielle peuvent être tributaires d’un grand nombre de facteurs, parfois difficiles à cerner exactement.

Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308 (CanLII)

[39] Cependant, dans d’autres dispositions relatives aux droits linguistiques, comme le paragraphe 20(1) de la Charte et l’article 25 de la Loi, le législateur a opté pour le terme « communiquer » (to communicate). Je suis d’avis que cela était délibéré.

[40] Le terme « communiquer » suppose une interaction, des actions bilatérales entre les parties. Le verbe « employer » n’englobe pas une telle interaction. Ce droit est unilatéral : on a le droit de s’adresser à la Chambre des communes dans la langue officielle de son choix. En l’espèce, M. Knopf a fait connaître son opinion sur des sujets précis intéressant le Comité et il a déposé ses documents. Là s’arrête le droit qu’il peut invoquer en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi.

Ayangma c. Canada, 2003 CAF 149 (CanLII)

[31]  Les articles 21, 22 et 28 de la LLO se trouvent dans la partie IV de la Loi, intitulée « Communication avec le public et prestation des services ». Bien qu'elle ne soit pas définie dans la loi, l'expression « prestation des services » ne s'applique manifestement pas à un concours tenu sous le régime de la LEFP [Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33], laquelle porte sur la dotation en personnel de la fonction publique et qui renferme ses propres dispositions linguistiques. […]

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

[23] Il nous apparaît important de noter que l'article 22 de la Loi est essentiellement la reproduction de l'alinéa 20(1)a) de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui invite la Cour à l'interpréter de la même manière que serait interprétée cette disposition de la Charte.

[24] De plus, il appert de l’article 31 de la Loi que les dispositions de la partie IV, qui porte sur la langue des communications avec le public et de la prestation des services (dont les articles 22 et 27), l’emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V, qui porte sur la langue du travail.

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[42] La LLO comporte plusieurs parties. Les parties I à VI de la loi établissent une série de droits linguistiques dans de nombreux contextes, dont : les débats et travaux parlementaires; les actes législatifs et autres; l’administration de la justice; les communications avec le public; et la langue de travail. Plus particulièrement, la partie IV porte sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix. Au sein de la partie IV, l’article 21 prévoit le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. L’article 22 impose aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les membres du public puissent communiquer avec leurs bureaux et recevoir des services de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles là où l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante. L’article 25 dispose que les institutions fédérales doivent veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues à une telle obligation. L’article 27 prévoit que les obligations des institutions fédérales en matière de communications et services dans les deux langues officielles valent également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache. Enfin, l’article 28 ajoute que les institutions fédérales doivent veiller à faire de l’offre active dans les deux langues officielles.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Picard c. Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86 (CanLII)

[54]  Je conviens avec les défendeurs que la publication de certaines composantes de brevets sur le site web du Bureau des brevets n’est pas un « service » distinct qui doit, en soi, être rendu dans les deux langues officielles. Le Bureau ne fait que reproduire (partiellement) le texte des brevets, tels qu’ils existent. La question d’une violation de l’article 22 de la Loi sur les langues officielles distincte d’une violation de l’article 12 se poserait si les brevets étaient bilingues, mais le Bureau ne publiait sur son site web qu’une de leurs deux versions. Ce n’est pas le cas, et je suis donc d’avis que le Bureau ne contrevient ni l’article 22 de la Loi sur les langues officielles ni à la Charte

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[98] Ce qui constitue, en vertu de la Charte ou de la LLO, une « demande importante », ou la question de savoir dans quelles circonstances il est raisonnable, en raison de la « vocation du bureau », de dispenser des services bilingues, fait l'objet d'interprétations divergentes. Des critères réglementaires procurent une plus grande certitude et une plus grande uniformité dans l'application de ces concepts mal définis. À cette fin, les règlements établis par le gouverneur en conseil en vertu de la partie IV de la LLO énumèrent des cas précis où les gares ferroviaires ou les trajets sont « réputés » satisfaire aux critères de la « demande importante » ou de la « vocation du bureau » (articles 7, 9, 11 et 12). Par conséquent, les règlements établissent une présomption légale facilitant la preuve que les critères prévus dans la Charte ou dans la LLO sont satisfaits. Il s'agit de leur objet fondamental, mais ils ne sont pas exhaustifs et ils ne devraient pas être interprétés et appliqués de façon rigoureuse. En effet, la Cour doit accepter que ni les règlements ni Burolis ne peuvent l'emporter sur la LLO ou la Charte, ou restreindre la LLO ou la Charte, et qu'ils doivent toujours être interprétés et appliqués d'une manière conforme aux objectifs généraux du préambule de la LLO et refléter les valeurs fondamentales de la Charte et de la politique canadienne en matière de bilinguisme.

Voir également : Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner c. Via Rail Canada, 2009 CF 857 (CanLII), Temple c. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 RCF 80, 2009 CF 858 (CanLII)

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF)

[113] La partie IV de la Loi sur les langues officielles, intitulée « Communications avec le public et prestation des services », crée certains droits et obligations correspondantes relativement aux communications et à la prestation de services dans les deux langues officielles. L'article 21 confère plus particulièrement au public le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services dans l'une ou l'autre langue conformément à la partie IV. Les articles 22 à 26 inclusivement visent à mettre en oeuvre ce droit général et à lui donner un effet pratique en imposant différentes obligations aux institutions fédérales. Aux fins de la présente instance, seul l'article 22 est pertinent. Il exige que les communications avec les institutions fédérales et la prestation de leurs services se fassent dans les deux langues officielles dans certaines régions du pays, dont celle de la capitale nationale. L'article 22 impose l'obligation suivante aux institutions fédérales : […]

[125] Sur le plan constitutionnel, les droits linguistiques constitutionnalisés dans les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte entrent en jeu en l'espèce. Quant à la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques en cause sont le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services, prévu par l'article 21, et celui conféré par l'article 34, selon lequel le français et l'anglais sont les langues de travail dans les institutions fédérales et le personnel a le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles conformément à la partie V. Les droits linguistiques prévus dans les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles font écho à ceux garantis par les paragraphes 20(1) et 16(1) de la Charte, respectivement. Les obligations correspondantes imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 de la Loi sur les langues officielles sont aussi pertinentes.

[…]

[129] Comme je l'ai déjà mentionné, les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles reconnaissent, respectivement, le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services et le droit d'un fonctionnaire d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles pour effectuer son travail, le français et l'anglais étant les langues de travail des institutions fédérales. Les obligations légales correspondantes imposées par l'article 22 et par les articles 35 et 36 exigent respectivement que les institutions fédérales veillent à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans les deux langues officielles dans la région de la capitale nationale et dans les autres régions désignées, et à ce que leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles. Ces obligations, qui incombent aux institutions fédérales en vertu de la Loi sur les langues officielles, sont conformes au principe de l'égalité réelle qui exige que le gouvernement prenne des mesures positives pour mettre en œuvre les droits linguistiques reconnus. En d'autres termes, l'objet des obligations légales imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 consiste à mettre en œuvre les droits reconnus par les articles 21 et 34 et à leur donner un effet et une signification réels. De plus, les articles 35 et 36 reconnaissent par voie législative le fait que le droit de travailler dans l'une ou l'autre des langues officielles dans une institution fédérale est illusoire en l'absence d'un milieu qui respecte l'emploi des deux langues officielles et en favorise l'épanouissement. L'objet des articles 35 et 36 est donc de garantir la promotion et le développement de milieux de travail bilingues dans les institutions fédérales.

[…]

[132] En l'espèce, étant donné la nature intégrée des opérations de contrôle de la circulation aérienne et l'importance du fait que tous les contrôleurs soient au courant des activités et des événements qui surviennent dans le secteur, le ministère a décidé de s'acquitter des devoirs et obligations que lui impose la Loi sur les langues officielles de donner effet aux droits linguistiques prévus par les articles 21 et 34 en instaurant un milieu de travail bilingue pour la prestation sécuritaire et effective des services bilingues de contrôle de la circulation aérienne. En effet, depuis la création de services bilingues de contrôle de la circulation aérienne au Québec en 1978, le ministère a toujours maintenu que tous les contrôleurs de la circulation aérienne travaillant dans une région qui offre de tels services doivent être bilingues. Le ministère croyait aussi qu'un milieu de travail entièrement bilingue était nécessaire pour promouvoir la cohésion dans l'effort de groupe requis dans le milieu complexe du contrôle de la circulation aérienne, et que la présence d'un contrôleur unilingue de la circulation aérienne [traduction] « obligerait chacun à travailler dans sa langue » , ce qui l'empêcherait d'atteindre son but. De plus, l'Association canadienne du contrôle du trafic aérien s'est toujours opposée à la mise en œuvre de services bilingues de contrôle de la circulation aérienne à la Tour de contrôle d'Ottawa, à moins qu'ils puissent être [traduction] « mis en œuvre de façon sécuritaire, à l'aide d'un personnel complet de contrôleurs bilingues compétents et entièrement qualifiés. » Même M. Schreiber, au cours de son contre-interrogatoire, a reconnu qu'il était [Traduction] « préférable » que tous les contrôleurs de la circulation aérienne soient bilingues. Le ministère a donc tenté de créer un milieu de travail entièrement bilingue pour faciliter l'exercice par le public de son droit de communiquer et de recevoir des services dans l'une ou l'autre langue officielle et pour respecter le droit conféré aux employés par l'article 34 d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles. En fait, compte tenu de la nature unique des opérations de contrôle de la circulation aérienne, seul un milieu de travail entièrement bilingue pouvait être « ... propice à l'usage effectif des deux langues officielles tout en permettant [au] personnel d'utiliser l'une ou l'autre », comme l'exige l'alinéa 35(1)a) de la Loi sur les langues officielles. Enfin, un milieu de travail entièrement bilingue était aussi conforme, à long terme, avec les exigences très élevées en matière de sécurité que le ministère applique à la prestation des services de contrôle de la circulation aérienne.

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[32] La partie IV de la Loi est également pertinente relativement à la question dont je suis saisi. Il y est question des communications avec le gouvernement et des services qu'il offre dans l'une ou l'autre langue officielle. L'alinéa 22b) réitère le principe énoncé à l'article 20 de la Charte à l'égard de la « demande importante » lorsqu'il s'agit de communiquer ou de recevoir des services, et l'article 24 de la Loi prévoit que sont fixées par règlement les institutions fédérales dont la vocation « justifie » l'emploi, pour communiquer avec leurs bureaux ou en recevoir les services, des deux langues officielles.

[…]

[57] En l'espèce, il est évident que la Loi sur les langues officielles présente un tableau général et un tableau plus restreint. La Loi ne vise pas seulement à permettre l'emploi de nos langues officielles et à donner aux citoyens le droit de communiquer avec les institutions fédérales dans la langue de leur choix. Elle fait plus que cela. Elle vise à promouvoir l'emploi des deux langues ou, comme il est écrit dans le préambule de la Loi, à « favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones ... et à appuyer leur développement ». Un tel engagement de principe du gouvernement fédéral impose une obligation double qui doit tôt ou tard se traduire concrètement.

[58] La première obligation consiste à veiller à ce que les institutions fédérales soient en mesure de respecter le droit d'un citoyen de communiquer avec elles ou d'en recevoir les services dans l'une ou l'autre langue. Il est vrai que la mesure dans laquelle on répond à des besoins ou dans laquelle on offre des services varie. Il ne faut pas perdre de vue la question principale, à savoir que l'objet de la Loi et l'intention du législateur ne sont mis à l'épreuve que relativement aux droits linguistiques des minorités d'une collectivité. Les droits linguistiques de la majorité de la même collectivité sont dynamiquement respectés et ne posent aucune difficulté.

[59] Ces variations sont le fruit de nombreuses considérations fondamentales. Sans avoir à les énumérer toutes, je souligne les facteurs démographiques, l'importance du groupe minoritaire, la mesure dans laquelle certains offices fédéraux entretiennent des relations avec les citoyens, le fonctionnement efficace de ces offices lorsqu'il s'agit de répondre aux exigences opérationnelles, la demande importante de services dans la langue de la minorité et les considérations énoncées aux articles 32 et 33 de la Loi.

R. c. Brewer, 2009 NBPC 5 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[23] En mettant de côté la question de savoir si la loi provinciale régissant les langues officielles s’applique à l’Agence du revenu du Canada et en faisant fi de l’étendue de toute obligation d’informer un membre du public de ses choix et de ses droits linguistiques, il est clair que l'ARC [Agence du revenu du Canada] dans cette situation de fait a respecté le choix de la langue de communication faite par le défendeur et aussi la société dont il était le seul administrateur.

[24] À mon avis, l'ARC peut être tenue de respecter le choix de la langue indiquée par un contribuable, à titre personnel ou comme société, sur la dernière déclaration déposée.

[25] The defendant filed his last personal return indicating his choice.  Common sense would dictate that CRA could refer to this in deciding as to the language to be used to communicate with him regarding the Income Tax Legislation.

[26] De plus, le défendeur était avisé en sa qualité de directeur de l’entreprise. Cette dernière avait indiqué son propre choix en ce qui a trait à la langue utilisée pour la correspondance.  À mon avis, cette indication  peut être invoquée pour toute correspondance avec la société et ses dirigeants ou administrateurs à moins que et jusqu'à ce que l'ARC reçoit une indication à l'effet contraire. Cette indication peut être faite explicitement par l'élection du choix de la langue par un particulier sur une déclaration de revenus, ou par correspondance indiquant un choix de langue différente, ou en demandant une correspondance bilingue, ou par préavis verbal. Il peut également être fait implicitement par tout autre moyen.

Marchessault c. Société canadienne des postes, 2002 CFPI 1202 (CanLII)

[6] Quel était le fondement factuel qui s'appliquait lorsqu'il s'est agi de prendre la décision, en 1992? En arrivant à sa décision, Postes Canada a établi ses propres critères pour déterminer s'il existait une « demande importante » ; si la population de la minorité francophone ou anglophone était de 500, soit 10 p. 100 de la population totale d'une collectivité ou d'un secteur donné, Postes Canada présumait qu'il y avait dans ce secteur une « demande importante » exigeant des services bilingues.

[7]  De fait, Postes Canada a utilisé le recensement de 1991 comme fondement factuel pour arriver à sa conclusion; or, selon le recensement de 1991, 33,8 p. 100 de la population de Coderre déclarait que le français était sa langue officielle; il a donc été décidé qu'il y avait une « demande importante ». À mon avis, il s'agit d'une conclusion tout à fait raisonnable qui a été tirée d'une façon appropriée compte tenu de la législation précitée.

[8] La question de l'applicabilité du Règlement sur les langues officielles (DORS/92-48) (le Règlement) a eu un rôle de premier plan dans les arguments qui ont été présentés dans ce cas-ci. Les dispositions pertinentes du Règlement sont les suivantes : […]

[9] De fait, il semble que Postes Canada ait appliqué les chiffres du recensement de 1991 parce qu'elle croyait qu'il fallait le faire en vertu du Règlement. M. Marchessault soutient que, selon l'interprétation qu'il convient de donner au Règlement, par application du sous-alinéa 3a)(i), ce sont les chiffres du recensement de 1986 plutôt que ceux du recensement de 1991 qui auraient dû être utilisés, de sorte que le poste de maître de poste n'aurait pas été désigné en tant que poste bilingue.

[10]  Je dois rejeter l'argument que M. Marchessault a invoqué au sujet de l'applicabilité du Règlement puisque je conclus que ce règlement n'était pas en vigueur au moment où Postes Canada a pris la décision relative à la classification avant le 1er décembre 1992; le Règlement a été enregistré le 16 décembre 1991, mais il est entré en vigueur le 16 décembre 1992 seulement.

[11] Même s'il est possible de dire que le Règlement s'applique, eu égard à la preuve qui a été déposée à l'audition de l'affaire ici en cause (pièce 2), je conclus que le compte linguistique du recensement de 1991 a été publié le 15 septembre 1992. Par conséquent, je conclus que le sous-alinéa 5(1)p) du Règlement est la disposition qu'il convient d'appliquer. Cela étant, je dois également rejeter l'argument de M. Marchessault selon lequel les chiffres du recensement de 1986 s'appliquent.

Voir également :

Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115 (CanLII)

Doucet c. Canada, [2005] 1 RCF 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

Poulin c. Canada (Procureur Général), 2004 CF 1132 (CanLII)

Paulin-Kaïré c. Canada, 2004 CF 296 (CanLII)

 

23. (1) Voyageurs

23. (1) Il est entendu qu'il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l'une ou l'autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services, là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.

23. (2) Services conventionnés

23. (2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, dans les bureaux visés au paragraphe (1), les services réglementaires offerts aux voyageurs par des tiers conventionnés par elles à cette fin le soient, dans les deux langues officielles, selon les modalités réglementaires.

Annotations

Thibodeau c. Aéroport international d’Halifax, 2018 CF 223 (CanLII)

[2] Le demandeur s’est plaint auprès du Commissaire aux langues officielles [Commissaire] que l’AAIH [l'Administration de l'aréoport international d'Halifax] ne respectait pas les obligations linguistiques prévues à l’article 23 de la LLO de veiller à ce que les services offerts aux voyageurs à l’aéroport international d’Halifax [l’aéroport] le soient dans les deux langues officielles. En effet, le 26 juillet 2016, le demandeur et son épouse n’ont pas été servis en français à un comptoir d’information de l’aéroport, alors qu’une affiche indiquait clairement que le service était disponible dans les deux langues officielles [l’incident]. Ces derniers faits n’ont pas été niés par l’institution fédérale.

[3] De fait, les services d’information aux comptoirs de l’aéroport étaient offerts et continuent d’être offerts au public voyageur par une équipe de bénévoles recrutés et formés par l’AAIH. Dans son rapport final du mois d’août 2017, la Commissaire par intérim constate que la pénurie de services en français est flagrante et systémique. En effet, l’enquête révèle que le nombre total de bénévoles aux comptoirs de l’aéroport est de 96 et, que parmi eux, seulement deux sont identifiés comme étant bilingues. Or, l’AAIH a reconnu que les bénévoles présents le jour de l’incident au comptoir d’information auquel se sont présentés le demandeur et son épouse étaient tous unilingues anglophones, ce qui implique qu’ils étaient incapables de servir ces derniers et les autres voyageurs en français.

[4] Concluant que la plainte du demandeur était fondée et que l’AAIH n’avait pas respecté les obligations prévues à la partie IV (incluant l’esprit de la LLO), la Commissaire par intérim a recommandé à cette dernière d’établir et de mettre en œuvre, le plus tôt possible et au plus tard dans les six mois suivant la réception du rapport final, un plan d’action pour recruter des bénévoles pouvant offrir le service en français aux comptoirs d’information de l’aéroport et de continuer d’effectuer mensuellement des rappels auprès des bénévoles offrant des services au public de l’importance du respect de la LLO.

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[8] Il convient de souligner qu'à titre de société d'État et à titre d'« institution fédérale » à laquelle la LLO s'applique, VIA a l'obligation constitutionnelle ou quasi constitutionnelle de voir à ce que les voyageurs puissent, dans l'une ou l'autre des langues officielles, communiquer avec elle et en recevoir les services à son siège social, dans les bureaux régionaux, les gares ferroviaires et les trains où il y a une « demande importante », ainsi que lorsque la « vocation du bureau » justifie l'emploi des deux langues officielles. Cette obligation découle directement du paragraphe 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, ch. 11 (la Charte), ainsi que des articles 23 et 24 de la LLO, qui figurent à la partie IV de cette loi.

[…]

[74] La partie IV de la LLO, où figurent les articles 22, 23 et 24, répète les droits et les garanties constitutionnels que la Charte confère au public concernant les communications avec le gouvernement du Canada et les services reçus de celuici, dans l'une ou l'autre des langues officielles. […]

Voir également : Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner c. Via Rail Canada, 2009 CF 857 (CanLII), Temple c. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 RCF 80, 2009 CF 858 (CanLII)

Doucet c. Canada, [2005] 1 RCF 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[75] […] Choisir d'offrir les services dans les deux langues officielles en fonction d'une « demande importante » ou de « la vocation du bureau » me paraît un choix éminemment politique. Le législateur a laissé au gouverneur en conseil le choix de décider quelles institutions seraient visées par la notion de « la vocation du bureau », et il n'appartient pas au pouvoir judiciaire de se prononcer là-dessus.

[76] Par contre, je crois qu'on ne peut passer sous silence une demande importante qui n'est pas reconnue par les autorités mais qui, de toute évidence, existe. La GRC [Gendarmerie royale du Canada] est une institution fédérale dont l'administration centrale doit offrir des services dans les deux langues officielles en conformité avec la loi. Un détachement de la GRC est considéré un « bureau » pour les fins de la Charte et de la LLO. Lorsqu'un détachement de la GRC assure le service policier où que ce soit au Canada, il est important de tenir compte du rôle qu'il joue dans la collectivité où il est situé. En l'occurrence, une des fonctions importantes de la GRC est de patrouiller une route passante où la demande de services en français ne fait pas de doute.

[77] Il conviendrait donc de modifier le Règlement pour qu'il puisse tenir compte de situations telles que celle en l'espèce: une route importante, fréquentée par des personnes de la minorité linguistique d'une langue officielle, et patrouillée par un corps policier qui relève de l'autorité du gouvernement canadien. Dans un tel cas, définir la « demande importante » en fonction de la démographie de l'endroit où est situé le détachement est clairement insuffisant, puisque les policiers ne sont pas appelés à traiter uniquement avec les résidents de l'endroit. Bien au contraire, leurs responsabilités englobent également tous ceux qui empruntent l'autoroute sans être résidants. Vu la situation géographique d'Amherst, en Nouvelle-Écosse, située à la frontière avec le Nouveau-Brunswick et vu la proximité d'une importante population francophone qui emprunte l'autoroute, il est clair que les policiers doivent tenir compte du besoin d'offrir leurs services dans la langue de la minorité francophone.

[78] Il incombe à la gouverneure en conseil de trouver le libellé qui conviendra pour régler ce problème. Ce qui est certain, c'est que le terme « voyageurs » , au sens de l'article 23 de la LLO, doit être défini plus largement que simplement en fonction des voyageurs utilisant des aéroports, des gares ferroviaires ou de traversiers, et qu'il faut tenir compte des voyageurs qui circulent par véhicule automobile, lorsqu'ils se comptent par millions.

[79] Il m'apparaît clair également qu'un accès égal aux services dans les deux langues officielles signifie justement un traitement égal. Pour les fins de la minorité francophone qui circule dans la région d'Amherst, le protocole mis en place par la GRC et décrit par le sergent-major Hastey me paraît tout à fait insatisfaisant. Un automobiliste ne devrait pas avoir à se déplacer ni à communiquer par téléphone ou par radio lorsqu'il souhaite s'adresser en français à un membre de la GRC. Un service qui laisse à désirer ne répond absolument pas aux objectifs de la LLO énoncés à son article 2, et va à l'encontre de l'article 16 de la Charte qui reconnaît l'égalité des deux langues officielles.

Canada (Commissioner of Official Languages) c. Air Canada, 1997 CanLII 5843 (CF)

[25] Tel que mentionné précédemment, Air Canada prétend que la documentation relative à une plainte basée sur des faits antérieurs au 16 décembre 1992, date de l'entrée en vigueur du Règlement, comporte une dimension rétroactive et est donc irrecevable.

[26] C'est sur le paragraphe 23(1) que le Commissaire doit se fonder pour décider s'il y a une "demande importante" dans une langue officielle. Cette "demande importante" est déterminée par le paragraphe 7(3) du Règlement. Cette disposition se lit comme suit: […]

[27] [M]ême si ce paragraphe n’était pas en vigueur avant le 16 décembre 1992, il n’en demeure pas moins que le paragraphe 23(1), en vigueur à l’époque, stipule qu’il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de les fournir dans la langue officielle demandée lorsque « l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante ». Le paragraphe 23(1) se lit comme suit: […] 

[28] La Loi [sur les langues officielles] elle-même remonte à 1988. Le Règlement en question ne fait qu’établir des normes veillant à la meilleure administration de la Loi, de sorte qu’avant la mise en vigueur du Règlement Air Canada se devait d’offrir des services aux voyageurs là où la langue fait l’objet d’une demande importante. Il en résulte donc que le Commissaire peut déposer en preuve des plaintes et des renseignements se rapportant à des situations survenues avant l'entrée en vigueur du Règlement.

 

24. (1) Vocation du bureau

24. (1) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, tant au Canada qu'à l'étranger, et en recevoir les services dans l'une ou l'autre des langues officielles :

a) soit dans les cas, fixés par règlement, touchant à la santé ou à la sécurité du public ainsi qu'à l'emplacement des bureaux, ou liés au caractère national ou international de leur mandat;

b) soit en toute autre circonstance déterminée par règlement, si la vocation des bureaux justifie l'emploi des deux langues officielles.

24. (2) Institutions relevant directement du Parlement

24. (2) Il incombe aux institutions fédérales tenues de rendre directement compte au Parlement de leurs activités de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, tant au Canada qu'à l'étranger, et en recevoir les services dans l'une ou l'autre des langues officielles.

24. (3) Précision

24. (3) Cette obligation vise notamment :

a) le commissariat aux langues officielles;

b) le bureau du directeur général des élections;

c) le bureau du vérificateur général;

d) le commissariat à l'information;

e) le commissariat à la protection de la vie privée.

Annotations

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[98] Ce qui constitue, en vertu de la Charte ou de la LLO, une « demande importante », ou la question de savoir dans quelles circonstances il est raisonnable, en raison de la « vocation du bureau », de dispenser des services bilingues, fait l'objet d'interprétations divergentes. Des critères réglementaires procurent une plus grande certitude et une plus grande uniformité dans l'application de ces concepts mal définis. À cette fin, les règlements établis par le gouverneur en conseil en vertu de la partie IV de la LLO énumèrent des cas précis où les gares ferroviaires ou les trajets sont « réputés » satisfaire aux critères de la « demande importante » ou de la « vocation du bureau » (articles 7, 9, 11 et 12). Par conséquent, les règlements établissent une présomption légale facilitant la preuve que les critères prévus dans la Charte ou dans la LLO sont satisfaits. Il s'agit de leur objet fondamental, mais ils ne sont pas exhaustifs et ils ne devraient pas être interprétés et appliqués de façon rigoureuse. En effet, la Cour doit accepter que ni les règlements ni Burolis ne peuvent l'emporter sur la LLO ou la Charte, ou restreindre la LLO ou la Charte, et qu'ils doivent toujours être interprétés et appliqués d'une manière conforme aux objectifs généraux du préambule de la LLO et refléter les valeurs fondamentales de la Charte et de la politique canadienne en matière de bilinguisme.

Voir également : Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner c. Via Rail Canada, 2009 CF 857 (CanLII), Temple c. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 RCF 80, 2009 CF 858 (CanLII)

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[32] La partie IV de la Loi est également pertinente relativement à la question dont je suis saisi. Il y est question des communications avec le gouvernement et des services qu'il offre dans l'une ou l'autre langue officielle. L'alinéa 22b) réitère le principe énoncé à l'article 20 de la Charte à l'égard de la « demande importante » lorsqu'il s'agit de communiquer ou de recevoir des services, et l'article 24 de la Loi prévoit que sont fixées par règlement les institutions fédérales dont la vocation « justifie » l'emploi, pour communiquer avec leurs bureaux ou en recevoir les services, des deux langues officielles.

Voir également :

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

 

Services fournis par des tiers

25. Fourniture dans les deux langues

25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu'à l'étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu'il puisse communiquer avec ceux-ci, dans l'une ou l'autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.           

Annotations

Desrochers c. Canada (Industrie), [2007] 3 RCF 3, 2006 CAF 374 (CanLII)

[42] L’article 25, contenu à la partie IV de la LLO, traite de la fourniture de services par des tiers. Cette fourniture de services au public doit avoir lieu dans l’une ou l’autre langue officielle lorsque le tiers agit pour le compte d’une institution fédérale et lorsque cette dernière serait soumise à pareille obligation si elle offrait elle-même les services. Les membres du public jouissent aussi du droit de communiquer avec ce tiers dans l’une ou l’autre de ces deux langues.

[43] Agir pour le compte d’une autre personne (en anglais, « on behalf of »), c’est agir pour cette personne ou pour le bénéfice ou dans l’intérêt de cette personne : Owners, Strata Plan No. VR368 v. Marathon Realty Co. Ltd. et al., (1982), 141 D.L.R. (3d) 540 (C.A.C.-B.); Gilbert v. British Columbia (Forest Appeals Commission), 2002 BCSC 950; Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., Toronto: Oxford University Press, 2004, page 128; The New Oxford Dictionary of English, Oxford: Clarendon Press, 1998, page 157; Grand Larousse universel, tome 4, Paris: Larousse, 1995, page 2467.

[44] Le procureur des intimés soutient que le juge a eu tort de conclure que Simcoe Nord agissait pour le compte des intimés au sens de l’article 25. Il en serait ainsi parce que l’expression « pour le compte de/on behalf of » implique une notion d’autorisation préalable de la personne pour le compte de laquelle le tiers agira : voir le mémoire des faits et du droit des intimés aux paragraphes 44 et 45. Pour que les services offerts par un tiers soient soumis aux obligations de la partie IV de la LLO, il faut, ditil, que celuici nécessairement obtienne d’une institution fédérale l’autorisation préalable d’offrir les services en question, ce qui, allèguetil, nest pas le cas en linstance.

[45]Je crois que le procureur des intimés adopte une vision trop formaliste et trop limitative de l’expression « pour le compte de ». Un tiers peut agir de concert ou en partenariat avec une institution fédérale pour la prestation de services sans que n’intervienne nécessairement le concept d’une autorisation préalable au sens formel où l’entend le procureur des intimés.

[46] De même, un tiers peut agir pour le compte d’une autre personne lorsqu’il exerce des pouvoirs que cette autre personne lui a délégués : voir l’arrêt Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministre de la Justice), 2001 CFPI 239, au paragraphe 138 où la Cour fédérale a conclu que la province de l’Ontario et les gouvernements municipaux qui ont signé une entente avec Justice agissaient pour le compte du gouvernement fédéral dans la mise en œuvre de la Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47 lorsqu’ils exerçaient les pouvoirs qui leur furent délégués par le gouvernement fédéral.

[47] Enfin, il n’est pas impensable qu’une institution fédérale puisse décider d’endosser et de prendre à son compte une prestation de services existante, lesquels services deviendraient alors soumis aux obligations de la partie IV de la LLO. On ne peut parler en pareil cas d’une autorisation préalable au sens où l’entendent les intimés.

[48] Le procureur des intimés se réfère à l’arrêt Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), 2003 CAF 203 où notre Cour a entériné la décision de la Cour fédérale [[2002] 2 C.F. 164]. Cette dernière concluait qu’il n’y avait pas eu de délégation de pouvoirs en l’espèce parce qu’Emploi-Québec avait compétence pour agir dans le domaine des activités liées au marché du travail et qu’il « ne dépend pas d’une autorisation fédérale pour exercer ses activités et ne doit rien au gouvernement fédéral ».

[49] Je note, tout d’abord, que, dans cet extrait, la Cour fédérale parle d’une autorisation, et non d’une autorisation préalable. Deuxièmement, cette référence à une autorisation fédérale se situe dans un contexte de partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Le concept d’autorisation, auquel la Cour fédérale réfère, n’a pas ici un sens d’autorisation ou d’approbation préalable, mais plutôt un sens d’habilitation car, sans cette habilitation, les gouvernements provinciaux n’ont pas la capacité légale d’agir lorsqu’il s’agit d’un champ exclusif de compétence fédérale, ce qui n’était pas le cas dans cette affaire. Mais la Cour fédérale reconnaît la possibilité et la validité d’une délégation de pouvoirs du gouvernement fédéral à des organismes ou des gouvernements provinciaux.

[50]Troisièmement, la délégation, que tant l’arrêt Lavigne que l’arrêt Commissaire aux langues officielles acceptent comme preuve d’un agir pour le compte d’autrui, ainsi que la ratification sont deux modes d’autorisation. Le Nouveau Petit Robert définit la « ratification » comme une confirmation ou une homologation et la « délégation » comme un mandat ou une procuration. Sont synonymes d’ « autorisation » ou du sens du verbe « autoriser » l’accréditation, la confirmation, l’accord, l’approbation, le consentement, l’acceptation et la permission. Il en va de même du partenariat qui évoque la notion d’accord et donc d’autorisation réciproque.

[51] En somme, il s’agit de voir, selon les faits et les circonstances de l’espèce, si le tiers offre des services d’une institution fédérale ou d’un programme gouvernemental fédéral avec l’accréditation, l’accord, la confirmation, le consentement, l’acceptation ou l’approbation de celle-ci ou du gouvernement. Une réponse positive entraîne une conclusion que ce tiers agit pour le compte d’une institution fédérale au sens de l’article 25 de la LLO. Et ce tiers est tenu d’offrir ces services dans les deux langues officielles si, je le rappelle, l’institution fédérale ou le gouvernement fédéral étaient eux-mêmes soumis à une telle obligation.

[52] Dans le cas présent, le programme, tel que déjà mentionné, est un programme gouvernemental offrant divers services reliés au développement économique régional et communautaire, élaboré conformément à et en application de la LMI [Loi sur le Ministère de l'Industrie, L.C. 1995, ch. 1]. S’il les dispensait lui-même, le Ministère [de l’Industrie] serait soumis aux obligations de la partie IV de la LLO.

[…]

[54] Il va de soi, je le reconnais, qu’une simple contribution financière du gouvernement fédéral à un tiers pour des services qu’il rend et qui ne sont pas des services offerts par une institution fédérale ou dans le cadre d’un programme gouvernemental fédéral n’engage pas l’application de l’article 25 de la LLO. Mais ici nous sommes en présence d’un programme gouvernemental émanant d’une institution fédérale qui, par l’entremise de SADC [Sociétés d’aide au développement des collectivités], dont Simcoe Nord, fournit une partie des services que le programme prévoit et offre. Je crois que la relation entre le Ministère et Simcoe Nord dépasse ici le stade d’un simple soutien financier à un quelconque organisme de services. Le fait que Simcoe Nord puisse aussi s’abreuver financièrement à d’autres sources de revenus que le gouvernement fédéral n’altère pas, à mon avis, la nature de leurs relations. 

NOTA – La Cour suprême ne se prononce pas sur l’analyse ci-dessus portant sur l’art. 25 de la LLO dans sa décision (DesRochers c. Canada (Industrie), [2009] 1 RCS 194, 2009 CSC 8 (CanLII)): « Aussi, il n’est plus contesté devant la Cour que, comme l’ont conclu les instances inférieures, l’art. 25 s’applique en l’espèce. » (au para. 40).

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[7] Pour les motifs qui suivent, la demande de la FFCB doit échouer. En effet, je suis d’avis que, dans les circonstances, la partie IV ne s’applique pas à l’Entente conclue entre le gouvernement fédéral et la Colombie-Britannique, puisque la fourniture des services d’aide à l’emploi prévue à l’Entente constitue un exercice valide de la compétence législative de la province et que, partant, la Colombie-Britannique n’agit pas « pour [le] compte » d’une institution fédérale. De plus, je suis satisfait qu’en regard de l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 41(2) de la LLO et de la preuve au dossier, les institutions fédérales en cause avaient pris « des mesures positives » au sens de la partie VII de la LLO au moment du dépôt de la plainte de la FFCB auprès du Commissaire. Puisqu’il n’y avait pas de violation ou d’inobservation de la LLO au moment du dépôt de la plainte de la FFCB, la Cour ne peut imposer de réparation. Cependant, la FFCB a droit à ses frais et dépens dans les circonstances.

[…]

[42] La LLO comporte plusieurs parties. Les parties I à VI de la loi établissent une série de droits linguistiques dans de nombreux contextes, dont : les débats et travaux parlementaires; les actes législatifs et autres; l’administration de la justice; les communications avec le public; et la langue de travail. Plus particulièrement, la partie IV porte sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix. Au sein de la partie IV, l’article 21 prévoit le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. L’article 22 impose aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les membres du public puissent communiquer avec leurs bureaux et recevoir des services de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles là où l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante. L’article 25 dispose que les institutions fédérales doivent veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues à une telle obligation. L’article 27 prévoit que les obligations des institutions fédérales en matière de communications et services dans les deux langues officielles valent également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache. Enfin, l’article 28 ajoute que les institutions fédérales doivent veiller à faire de l’offre active dans les deux langues officielles.

[…]

[65] Je précise, au demeurant, que la FFCB ne cherche aucunement à ce que cette Cour ordonne une quelconque mesure de redressement à l’encontre de la Colombie-Britannique, ni qu’elle reconnaisse qu’une entité provinciale soit une « institution fédérale » aux fins de la LLO; bien au contraire, les mesures de redressement souhaitées par la FFCB ne visent que les défendeurs, soit EDSC et la Commission, lesquels sont tous deux des institutions fédérales titulaires d’obligations au titre de la LLO. Au surplus, dans l’affaire Lavigne, cette Cour a déjà convenu qu’une question en vertu de l’article 25 de la LLO constituait bel et bien un enjeu auquel elle pouvait répondre même si, dans cette affaire, les défendeurs québécois n’étaient pas eux-mêmes des « institutions fédérales » (Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines), 2001 CFPI 1365 (CanLII), [2002] 2 CF 164 [Lavigne CF] aux para 85-87, conf par 2003 CAF 203 (CanLII) [Lavigne CAF] [ensemble, Lavigne]).

[…]

[87] J’en viens à la première question de fond soulevée par la FFCB, soit l’argument voulant qu’il y ait eu violation de la partie IV de la LLO dans la prestation des services d’aide à l’emploi aux termes de l’Entente. Pour décider s’il y a violation ou inobservation de la partie IV, il faut que cette partie et ses dispositions s’appliquent dans le contexte de l’Entente et aux prestations et mesures offertes par la Colombie-Britannique. Or, aux termes de la partie IV de la LLO et de son article 25, l’obligation d’EDSC et de la Commission de veiller à ce que les prestations d’emploi et mesures de soutien de la Colombie-Britannique soient offertes dans les deux langues officielles, et que les fonctionnaires de la Colombie-Britannique qui les offrent puissent communiquer avec le public dans l’une ou l’autre des langues officielles, ne peut prendre naissance que si la Colombie-Britannique est un tiers agissant « pour [le] compte » d’EDSC et de la Commission en tant qu’institutions fédérales. En vertu de l’article 25, lorsqu’un tiers agit « pour [le] compte » d’une institution fédérale, celle-ci a l’obligation de s’assurer que le tiers offre des services conformément à la partie IV de la LLO comme si c’était l’institution fédérale elle-même qui les offrait. Comme le souligne à juste titre le Commissaire, l’objet de l’article est d’éviter que les institutions fédérales ne se délestent de leurs obligations linguistiques lorsqu’elles font appel à des tiers.

[88] La question en litige est donc de déterminer si, dans le cadre de l’Entente, la Colombie-Britannique offre effectivement des services d’aide à l’emploi « pour [le] compte » d’EDSC et de la Commission au sens de l’article 25 de la LLO, ayant pour effet d’assujettir ces institutions fédérales à la partie IV de la LLO. La FFCB et le Commissaire soutiennent que c’est le cas et qu’EDSC et la Commission sont ainsi liées par les articles 21, 22 et 28 de la LLO.

[…]

[92] D’abord, la Cour a déjà décidé dans l’affaire Lavigne CF, confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Lavigne CAF, qu’une entente comme celle qui fait l’objet du présent litige relève d’une compétence concurrente entre le Parlement et les législatures provinciales, soit le champ des activités liées au marché du travail, et que l’article 25 de la LLO ne s’y applique pas. La jurisprudence plus récente de la Cour suprême ne vient aucunement saper les conclusions du juge Lemieux dans l’affaire Lavigne CF. La Cour est liée par ce précédent confirmé par la Cour d’appel, et il n’y a pas de raison de s’en dissocier.

[93] D’autre part, et à tout événement, la Colombie-Britannique, en créant et offrant ses propres prestations et mesures aux termes de l’Entente, agit dans le cadre de sa compétence législative. Comme la preuve soumise par les défendeurs le démontre, le caractère véritable de l’Entente est de créer des possibilités d’emploi, d’accroître la productivité de la Colombie-Britannique et de développer le marché du travail de la province au moyen de programmes très variés. L’Entente se rattache ainsi aux compétences provinciales en matière de propriété et de droits civils dans la province, de matières d’une nature purement locale ou privée et d’éducation, prévues aux paragraphes 92(13) et 92(16) et à l’article 93 de la LC 1867. La Colombie-Britannique n’agit donc pas « pour [le] compte » ou sous le contrôle d’une institution fédérale. Ni EDSC ni la Commission ne lui ont délégué la responsabilité de créer et d’offrir les prestations d’emploi et mesures de soutien financées par l’Entente, puisqu’elles relèvent de sa propre compétence législative. Ainsi, il y a lieu d’écarter la doctrine de l’exclusivité des compétences mise de l’avant par la FFCB et le Commissaire et de faire plutôt appel à la théorie du double aspect, enracinée dans le principe du fédéralisme coopératif, laquelle prévoit qu’une matière peut faire l’objet d’une compétence constitutionnelle à la fois provinciale et fédérale.

[…]

[120] Pour déterminer si la Colombie-Britannique offre des services d’aide à l’emploi pour le compte d’EDSC et de la Commission au sens de l’article 25 de la LLO, il faut mener une analyse en vertu du partage des compétences. Dans le cadre d’une telle analyse, il faut d’abord « déterminer si le palier législatif ou l’entité exerçant les pouvoirs délégués est autorisé, en vertu de la Constitution, à adopter la loi ou la mesure contestée » (Rogers Communications Inc c Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23 (CanLII) [Rogers] au para 34; Québec (Procureur général) c Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39 (CanLII) [COPA] au para 22; Banque canadienne de l’Ouest c Alberta, 2007 CSC 22 (CanLII) [Banque canadienne de l’Ouest] au para 25). La question est de savoir quel est l’objet ou le « caractère véritable » des prestations et mesures visées à l’Entente et d’évaluer à quel(s) chef(s) ou champ(s) de compétence elles se rattachent (Banque de Montréal c Marcotte, 2014 CSC 55 (CanLII) [Marcotte] aux para 48 et s). D’ailleurs, afin de conclure si certaines des mesures de la LAE eu égard aux prestations de maternité relevaient de la compétence fédérale en matière d’assurance-chômage, la Cour suprême avait rappelé qu’il faut évaluer leur caractère véritable et ensuite déterminer dans quelle mesure elles se rapportent au chef de compétence du législateur concerné (Renvoi LAE au para 8).

[…]

[134] Tout le contexte de l’adoption de la partie II de la LAE, et le libellé plus particulier de son article 63, reflètent donc l’intention avouée du gouvernement fédéral lorsqu’il a entrepris la réforme de l’assurance-emploi au milieu des années 1990 : par respect pour la compétence des provinces et par souci d’éliminer les dédoublements de programmes, le gouvernement fédéral avait annoncé son souhait de se retirer progressivement des prestations et mesures et de contribuer financièrement à celles que les provinces développeraient et offriraient. La volumineuse preuve par affidavit des défendeurs, qui n’a pas été contredite, en fournit les détails.

[135] Ce contexte législatif de l’Entente appuie la conclusion que les prestations et mesures prévues par les accords de contribution de l’article 63 (et donc par l’Entente) ne relèvent pas d’une compétence fédérale, mais bien de la compétence législative provinciale. La Commission ne fait que financer ces mesures : elle ne les détermine pas, ne les délivre pas, ne les administre pas. Bref, la partie II de la LAE reconnaît la promotion du développement de multiples aspects du marché du travail comme domaine de compétence provinciale.

[…]

[149] À mon avis, il faut plutôt conclure que les prestations et mesures visées par l’Entente sont caractéristiques de matières qui relèvent à la fois des compétences provinciale et fédérale, et ont un caractère véritable comportant un « double aspect » qui peut être réglementé à la fois par le fédéral en vertu du paragraphe 91(2A) sur l’assurance-chômage et/ou par les provinces en vertu des paragraphes 92(13) et 92(16) ou de l’article 93 de la LC 1867. Cette théorie du double aspect, dont la Cour suprême s’est faite davantage l’apôtre depuis l’arrêt Banque Canadienne de l’Ouest, signifie que la même activité peut être régie dans sa dimension fédérale par une loi fédérale et dans sa dimension provinciale par une loi provinciale, toutes deux valides. Elle « permet aux deux paliers de gouvernement d’adopter des lois ou règlements semblables ‘lorsque le contraste entre l’importance relative des deux aspects n’est pas très net’ » (Rogers au para 50, citant Multiple Access Ltd c McCutcheon, 1982 CanLII 55 (CSC), [1982] 2 RCS 161 à la p 182). Le développement et le bon fonctionnement du marché ainsi que les activités liées au marché du travail, en tant que matière générale, en sont un bel exemple. Chaque palier de gouvernement peut validement adopter des prestations et mesures d’aide à l’emploi dans les limites de ses compétences législatives (Renvoi LAE au para 77).

[150] Pour ces raisons, je conclus que la Colombie-Britannique n’est pas une institution du gouvernement du Canada et qu’elle n’agit pas « pour [le] compte » d’une institution fédérale lorsqu’elle élabore et offre ses prestations et mesures aux termes de l’Entente. Elle agit plutôt strictement dans le cadre des compétences législatives qui lui sont dévolues.

[…]

[160] Dans l’affaire DesRochers CAF, la Cour d’appel fédérale a précisé le sens des mots « pour leur compte » utilisés à l’article 25 de la LLO. L’arrêt DesRochers CAF portait sur un recours en vertu de l’article 77 de la LLO qui alléguait une violation des parties IV et VII de la LLO par un organisme privé, North Simcoe Business Development Centre [Simcoe Nord], lequel agissait pour le compte d’Industrie Canada. La Cour d’appel fédérale y a indiqué qu’agir pour le compte d’une autre personne veut dire « agir pour cette personne ou pour le bénéfice ou dans l’intérêt de cette personne » (DesRochers CAF au para 43). Ainsi, un tiers peut agir pour le compte d’autrui lorsqu’il exerce des pouvoirs délégués, comme dans l’affaire Contraventions, où la province de l’Ontario et les municipalités agissaient pour le compte du gouvernement fédéral dans la mise en œuvre de la législation canadienne sur les contraventions (DesRochers CAF au para 46).

[161]   Dans DesRochers CAF, la Cour d’appel fédérale n’a pas établi le seuil qu’il faut franchir pour engager l’article 25 de la LLO. Elle a toutefois précisé qu’une simple contribution financière du gouvernement fédéral à un tiers ne suffit pas à déclencher l’application de l’article 25 de la LLO (DesRochers CAF au para 54). Cela dit, le juge Létourneau, écrivant pour le banc de la Cour, a tout de même formulé le test suivant, au paragraphe 51 de la décision :

En somme, il s’agit de voir, selon les faits et les circonstances de l’espèce, si le tiers offre des services d’une institution fédérale ou d'un programme gouvernemental fédéral avec l’accréditation, l’accord, la confirmation, le consentement, l’acceptation ou l’approbation de celle-ci ou du gouvernement. Une réponse positive entraîne une conclusion que ce tiers agit pour le compte d’une institution fédérale au sens de l’article 25 de la LLO. Et ce tiers est tenu d'offrir ces services dans les deux langues officielles si, je le rappelle, l’institution fédérale ou le gouvernement fédéral étaient eux-mêmes soumis à une telle obligation.

[Je souligne]           

[162] Par conséquent, l’offre des services avec « l’accréditation, l’accord, la confirmation, le consentement, l’acceptation ou l’approbation » du gouvernement fédéral constitue le test à utiliser pour mesurer le degré de contrôle. Dans son analyse portant sur l’examen du degré de contrôle sur Simcoe Nord, la Cour d’appel fédérale a tenu compte du contrôle qu’exerçait le gouvernement fédéral sur la « définition, la nature et l’étendue des activités du programme et des activités admissibles, sur les coûts de ces activités, et sur les résultats recherchés » (DesRochers CAF au para 58). Aux paragraphes 60 à 62 de la décision, le juge Létourneau a passé en revue les nombreuses activités offertes par Simcoe Nord. Il en a conclu que la conception du programme en cause, les critères d’accès, les modalités et les obligations de reddition de compte avaient été établis par l’institution fédérale, et que le tiers agissait ainsi « pour [le] compte » du gouvernement fédéral. La Cour d’appel fédérale a aussi retenu la clause linguistique prévue au contrat entre le gouvernement fédéral et Simcoe Nord, qui prévoyait entre autres que le tiers devait annoncer et publiciser ses services dans les deux langues officielles et que les communications avec le public devaient aussi respecter les mêmes obligations (DesRochers CAF au para 62). De plus, le juge Létourneau a considéré le fait qu’un nombre important de politiques ayant trait au fonctionnement administratif et financier de Simcoe Nord ne pouvaient faire l’objet de modifications sans l’approbation du ministre fédéral (DesRochers CAF au para 63).

[163] Comme l’a fait valoir le Commissaire, l’analyse du degré de contrôle prescrite par la Cour d’appel fédérale se penche généralement sur deux aspects de la relation entre l’institution fédérale et le tiers impliqué : 1) la spécification de la nature et l’étendue des activités prévues par l’entente en cause; et 2) le pouvoir de surveillance de l’autorité fédérale sur les activités du tiers. Dans ses soumissions, le Commissaire a décliné certains autres paramètres plus précis qui, à ses yeux, devraient être pris en compte dans l’évaluation. Je suis d’accord qu’il s’agit là d’un bon guide à suivre dans l’analyse, mais l’établissement du degré de contrôle est d’abord et avant tout une question d’appréciation de la preuve et des faits par les tribunaux, à la lumière des principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans DesRochers CAF. Je ne crois pas qu’en regard de ce précédent, il soit nécessaire de reformuler le test autrement, de préciser davantage les paramètres que les tribunaux devraient suivre dans leur appréciation de la preuve, ou de décréter un seuil particulier à atteindre pour avoir un contrôle « suffisant » aux fins de l’article 25 de la LLO. Il suffit, dans chaque cas particulier, de peser soigneusement les critères en fonction des circonstances factuelles propres à la situation et en regard de la preuve soumise, et suivant la norme de la prépondérance des probabilités. Il s’agit là d’un exercice que les tribunaux ont l’habitude de mener.

[164] Dans son rapport final d’enquête, le Commissaire a eu tôt fait de conclure à un « niveau de contrôle suffisant » de la part d’EDSC sur la province, sur la base de ce qu’il qualifiait d’implication « dans une certaine mesure » ou d’un « certain rôle » joué par le gouvernement fédéral dans la gestion de l’Entente. À sa décharge, le Commissaire ne disposait alors pas de la plus lourde preuve par affidavit que la Cour a devant elle aujourd’hui. À mon avis, cette preuve invite à plus de modération. Pour les raisons qui suivent, je ne suis pas persuadé que les institutions fédérales en cause ici exercent le même genre de degré de contrôle que ce qui prévalait dans DesRochers CAF. Je suis plutôt d’avis qu’en regard de la preuve au dossier, l’offre de prestations et mesures par la Colombie-Britannique n’est pas assujettie à « l’accréditation, l’accord, la confirmation, le consentement, l’acceptation ou l’approbation » ni au contrôle général d’EDSC ou de la Commission, que ce soit sur la définition, la nature et l’étendue des prestations et mesures visées par l’Entente, sur la gestion et l’administration de ces activités, sur leurs coûts ou sur les résultats recherchés.

[…]

[166] Je rappelle que l’Entente découle de l’article 63 de la LAE, qui prévoit que la Commission peut conclure avec un gouvernement provincial un accord prévoyant le versement d’une contribution relative à des prestations et mesures similaires aux prestations d’emploi de la Commission. Le fait que l’Entente ait été conclue en vertu de cet article, et non pas aux termes de l’article 62 qui prévoit quant à lui que la Commission peut signer un accord avec un tiers pour qu’il administre une prestation d’emploi « pour son compte », est un premier élément appuyant le constat que la Colombie-Britannique n’agit pas pour le compte des défendeurs.

[…]

[168] C’est ainsi que la province a elle-même adopté le modèle du « guichet unique » dans l’EPBC. La Colombie-Britannique peut aussi modifier la conception de ses prestations et mesures pour répondre aux besoins des clients, aux impératifs du marché du travail ou aux résultats des évaluations, le tout sujet à vérification par les représentants désignés. Cependant, ces représentants désignés proviennent des deux parties, pas seulement du gouvernement fédéral. Aucune partie n’a le dernier mot, et une vérification de cette nature ne constitue pas une forme d’accréditation, de consentement, d’acceptation ou d’approbation au sens de DesRochers CAF. La preuve au dossier ne fait pas plus état d’un exercice effectif de contrôle par le gouvernement fédéral à ce chapitre.

[169] Au niveau de la redistribution du financement, la province choisit à qui sont répartis les fonds reçus du gouvernement fédéral. Selon l’affidavit de Duncan Shaw, la redistribution de la contribution financière du gouvernement fédéral est à la totale discrétion de la Colombie-Britannique qui est libre de choisir les personnes ou les entités qui en bénéficieront, avec un soutien minimal de la Commission. En d’autres termes, la province est libre de faire ce qu’elle veut avec son argent dans la mesure où les prestations et mesures sont « similaires » à celles établies par la Commission et les lignes directrices de la LAE sont respectées. Le gouvernement fédéral ne s’immisce pas dans la gestion des fonds.

[170] Révélatrices, les dispositions de l’Entente et sa mise en œuvre le sont encore lorsqu’on regarde le déploiement et l’administration des prestations et mesures. L’autonomie de la Colombie-Britannique, et l’absence de contrôle, s’y reflètent tant dans le libellé de nombreuses dispositions que dans la façon dont fonctionne la mise en place des prestations et mesures visées par l’Entente. Par exemple, les contrats avec les prestataires de services sont rédigés par la Colombie-Britannique. En fait, l’appel d’offres initial a été lancé par la Colombie-Britannique suite à la révision de ses programmes et à son choix du modèle à « guichet unique ». Ensuite, la province a procédé à administrer l’appel d’offres, a rédigé les clauses linguistiques, et a signé les contrats avec les entreprises qui, comme sous-traitants, s’occupent de la prestation de services d’aide à l’emploi dans les différentes régions que la Colombie-Britannique a identifiées. La preuve montre que l’administration des prestations et mesures par les sous-traitants s’est faite conformément à l’appel d’offres lancé par la province, et que la clause linguistique insérée dans les différents contrats rédigés par la Colombie-Britannique a été négociée par la province sans l’aide ou l’approbation d’EDSC. Ainsi, la province s’est engagée à faire quelque chose de concret pour les minorités linguistiques, dans le cadre de sa responsabilité ultime dans l’élaboration et l’offre de ses prestations et mesures.

[171] L’Entente contient des dispositions sur l’évaluation du rendement des prestations et mesures mais, encore une fois, elles témoignent de l’absence de contrôle de la part d’EDSC et de la Commission. Pour mesurer l’efficacité de l’Entente, l’article 3.2 prévoit par exemple la remise au gouvernement fédéral de plans annuels préparés par la Colombie-Britannique sur l’évaluation du rendement. Ce plan annuel de la Colombie-Britannique doit présenter les enjeux relatifs au marché du travail, un éventail des prestations et mesures de la Colombie-Britannique, et les dépenses projetées pour chaque prestation et mesure. L’information sert pour le rapport ministériel d’EDSC sur le rendement.

[172] Les articles 8, 9 et 11 de l’Entente prévoient que la Commission doit évaluer le rendement des prestations et mesures, et que la province doit s’engager à de telles évaluations périodiques. L’article 11 traite des rapports de contrôle et d’évaluation. Oui, il prévoit que le gouvernement fédéral « contrôlera et évaluera l’efficacité de l’aide offerte par la Colombie-Britannique relative aux prestations et mesures d’emploi ». Mais le tout est fait en vue de produire un rapport annuel de contrôle et d’évaluation que le ministre responsable déposera devant le Parlement. Selon l’affidavit de Duncan Shaw, l’objectif de cette évaluation du rendement est de s’assurer de la pertinence de la contribution financière et de l’atteinte des objectifs de l’Entente. Quant aux outils d’évaluation du rendement, l’article 18 de l’Entente requiert un état financier annuel et certifié par le vérificateur de la province et indiquant le montant des dépenses du programme liées aux prestations et mesures. Ainsi, on évalue le rendement par un état financier annuel et certifié par la province, et non pas par le vérificateur général fédéral ou des fonctionnaires fédéraux. Encore une fois, cela ne reflète pas une forme de contrôle par le gouvernement fédéral.

[173] Cela dit, une certaine vérification financière des sommes attribuées à la province est compatible avec un constat d’absence de contrôle suffisant puisqu’elle est nécessaire pour les fins de faire rapport au Parlement sur les sommes dépensées, et pour le rapport annuel du vérificateur général sur le compte des opérations de l’assurance-emploi. Ceci, à nouveau, n’est pas synonyme d’accréditation, de confirmation ou d’approbation au sens de l’arrêt DesRochers CAF. En fait, comme l’a souligné l’avocat des défendeurs à l’audience, le plan annuel et l’évaluation du rendement rappellent plutôt ce que la Cour d’appel fédérale décrivait au paragraphe 57 de DesRochers CAF, soit des mesures de saine gestion des fonds publics.

[…]

[175] Au niveau de la gestion, l’Entente est rédigée de façon telle qu’aucune des parties n’a de pouvoir décisionnel sur l’autre. On parle de gestion conjointe. Ainsi, à l’article 22, l’Entente crée un comité de gestion fédéral-provincial, qui se réunit au moins deux fois par an, qui est coprésidé par les deux parties à l’Entente et qui sert de forum d’échange de renseignements et de discussion sur les défis liés au marché du travail auxquels font face les employeurs, employés et personnes sans emploi dans la province. Il est formé de représentants des deux paliers de gouvernement et les décisions s’y prennent par consensus. Comme l’indique Duncan Shaw dans son affidavit, il s’agit d’un forum d’échanges et de discussions pour soutenir les parties aux ententes de services, pour favoriser une approche intégrée et coordonner une efficacité administrative et opérationnelle, ainsi que pour partager l’expertise sur le marché du travail. Ce n’est pas une structure organisationnelle où le gouvernement fédéral pourrait dicter à la Colombie-Britannique de quelle façon elle doit gérer les prestations et mesures qu’elle a élaborées et mises en place. Le comité de gestion a une fonction consultative et a pour but d’optimiser la contribution financière du gouvernement fédéral plutôt que d’encadrer la prestation des services par la province.

[176] Il y a de la consultation, mais une consultation n’équivaut pas à un contrôle. D’ailleurs, je m’empresse de souligner que le terme « consultation » ne figure pas dans l’énumération de six termes exprimant la notion de contrôle faite par la Cour d’appel fédérale dans DesRochers CAF. Une consultation n’est pas du même acabit qu’une approbation ou un accord. Aussi, je ne suis pas persuadé que le fait pour le gouvernement fédéral de jouer un certain rôle consultatif dans la gestion de l’Entente démontre un niveau de contrôle suffisant pour répondre aux exigences de DesRochers CAF.

[…]

[178] Au bout du compte, je ne suis pas persuadé que la preuve au dossier soit suffisamment claire et convaincante pour conclure que, sur la base de la prépondérance des probabilités, le gouvernement fédéral exerce un « degré de contrôle » suffisant sur les activités de la Colombie-Britannique et que, dans son offre de prestations et mesures dans le cadre de l’Entente, la province se trouverait à agir au bénéfice d’EDSC ou de la Commission. Les dispositions de l’Entente et la façon dont les prestations et mesures sont effectivement administrées par la Colombie-Britannique pointent au contraire dans la direction opposée. Ce n’est donc pas une situation où, pour cette raison additionnelle, l’article 25 de la LLO entre en jeu.

[…]

[180] Pour l’ensemble de ces raisons, je conclus que la partie IV de la LLO ne s’applique pas aux services d’aide à l’emploi visés par l’Entente. Du même souffle, il va de soi qu’aucune entrave à l’article 25 de la LLO ou au paragraphe 20(1) de la Charte ne s’est produite en l’instance. Je comprends que, comme l’a souligné le président de la FFCB, Réal Roy, dans son affidavit, les services d’aide à l’emploi sont d’une importance primordiale pour la communauté francophone de la Colombie-Britannique. Le travail, après tout, « est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société » (Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 RCS 313 au para 91). Il est, comme la langue d’ailleurs, une composante essentielle de l’identité d’une personne (Shakov aux para 111-112 (motifs dissidents, mais non sur ce point)).

[181] Je sais aussi que l’article 25 de la LLO existe pour empêcher que, dans le cadre d’ententes avec des tiers, le gouvernement fédéral ne puisse se soustraire à l’emprise de la LLO et à ses obligations linguistiques en matière de langue de service, faire indirectement ce qu’il ne pourrait faire directement, et nier l’égalité réelle de statut et d’usage de la langue de la minorité linguistique (DesRochers CAF au para 72). Mais ici, l’entente de paiements de transfert conclue entre le gouvernement fédéral et la Colombie-Britannique pour le développement du marché du travail dans la province a remis l’administration des services d’aide à l’emploi à une autorité provinciale, qui les fournit suivant un exercice valide de sa compétence législative. Et la Colombie-Britannique le fait sans être assujettie au contrôle d’EDSC ou de la Commission.

[182] Les droits linguistiques doivent bénéficier d’une interprétation large et libérale susceptible de favoriser la survie et l’épanouissement des minorités de langue officielle au Canada, mais cette interprétation généreuse ne permet pas à la Cour de sortir du texte de la LLO et d’ignorer ce que le partage constitutionnel des compétences entre le Parlement et les provinces autorise.

[…]

[299] Pour tous ces motifs, la demande de la FFCB est rejetée. Dans les circonstances, la partie IV ne s’applique pas à l’Entente conclue avec la Colombie-Britannique, puisque la fourniture des services d’aide à l’emploi prévus à l’Entente constitue un exercice valide de la compétence législative de la province et que, par conséquent, la Colombie-Britannique n’agit pas « pour [le] compte » d’une institution fédérale. De plus, je suis satisfait qu’en regard de l’interprétation qu’il convient de retenir pour le paragraphe 41(2) et de la preuve au dossier, les institutions fédérales en cause avaient pris « des mesures positives » au sens de la partie VII de la LLO au moment du dépôt de la plainte de la FFCB auprès du Commissaire. Puisqu’il n’y avait pas de défaut de se conformer à une disposition de la LLO au moment du dépôt de la plainte de la FFCB, la Cour ne peut imposer de réparations. Cependant, la FFCB a droit à ses frais et dépens dans les circonstances.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Thibodeau c. Air Canada, 2005 CF 1156 (CanLII)

[41] En matière de communication avec le public et les prestations de services, la LLO prévoit aux articles 23 et 25 « qu'il incombe aux institutions fédérales » ( « incombe » signifie que les institutions fédérales « ont la responsabilité ou la charge de » , Le Nouveau Petit Robert, 1993). J'assimile cette obligation à celle qui est prévue au paragraphe 10(2) de la LPPCAC [Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada] « est tenue de veiller à ». La Cour fédérale a déjà interprété l'article 25 de la LLO comme imposant une obligation de résultat aux institutions visées; dans la cause Quigley c. Canada (Chambre des communes), 2002 CFPI 645 (CanLII), [2003] 1 C.F. 132 (1re inst.), on a décidé que la Chambre des communes avait manqué à ses obligations sous la LLO en omettant de s'assurer que les débats soient offerts dans les deux langues officielles.

[...]

[71] Le paragraphe 10(2) de la LPPCAC prévoit que la « Société » (Air Canada) a l'obligation de veiller à ce que ses filiales offrent des services dans les deux langues. C'est donc Air Canada qui est imputable et non les filiales car la LLO ne s'applique pas directement à elles. Le paragraphe 10(2) est modelé sur l'article 25 de la LLO où il est prévu qu'il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient dans l'une ou l'autre des langues officielles comme si elles-mêmes offraient les services.

[...]

[85] L'article 25 de la même loi prévoit que l'institution fédérale qui offre des services par l'intermédiaire d'un tiers pour le compte de l'institution fédérale doit veiller à ce que ce tiers offre des services dans l'une ou l'autre des langues officielles comme si l'institution fédérale offrait elle-même les services. L'interprétation de cet article n'a pas fait l'unanimité dans le passé. Air Canada ne considérait pas ses filiales comme des tiers de sorte qu'elle ne considérait pas que l'article 25 s'appliquait pour ses filiales. Mais avec la modification au paragraphe 10(2) de la LPPCAC, le législateur a décidé d'imposer à Air Canada l'obligation prévue à l'article 25 de la LLO à ses filiales avec les paramètres énoncés à l'article 7 du Règlement.

[86] Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de répondre à la question telle que posée car selon moi le paragraphe 10(2) de la LPPCAC est très clair et ne comporte aucune ambiguïté. Je n'ai pas non plus à me poser la question à savoir si dans le passé Air Canada était tenue à la même obligation à l'endroit de ses filiales comme celle prévue pour les tiers à l'article 25 de la LLO.

NOTA – Ce point n’a pas été abordé en appel: Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115 (CanLII)

Quigley c. Canada (Chambre des communes), [2003] 1 RCF 132, 2002 CFPI 645 (CanLII)

[54] À mon avis, les arrangements pris entre le président de la Chambre [des communes] et CPAC [Chaîne d’affaires publiques par câble] sont visés à l'article 25 de la Loi. La Chambre transmet ses signaux à CPAC, qui les transmet à son tour aux EDR [entreprises de distribution de radiodiffusion] afin qu'ils soient distribués au public. L'article 25 de la Loi s'applique parce que les services sont fournis par CPAC au président de la Chambre.

[55] L'article 25 de la Loi prévoit qu'une institution fédérale -- et la Chambre en est une aux termes de la Loi -- doit, si elle utilise un intermédiaire (individu ou organisme) pour fournir des services qu'elle est tenue d'offrir dans les deux langues officielles, veiller à ce que cet intermédiaire se conforme à cette obligation. Cela n'a pas été fait en l'espèce puisque, dans son entente avec la Chambre, CPAC ne s'est pas engagée à veiller à ce que ses contrats de distribution avec les différentes EDR garantissent la diffusion dans les deux langues officielles.

[56] À mon avis, l'article 25 de la Loi exige que, dans toute entente conclue entre la Chambre et CPAC, comme en l'espèce, on « veille » à ce que les débats déjà fournis par la Chambre soient éventuellement diffusés dans les deux langues officielles. Par exemple, si CPAC s'était engagée, dans l'entente qu'elle a conclue avec le président de la Chambre, à négocier avec les EDR la diffusion de ses programmes dans les deux langues officielles, le problème auquel le demandeur était confronté aurait été évité. 

[57] Selon la Chambre défenderesse, les EDR refuseraient de diffuser CPAC si une telle clause figurait dans les ententes. Rien dans la preuve dont je dispose n'étaye cette affirmation cependant. Quoi qu'il en soit, si l'article 25 de la Loi s'applique, comme je le pense, le simple fait que des EDR puissent refuser de diffuser les débats de la Chambre ne justifie pas que l'on ne tienne pas compte de cette disposition.

[58] Je conclus donc que la Chambre manque aux obligations linguistiques que lui impose la Loi, parce qu'elle n'a pas veillé, dans les ententes qu'elle a conclues avec CPAC, à ce que ses débats soient offerts dans les deux langues officielles.

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), 2001 CarswellNat 3004, 2001 CarswellNat 3005, 2001 FCT 1365, 2001 CFPI 1365, [2002] 2 F.C. 164, 226 F.T.R. 185 [hyperlien non disponible]

[77] S'il y a délégation en l'espèce, il s'agit nécessairement d'une délégation de fonctions administratives en vertu de l'entente relative au marché du travail parce que ni le législateur fédéral ni les assemblées législatives provinciales ne peuvent procéder à une délégation réciproque de pouvoirs législatifs (voir l'arrêt Délégation réciproque Nouvelle-Écosse, répertorié sous A.G. for Canada v. A.G. for Nova Scotia, [1951] R.C.S. 31.

[78] La délégation de fonctions administratives d'un palier de gouvernement à un autre est une pratique bien acceptée en droit constitutionnel canadien, au même titre que la nomination de fonctionnaires fédéraux ou provinciaux pour accomplir les fonctions d'un autre palier de gouvernement. Ces délégations ont pour objet de surmonter les difficultés que pose la compétence partagée (par exemple en agriculture), d'éviter le dédoublement et d'assurer la coordination en vue de parvenir aux résultats souhaités. […]

[79] Ces arrêts démontrent que la délégation, si elle avait eu lieu en l'espèce, aurait essentiellement eu pour objet le transfert, par le gouvernement fédéral, y compris la CAEC [Commission de l’assurance-emploi du Canada], de certaines fonctions fédérales dans le domaine du marché du travail à Emploi-Québec qui serait chargé de s'en acquitter au nom de la Commission [de l’assurance-emploi du Canada] conformément à l'entente relative au marché du travail. Toutefois, ce n'est pas ce qui s'est produit et, par conséquent, je n'accepte pas l'argument avancé par M. Lavigne selon lequel il s'agit d'un cas de délégation.

[80] Il est clair qu'Emploi-Québec s'acquitte de ses fonctions dans le domaine des activités liées au marché du travail prévues dans l'EMODMT [Entente de mise en œuvre Canada-Québec relative au développement du marché du travail] en mettant sur pied des mesures actives d'emploi en vertu du pouvoir législatif provincial; il n'exerce pas ses fonctions en vertu d'un mandat qui lui serait conféré soit par l'entente relative au marché du travail, la Commission ou le ministre du Développement des Ressources humaines du Canada.

[81] Autrement dit, Emploi-Québec ne dépend pas d'une autorisation fédérale pour exercer ses activités et ne doit rien au gouvernement fédéral. Son pouvoir lui vient uniquement de l'Assemblée nationale du Québec.

[82] Ce qui s'est produit en l'espèce est que le gouvernement fédéral s'est retiré du champ et au lieu de s'acquitter lui-même de ces activités, il a financé Emploi-Québec par l'entremise de l'EMODMT.

[83] M. Lavigne s'appuie abondamment sur la décision du juge Blais dans la décision relative à la Loi sur les contraventions, précitée. À mon avis, il a tort.

[84] La décision concernant la Loi sur les contraventions (et la Loi a été modifiée en 1996 [L.C. 1996, ch. 7]) portait sur l'adoption par le législateur fédéral de cette loi qui autorisait les autorités provinciales à engager des poursuites relatives à des infractions fédérales constatées par amende et autorisait le ministre fédéral de la Justice à conclure des accords concernant la poursuite des contraventions, l'imposition et l'exécution du paiement des amendes.

[85] Le juge Blais a conclu que le pouvoir à l'égard des contraventions fédérales était de nature fédérale et que les autorités fédérales avaient décidé de simplifier la procédure par l'adoption de la Loi sur les contraventions. Il a ensuite examiné l'article 25 de la LLO qui, à son avis, confirme simplement le principe constitutionnel selon lequel un gouvernement ne peut se soustraire aux obligations constitutionnelles en déléguant certaines des (sic) ses responsabilités. Il a déclaré que l'obligation qui incombe au procureur général du Canada d'offrir des services administratifs se rapportant aux poursuites des contraventions fédérales dans les deux langues officielles lui est imposée non seulement par la partie IV de la LLO, mais également par la Charte. Il s'est dit d'avis qu'en administrant la Loi sur les contraventions, le gouvernement de l'Ontario appliquait une loi fédérale sur le territoire de la province et donc qu'en appliquant la Loi sur les contraventions le gouvernement de l'Ontario et les municipalités agissaient au nom du gouvernement du Canada.

[86] La raison pour laquelle la décision relative à la Loi sur les contraventions, et je suis ici tout à fait d'accord avec le raisonnement du juge Blais, est complètement différente de la question dont je suis saisi est manifeste. Selon mon interprétation de la décision du juge Blais, l'élément-clé de son raisonnement est l'existence d'une loi fédérale traitant d'infractions fédérales non criminelles qui était administrée par des autorités provinciales. Autrement dit, les autorités provinciales tiraient leur droit d'agir non pas d'une loi et de règlements provinciaux, mais d'une loi et de règlements fédéraux. Le juge Blais a eu tout à fait raison, dans ce contexte, de conclure qu'il y avait eu délégation de pouvoirs administratifs par le gouvernement fédéral aux autorités provinciales.

[87] Pour les raisons que j'ai expliquées dans les présents motifs, ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce. Il n'y a pas eu de délégation de fonctions du gouvernement fédéral aux autorités provinciales.

NOTA – Ce jugement a été confirmé en appel (Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), 2003 CAF 203 (CanLII)) : “Par conséquent, l'entente de mise en œuvre Canada-Québec relative au développement du marché du travail (EMODMT) ne constitue pas une délégation de fonctions des autorités fédérales aux autorités provinciales et la Loi sur les langues officielles (L.R., 1985, ch. 31 (4e suppl.)) ne s'applique pas aux services offerts par Emploi-Québec” (au para. 2).

Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice), 2001 CFPI 239 (CanLII)

[135] Dans les circonstances, il apparaît clair que le gouvernement fédéral a plein pouvoir pour déléguer, au gouvernement provincial ou à des municipalités, la gestion des poursuites des infractions aux lois et règlements fédéraux. Le gouvernement provincial de l'Ontario a choisi de déléguer ce pouvoir de gestion par voie législative réglementaire et par ententes spécifiques portant sur la gestion de certaines contraventions par les autorités municipales.

[136] Suivant cette analyse, l'obligation pour le délégué de respecter les lois linguistiques auxquelles était tenu le déléguant, soit le gouvernement du Canada ou de l'Ontario, selon le cas, demeure.

[137] Il apparaît donc important de s'assurer que les obligations légales du déléguant, soit le gouvernement fédéral ou des délégués, le gouvernement de l'Ontario et les gouvernements municipaux, particulièrement en regard des droits linguistiques qui ont été précédemment qualifiés de droits constitutionnels, soient encadrées et spécifiées suffisamment afin de s'assurer que tout justiciable puisse voir ses droits respectés, que la loi en matière de contravention soit gérée par le gouvernement fédéral, le gouvernement de l'Ontario ou encore les autorités municipales.

[138] J'en arrive donc à la conclusion que la province de l'Ontario ainsi que les municipalités ayant reçu les pouvoirs délégués de la province de l'Ontario agissent pour le compte du gouvernement du Canada dans la mise en œuvre de la LC [Loi sur les contraventions, L.C. 1992, c.47] et que les gouvernement (sic) municipaux qui ont signé une entente avec Justice Canada agissent eux aussi pour le compte du gouvernement du Canada.

[139] De plus, même s'il était accepté que le Procureur général de l'Ontario, dans son application de la LC, agissait en vertu des pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 92.14 de la Loi constitutionnelle de 1867, il serait quand même tenu de respecter les droits linguistiques quasi-constitutionnels prévus à la LLO et aux articles 530 et 530.1 du Code criminel.

[140] Il faut se rappeler que le Procureur général de l'Ontario, dans l'application de la LC, applique une loi fédérale sur le territoire de sa province. Les justiciables sont en droit de s'attendre à ce que leurs droits linguistiques leur soient garantis au même titre que si l'application de la LC était faite par le Procureur général du Canada.

[141] L'application d'une loi fédérale d'application générale sur l'ensemble du territoire canadien telle que la LLO, ne peut être appliquée de façon discriminatoire en fonction de la personne qui est chargée de l'application de la LC. Ainsi, les garanties linguistiques prévues à la LLO et au Code criminel s'appliqueront peu importe que ce soit le Procureur général du Canada ou le Procureur général de l'Ontario, ou encore les municipalités qui seront chargées de l'application de la LC

Voir également :

Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada, [2008] 1 R.C.S. 383, 2008 CSC 15 (CanLII)  

Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308 (CanLII)

Sagen c. Vancouver Organizing Committee for the 2010 Olympic and Paralympic Winter Games, 2009 BCCA 522 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

 

Pouvoir réglementaire en matière de santé ou de sécurité publiques

26. Réglementation en matière de santé et de sécurité publiques

26. Il incombe aux institutions fédérales qui réglementent les activités de tiers exercées en matière de santé ou de sécurité du public de veiller, si les circonstances le justifient, à ce que celui-ci puisse, grâce à cette réglementation, communiquer avec eux et en recevoir les services, en cette matière, dans les deux langues officielles.

Voir également :

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

 

Dispositions générales

27. Obligation : communications et services

27. L'obligation que la présente partie impose en matière de communications et services dans les deux langues officielles à cet égard vaut également, tant sur le plan de l'écrit que de l'oral, pour tout ce qui s'y rattache.

Annotations

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

[19] Devant nous, l'appelant a surtout insisté sur cette partie de sa plainte qui a trait à la difficulté qu'il a eue à obtenir une communication active en français, lors de ses premiers contacts avec les bureaux de la Commission [de la fonction publique du Canada] à Toronto. Ce n'est, nous a-t-il dit, qu'après avoir dû parler anglais à plusieurs préposés qu'il fut finalement dirigé vers le directeur général du bureau de la Commission avec qui il put s'entretenir en français.

[20] L'appelant invoque l'article 27 de la Loi, lequel fait partie du chapitre intitulé « Communications avec le public et prestation des services » et qui se lit comme suit:

27. L'obligation que la présente partie impose en matière de communications et services dans les deux langues officielles à cet égard vaut également, tant sur le plan de l'écrit que de l'oral, pour tout ce qui s'y rattache. [Nous soulignons.]

[…]

[24] De plus, il appert de l'article 31 de la Loi que les dispositions de la partie IV, qui porte sur la langue des communications avec le public et de la prestation des services (dont les articles 22 et 27), l'emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V, qui porte sur la langue de travail. Il s'ensuit à notre avis que les droits du public, en vertu de la partie IV, dans une région comme Toronto où la demande est jugée importante, ne sont pas diminués du fait que, par ailleurs, en ce qui a trait à la langue de travail, cette même région n'ait pas été « désignée » bilingue en vertu des articles 35 et 36 de la Loi. En d'autres termes, les droits de l'appelant de recevoir les services en français, à Toronto, ne sont pas moindres du simple fait que l'appelant, s'il obtenait l'emploi sollicité, devrait travailler en anglais.

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[2] Le demandeur M. Luc Tailleur, un francophone, travaille dans la fonction publique fédérale. Il y occupe le poste d’agent des services aux contribuables dans un centre d’appels de l’Agence du revenu du Canada [ARC] situé à Montréal. Le poste de M. Tailleur, tout comme la région de Montréal où il travaille, sont tous deux désignés comme étant bilingues. Dans le cadre de son emploi, M. Tailleur reçoit des appels téléphoniques des contribuables et répond à leurs questions au sujet des impôts et des programmes gérés par l’ARC. En août 2010, M. Tailleur sert une contribuable anglophone dans la langue de choix de celle-ci, soit l’anglais. Suite à son appel avec la contribuable, M. Tailleur doit écrire une note dans un des systèmes informatiques de l’ARC afin d’assurer le suivi du traitement du dossier de la contribuable. M. Tailleur rédige alors cette note dans la langue de travail de son choix, soit le français. Invoquant les politiques en place au sein de l’ARC, les supérieurs de M. Tailleur le contraignent de refaire sa note dans la langue de la contribuable, ce à quoi M. Tailleur se conforme.

[…]

[18] L’enquête du Commissaire notait entre autres que l’ARC appuyait sa position sur l’article 27 de la LLO, lequel prévoit que l’obligation en matière de communications et services dans les deux langues officielles vaut tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, et pour tout ce qui se rattache aux communications et services offerts. De plus, l’enquête du Commissaire soulignait que l’ARC invoquait également l’article 31 de la LLO, qui stipule que les dispositions de la partie IV l’emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V portant sur la langue de travail, et donne donc préséance aux droits des membres du public de communiquer et de recevoir leurs services dans leur langue officielle de préférence. Le Commissaire observait enfin que l’ARC a tenté de réconcilier le droit du public et les droits de ses agents, mais sans succès :

L’ARC a aussi affirmé avoir tenté de trouver des moyens de faire respecter les droits des employés tout en respectant ses obligations de service au public. Toutefois, elle n’a pu arriver à réconcilier les deux parties de la [LLO] compte tenu de ses obligations et ses objectifs institutionnels en matière de langues officielles.

[…]

[39] Au sein de la partie IV de la LLO, l’article 21 prévoit le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services. Les articles 22 et 24 imposent aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les membres du public puissent communiquer avec leurs bureaux et recevoir des services de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles. Par ailleurs, l’article 27 prévoit que les obligations des institutions fédérales en matière de communications et services dans les deux langues officielles valent également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache.

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[42] La LLO comporte plusieurs parties. Les parties I à VI de la loi établissent une série de droits linguistiques dans de nombreux contextes, dont : les débats et travaux parlementaires; les actes législatifs et autres; l’administration de la justice; les communications avec le public; et la langue de travail. Plus particulièrement, la partie IV porte sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix. Au sein de la partie IV, l’article 21 prévoit le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. L’article 22 impose aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les membres du public puissent communiquer avec leurs bureaux et recevoir des services de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles là où l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante. L’article 25 dispose que les institutions fédérales doivent veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues à une telle obligation. L’article 27 prévoit que les obligations des institutions fédérales en matière de communications et services dans les deux langues officielles valent également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache. Enfin, l’article 28 ajoute que les institutions fédérales doivent veiller à faire de l’offre active dans les deux langues officielles.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Voir également :

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

 

28. Offre active

28. Lorsqu'elles sont tenues, sous le régime de la présente partie, de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux ou recevoir les services de ceux-ci ou de tiers pour leur compte, dans l'une ou l'autre langue officielle, il incombe aux institutions fédérales de veiller également à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public, notamment par entrée en communication avec lui ou encore par signalisation, avis ou documentation sur les services, que ceux-ci lui sont offerts dans l'une ou l'autre langue officielle, au choix.

Annotations

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[139] L'offre active est le message d'accueil qui informe le public de la possibilité de communiquer en français ou en anglais. Comme l'a expliqué M. Wissell, enquêteur au commissariat aux langues officielles, elle a pour but de faire en sorte que la personne se sente à l'aise de demander le service. C'est un signe de respect. L’offre active peut se présenter sous forme d'affiche, d'accueil personnalisé ou de message.

[140] La juge de première instance a conclu que l'offre active faisait partie intégrante de l'égalité réelle visée par l'article 5 de la LLO [des Territoires du Nord-Ouest], qu'elle y soit mentionnée ou non : au paragraphe 693. Les appelants soutiennent que si le législateur avait voulu faire de l'offre active une partie essentielle du paragraphe 11(1), il l'aurait exprimé (comme dans le cas des articles 28 à 30 de la LLO [du Canada] et du paragraphe 28.1 de la Loi sur les langues officielles, L. N.-B. (2002), ch. O-0.5 (LLONB)). Ils font valoir que, en l'absence de dispositions analogues dans la LLO [des Territoires du Nord-Ouest], le législateur est libre de prendre des règlements qui prévoient l'offre active.

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[25] Les centres d’appels comme celui où travaille M. Tailleur constituent un volet important des services offerts par l’ARC [Agence du revenu du Canada] aux contribuables canadiens. Pour dispenser ces services téléphoniques, l’ARC publie des numéros de téléphone sans frais nationaux auxquels les appelants des deux groupes de langues officielles ont accès. Des numéros de téléphone distincts sont prévus pour chaque langue officielle et dédiés à chacune des deux clientèles linguistiques. L’ARC considère ceci comme une offre active de services mise en place pour répondre, en temps réel, aux demandes provenant des membres des communautés anglophone et francophone au Canada. Le volume d’interactions téléphoniques entre les agents de l’ARC et les contribuables est très élevé : l’ARC a en effet reçu pas moins de 16.5 millions d’appels en 2012-2013.

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[33] L'article 28 pourrait être appelé la clause proactive. Il impose aux institutions fédérales l'obligation de veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public que les services sont offerts dans l'une ou l'autre langue officielle. De même, en vertu de l'article 30, ces institutions sont tenues d'utiliser les médias qui leur permettent d'assurer une communication efficace avec le public dans les deux langues officielles.

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[42] La LLO comporte plusieurs parties. Les parties I à VI de la loi établissent une série de droits linguistiques dans de nombreux contextes, dont : les débats et travaux parlementaires; les actes législatifs et autres; l’administration de la justice; les communications avec le public; et la langue de travail. Plus particulièrement, la partie IV porte sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix. Au sein de la partie IV, l’article 21 prévoit le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. L’article 22 impose aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les membres du public puissent communiquer avec leurs bureaux et recevoir des services de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles là où l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante. L’article 25 dispose que les institutions fédérales doivent veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues à une telle obligation. L’article 27 prévoit que les obligations des institutions fédérales en matière de communications et services dans les deux langues officielles valent également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache. Enfin, l’article 28 ajoute que les institutions fédérales doivent veiller à faire de l’offre active dans les deux langues officielles.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Voir également :

Ayangma c. Canada, 2003 CAF 149 (CanLII)

 

29. Signalisation

29. Tous les panneaux et enseignes signalant les bureaux d'une institution fédérale doivent être dans les deux langues officielles, ou placés ensemble de façon que les textes de chaque langue soient également en évidence. 

 

30. Mode de communication

30. Sous réserve de la partie II, les institutions fédérales qui, sous le régime de la présente partie, communiquent avec le public dans les deux langues officielles sont tenues d'utiliser les médias qui leur permettent d'assurer, en conformité avec les objectifs de la présente loi, une communication efficace avec chacun dans la langue officielle de son choix.

Annotations

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[33] L'article 28 pourrait être appelé la clause proactive. Il impose aux institutions fédérales l'obligation de veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public que les services sont offerts dans l'une ou l'autre langue officielle. De même, en vertu de l'article 30, ces institutions sont tenues d'utiliser les médias qui leur permettent d'assurer une communication efficace avec le public dans les deux langues officielles.

 

31. Incompatibilité

31. Les dispositions de la présente partie l'emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V.    

Annotations

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[48] Le droit dont il s'agit, dans cette partie IV, est celui du public « de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services conformément à la présente partie » (article 21). Ce droit du public l'emporte, selon l'article 31, sur le droit conféré par la partie V « Langue de travail » aux agents des institutions fédérales de travailler dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

[24] De plus, il appert de l'article 31 de la Loi que les dispositions de la partie IV, qui porte sur la langue des communications avec le public et de la prestation des services (dont les articles 22 et 27), l'emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V, qui porte sur la langue de travail. Il s'ensuit à notre avis que les droits du public, en vertu de la partie IV, dans une région comme Toronto où la demande est jugée importante, ne sont pas diminués du fait que, par ailleurs, en ce qui a trait à la langue de travail, cette même région n'ait pas été « désignée » bilingue en vertu des articles 35 et 36 de la Loi. En d'autres termes, les droits de l'appelant de recevoir les services en français, à Toronto, ne sont pas moindres du simple fait que l'appelant, s'il obtenait l'emploi sollicité, devrait travailler en anglais.

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[1] La présente affaire porte sur la tension qui existe entre deux volets de la Loi sur les langues officielles, LRC, c 31 (4e suppl) [LLO] : les droits linguistiques reconnus aux membres du public d’être servi par une institution fédérale dans la langue officielle de leur choix, et les droits linguistiques octroyés aux agents des institutions fédérales de travailler dans l’une ou l’autre des deux langues officielles du Canada.

[2] Le demandeur M. Luc Tailleur, un francophone, travaille dans la fonction publique fédérale. Il y occupe le poste d’agent des services aux contribuables dans un centre d’appels de l’Agence du revenu du Canada [ARC] situé à Montréal. Le poste de M. Tailleur, tout comme la région de Montréal où il travaille, sont tous deux désignés comme étant bilingues. Dans le cadre de son emploi, M. Tailleur reçoit des appels téléphoniques des contribuables et répond à leurs questions au sujet des impôts et des programmes gérés par l’ARC. En août 2010, M. Tailleur sert une contribuable anglophone dans la langue de choix de celle-ci, soit l’anglais. Suite à son appel avec la contribuable, M. Tailleur doit écrire une note dans un des systèmes informatiques de l’ARC afin d’assurer le suivi du traitement du dossier de la contribuable. M. Tailleur rédige alors cette note dans la langue de travail de son choix, soit le français. Invoquant les politiques en place au sein de l’ARC, les supérieurs de M. Tailleur le contraignent de refaire sa note dans la langue de la contribuable, ce à quoi M. Tailleur se conforme.

[…]

[7] Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que la demande de M. Tailleur doit échouer. En effet, la Cour est d’avis que l’ARC a pris toutes les mesures raisonnables possibles pour permettre à M. Tailleur et à ses autres employés d’utiliser la langue de travail de leur choix, mais que l’exigence de rédiger les « blocs-notes » dans la langue de choix du contribuable est essentielle et nécessaire pour permettre à l’ARC d’assurer un service égal aux contribuables anglophones ; elle doit donc avoir préséance. Quant à la solution alternative proposée par M. Tailleur d’instaurer un mécanisme de transfert d’appels, la Cour est d’avis que cette avenue se situe hors du champ des mesures raisonnables que peut considérer l’ARC dans les circonstances.

[…]

[40] Enfin, l’article 31 de la LLO prévoit expressément qu’en cas d’incompatibilité, ces droits linguistiques des membres du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans la langue officielle de leur choix l’emportent sur les droits linguistiques conférés par la partie V aux agents des institutions fédérales. Cet article 31 se lit comme suit : […]

[54] Bien qu’elles s’entendent sur les principes d’interprétations applicables, les parties ne s’accordent pas sur la bonne interprétation que doit recevoir le paragraphe 36(2) de la LLO. Le différend est de deux ordres : d’une part, au niveau de la portée de l’article 31 de la loi, et d’autre part au sujet du sens des mots « toutes autres mesures possibles » utilisés au paragraphe 36(2).

[55] Bien entendu, tant l’article 31 que le paragraphe 36(2) de la LLO doivent être interprétés à la lumière des principes d’interprétation généralement applicables aux droits linguistiques et aux lois bilingues dont les deux versions font également autorité. Ainsi, « toute divergence entre les deux versions officielles d’un texte législatif est résolue en dégageant, si c’est possible, le sens qui est commun aux deux versions » (R c Daoust, 2004 CSC 6 (CanLII) [Daoust] au para 26, citant Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd, Montréal, Thémis, 1999 à la p 410). L’interprétation d’un texte bilingue consiste donc à d’abord rechercher le sens commun entre les deux versions de la loi et, lorsque leur portée diffère, à préférer le sens le plus restreint qui soit commun aux deux versions (Daoust au para 29). Puis, il faut ensuite vérifier si le sens commun ainsi dégagé est conforme à l’intention législative, suivant les règles ordinaires d’interprétation (Daoust au para 30).

(a) L’impact de l’article 31

[56] Le Procureur général soumet qu’il suffit de regarder l’article 31 et la partie IV de la LLO pour trancher l’apparente opposition entre langue de service et langue de travail dans le présent dossier, sans pour autant avoir besoin de se pencher sur le contenu de la partie V et du paragraphe 36(2) de la LLO, ou encore sur les droits linguistiques de M. Tailleur relatifs à la langue de travail. Le Procureur général plaide en effet que l’article 31 de la LLO répond à toute tension entre les parties IV et V de la LLO, et que tout désaccord doit être adjugé en faveur de la partie IV en vertu de l’article 31 ; en effet, en cas de conflit, le droit du public à être servi dans la langue de son choix l’emporte toujours sur le droit de l’employé.

[57] La Cour ne souscrit pas à cet argument et à cette interprétation de la LLO.

[58] Si l’article 31 de la LLO établit clairement que la partie IV a préséance sur la partie V, il le fait non pas dans l’absolu, mais bien dans la mesure où les dispositions de la partie V sont incompatibles avec celles de la partie IV. En effet, la version française de l’article parle de « dispositions incompatibles de la partie V » tandis que le texte anglais de la LLO décrète que la partie IV l’emporte (« prevails » en anglais) « to the extent of the inconsistency ». Interprété conjointement et dans un sens commun aux deux versions, cet article exprime donc clairement que la fenêtre de l’incompatibilité à laquelle renvoie l’article 31 est restreinte. En effet, la partie IV n’aura préséance que dans la mesure de l’incompatibilité qui aura été recensée. Or, comment peut-on mesurer cette incompatibilité sans d’abord identifier sa nature et sa portée (et donc analyser les obligations des institutions fédérales aux termes de la partie V) ?

[59] Puisqu’il faut une incompatibilité réelle pour permettre d’écarter les droits linguistiques de la partie V à la faveur de ceux de la partie IV, la Cour conclut qu’il ne peut donc pas y avoir de mesure incompatible sans considérer la portée et l’étendue de l’article 36 de la LLO. La notion de conflit prévue à l’article 31 de la LLO doit recevoir une interprétation restrictive puisque tant la partie IV que la partie V de la loi doivent bénéficier d’une interprétation libérale et téléologique qui est compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de chaque langue officielle au Canada.

[60] La Cour est donc d’avis que, correctement interprété, le sens et la portée de l’article 31 ne peuvent être divorcés d’une appréciation de la teneur des obligations imposées aux institutions fédérales par le paragraphe 36(2) de la LLO.

[…]

[77] Un second facteur découle de la primauté de la partie IV de la LLO en cas d’incompatibilité avec la partie V, tel qu’établi par l’article 31 de la loi. Ainsi, une mesure ne sera pas raisonnable si sa mise en œuvre entre en conflit avec les obligations de l’institution fédérale prévues à la partie IV de la LLO. Il est important de rappeler que la notion de conflit doit recevoir une interprétation restrictive puisque tant la partie IV que la partie V doivent bénéficier d’une interprétation libérale et téléologique qui soit compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.

[…]

[94] Ainsi, la Cour est satisfaite que, dans le but d’assurer un service égal, immédiat et sans délai à tous les contribuables, il est objectivement nécessaire que les notes soient inscrites aux dossiers des contribuables dans la langue officielle de leur choix. Il s’agit ici d’autre chose que de simples commodités administratives (Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 1985 CanLII 65 (CSC), [1985] 1 RCS 177 au para 70). Il faut rappeler qu’avec le système téléphonique en place à l’ARC, un appel provenant d’un contribuable anglophone peut être acheminé tant à un agent d’appel bilingue qu’à un agent unilingue anglophone, et que ce contribuable est en droit de recevoir la même qualité de service, peu importe la compétence linguistique de l’agent d’appel qui lui répond.

[…]

[96] Dans les présentes circonstances, la garantie constitutionnelle de M. Tailleur et des agents d’appel de l’ARC de pouvoir utiliser le français ou l’anglais comme langue de travail dans cette institution fédérale doit céder le pas au droit du contribuable de pouvoir communiquer avec les agents d’appel et recevoir leurs services dans la langue de son choix.

[…]

[98] M. Tailleur suggère qu’il serait possible d’établir un système où le dossier d’un contribuable indiquerait qu’il est devenu « bilingue » lorsque c’est le cas, et que les appels pourraient être redirigés vers un employé bilingue lorsque cela serait nécessaire et lorsqu’un agent unilingue anglophone ne comprendrait pas les notes au dossier rédigées en français. M. Tailleur soumet que le transfert d’appels à un autre agent bilingue capable de comprendre les notes au dossier, qu’elles soient en anglais ou en français, ne créerait pas d’inégalité de service pour les contribuables anglophones et qu’un tel mécanisme de transfert d’appels ne serait pas compliqué à instaurer.

[…]

[110] La Cour est donc d’avis que l’ARC a démontré pourquoi la mesure proposée par M. Tailleur n’est pas raisonnable, car sa mise en œuvre aurait pour effet de violer la partie IV de la LLO. La mesure proposée est donc incompatible avec la partie IV au sens de l’article 31. Comme les débats parlementaires l’ont souligné, en cas d’incompatibilité, les obligations de servir le public dans la langue de son choix l’emportent. Compte tenu de cette conclusion, la Cour n’a pas besoin de considérer si le transfert d’appels proposé par M. Tailleur causerait de difficultés opérationnelles ou administratives importantes à l’ARC ou si sa mise en œuvre causerait un conflit avec le mandat de l’ARC.

[…]

[113] Puisqu’il n’est pas possible dans les circonstances de concilier les obligations et les droits linguistiques au niveau tant de la langue de service que de la langue de travail en raison de la nécessité d’offrir un service égal aux contribuables anglophones et francophones, la partie IV de la LLO doit avoir préséance.

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[77] Par conséquent, le droit du public de pouvoir communiquer et recevoir des services dans la langue officielle de son choix qui est prévu à la partie IV de la LLO l'emportera sur toute règle de travail incompatible qui figure dans une convention collective (p. ex., l'ancienneté) et qui empêche les membres du public de communiquer avec l'institution fédérale concernée et de recevoir des services de celleci dans la langue officielle de leur choix. Peu importe que l'obligation prévue à la partie IV soit une obligation de résultat ou une obligation de moyen, il y a peu de place pour les compromis (Thibodeau c. Air Canada, 2007 CAF 115 (CanLII), [2007] A.C.F. no 404 (QL) (Thibodeau)).

Voir également :

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

 

Règlements

32. (1) Règlements

32. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

(a) déterminer, pour l'application de l'article 22 ou du paragraphe 23(1), les circonstances dans lesquelles il y a demande importante;

b) en cas de silence de la présente partie, déterminer les circonstances dans lesquelles il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, ou recevoir les services de ceux-ci, dans l'une ou l'autre langue officielle;

c) déterminer les services visés au paragraphe 23(2) et les modalités de leur fourniture;

d) déterminer pour le public et les voyageurs les cas visés à l'alinéa 24(1)a) et les circonstances visées à l'alinéa 24(1)b);

(e) définir « population de la minorité francophone ou anglophone » pour l'application de l'alinéa (2)a).

32. (2) Critères

32. (2) Le gouverneur en conseil peut, pour déterminer les circonstances visées aux alinéas (1)a) ou b), tenir compte :

a) de la population de la minorité francophone ou anglophone de la région desservie, de la spécificité de cette minorité et de la proportion que celle-ci représente par rapport à la population totale de cette région;

b) du volume des communications ou des services assurés entre un bureau et les utilisateurs de l'une ou l'autre langue officielle;

c) de tout autre critère qu'il juge indiqué.

Annotations

Doucet c. Canada, [2005] 1 RCF 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[10] Le litige dont la Cour est maintenant saisie, même s'il tire son origine de ces faits, est tout autre. L'enjeu n'est plus la sommation et la déclaration de culpabilité du demandeur pour excès de vitesse. Il s'agit plutôt de décider si les droits du demandeur, en tant que francophone, ont été violés du fait qu'il n'a pas reçu de services en français et qu'il n'a pu communiquer en français lorsqu'il s'est adressé à un membre de la GRC qui patrouillait l'autoroute 104 près d'Amherst, contrairement au droit garanti à l'article 20 de la Charte. […]

[11] En vertu du Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48 (le Règlement), adopté sous le régime de l'article 32 de la LLO, pour considérer qu'il existe une « demande importante » pour des services dans la langue officielle de la minorité en zone rurale, il faut que la population minoritaire atteigne le seuil de 500 personnes ou 5 % de la population dans l'aire de service. Par conséquent, la GRC--détachement d'Amherst, en Nouvelle-Écosse, en tant que bureau d'une institution fédérale soumise à la Charte et à la LLO, n'a pas à offrir de services bilingues dans la région d'Amherst parce qu'il n'existe pas dans cette région de « demande importante » telle qu'elle est définie dans le Règlement. Le recensement de 1991 fait état d'une population francophone de 255 personnes résidant dans l'aire de service du détachement d'Amherst, ce qui représente 1,1 % de la population totale de l'aire de service. À Amherst même, la population francophone représente 2,1 % de la population.

[…]

[80] J'accueille en partie la demande dans la présente action. Je déclare le sous-alinéa 5(1)h)(i) du Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, adopté en vertu de l'article 32 de la LLO, incompatible avec l'alinéa 20(1)a) de la Charte en ce que le droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec une institution du gouvernement du Canada ne peut uniquement dépendre du pourcentage de francophones dans la subdivision de recensement mais doit aussi tenir compte du nombre de francophones qui font ou pourraient faire appel aux services de cette institution, comme l'illustre la situation en l'espèce sur l'autoroute 104 à Amherst, en Nouvelle-Écosse. J'estime raisonnable d'accorder 18 mois à la gouverneure en conseil pour remédier au problème identifié dans le Règlement.

Canada (Procureur général) c. Green, [2000] 4 RCF 629, 2000 CanLII 17146 (CF)

d) Le Règlement sur les langues officielles-- communications avec le public et prestation des services [DORS/92-48]

[47] Ce règlement du gouverneur général en conseil, pris en vertu de l'article 32 de la LLO, date de 1991. Il définit les concepts de population de minorité francophone ou anglophone et celui de demande importante. Il contient aussi d'autres dispositions qu'il n'est pas nécessaire de mentionner ici.

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[34] Quant au paragraphe 32(1), il énonce avec plus de précision le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil à l'égard de la « demande importante », des circonstances à déterminer en cas de silence de la loi, ainsi que des services visés et les modalités de leur fourniture. Il autorise également le gouverneur en conseil à tenir compte de la minorité francophone ou anglophone desservie par le gouvernement, de la proportion que cette minorité représente et de sa spécificité, du volume de communications ou des services assurés dans l'une ou l'autre langue et, enfin, de tout autre critère qu'il juge indiqué.

[…]

[57] En l'espèce, il est évident que la Loi sur les langues officielles présente un tableau général et un tableau plus restreint. La Loi ne vise pas seulement à permettre l'emploi de nos langues officielles et à donner aux citoyens le droit de communiquer avec les institutions fédérales dans la langue de leur choix. Elle fait plus que cela. Elle vise à promouvoir l'emploi des deux langues ou, comme il est écrit dans le préambule de la Loi, à « favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones ... et à appuyer leur développement ». Un tel engagement de principe du gouvernement fédéral impose une obligation double qui doit tôt ou tard se traduire concrètement.

[58] La première obligation consiste à veiller à ce que les institutions fédérales soient en mesure de respecter le droit d'un citoyen de communiquer avec elles ou d'en recevoir les services dans l'une ou l'autre langue. Il est vrai que la mesure dans laquelle on répond à des besoins ou dans laquelle on offre des services varie. Il ne faut pas perdre de vue la question principale, à savoir que l'objet de la Loi et l'intention du législateur ne sont mis à l'épreuve que relativement aux droits linguistiques des minorités d'une collectivité. Les droits linguistiques de la majorité de la même collectivité sont dynamiquement respectés et ne posent aucune difficulté.

[59] Ces variations sont le fruit de nombreuses considérations fondamentales. Sans avoir à les énumérer toutes, je souligne les facteurs démographiques, l'importance du groupe minoritaire, la mesure dans laquelle certains offices fédéraux entretiennent des relations avec les citoyens, le fonctionnement efficace de ces offices lorsqu'il s'agit de répondre aux exigences opérationnelles, la demande importante de services dans la langue de la minorité et les considérations énoncées aux articles 32 et 33 de la Loi.

Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48

 

33. Règlements

33. Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre les mesures d’incitation qu’il estime nécessaires pour que soient effectivement assurés dans les deux langues officielles les communications et les services que sont tenues de pourvoir dans ces deux langues, au titre de la présente partie, les institutions fédérales autres que le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique, le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, le Service de protection parlementaire ou le bureau du directeur parlementaire du budget.

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 33; 2004, ch. 7, art. 27; 2006, ch. 9, art. 21; 2015, ch. 36, art. 145; 2017, ch. 20, art. 180.

Annotations

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[57] En l'espèce, il est évident que la Loi sur les langues officielles présente un tableau général et un tableau plus restreint. La Loi ne vise pas seulement à permettre l'emploi de nos langues officielles et à donner aux citoyens le droit de communiquer avec les institutions fédérales dans la langue de leur choix. Elle fait plus que cela. Elle vise à promouvoir l'emploi des deux langues ou, comme il est écrit dans le préambule de la Loi, à « favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones ... et à appuyer leur développement ». Un tel engagement de principe du gouvernement fédéral impose une obligation double qui doit tôt ou tard se traduire concrètement.

[58] La première obligation consiste à veiller à ce que les institutions fédérales soient en mesure de respecter le droit d'un citoyen de communiquer avec elles ou d'en recevoir les services dans l'une ou l'autre langue. Il est vrai que la mesure dans laquelle on répond à des besoins ou dans laquelle on offre des services varie. Il ne faut pas perdre de vue la question principale, à savoir que l'objet de la Loi et l'intention du législateur ne sont mis à l'épreuve que relativement aux droits linguistiques des minorités d'une collectivité. Les droits linguistiques de la majorité de la même collectivité sont dynamiquement respectés et ne posent aucune difficulté.

[59] Ces variations sont le fruit de nombreuses considérations fondamentales. Sans avoir à les énumérer toutes, je souligne les facteurs démographiques, l'importance du groupe minoritaire, la mesure dans laquelle certains offices fédéraux entretiennent des relations avec les citoyens, le fonctionnement efficace de ces offices lorsqu'il s'agit de répondre aux exigences opérationnelles, la demande importante de services dans la langue de la minorité et les considérations énoncées aux articles 32 et 33 de la Loi.

Voir également :

Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48

 

Partie V – Langue de travail

34. Droits en matière de langue de travail

34. Le français et l'anglais sont les langues de travail des institutions fédérales.  Leurs agents ont donc le droit d'utiliser, conformément à la présente partie, l'une ou l'autre.

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[64] Dans le contexte particulier de l’emploi, l’utilisation d’une langue officielle par une minorité est une situation très délicate.  Il peut être difficile pour un employé de déposer une plainte visant la reconnaissance de ses droits linguistiques.  En effet, l’employé se trouve dans une double situation de faiblesse :  il appartient à un groupe minoritaire et il a une relation de subordination vis-à-vis l’employeur.  Au lieu d’affronter ces difficultés en faisant valoir ses droits, un employé peut préférer se conformer à la langue de la majorité.  Or, la Loi sur les langues officielles a justement pour objectif d’éviter ce type de comportement en favorisant l’épanouissement des deux langues officielles.  Pour faciliter l’exercice des droits linguistiques, le législateur a expressément prévu le caractère confidentiel et secret des enquêtes et a confié au Commissaire aux langues officielles le mandat de veiller à la mise en application de cette loi.  C’est dans ce contexte délicat que le commissaire exerce ses fonctions.

Gingras c. Canada, [1994] 2 RCF 734, 1994 CanLII 3475 (CAF)

[7] Les lois sur les langues officielles de 1969 et de 1988 ne contiennent aucune disposition relative à l'établissement d'un régime de prime au bilinguisme.  En d'autres termes, rien, dans ces lois, n'obligeait le gouvernement à établir semblable régime, rien ne l'obligeait, si d'aventure il en établissait un, à le rendre applicable à tous les employés qualifiés de l'administration publique fédérale, et rien ne l'empêche d'abolir ou de modifier celui qu'il a établi, ce à quoi d'ailleurs le convie le Commissaire aux langues officielles, année après année, dans son rapport annuel.

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.) [hyperlien non disponible]

[20] Il y a davantage. Les dispositions précitées font voir que le Parlement a porté son attention sur la question de la sélection fondée sur le mérite. S'il avait voulu profiter de l'occasion pour conférer une compétence nouvelle au comité d'appel, il l'aurait très certainement fait, en même temps qu'il s'affairait à établir le nouveau recours judiciaire établi dans la partie X. Il ne faut pas oublier que si la Loi sur les langues officielles de 1988 consacre le droit des agents de l'État d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles (article 34), elle consacre également le droit du public d'être servi, conformément aux dispositions de la partie IV, dans l'une ou l'autre langue (article 21). Il est permis de penser que le législateur n'a pas jugé opportun de faire du comité d'appel l'instrument décisionnel approprié pour jauger les droits respectifs des agents de l'État et du public dans le domaine particulièrement sensible de la langue de travail et de la langue de service au sein de l'appareil gouvernemental fédéral. Le Parlement pouvait très certainement préférer confier cette tâche délicate au commissaire et à des juges. Il serait imprudent de remettre cette préférence en question.

François c. Canada (Attorney General), 2017 FC 154 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[39] Mon examen de la décision du chef d’état‑major de la défense (CEMD) et des éléments de preuve au dossier me convainc de prime abord que, contrairement à ce qu’allègue le Capt François, le CEMD a conclu raisonnablement que les Forces armées canadiennes (FAC) avaient respecté leurs obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles (LLO) et de la politique linguistique des FAC. En d’autres mots, les droits linguistiques du Capt François n’ont pas été violés.

[40] Le CEMD a indiqué dans sa décision qu’il était entièrement d’accord avec les conclusions du Comité en ce qui concerne les obligations découlant de la LLO et le fait que les FAC ont respecté leurs obligations. Le Comité, dans son rapport, a mentionné que bien que le Capt François ait reçu une formation linguistique poussée, la preuve démontre qu’il a été placé dans un milieu de travail bilingue, ce qui lui donnait la possibilité de communiquer dans la langue de son choix. De plus, le rapport du Comité met l’accent sur le fait que le Capt François [traduction] « a reçu amplement et suffisamment d’outils, de formation, de counselling et de soutien dans la langue de son choix », qui était souvent l’anglais, et que les choix du Capt François, comme de recevoir du counselling, de la formation et des documents en anglais et de formuler son grief dans cette langue, ont affaibli son argument relatif à la LLO. Par conséquent, le CEMD était entièrement d’accord avec le Comité sur le fait qu’il n’y a eu aucune violation de la LLO ou de la politique linguistique des FAC.

[41] En effet, le dossier contient suffisamment de preuves démontrant que les FAC ont respecté leurs obligations décrites dans la Directive et ordonnance administrative de la Défense 5039 (DOAD), en veillant à ce que « dans les unités bilingues, le milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles » et à ce que « les francophones et les anglophones aient des chances égales d’emploi et d’avancement » au sein des FAC. Afin de soutenir ses conclusions, le CEMD a examiné en profondeur les faits de l’affaire et la loi et a fourni une analyse détaillée dans sa décision. Plus précisément, il a indiqué ce qui suit :

[TRADUCTION]

A. Le Capt François a d’abord reçu, en 2003, une formation en anglais à temps plein d’une durée de 948 heures et a terminé cette dernière avec un profil « BBB » dans la deuxième langue officielle.

B. Le Capt François a suivi 2 autres cours de 60 heures sur la rédaction en anglais, en 2009.

C. Le profil linguistique du Capt François dans la deuxième langue officielle s’est amélioré et a été classé au niveau « CBB » en 2011.

D. Le Capt François a été employé dans des sections supervisées, à plusieurs échelons, par des francophones bilingues pendant les quatre années précédant sa libération.

E. Le seul emploi qu’a occupé le Capt François durant l’année qui a mené à l’examen administratif a été celui d’assistant d’un francophone, dont la tâche consistait à soutenir une entreprise francophone située à Mirabel (Québec).

F. Le Capt François a toujours été en mesure de parler et de donner des instructions dans la langue de son choix.

G. Le Capt François devait travailler avec certains documents techniques fournis par les États‑Unis, lesquels étaient disponibles uniquement en anglais, mais il détenait les outils nécessaires pour surmonter cette difficulté, étant donné que son profil dans la deuxième langue officielle affichait une cote de « C » en compréhension écrite de l’anglais.

H. Les difficultés du Capt François relatives aux compétences en communication n’étaient que l’une des diverses faiblesses relevées.

[42] À la lumière de ces éléments de preuve, je suis d’accord avec la procureure générale pour dire que le CEMD a raisonnablement conclu que le Capt François a obtenu les outils nécessaires pour offrir un rendement acceptable et être efficace dans un milieu propice à l’usage effectif des deux langues officielles. Il convient de souligner que le CEMD a abordé la question des droits linguistiques du Capt François en détail dans sa décision, dans laquelle il adopte le point de vue du Comité sur la question et explique la façon dont les FAC ont rempli leurs obligations en vertu de la LLO et de la DOAD 5039.

[…]

[50] De plus, le CEMD a conclu que l’affirmation du Capt François selon laquelle il travaillait dans un milieu anglophone était inexacte et non étayée par la preuve. Il est vrai que les documents techniques avec lesquels le Capt François travaillait étaient uniquement disponibles en anglais, mais il était raisonnable de conclure, compte tenu de la preuve et des circonstances, que le Capt François avait les outils et les compétences nécessaires pour surmonter cette difficulté. De plus, ses superviseurs étaient francophones et le Capt François pouvait toujours donner des instructions dans la langue de son choix. Une fois de plus, ces conclusions de fait s’avèrent raisonnables.

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[38] La LLO comporte plusieurs parties, dont la partie IV sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix et la partie V sur la langue de travail et l’égalité de statut et d’usage des deux langues officielles dans les institutions du gouvernement du Canada. Chacune de ces parties a un ancrage constitutionnel, soit l’article 20 de la Charte pour la langue de service et le paragraphe 16(1) de la Charte pour la langue de travail (Schreiber c Canada, [1999] ACF no 1576 [Schreiber] au para 125; voir aussi Jennifer Klink et al, « Le droit à la prestation des services dans les langues officielles » dans Michel Bastarache et Michel Doucet, dir, Les droits linguistiques au Canada, 3e éd, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014 aux pp 523-24).

[…]

[41] En ce qui a trait à la partie V de la LLO portant sur la langue de travail, l’article 34 y prescrit que le français et l’anglais sont les langues de travail des institutions fédérales et confère ainsi aux agents de ces institutions « le droit d’utiliser » l’une ou l’autre des deux langues officielles. Les articles 35 à 37 de la LLO prévoient de façon plus précise la teneur des obligations des institutions fédérales en matière de langue de travail.

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF)

[115] La partie V de la Loi sur les langues officielles crée des droits et des obligations concernant la langue de travail. Le droit général conféré en matière de langue de travail est énoncé à l'article 34 qui prévoit que « [l]e français et l'anglais sont les langues de travail des institutions fédérales. Leurs agents ont donc le droit d'utiliser, conformément à la présente partie, l'une ou l'autre. » […]

[125] Sur le plan constitutionnel, les droits linguistiques constitutionnalisés dans les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte entrent en jeu en l'espèce. Quant à la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques en cause sont le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services, prévu par l'article 21, et celui conféré par l'article 34, selon lequel le français et l'anglais sont les langues de travail dans les institutions fédérales et le personnel a le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles conformément à la partie V. Les droits linguistiques prévus dans les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles font écho à ceux garantis par les paragraphes 20(1) et 16(1) de la Charte, respectivement. Les obligations correspondantes imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 de la Loi sur les langues officielles sont aussi pertinentes.

[…]

[129] Comme je l'ai déjà mentionné, les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles reconnaissent, respectivement, le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services et le droit d'un fonctionnaire d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles pour effectuer son travail, le français et l'anglais étant les langues de travail des institutions fédérales. Les obligations légales correspondantes imposées par l'article 22 et par les articles 35 et 36 exigent respectivement que les institutions fédérales veillent à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans les deux langues officielles dans la région de la capitale nationale et dans les autres régions désignées, et à ce que leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles. Ces obligations, qui incombent aux institutions fédérales en vertu de la Loi sur les langues officielles, sont conformes au principe de l'égalité réelle qui exige que le gouvernement prenne des mesures positives pour mettre en œuvre les droits linguistiques reconnus. En d'autres termes, l'objet des obligations légales imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 consiste à mettre en œuvre les droits reconnus par les articles 21 et 34 et à leur donner un effet et une signification réels. De plus, les articles 35 et 36 reconnaissent par voie législative le fait que le droit de travailler dans l'une ou l'autre des langues officielles dans une institution fédérale est illusoire en l'absence d'un milieu qui respecte l'emploi des deux langues officielles et en favorise l'épanouissement. L'objet des articles 35 et 36 est donc de garantir la promotion et le développement de milieux de travail bilingues dans les institutions fédérales.

[…]

[132] En l'espèce, étant donné la nature intégrée des opérations de contrôle de la circulation aérienne et l'importance du fait que tous les contrôleurs soient au courant des activités et des événements qui surviennent dans le secteur, le ministère a décidé de s'acquitter des devoirs et obligations que lui impose la Loi sur les langues officielles de donner effet aux droits linguistiques prévus par les articles 21 et 34 en instaurant un milieu de travail bilingue pour la prestation sécuritaire et effective des services bilingues de contrôle de la circulation aérienne. En effet, depuis la création de services bilingues de contrôle de la circulation aérienne au Québec en 1978, le ministère a toujours maintenu que tous les contrôleurs de la circulation aérienne travaillant dans une région qui offre de tels services doivent être bilingues. Le ministère croyait aussi qu'un milieu de travail entièrement bilingue était nécessaire pour promouvoir la cohésion dans l'effort de groupe requis dans le milieu complexe du contrôle de la circulation aérienne, et que la présence d'un contrôleur unilingue de la circulation aérienne [traduction] « obligerait chacun à travailler dans sa langue » , ce qui l'empêcherait d'atteindre son but. De plus, l'Association canadienne du contrôle du trafic aérien s'est toujours opposée à la mise en oeuvre de services bilingues de contrôle de la circulation aérienne à la Tour de contrôle d'Ottawa, à moins qu'ils puissent être [traduction] « mis en oeuvre de façon sécuritaire, à l'aide d'un personnel complet de contrôleurs bilingues compétents et entièrement qualifiés. » Même M. Schreiber, au cours de son contre-interrogatoire, a reconnu qu'il était [Traduction] « préférable » que tous les contrôleurs de la circulation aérienne soient bilingues. Le ministère a donc tenté de créer un milieu de travail entièrement bilingue pour faciliter l'exercice par le public de son droit de communiquer et de recevoir des services dans l'une ou l'autre langue officielle et pour respecter le droit conféré aux employés par l'article 34 d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles. En fait, compte tenu de la nature unique des opérations de contrôle de la circulation aérienne, seul un milieu de travail entièrement bilingue pouvait être « ... propice à l'usage effectif des deux langues officielles tout en permettant [au] personnel d'utiliser l'une ou l'autre », comme l'exige l'alinéa 35(1)a) de la Loi sur les langues officielles. Enfin, un milieu de travail entièrement bilingue était aussi conforme, à long terme, avec les exigences très élevées en matière de sécurité que le ministère applique à la prestation des services de contrôle de la circulation aérienne.

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), 1996 CarswellNat 1910, 1996 CarswellNat 2622, [1996] F.C.J. No. 1418, [1997] 1 F.C. 305, 122 F.T.R. 131, 67 A.C.W.S. (3d) 263 [hyperlien non disponible]

Au cours de son emploi auprès de SBES [Santé et Bien-être social], le requérant a déposé quatre plaintes auprès du Commissaire aux langues officielles (CLO). Le rapport rédigé par le CLO les expose comme suit :

- sa surveillante exige que la correspondance, adressée au bureau régional situé à Québec, soit écrite en français (dossier COLO 1950-92-H2); - Les notes de service envoyées au bureau du district de Montréal, en provenance du bureau régional de Québec sont unilingues françaises (dossier COLO 0174-93-H2); - la plupart des cours de formation liés à l'emploi sont offerts en français seulement au bureau du district de Montréal (dossier COLO 0175-93-H2); - plusieurs messages unilingues anglais envoyés par courrier électronique, du bureau du district de Montréal au bureau régional de Québec, sont retournés avec la mention « en français s.v.p. » (dossier COLO 0357-93-H2).

Dans une lettre du 4 juillet 1993, le plaignant nous présentait des éléments additionnels aux allégations initiales; il précisait ainsi que:

- le climat linguistique qui régnait au bureau de Montréal reflétait le fait que l'institution n'y avait pas créé un environnement propice à l'utilisation de l'anglais; - son employeur n'aurait rien fait pour promouvoir l'emploi de la langue anglaise et lui aurait refusé de travailler en anglais; - le fait qu'on lui ait refusé la formation et les instruments de travail en anglais a affecté défavorablement l'acquisition de connaissances ainsi que son rendement et, par conséquent l'évaluation qu'en a faite sa surveillante; l'employeur s'est basé sur cette évaluation pour décider de ne pas le réembaucher pour une autre période terme (déterminée).

Le CLO a considéré que les plaintes touchaient à « la langue de travail et aux chances d'emploi et d'avancement au sein des institutions fédérales », conformément aux dispositions de la partie V de la Loi. La région de travail de Montréal est désignée bilingue et, conséquemment, les employés ont le droit de se servir de la langue de leur choix dans l'exercice de leurs fonctions. Le bureau régional de Québec n'est pas désigné comme étant bilingue. Le bureau de Montréal relève du bureau de Québec. Le rapport a précisé que « le bureau de Québec doit accommoder les employés du bureau de Montréal dans leur droit de travailler dans la langue officielle de leur choix. Ainsi, dans le cadre du traitement interne des dossiers de la clientèle de SBES, les employés du bureau de Montréal peuvent communiquer avec le bureau de Québec dans leur langue préférée. »

Les conclusions du CLO, rendues dans son rapport déposé en juin 1994, sont les suivantes:

- la gestion du bureau de Montréal n'a pas préalablement identifié la préférence linguistique du plaignant (ni celle des autres commis dans des postes déterminés) à son arrivée en fonction; - la gestion du bureau de Montréal ne s'est pas assurée que le plaignant et les autres membres du personnel d'expression anglaise reçoivent dans leur langue officielle la documentation produite tant au niveau régional qu'au niveau local; - les chances du plaignant de faire valoir ses capacités et son potentiel furent affectées compte tenu du fait qu'il fut obligé, pendant environ la moitié de son emploi, de travailler en français; et - le plaignant fut défavorisé dans ses chances d'acquérir et de maîtriser des connaissances reliées à l'emploi parce qu'il n'a pas reçu la formation initiale dans sa langue officielle et ne disposait pas des instruments de travail dans sa langue. Le plaignant se trouvait ainsi désavantagé par rapport à ses pairs d'expression française lors du processus de sélection. Cette situation a pu avoir un effet négatif sur ses chances d'emploi au sein du ministère.

En concluant que les plaintes du requérant au sujet de sa langue de travail étaient justifiées, il a fait les recommandations suivantes au DRH [Développement des ressources humaines] :

1. de revoir, sans tarder, l'évaluation de rendement du plaignant (celle qui fut faite dans le cadre du processus de sélection des commis retenus pour une autre période d'emploi) en tenant compte du fait que le plaignant a été placé dans une position défavorable pour faire valoir ses connaissances et ses capacités; et, si possible, la décision concernant le non-renouvellement de son emploi. 2. mettre en place, d'ici le 30 juin 1994, des séances d'information à l'intention des gestionnaires du bureau de Montréal afin de les sensibiliser à leurs obligations linguistiques; 3. s'assurer que les gestionnaires du bureau de Montréal prennent, d'ici le 30 juin 1994, toutes les mesures visant à fournir à ses employés d'expression anglaise les instruments de travail dans leur langue officielle et à créer un climat favorable à l'usage des deux langues officielles en milieu de travail; 4. s'assurer que la formation du personnel en régions bilingues au Québec soit offerte dès maintenant dans la langue officielle des employés; et 5. mettre en place, d'ici le 30 juin 1994, les mesures correctives que prévoyait, en juillet 1993, la Directrice régionale, services des ressources humaines, concernant les services centraux au bureau de Québec.

[…]

Comme l'intimé DRH a admis avoir enfreint la partie V de la Loi, la seule question restante est la réparation appropriée que doit accorder la Cour.

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté: Lavigne c. Canada (Développement des Ressources Humaines), 1998 CanLII 7820 (CAF).

Voir également :

Air Canada c. Joyal, 1982 CanLII 3079 (CA QC) [décision disponible en anglais seulement]

Association des Gens de L'Air du Quebec Inc. et al. c. Lang et al., [1978] 2 FC 371, 1978 CanLII 2029 (CAF) [décision disponible en anglais seulement]

McNeill c. Canada, [1987] 1 C.F. 119 (CF) [hyperlien non disponible]

 

35. (1) Obligations des institutions fédérales

35. (1) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que :

a) dans la région de la capitale nationale et dans les régions ou secteurs du Canada ou lieux à l'étranger désignés, leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d'utiliser l'une ou l'autre;

b) ailleurs au Canada, la situation des deux langues officielles en milieu de travail soit comparable entre les régions ou secteurs où l'une ou l'autre prédomine.

 

35. (2) Régions désignées du Canada

35. (2) Les régions du Canada énumérées dans la circulaire no° 1977-46 du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique du 30 septembre 1977, à l'annexe B de la partie intitulée « Les langues officielles dans la Fonction publique du Canada : Déclaration de politiques », sont des régions désignées aux fins de l'alinéa (1)a).

Annotations

Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291 (CanLII)

[44] Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, je suis satisfaite que l’appelant a été traité équitablement. Le contenu de la lettre du 19 avril 2010 démontre que Mme Deschênes avait connaissance de la rencontre entre M. Strain et l’appelant. Le fait que Mme Deschênes n’ait pas vu le courriel du 31 mars 2010 n’est pas suffisant pour conclure à un manquement qui justifie d’annuler la décision devant nous, surtout lorsqu’on considère que ce courriel était devant l’arbitre et que l’appelant a eu l’opportunité de présenter tous ses arguments à cet égard.

[45] En ce qui concerne l’atteinte aux droits linguistiques de l’appelant, le rapport final d’enquête daté du 26 janvier 2010, signé par M. Ferguson et Mme Pirt Horodyski, relate que :

At the beginning of Mr. Balikwisha-Patanguli’s first interview with the investigating committee on August 31, 2009, Mr. Balikwisha-Patanguli expressed two concerns to the committee.

Secondly, Mr. Balikwisha-Patanguli requested that the interview be conducted in French as this is his first official language. The committee explained that due to the fact that Mr. Balikwisha-Patanguli’s work location, CIC [Citizenship and Immigration Canada] Calgary, is not designated a bilingual region for language of work and that he has been deemed to meet the English Essential language requirements of his current position, the interview would be conducted in English. Mr. Balikwisha-Patanguli was, however, advised that the committee would take extra care to ensure clarity of the questions being posed and understanding of Mr. Balikwisha-Patanguli’s responses. Mr. Balikwisha-Patanguli was encouraged to seek additional clarification if and when he did not understand a question being asked or if and when he felt that a response was not totally understood by the committee. The committee also offered that should Mr. Balikwisha-Patanguli feel the need to provide additional follow-up to the interview, he could do so in writing. Mr. Balikwisha-Patanguli was in agreement to proceed with the interview on this basis. Mr. Balikwisha-Patanguli did not indicate any concerns related to his ability to express himself or understand the questions posed during the interview and at the conclusion of the interview, he declined the offer to provide a written follow-up to the interview. Neither Mr. Balikwisha-Patanguli nor his union representative raised any further concerns regarding the use of the English language at the second interview with the investigating committee [le 1er septembre 2009] or at any other time during the investigation process.

[46] À mes yeux, il est loin d’être établi que l’appelant bénéficiait effectivement des droits linguistiques qu’il prétend avoir en vertu de la Charte et de la Loi, laquelle met en œuvre les paragraphes 16 à 20 de la Charte (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 773). L’appelant s’appuie sur l’article 16 de la Charte et sur l’objet de la Loi (article 2), sans pour autant démontrer que ces dispositions imposaient une obligation à son employeur d’assurer que les entrevues du 31 août et du 1er septembre 2009 se dérouleraient en français. S’il existait une telle obligation, celle-ci découlerait vraisemblablement de la partie V de la Loi, partie intitulée « Langue de travail ». Cette partie de la Loi établit une distinction entre certaines régions du pays. Or, Calgary n’est pas une « région désignée » aux fins de la partie V, et les obligations linguistiques d’un employeur vis-à-vis ses employés sont par conséquent moindres dans cette région.

[47] M. Patanguli n’a déposé aucun grief à l’égard de cette soi-disant violation à ses droits linguistiques, et rien n’indique qu’il ait porté plainte à ce sujet en vertu de la Loi. En l’absence d’arguments démontrant que l’objet de la Loi peut être source de l’obligation dont l’appelant se dit bénéficiaire, je ne peux conclure que les droits linguistiques de celui-ci ont été violés en l’espèce. Il n’est donc pas utile de s’interroger sur l’impact que le processus de novo devant l’arbitre aurait pu avoir à cet égard.

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

[24] De plus, il appert de l'article 31 de la Loi [sur les langues officielles] que les dispositions de la partie IV, qui porte sur la langue des communications avec le public et de la prestation des services (dont les articles 22 et 27), l'emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V, qui porte sur la langue de travail. Il s'ensuit à notre avis que les droits du public, en vertu de la partie IV, dans une région comme Toronto où la demande est jugée importante, ne sont pas diminués du fait que, par ailleurs, en ce qui a trait à la langue de travail, cette même région n'ait pas été « désignée » bilingue en vertu des articles 35 et 36 de la Loi. En d'autres termes, les droits de l'appelant de recevoir les services en français, à Toronto, ne sont pas moindres du simple fait que l'appelant, s'il obtenait l'emploi sollicité, devrait travailler en anglais.

François c. Canada (Attorney General), 2017 FC 154 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[39] Mon examen de la décision du chef d’état‑major de la défense (CEMD) et des éléments de preuve au dossier me convainc de prime abord que, contrairement à ce qu’allègue le Capt François, le CEMD a conclu raisonnablement que les Forces armées canadiennes (FAC) avaient respecté leurs obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles (LLO) et de la politique linguistique des FAC. En d’autres mots, les droits linguistiques du Capt François n’ont pas été violés.

[40] Le CEMD a indiqué dans sa décision qu’il était entièrement d’accord avec les conclusions du Comité en ce qui concerne les obligations découlant de la LLO et le fait que les FAC ont respecté leurs obligations. Le Comité, dans son rapport, a mentionné que bien que le Capt François ait reçu une formation linguistique poussée, la preuve démontre qu’il a été placé dans un milieu de travail bilingue, ce qui lui donnait la possibilité de communiquer dans la langue de son choix. De plus, le rapport du Comité met l’accent sur le fait que le Capt François [traduction] « a reçu amplement et suffisamment d’outils, de formation, de counselling et de soutien dans la langue de son choix », qui était souvent l’anglais, et que les choix du Capt François, comme de recevoir du counselling, de la formation et des documents en anglais et de formuler son grief dans cette langue, ont affaibli son argument relatif à la LLO. Par conséquent, le CEMD était entièrement d’accord avec le Comité sur le fait qu’il n’y a eu aucune violation de la LLO ou de la politique linguistique des FAC.

[41] En effet, le dossier contient suffisamment de preuves démontrant que les FAC ont respecté leurs obligations décrites dans la Directive et ordonnance administrative de la Défense 5039 (DOAD), en veillant à ce que « dans les unités bilingues, le milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles » et à ce que « les francophones et les anglophones aient des chances égales d’emploi et d’avancement » au sein des FAC. Afin de soutenir ses conclusions, le CEMD a examiné en profondeur les faits de l’affaire et la loi et a fourni une analyse détaillée dans sa décision. Plus précisément, il a indiqué ce qui suit :

[TRADUCTION]

A. Le Capt François a d’abord reçu, en 2003, une formation en anglais à temps plein d’une durée de 948 heures et a terminé cette dernière avec un profil « BBB » dans la deuxième langue officielle.

B. Le Capt François a suivi 2 autres cours de 60 heures sur la rédaction en anglais, en 2009.

C. Le profil linguistique du Capt François dans la deuxième langue officielle s’est amélioré et a été classé au niveau « CBB » en 2011.

D. Le Capt François a été employé dans des sections supervisées, à plusieurs échelons, par des francophones bilingues pendant les quatre années précédant sa libération.

E. Le seul emploi qu’a occupé le Capt François durant l’année qui a mené à l’examen administratif a été celui d’assistant d’un francophone, dont la tâche consistait à soutenir une entreprise francophone située à Mirabel (Québec).

F. Le Capt François a toujours été en mesure de parler et de donner des instructions dans la langue de son choix.

G. Le Capt François devait travailler avec certains documents techniques fournis par les États‑Unis, lesquels étaient disponibles uniquement en anglais, mais il détenait les outils nécessaires pour surmonter cette difficulté, étant donné que son profil dans la deuxième langue officielle affichait une cote de « C » en compréhension écrite de l’anglais.

H. Les difficultés du Capt François relatives aux compétences en communication n’étaient que l’une des diverses faiblesses relevées.

[42] À la lumière de ces éléments de preuve, je suis d’accord avec la procureure générale pour dire que le CEMD a raisonnablement conclu que le Capt François a obtenu les outils nécessaires pour offrir un rendement acceptable et être efficace dans un milieu propice à l’usage effectif des deux langues officielles. Il convient de souligner que le CEMD a abordé la question des droits linguistiques du Capt François en détail dans sa décision, dans laquelle il adopte le point de vue du Comité sur la question et explique la façon dont les FAC ont rempli leurs obligations en vertu de la LLO et de la DOAD 5039.

[…]

[50] De plus, le CEMD a conclu que l’affirmation du Capt François selon laquelle il travaillait dans un milieu anglophone était inexacte et non étayée par la preuve. Il est vrai que les documents techniques avec lesquels le Capt François travaillait étaient uniquement disponibles en anglais, mais il était raisonnable de conclure, compte tenu de la preuve et des circonstances, que le Capt François avait les outils et les compétences nécessaires pour surmonter cette difficulté. De plus, ses superviseurs étaient francophones et le Capt François pouvait toujours donner des instructions dans la langue de son choix. Une fois de plus, ces conclusions de fait s’avèrent raisonnables.

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[41] En ce qui a trait à la partie V de la LLO portant sur la langue de travail, l’article 34 y prescrit que le français et l’anglais sont les langues de travail des institutions fédérales et confère ainsi aux agents de ces institutions « le droit d’utiliser » l’une ou l’autre des deux langues officielles. Les articles 35 à 37 de la LLO prévoient de façon plus précise la teneur des obligations des institutions fédérales en matière de langue de travail.

[42] Plus particulièrement, l’article 35 de la LLO crée une distinction entre les droits linguistiques des employés travaillant dans des régions désignées et ceux des personnes oeuvrant à l’extérieur de celles-ci. Il énonce une règle générale selon laquelle les institutions doivent créer et maintenir un environnement qui permet aux employés d’utiliser la langue de leur choix dans les régions désignées : […]

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF)

[115] La partie V de la Loi sur les langues officielles crée des droits et des obligations concernant la langue de travail. Le droit général conféré en matière de langue de travail est énoncé à l'article 34 qui prévoit que « [l]e français et l'anglais sont les langues de travail des institutions fédérales. Leurs agents ont donc le droit d'utiliser, conformément à la présente partie, l'une ou l'autre. » Les articles 35 et 36, qui visent à donner effet au droit conféré en matière de langue de travail, imposent certaines obligations aux institutions fédérales relativement à différentes questions, dont le milieu de travail. L'alinéa 35(1)a) oblige donc les institutions fédérales à veiller à ce que, dans la région de la capitale nationale et dans les régions désignées, « ... leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d'utiliser l'une ou l'autre ... ».

[116] Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous l'alinéa 35(1)a) et l'article 36 :

[…]

[125] Sur le plan constitutionnel, les droits linguistiques constitutionnalisés dans les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte entrent en jeu en l'espèce. Quant à la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques en cause sont le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services, prévu par l'article 21, et celui conféré par l'article 34, selon lequel le français et l'anglais sont les langues de travail dans les institutions fédérales et le personnel a le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles conformément à la partie V. Les droits linguistiques prévus dans les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles font écho à ceux garantis par les paragraphes 20(1) et 16(1) de la Charte, respectivement. Les obligations correspondantes imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 de la Loi sur les langues officielles sont aussi pertinentes.

[…]

[129] Comme je l'ai déjà mentionné, les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles reconnaissent, respectivement, le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services et le droit d'un fonctionnaire d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles pour effectuer son travail, le français et l'anglais étant les langues de travail des institutions fédérales. Les obligations légales correspondantes imposées par l'article 22 et par les articles 35 et 36 exigent respectivement que les institutions fédérales veillent à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans les deux langues officielles dans la région de la capitale nationale et dans les autres régions désignées, et à ce que leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles. Ces obligations, qui incombent aux institutions fédérales en vertu de la Loi sur les langues officielles, sont conformes au principe de l'égalité réelle qui exige que le gouvernement prenne des mesures positives pour mettre en œuvre les droits linguistiques reconnus. En d'autres termes, l'objet des obligations légales imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 consiste à mettre en œuvre les droits reconnus par les articles 21 et 34 et à leur donner un effet et une signification réels. De plus, les articles 35 et 36 reconnaissent par voie législative le fait que le droit de travailler dans l'une ou l'autre des langues officielles dans une institution fédérale est illusoire en l'absence d'un milieu qui respecte l'emploi des deux langues officielles et en favorise l'épanouissement. L'objet des articles 35 et 36 est donc de garantir la promotion et le développement de milieux de travail bilingues dans les institutions fédérales.

[…]

[132] En l'espèce, étant donné la nature intégrée des opérations de contrôle de la circulation aérienne et l'importance du fait que tous les contrôleurs soient au courant des activités et des événements qui surviennent dans le secteur, le ministère a décidé de s'acquitter des devoirs et obligations que lui impose la Loi sur les langues officielles de donner effet aux droits linguistiques prévus par les articles 21 et 34 en instaurant un milieu de travail bilingue pour la prestation sécuritaire et effective des services bilingues de contrôle de la circulation aérienne. En effet, depuis la création de services bilingues de contrôle de la circulation aérienne au Québec en 1978, le ministère a toujours maintenu que tous les contrôleurs de la circulation aérienne travaillant dans une région qui offre de tels services doivent être bilingues. Le ministère croyait aussi qu'un milieu de travail entièrement bilingue était nécessaire pour promouvoir la cohésion dans l'effort de groupe requis dans le milieu complexe du contrôle de la circulation aérienne, et que la présence d'un contrôleur unilingue de la circulation aérienne [traduction] « obligerait chacun à travailler dans sa langue » , ce qui l'empêcherait d'atteindre son but. De plus, l'Association canadienne du contrôle du trafic aérien s'est toujours opposée à la mise en oeuvre de services bilingues de contrôle de la circulation aérienne à la Tour de contrôle d'Ottawa, à moins qu'ils puissent être [traduction] « mis en oeuvre de façon sécuritaire, à l'aide d'un personnel complet de contrôleurs bilingues compétents et entièrement qualifiés. » Même M. Schreiber, au cours de son contre-interrogatoire, a reconnu qu'il était [Traduction] « préférable » que tous les contrôleurs de la circulation aérienne soient bilingues. Le ministère a donc tenté de créer un milieu de travail entièrement bilingue pour faciliter l'exercice par le public de son droit de communiquer et de recevoir des services dans l'une ou l'autre langue officielle et pour respecter le droit conféré aux employés par l'article 34 d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles. En fait, compte tenu de la nature unique des opérations de contrôle de la circulation aérienne, seul un milieu de travail entièrement bilingue pouvait être « ... propice à l'usage effectif des deux langues officielles tout en permettant [au] personnel d'utiliser l'une ou l'autre », comme l'exige l'alinéa 35(1)a) de la Loi sur les langues officielles. Enfin, un milieu de travail entièrement bilingue était aussi conforme, à long terme, avec les exigences très élevées en matière de sécurité que le ministère applique à la prestation des services de contrôle de la circulation aérienne.

Voir également :

Canada (Procureur général) c. Green, [2000] 4 RCF 629, 2000 CanLII 17146 (CF)

 

36. (1) Obligations minimales dans les régions désignées

36. (1) Il incombe aux institutions fédérales, dans la région de la capitale nationale et dans les régions, secteurs ou lieux désignés au titre de l'alinéa 35(1)a) :

a) de fournir à leur personnel, dans les deux langues officielles, tant les services qui lui sont destinés, notamment à titre individuel ou à titre de services auxiliaires centraux, que la documentation et le matériel d'usage courant et généralisé produits par elles-mêmes ou pour leur compte;

b) de veiller à ce que les systèmes informatiques d'usage courant et généralisé et acquis ou produits par elles à compter du 1er janvier 1991 puissent être utilisés dans l'une ou l'autre des langues officielles;

c) de veiller à ce que, là où il est indiqué de le faire pour que le milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles, les supérieurs soient aptes à communiquer avec leurs subordonnés dans celles-ci et à ce que la haute direction soit en mesure de fonctionner dans ces deux langues.

36. (2) Autres obligations

36. (2) Il leur incombe également de veiller à ce que soient prises, dans les régions, secteurs ou lieux visés au paragraphe (1), toutes autres mesures possibles permettant de créer et de maintenir en leur sein un milieu de travail propice à l'usage effectif des deux langues officielles et qui permette à leur personnel d'utiliser l'une ou l'autre.

Annotations

Canada (Procureur général) c. Shakov, 2017 CAF 250 (CanLII)

V. Analyse

[64] À mon avis, l’alinéa 30(2)a) de la LEFP [Loi sur l’emploi dans la fonction publique], les paragraphes 36(1) et 46(1), l’alinéa 46(2)c) et l’article 91 de la LLO ainsi que la Directive sur l’identification linguistique des postes ou des fonctions, pris ensemble, pourraient très bien avoir pour effet d’exiger que les postes de supervision au sein de ministères fédéraux dans la région de la capitale nationale soient désignés bilingues. En effet, le paragraphe 36(1) et l’alinéa 46(2)c) de la LLO confèrent au Conseil du Trésor le pouvoir de définir les exigences linguistiques associées aux postes, et, suivant la Directive, le niveau de ces postes ne saurait être inférieur à bilingue « BBB ».

[…]

[67] En l’espèce, l’enquêtrice était d’avis qu’une conduite avait bafoué les valeurs consacrées par la LEFP parce que le profil linguistique du poste à durée déterminée avait été ramené à « anglais essentiel » en fonction des compétences de M. Shakov. Or, dans les circonstances inhabituelles de cette affaire, où la survie d’une importante Division était en jeu, l’enquêtrice était tenue d’examiner d’autres facteurs avant de tirer une conclusion quant à la conduite.

[68] Précisons que le CMF [Commissariat à la magistrature fédérale], M. Giroux et Mme Clemenhagen se trouvaient dans une situation où s’affrontaient, d’une part, les valeurs consacrées par la LEFP destinées à assurer la nomination urgente d’un candidat compétent et, d’autre part, le respect des exigences linguistiques applicables à la dotation. Seul M. Shakov était raisonnablement susceptible de répondre aux besoins urgents du CMF et d’assurer la survie de la division des Programmes internationaux.

[69] Si le CMF avait disposé des fonds nécessaires, il aurait pu pourvoir le poste de directeur pour une durée indéterminée, le désigner bilingue et l’offrir à M. Shakov par voie de nomination non impérative en vertu du Règlement sur les nominations et du Décret d’exemption. Autrement dit, si le CMF avait eu les fonds, il aurait pu faire exactement ce qu’il a fait, et ce sans enfreindre la Directive.

[…]

[74] L’enquêtrice ne s’est pas prononcée au vu des faits tels qu’ils se présentaient; sa décision est donc déraisonnable. Elle n’a pas répondu à la question qu’elle devait trancher, à savoir si la décision d’assortir de la désignation « anglais essentiel » un poste à durée déterminée de direction dans la région de la capitale nationale en vue d’éviter la disparition probable d’une partie de la fonction publique qui fournit un important service international constituait une conduite irrégulière interdite par l’article 66 de la LEFP.

[75] En tirant cette conclusion, je suis tout à fait consciente que les droits conférés par la LLO sont fondamentaux et je souscris entièrement aux observations formulées à cet égard par mon collègue, le juge Stratas, aux paragraphes 111 à 116 et 119 à 122 de ses motifs. Cependant, ce n’est pas une raison pour confirmer la décision de la CFP [Commission de la fonction publique] si cette dernière a négligé la principale question dont elle était saisie, car la Cour usurperait ainsi le rôle que le législateur a confié à la CFP. J’estime ainsi que la décision de la CFP doit être annulée. 

[76] La CFP, en plus d’avoir négligé la question qu’elle était appelée à trancher, a rendu une décision à mon avis déraisonnable dans la mesure où elle a ordonné la révocation de la nomination à durée déterminée de M. Shakov rétroactive au jour précédant sa nomination à son poste actuel, à durée indéterminée. À l’époque où la mesure corrective a été ordonnée, M. Shakov n’occupait plus le poste à durée déterminé et avait satisfait aux exigences linguistiques d’un poste de supervision bilingue. Il avait également été nommé à un poste à durée indéterminée, qu’il occupe actuellement. Par conséquent, ce volet de la mesure ordonnée n’a servi qu’à démettre une personne qualifiée et méritante d’un poste difficile à combler.

[77] Certes, le pouvoir de réparation des tribunaux administratifs —tout particulièrement dans l’arène du droit du travail et de l’emploi — est vaste, mais il n’est pas absolu. Une ordonnance réparatrice sera déraisonnable si elle va à l’encontre de l’objet de la loi en vertu de laquelle elle a été rendue (Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), 1996 CanLII 220 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 369, par. 68; VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, 2004 CAF 194 (CanLII), par. 63, [2005] 1 R.C.F. 205).

[78] J’estime que le volet de l’ordonnance rendue par la CFP dans laquelle elle révoque rétroactivement la nomination de M. Shakov au poste à durée déterminée va à l’encontre de l’objet de la LEFP en ce sens qu’elle a eu pour effet de démettre un candidat qualifié d’un poste difficile à combler. C’est tout le contraire du principe du mérite. 

[79] D’ailleurs, le procureur général reconnaît, au moins implicitement, que ce volet de l’ordonnance de la CFP était déraisonnable, car il affirme que, même si la décision de cette dernière était confirmée, elle pourrait tout de même nommer M. Shakov au poste à durée indéterminée, qu’il occupe à l’heure actuelle, en vertu de l’article 73 de la LEFP. Une telle nomination évacuerait complètement cette partie de la décision.

[80] En outre, je conviens avec M. Shakov pour dire que cette mesure prise par la CFP va à l’encontre de sa propre ligne directrice sur les réparations convenables. En effet, elle n’a pas tenu compte du fait que M. Shakov n’y était pour rien dans les décisions contestées et pourtant cette mesure a eu des répercussions très graves pour lui. Il a accepté à contre-cœur cette nomination à durée déterminée, à son détriment sur le plan financier, pour le bien de la Division des programmes internationaux du CMF. Or, la mesure corrective aurait pour effet de le priver d’un emploi, et ce après qu’il ait occupé le poste depuis plusieurs années.

LE JUGE STRATAS (Motifs dissidents)

[111] Primo, l’importance de la langue. La langue n’est pas qu’un outil. « C’est [. . .] pour un peuple un moyen d’exprimer son identité culturelle. C’est aussi le moyen par lequel un individu exprime son identité personnelle et son individualité » (R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 17, citant Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748-49). La langue est intimement liée à l’identité personnelle et culturelle, à la dignité et à la personnalité.

[112] Secundo, l’importance du travail. Pour nombre d’entre nous, le travail occupe la plus grande partie de nos journées et constitue la pierre angulaire ou, à tout le moins, un aspect fondamental de nos vies. Le juge en chef Dickson a fait une remarque éloquente à ce sujet :

Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel. C’est pourquoi les conditions dans lesquelles une personne travaille sont très importantes pour ce qui est de façonner l’ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu’elle a d’elle-même.

(Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 368).

[113] Il ressort de cette citation que l’intersection de la langue et du travail — soit la langue de travail — n’est pas négligeable. Il n’est pas surprenant que le législateur et le Conseil du Trésor, l’employeur principal de l’État, y aient consacré beaucoup d’attention, sur les plans législatif et administratif. La Commission, qui interprète et applique la législation, les mesures administratives et les politiques, et notre Cour, qui contrôle les décisions de la Commission, devons garder à l’esprit le rôle considérable de la langue de travail.

[114] Tertio, l’égalité réelle. Ce concept reconnaît qu’une conduite à première vue neutre qui assure un traitement identique « peut fréquemment engendrer de graves inégalités » (Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30 (CanLII), [2015] 2 R.C.S. 548, par. 17, renvoyant à Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, p. 164). L’analyse relative à l’égalité réelle cherche à voir s’il existe un effet négatif disproportionné sur un groupe précis en raison des antécédents ou des caractéristiques du groupe. Pour savoir s’il y a égalité réelle, il faut creuser sous la surface et examiner « l’effet réel [de la mesure ou décision contestée], compte tenu de l’ensemble des facteurs sociaux, politiques, économiques et historiques » (Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 396, par. 39).

[115] Il y a deux décennies, dans l’arrêt Beaulac, la Cour suprême a intégré la notion d’égalité réelle à notre conception des droits linguistiques. Elle y fait les observations suivantes (par. 22 et 24) :

L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique. En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable. Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien.

[…]

Ce principe d’égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État [références omises]. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement.

[116] Depuis l’arrêt Beaulac, l’interprétation stricte des droits linguistiques a été écartée en faveur d’une approche téléologique fondée sur le principe de l’égalité réelle (Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 3, par. 31; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 773, par. 22; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 194, par. 31; Association des parents de l’école Rosedesvents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21 (CanLII), [2015] 2 R.C.S. 139, par. 29-30; Warren J. Newman, « Understanding Language Rights, Equality and the Charter: Towards a Comprehensive Theory of Constitutional Interpretation », (2004) 15 Nat’l J. Const. L. 363, p. 394).

[…]

[119] Prenons l’exemple d’un employé qui, contrairement aux autres employés et à leurs superviseurs, est obligé de fonctionner toujours dans la langue qui n’est pas celle qu’il préfère ou dont le milieu de travail le rend mal à l’aise d’utiliser la langue officielle de son choix. Ces employés seront-ils aussi bien placés ou aussi à l’aise que les autres pour persuader leur unité de travail d’adopter un plan audacieux et novateur, par exemple? Seront-ils aussi confiants que leurs collègues pour se proposer à mener des équipes? Seront-ils à l’aise ou en mesure de faire la gymnastique linguistique nécessaire pour aviser les superviseurs, avec tact, professionnalisme et respect, du rendement insatisfaisant d’un collègue dans le cadre d’un projet? Ces employés seront-ils en mesure ou à l’aise d’employer une expression idiomatique qui n’a pas son pendant dans leur culture ou langue? Si leur supérieur les interroge sur une baisse récente dans leur productivité, ces employés seront-ils en mesure ou à l’aise de faire comprendre à leur superviseur qu’ils traversent une épreuve familiale?

[120] Il se peut que ces employés fonctionnent bien au sein de leur unité de travail. Or, peut-on dire qu’ils jouissent de l’égalité réelle? Les mesures comme la traduction des notes de service et les logiciels bilingues, si elles traitent les employés de manière identique, ne permettent pas forcément d’atteindre le but d’égalité réelle. L’égalité linguistique en milieu de travail ne saurait dépendre simplement du fait qu’un employé est à l’aise de lever la main en cours de réunion, peut comprendre un courriel ou s’entretenir avec un supérieur. En bout de ligne, une dotation juste et bien fondée, sur le plan linguistique, des postes pertinents constitue un pas dans la direction de l’égalité réelle.

[121] Il ne sert à rien de dire qu’il est possible de prendre des mesures pour accommoder l’employé ou réduire le préjudice, comme faire appel à une personne qui peut parler la même langue officielle que l’employé en cas de besoin. Les mesures d’accommodement et les solutions temporaires ne permettent pas la reconnaissance et le respect des droits linguistiques (Voir Beaulac, par. 24 et 45; Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII), par. 22-23; DesRochers, par. 31; Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII), par. 82). Les mesures d’accommodement et les solutions temporaires ne permettent pas non plus d’atteindre ou de respecter le but que constitue l’égalité réelle (ibid. et Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 536). En comptant sur des mesures d’accommodement et des solutions temporaires — en traitant l’exercice par une personne de ses droits linguistiques comme s’il s’agissait d’une exception ou d’une anomalie que l’on tolère et gère au besoin — on bafoue les notions d’égalité réelle et d’appartenance qui sont au cœur du concept d’égalité. La vision de l’égalité réelle énoncée dans l’arrêt Beaulac [traduction] « ne peut s’accomplir en [réaction à une situation], en adoptant la moins pire des solutions possibles compte tenu des ressources ». La Cour suprême dans l’arrêt Beaulac exige que « l’État se conduise sur le plan linguistique comme s’il appartenait aux deux communautés de langues officielles » (Denise G. Réaume, « The Demise of the Political Compromise Doctrine: Have Official Language Use Rights Been Revived? », (2002) 47 McGill L.J. 593, p. 620).

[122] Dans bien des contextes, les langues — officielles ou non — ne sont souvent que tolérées, et ce du bout des lèvres. Or, les langues officielles commandent plus. Pour donner corps à leur statut de langues officielles, il faut que l’anglais et le français soient plus que tolérés; on doit les chérir, les favoriser et les promouvoir (Michel Bastarache, Les Droits linguistiques au Canada, 2e éd. (Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 2004), p. 7-8; voir également Leslie Green, « Are Language Rights Fundamental? », (1987) 25 Osgoode Hall Law Journal 639, p. 660).

NOTA – Une demande d’autorisation d’appel a été déposée à la Cour suprême du Canada.

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

[24] De plus, il appert de l'article 31 de la Loi [sur les langues officielles] que les dispositions de la partie IV, qui porte sur la langue des communications avec le public et de la prestation des services (dont les articles 22 et 27), l'emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V, qui porte sur la langue de travail. Il s'ensuit à notre avis que les droits du public, en vertu de la partie IV, dans une région comme Toronto où la demande est jugée importante, ne sont pas diminués du fait que, par ailleurs, en ce qui a trait à la langue de travail, cette même région n'ait pas été « désignée » bilingue en vertu des articles 35 et 36 de la Loi. En d'autres termes, les droits de l'appelant de recevoir les services en français, à Toronto, ne sont pas moindres du simple fait que l'appelant, s'il obtenait l'emploi sollicité, devrait travailler en anglais.

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[41] En ce qui a trait à la partie V de la LLO portant sur la langue de travail, l’article 34 y prescrit que le français et l’anglais sont les langues de travail des institutions fédérales et confère ainsi aux agents de ces institutions « le droit d’utiliser » l’une ou l’autre des deux langues officielles. Les articles 35 à 37 de la LLO prévoient de façon plus précise la teneur des obligations des institutions fédérales en matière de langue de travail.

[…]

[43] L’article 36 de la LLO précise davantage les droits des employés dans les régions désignées, notamment dans les régions désignées bilingues comme celle de Montréal où travaille M. Tailleur. Les obligations minimales des institutions fédérales sont énoncées au paragraphe 36(1), alors que les obligations supplémentaires sont pour leur part prévues au paragraphe 36(2). Ces dispositions, qu’il importe de reproduire dans le présent dossier, se lisent comme suit : […]

[44] Le paragraphe 36(2) crée donc une obligation positive pour les institutions fédérales de prendre des mesures permettant de créer et de maintenir un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles.

[…]

[54] Bien qu’elles s’entendent sur les principes d’interprétations applicables, les parties ne s’accordent pas sur la bonne interprétation que doit recevoir le paragraphe 36(2) de la LLO. Le différend est de deux ordres : d’une part, au niveau de la portée de l’article 31 de la loi, et d’autre part au sujet du sens des mots « toutes autres mesures possibles » utilisés au paragraphe 36(2).

[…]

[58] Si l’article 31 de la LLO établit clairement que la partie IV a préséance sur la partie V, il le fait non pas dans l’absolu, mais bien dans la mesure où les dispositions de la partie V sont incompatibles avec celles de la partie IV. En effet, la version française de l’article parle de « dispositions incompatibles de la partie V » tandis que le texte anglais de la LLO décrète que la partie IV l’emporte (« prevails » en anglais) «to the extent of the inconsistency». Interprété conjointement et dans un sens commun aux deux versions, cet article exprime donc clairement que la fenêtre de l’incompatibilité à laquelle renvoie l’article 31 est restreinte. En effet, la partie IV n’aura préséance que dans la mesure de l’incompatibilité qui aura été recensée. Or, comment peut-on mesurer cette incompatibilité sans d’abord identifier sa nature et sa portée (et donc analyser les obligations des institutions fédérales aux termes de la partie V) ?

[59] Puisqu’il faut une incompatibilité réelle pour permettre d’écarter les droits linguistiques de la partie V à la faveur de ceux de la partie IV, la Cour conclut qu’il ne peut donc pas y avoir de mesure incompatible sans considérer la portée et l’étendue de l’article 36 de la LLO. La notion de conflit prévue à l’article 31 de la LLO doit recevoir une interprétation restrictive puisque tant la partie IV que la partie V de la loi doivent bénéficier d’une interprétation libérale et téléologique qui est compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de chaque langue officielle au Canada.

[60] La Cour est donc d’avis que, correctement interprété, le sens et la portée de l’article 31 ne peuvent être divorcés d’une appréciation de la teneur des obligations imposées aux institutions fédérales par le paragraphe 36(2) de la LLO.

(b) La portée du paragraphe 36(2)

[61] Reste maintenant à déterminer la portée du paragraphe 36(2). La version française de ce paragraphe oblige les institutions fédérales de prendre « toutes autres mesures possibles » permettant de créer et de maintenir un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et qui permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre des deux langues officielles. La version anglaise de ce paragraphe utilise plutôt l’expression « such measures […] as can reasonably be taken ».

[62] Analysons d’abord de la portée des termes « toutes autres mesures possibles ». À l’audience, M. Tailleur s’est rallié à la position du Commissaire selon laquelle le paragraphe 36(2) oblige les institutions fédérales à prendre « toutes autres mesures qu’il est raisonnable de prendre » permettant de créer et de maintenir un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles. Le Procureur général prétend pour sa part que la LLO requiert seulement la prise de mesures « raisonnables » dans les circonstances et qu’il n’y a pas de réelle divergence entre les deux versions linguistiques de la LLO. Il souligne que le terme «reasonable» est utilisé à plusieurs reprises dans la LLO et qu’il est traduit de différentes façons en français (parfois par « raisonnable », par « justifié dans les circonstances » ou par « indiqué »). Conséquemment, l’expression « mesures possibles » dans la version française du paragraphe 36(2) devrait être interprétée dans le même sens et correspondrait davantage au concept de « mesures raisonnables ».

[63] Il existe certes une ambiguïté entre la version française et anglaise du paragraphe 36(2) de la LLO et la Cour est en accord avec la démarche interprétative et les principes d’interprétation mis de l’avant par le Commissaire. Les parties reconnaissent d’ailleurs qu’en présence de différence dans les termes employés, « toute divergence entre les deux versions officielles d’un texte législatif est résolue en dégageant, si c’est possible, le sens qui est commun aux deux versions » (Daoust au para 26, citant Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd, Montréal, Thémis, 1999 à la p 410).

[64] En l’espèce, le sens commun des deux versions linguistiques du paragraphe 36(2) de la LLO est celui qui réfère à la prise de toutes autres mesures qu’il est raisonnable de prendre, puisque toutes les mesures qu’il est raisonnable de prendre sont des mesures possibles, mais toutes les mesures possibles ne sont pas nécessairement des mesures qu’il est raisonnable de prendre.

[…]

[67] En somme, à la lumière de l’examen de l’intention législative à la source de la partie V de la LLO sur la langue de travail, la Cour est d’avis que l’interprétation correcte du paragraphe 36(2) de la loi est effectivement celle voulant que les institutions fédérales doivent prendre toutes autres mesures qu’il est raisonnable de prendre, en plus de celles déjà prévues au paragraphe 36(1) de la LLO. Ces mesures doivent contribuer à créer et maintenir, de façon réaliste et concrète, un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et qui permet aux employés d’utiliser l’une ou l’autre de ces langues. Le terme « raisonnable » présuppose une norme objective et les mesures adoptées doivent donc pouvoir se justifier objectivement.

[68] Le Commissaire va cependant plus loin dans l’interprétation qu’il suggère pour le paragraphe 36(2), et dans la portée de l’obligation ainsi conférée aux institutions fédérales au niveau de la langue de travail. Selon le Commissaire, l’institution fédérale doit non seulement considérer les mesures raisonnables qu’elle peut instaurer, mais elle doit les considérer « toutes ». Il y aurait donc une certaine universalité dans ce que doit soupeser l’institution fédérale au niveau des mesures d’aménagement raisonnables qu’elle doit considérer afin d’assurer le respect des droits linguistiques de ses employés. Selon le Commissaire, les institutions fédérales ne peuvent se contenter de choisir les mesures qui leur conviennent et ne sont pas trop contraignantes, mais doivent plutôt considérer toutes les mesures permettant d’atteindre l’objet du paragraphe 36(2) pour ensuite en élaguer celles qui n’entrent pas sous l’aune du raisonnable.

[69] La mise en œuvre de l’obligation prévue au paragraphe 36(2) de la LLO exigerait donc une entrée en matière presque holistique de la part des institutions fédérales. Le Commissaire avance même qu’il y aurait ici un certain renversement du fardeau de preuve envers l’institution fédérale, qui devrait adopter une telle approche de manière proactive.

[70] La Cour n’acquiesce pas à ce dernier volet de l’interprétation du paragraphe 36(2) de la LLO proposée par le Commissaire. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une interprétation qui soit compatible avec les deux versions française et anglaise de la loi. La version anglaise parle en effet de « such measures » et non pas de « all measures »; seule la version française parle de « toutes » autres mesures. Le sens commun aux deux versions du paragraphe 36(2) n’est donc pas l’universalité des mesures.

[71] Par ailleurs, considérant la dimension concrète et réelle des mesures qui ressort de l’intention législative, l’obligation contenue au paragraphe 36(2) ne peut raisonnablement signifier que l’institution fédérale doive faire le tour entier du jardin et regarder tout ce qui pourrait être imaginable en termes de mesures. Au contraire, le paragraphe 36(2) n’impose aux institutions fédérales que de considérer toutes les mesures raisonnables. La Cour voit mal comment, dans l’interprétation et l’application pratique de la LLO, on peut scinder la lecture de cet article en en séparant la composante « toutes » du concept de « raisonnables ».

[72] L’approche à double détente prônée par le Commissaire imposerait un fardeau beaucoup trop lourd aux institutions fédérales en les obligeant d’abord de ratisser l’universalité des mesures possibles pour ensuite ramener le tout aux mesures qu’il est raisonnable de prendre. Ce que la LLO impose, c’est de prendre toutes les mesures raisonnables possibles et il n’y a pas lieu, tant dans l’interprétation que dans la mise en œuvre de cette obligation, de la segmenter et d’en décomposer les éléments. Au lieu d’une approche étapiste qui aurait pour effet de dénaturer l’obligation faite aux institutions fédérales par la LLO, la Cour est d’avis que c’est le volet « raisonnable » qu’il importe d’accentuer, car c’est ce qui constitue l’essence et le fondement de l’obligation contenue au paragraphe 36(2). Si une mesure n’est pas raisonnable, elle n’a pas à être adoptée par l’institution fédérale. Cette interprétation correspond au sens commun qui se dégage des deux versions de la loi, et elle concorde avec l’intention législative qui se dégage des débats parlementaires et de l’historique législatif de la partie V de la LLO cités.

[73] Aussi, ce qu’il suffit à une institution fédérale de démontrer pour se conformer aux exigences du paragraphe 36(2), c’est d’avoir considéré toutes les mesures raisonnables pour permettre à ses employés de travailler dans la langue officielle de leur choix.

(c) Le caractère « raisonnable » des mesures

[74] Reste enfin à déterminer ce qui est « raisonnable » et comment, dans chaque circonstance, une institution fédérale peut s’affranchir de son obligation et justifier pourquoi une mesure alternative ne serait pas acceptable parce que déraisonnable. Le Commissaire souligne qu’il s’agit là d’une obligation positive imposée aux institutions fédérales : ce n’est pas seulement une obligation de moyens et l’institution fédérale a le fardeau d’expliquer pourquoi une mesure d’accommodement ne serait pas raisonnable. Le Commissaire fait valoir que trois critères pertinents doivent être regardés pour déterminer si la mise en œuvre d’une mesure par une institution fédérale satisfait cette condition. La Cour partage cet avis, tout en précisant toutefois que ces critères ne sont pas nécessairement exhaustifs.

[75] Une interprétation libérale et téléologique, compatible avec le maintien et l’épanouissement des langues officielles au Canada, permet en effet de dégager une liste de facteurs qui peuvent être pris en considération afin de déterminer si la prise d’une mesure par une institution fédérale afin de satisfaire aux exigences de la LLO est raisonnable ou non. Ces critères ne sont pas limitatifs, mais ils incluent assurément : i) les difficultés opérationnelles importantes et sérieuses pouvant être créées par les mesures, ii) le conflit démontré avec la partie IV de la LLO et les obligations de l’institution fédérale face au public, et iii) le fait que la mise en œuvre ne doit pas avoir pour effet de créer un conflit avec le mandat de l’institution.

[…]

[79] Ainsi, une mesure ne sera pas raisonnable si la mise en œuvre de celle-ci cause un conflit, clairement démontré par l’institution fédérale, avec le mandat de l’institution en question. Bien qu’aucun règlement n’ait encore été adopté par le gouverneur en conseil aux termes de l’alinéa 38(2)b), cette disposition éclaire néanmoins sur le type de mesures qui pourraient se trouver à l’écart des mesures raisonnables possibles à être considérées par l’institution fédérale.

[…]

[81] Pour les motifs exposés plus haut, la Cour est d’avis que le paragraphe 36(2) n’exige pas une approche proactive de facture universelle qui obligerait une institution fédérale à considérer d’abord toutes les mesures possibles pour ensuite en isoler celles qui sont raisonnables. La Cour conclut plutôt que pour se conformer aux exigences du paragraphe 36(2) de la LLO, l’institution fédérale doit, dans la même foulée, considérer et adopter toutes les mesures qu’il est raisonnable de prendre pour créer un milieu de travail propice à l’usage des deux langues officielles. Le caractère raisonnable des mesures dépendra des circonstances de chaque cas, mais une mesure particulière ne sera notamment pas raisonnable si elle impose des difficultés opérationnelles importantes ou sérieuses à l’institution fédérale ou si sa mise en œuvre cause un conflit démontré avec la partie IV de la LLO sur la langue de service ou avec le mandat de l’institution fédérale. C’est là une interprétation des dispositions de la LLO qui est en harmonie avec le sens commun aux versions anglaise et française de la loi et qui reflète les objectifs de ses parties IV et V.

[82] La Cour ajoute l’observation suivante. Le Procureur général prétend que pour déterminer si une institution fédérale a pris des mesures raisonnables, il faut tenir compte du caractère bilingue du poste d’un employé dont les fonctions et tâches requièrent l’utilisation du français et de l’anglais. La Cour ne peut retenir cet argument. Ceci ne constitue pas un facteur à considérer afin de déterminer si la prise d’une mesure par une institution fédérale afin de satisfaire aux exigences du paragraphe 36(2) de la LLO est raisonnable ou non. D’abord, tant la partie IV que la partie V doivent bénéficier d’une interprétation libérale et téléologique compatible avec le maintien et l’épanouissement des langues officielles au Canada. Ensuite, l’institution fédérale ne peut pas contourner ses obligations en matière de langue de travail prévues par la partie V de la LLO simplement en recourant à des employés bilingues. La compétence linguistique des individus ne doit pas être un facteur dans la détermination des droits linguistiques. D’ailleurs, la Cour rappelle à cet égard les propos de la Cour suprême dans Beaulac au para 45:

[45] On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais. Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle. En fait, il serait surprenant que l’intention du Parlement ait été de restreindre le droit des Canadiens bilingues quand, dans la réalité, les minorités de langue officielle, qui ont le taux le plus élevé de bilinguisme (84 p. 100 des francophones vivant à l’extérieur du Québec comparativement à 7 p. 100 des anglophones, selon le recensement de 1996 de Statistique Canada), sont les personnes auxquelles l’article devait avant tout venir en aide.

[…]

[98] M. Tailleur suggère qu’il serait possible d’établir un système où le dossier d’un contribuable indiquerait qu’il est devenu « bilingue » lorsque c’est le cas, et que les appels pourraient être redirigés vers un employé bilingue lorsque cela serait nécessaire et lorsqu’un agent unilingue anglophone ne comprendrait pas les notes au dossier rédigées en français. M. Tailleur soumet que le transfert d’appels à un autre agent bilingue capable de comprendre les notes au dossier, qu’elles soient en anglais ou en français, ne créerait pas d’inégalité de service pour les contribuables anglophones et qu’un tel mécanisme de transfert d’appels ne serait pas compliqué à instaurer.

[99] M. Tailleur soulève notamment le fait que l’ARC n’aurait pas mené les études et analyses appropriées pour déterminer les risques liés à cette solution de transfert d’appels qu’il propose. M. Tailleur prétend en effet qu’il n’y a pas de preuve devant cette Cour eu égard à l’impact du transfert d’appels puisque l’ARC n’a pas analysé la mise en place d’un système alternatif permettant de réacheminer les appels vers des employés bilingues.

[100] La Cour n’est pas d’accord. La preuve établit plutôt clairement que l’alternative de M. Tailleur n’est pas raisonnable, car elle déboucherait inéluctablement vers une inégalité de service entre contribuables anglophones et francophones. En fait, l’ARC a effectivement déjà adopté plusieurs mesures qu’il était raisonnable de prendre pour respecter les droits de ses agents d’appel de travailler dans la langue de leur choix. Cependant, le transfert d’appels proposé par M. Tailleur ne fait pas partie, selon la Cour, de l’assiette des mesures raisonnables au sens du paragraphe 36(2) de la LLO.

[…]

[108] Aux termes du paragraphe 36(2) et de l’interprétation proposée plus haut, une mesure ne sera pas raisonnable si sa mise en œuvre entre en conflit avec les obligations de l’institution fédérale prévues à la partie IV de la LLO. Ce facteur est déterminant en l’espèce. L’obligation qui repose sur l’ARC est d’offrir un service égal (signifiant l’égalité réelle) aux contribuables canadiens. Lorsque le contribuable appelle l’ARC, il choisit la ligne française ou anglaise et exerce dès ce moment son choix de la langue officielle dans laquelle il désire être servi. Or, la mesure alternative proposée par M. Tailleur créerait une mesure inégale en ce que certains contribuables anglophones essuieraient des délais additionnels en attendant qu’un agent bilingue soit disponible afin de traiter de leur dossier. Considérant l’obligation faite à l’ARC de veiller à ce que les membres du public reçoivent un service de qualité égale dans l’une ou l’autre des langues officielles (articles 22 et 24 de la LLO), le transfert d’appels proposé par M. Tailleur est donc incompatible avec la partie IV.

[…]

[112] Au niveau des notes au dossier, ces adaptations n’étaient pas raisonnablement possibles. La solution adoptée par l’ARC d’imposer la rédaction des notes aux « blocs-notes » dans la langue officielle de choix du contribuable se situe dans les limites du raisonnable. Mais l’obligation de prendre des mesures raisonnables du paragraphe 36(2) n’équivaut pas à une obligation de prendre toutes les mesures imaginables ni de permettre aux employés de l’ARC de toujours pouvoir utiliser la langue de travail de leur choix. Cette obligation est au contraire circonscrite par les contraintes de la partie IV.

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF)

[115] La partie V de la Loi sur les langues officielles crée des droits et des obligations concernant la langue de travail. Le droit général conféré en matière de langue de travail est énoncé à l'article 34 qui prévoit que « [l]e français et l'anglais sont les langues de travail des institutions fédérales. Leurs agents ont donc le droit d'utiliser, conformément à la présente partie, l'une ou l'autre. » Les articles 35 et 36, qui visent à donner effet au droit conféré en matière de langue de travail, imposent certaines obligations aux institutions fédérales relativement à différentes questions, dont le milieu de travail. L'alinéa 35(1)a) oblige donc les institutions fédérales à veiller à ce que, dans la région de la capitale nationale et dans les régions désignées, « ... leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d'utiliser l'une ou l'autre ... ».

[116] Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous l'alinéa 35(1)a) et l'article 36 :

[…]

[125] Sur le plan constitutionnel, les droits linguistiques constitutionnalisés dans les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte entrent en jeu en l'espèce. Quant à la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques en cause sont le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services, prévu par l'article 21, et celui conféré par l'article 34, selon lequel le français et l'anglais sont les langues de travail dans les institutions fédérales et le personnel a le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles conformément à la partie V. Les droits linguistiques prévus dans les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles font écho à ceux garantis par les paragraphes 20(1) et 16(1) de la Charte, respectivement. Les obligations correspondantes imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 de la Loi sur les langues officielles sont aussi pertinentes.

[…]

[129] Comme je l'ai déjà mentionné, les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles reconnaissent, respectivement, le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services et le droit d'un fonctionnaire d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles pour effectuer son travail, le français et l'anglais étant les langues de travail des institutions fédérales. Les obligations légales correspondantes imposées par l'article 22 et par les articles 35 et 36 exigent respectivement que les institutions fédérales veillent à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans les deux langues officielles dans la région de la capitale nationale et dans les autres régions désignées, et à ce que leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles. Ces obligations, qui incombent aux institutions fédérales en vertu de la Loi sur les langues officielles, sont conformes au principe de l'égalité réelle qui exige que le gouvernement prenne des mesures positives pour mettre en œuvre les droits linguistiques reconnus. En d'autres termes, l'objet des obligations légales imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 consiste à mettre en œuvre les droits reconnus par les articles 21 et 34 et à leur donner un effet et une signification réels. De plus, les articles 35 et 36 reconnaissent par voie législative le fait que le droit de travailler dans l'une ou l'autre des langues officielles dans une institution fédérale est illusoire en l'absence d'un milieu qui respecte l'emploi des deux langues officielles et en favorise l'épanouissement. L'objet des articles 35 et 36 est donc de garantir la promotion et le développement de milieux de travail bilingues dans les institutions fédérales.

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), 1996 CarswellNat 1910, 1996 CarswellNat 2622, [1996] F.C.J. No. 1418, [1997] 1 F.C. 305, 122 F.T.R. 131, 67 A.C.W.S. (3d) 263 [hyperlien non disponible]

Au cours de son emploi auprès de SBES [Santé et Bien-être social], le requérant a déposé quatre plaintes auprès du Commissaire aux langues officielles (CLO). Le rapport rédigé par le CLO les expose comme suit:

- sa surveillante exige que la correspondance, adressée au bureau régional situé à Québec, soit écrite en français (dossier COLO 1950-92-H2); - Les notes de service envoyées au bureau du district de Montréal, en provenance du bureau régional de Québec sont unilingues françaises (dossier COLO 0174-93-H2); - la plupart des cours de formation liés à l'emploi sont offerts en français seulement au bureau du district de Montréal (dossier COLO 0175-93-H2); - plusieurs messages unilingues anglais envoyés par courrier électronique, du bureau du district de Montréal au bureau régional de Québec, sont retournés avec la mention « en français s.v.p. » (dossier COLO 0357-93-H2).

Dans une lettre du 4 juillet 1993, le plaignant nous présentait des éléments additionnels aux allégations initiales; il précisait ainsi que:

- le climat linguistique qui régnait au bureau de Montréal reflétait le fait que l'institution n'y avait pas créé un environnement propice à l'utilisation de l'anglais; - son employeur n'aurait rien fait pour promouvoir l'emploi de la langue anglaise et lui aurait refusé de travailler en anglais; - le fait qu'on lui ait refusé la formation et les instruments de travail en anglais a affecté défavorablement l'acquisition de connaissances ainsi que son rendement et, par conséquent l'évaluation qu'en a faite sa surveillante; l'employeur s'est basé sur cette évaluation pour décider de ne pas le réembaucher pour une autre période terme (déterminée).

Le CLO a considéré que les plaintes touchaient à « la langue de travail et aux chances d'emploi et d'avancement au sein des institutions fédérales », conformément aux dispositions de la partie V de la Loi. La région de travail de Montréal est désignée bilingue et, conséquemment, les employés ont le droit de se servir de la langue de leur choix dans l'exercice de leurs fonctions. Le bureau régional de Québec n'est pas désigné comme étant bilingue. Le bureau de Montréal relève du bureau de Québec. Le rapport a précisé que « le bureau de Québec doit accommoder les employés du bureau de Montréal dans leur droit de travailler dans la langue officielle de leur choix. Ainsi, dans le cadre du traitement interne des dossiers de la clientèle de SBES, les employés du bureau de Montréal peuvent communiquer avec le bureau de Québec dans leur langue préférée. »

Les conclusions du CLO, rendues dans son rapport déposé en juin 1994, sont les suivantes:

- la gestion du bureau de Montréal n'a pas préalablement identifié la préférence linguistique du plaignant (ni celle des autres commis dans des postes déterminés) à son arrivée en fonction; - la gestion du bureau de Montréal ne s'est pas assurée que le plaignant et les autres membres du personnel d'expression anglaise reçoivent dans leur langue officielle la documentation produite tant au niveau régional qu'au niveau local; - les chances du plaignant de faire valoir ses capacités et son potentiel furent affectées compte tenu du fait qu'il fut obligé, pendant environ la moitié de son emploi, de travailler en français; et - le plaignant fut défavorisé dans ses chances d'acquérir et de maîtriser des connaissances reliées à l'emploi parce qu'il n'a pas reçu la formation initiale dans sa langue officielle et ne disposait pas des instruments de travail dans sa langue. Le plaignant se trouvait ainsi désavantagé par rapport à ses pairs d'expression française lors du processus de sélection. Cette situation a pu avoir un effet négatif sur ses chances d'emploi au sein du ministère.

En concluant que les plaintes du requérant au sujet de sa langue de travail étaient justifiées, il a fait les recommandations suivantes au DRH [Développement des ressources humaines] :

1. de revoir, sans tarder, l'évaluation de rendement du plaignant (celle qui fut faite dans le cadre du processus de sélection des commis retenus pour une autre période d'emploi) en tenant compte du fait que le plaignant a été placé dans une position défavorable pour faire valoir ses connaissances et ses capacités; et, si possible, la décision concernant le non-renouvellement de son emploi... 2. mettre en place, d'ici le 30 juin 1994, des séances d'information à l'intention des gestionnaires du bureau de Montréal afin de les sensibiliser à leurs obligations linguistiques; 3. s'assurer que les gestionnaires du bureau de Montréal prennent, d'ici le 30 juin 1994, toutes les mesures visant à fournir à ses employés d'expression anglaise les instruments de travail dans leur langue officielle et à créer un climat favorable à l'usage des deux langues officielles en milieu de travail; 4. s'assurer que la formation du personnel en régions bilingues au Québec soit offerte dès maintenant dans la langue officielle des employés; et 5. mettre en place, d'ici le 30 juin 1994, les mesures correctives que prévoyait, en juillet 1993, la Directrice régionale, services des ressources humaines, concernant les services centraux au bureau de Québec.

[…]

Comme l'intimé DRH a admis avoir enfreint la partie V de la Loi, la seule question restante est la réparation appropriée que doit accorder la Cour.

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté: Lavigne c. Canada (Développement des Ressources Humaines), 1998 CanLII 7820 (CAF).

Voir également :

Leduc c. Canada, 2000 CanLII 15454 (CF)

Duguay c. Canada, 1999 CanLII 8653 (CF)

 

37. Obligations particulières

37. Il incombe aux institutions fédérales centrales de veiller à ce que l'exercice de leurs attributions respecte, dans le cadre de leurs relations avec les autres institutions fédérales sur lesquelles elles ont autorité ou qu'elles desservent, l'usage des deux langues officielles fait par le personnel de celles-ci.   

 

38. (1) Règlements

38. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique, le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, le Service de protection parlementaire ou le bureau du directeur parlementaire du budget :

a) déterminer, pour tout secteur ou région du Canada, ou lieu à l’étranger, les services, la documentation et le matériel qu’elles doivent offrir à leur personnel dans les deux langues officielles, les systèmes informatiques qui doivent pouvoir être utilisés dans ces deux langues, ainsi que les activités — de gestion ou de surveillance — à exécuter dans ces deux langues;

b) prendre toute autre mesure visant à créer et à maintenir, dans la région de la capitale nationale et dans les régions ou secteurs du Canada, ou lieux à l’étranger, désignés pour l’application de l’alinéa 35(1)a), un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et à permettre à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre;

c) déterminer la ou les langues officielles à utiliser dans leurs communications avec ceux de leurs bureaux situés dans les régions ou secteurs du Canada, ou lieux à l’étranger, qui y sont mentionnés;

d) fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente partie ou ses règlements leur imposent;

e) fixer les obligations, en matière de langues officielles, qui leur incombent à l’égard de ceux de leurs bureaux situés dans les secteurs ou régions non désignés par règlement pris au titre de l’alinéa 35(1)a), compte tenu de l’égalité de statut des deux langues officielles.

38. (2) Idem

38. (2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) inscrire ou radier l’une ou l’autre des régions du Canada désignées conformément au paragraphe 35(2) ou désigner, pour l’application de l’alinéa 35(1)a), tous secteurs ou régions du Canada ou lieux à l’étranger, compte tenu :

(i) du nombre et de la proportion d’agents francophones et anglophones qui travaillent dans les institutions fédérales des secteurs, régions ou lieux désignés,

(ii) du nombre et de la proportion de francophones et d’anglophones qui résident dans ces secteurs ou régions,

(iii) de tout autre critère qu’il juge indiqué;

b) en cas de conflit — dont la réalité puisse se démontrer — entre l’une des obligations prévues par l’article 36 ou les règlements d’application du paragraphe (1) et le mandat d’une des institutions fédérales, y substituer, compte tenu de l’égalité de statut des deux langues officielles, une autre obligation touchant leur utilisation.

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 38; 2004, ch. 7, art. 28; 2006, ch. 9, art. 22.

ANNOTATIONS

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[78] Enfin, l’alinéa 38(2)b) de la LLO fournit un indice d’un troisième facteur à considérer. Cette disposition prévoit ce qui suit : […]

[79] Ainsi, une mesure ne sera pas raisonnable si la mise en œuvre de celle-ci cause un conflit, clairement démontré par l’institution fédérale, avec le mandat de l’institution en question. Bien qu’aucun règlement n’ait encore été adopté par le gouverneur en conseil aux termes de l’alinéa 38(2)b), cette disposition éclaire néanmoins sur le type de mesures qui pourraient se trouver à l’écart des mesures raisonnables possibles à être considérées par l’institution fédérale.

 

Partie VI Participation des Canadiens d’expression française et d’expression anglaise

39. (1) Engagement

39. (1) Le gouvernement fédéral s'engage à veiller à ce que :

a) les Canadiens d'expression française et d'expression anglaise, sans distinction d'origine ethnique ni égard à la première langue apprise, aient des chances égales d'emploi et d'avancement dans les institutions fédérales;

b) les effectifs des institutions fédérales tendent à refléter la présence au Canada des deux collectivités de langue officielle, compte tenu de la nature de chacune d'elles et notamment de leur mandat, de leur public et de l'emplacement de leurs bureaux.

39. (2) Possibilités d'emploi

39. (2) Les institutions fédérales veillent, au titre de cet engagement, à ce que l'emploi soit ouvert à tous les Canadiens, tant d'expression française que d'expression anglaise, compte tenu des objets et des dispositions des parties IV et V relatives à l'emploi.

39. (3) Principe du mérite

39. (3) Le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte au mode de sélection fondé sur le mérite.      

Annotations

Frémy c. Canada (Procureur général), 2018 CF 434 (CanLII)

[39] En l’espèce, il n’était pas possible de faire abstraction des motifs du congédiement envisagé et de la « question linguistique ». Autrement dit, si la GRC entendait congédier M. Frémy parce que son niveau d’anglais était insuffisant, parce que les budgets pour l’apprentissage de la langue seconde étaient épuisés ou pour toute autre raison de ce genre, il est fort possible que la contrainte exercée à son égard ait été illégitime. Il était également hasardeux d’écarter toute preuve liée à la plainte de M. Frémy au Commissariat aux langues officielles. La séquence des événements pourrait suggérer que M. Frémy a fait l’objet de représailles pour avoir déposé cette plainte. De la même manière, les extraits des rapports du Commissaire aux langues officielles qui ont été produits au dossier laissent entendre que les exigences linguistiques que la GRC a imposées à M. Frémy contrevenaient à la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl). Cependant, l’approche adoptée par les arbitres de premier et de second niveau fait que ces questions essentielles demeurent sans réponse.

Ayangma c. Canada, 2003 CAF 149 (CanLII)

[31] Il ne peut non plus prétendre que la LLO a été violée. Les articles 21, 22 et 28 de la LLO se trouvent dans la partie IV de la Loi, intitulée « Communication avec le public et prestation des services ». Bien qu'elle ne soit pas définie dans la loi, l'expression « prestation des services » ne s'applique manifestement pas à un concours tenu sous le régime de la LEFP [Loi sur l’emploi dans la fonction publique], laquelle porte sur la dotation en personnel de la fonction publique et qui renferme ses propres dispositions linguistiques. L'appelant soutient (mémoire des faits et du droit de l'appelant, au paragraphe 88) [TRADUCTION] « la présence de personnes bilingues au sein du jury de sélection est non seulement un service rendu à l'appelant en tant qu'individu, mais aussi un service envers l'ensemble de la collectivité qui, selon l'article 10 de la LEFP, a droit au candidat le mieux qualifié ». Cet argument est mal fondé. En revanche, l'article 39 de la LLO est une déclaration d'engagement du gouvernement du Canada. Comme cet article se trouve à la partie VI de la Loi, il est, aux termes du paragraphe 77(1) de la Loi, soustrait à l'application de la partie X, laquelle est intitulée « Recours judiciaire ». L'appelant invoque à son profit le paragraphe 77(4) de la Loi. Or, ce paragraphe ne s'applique qu'aux instances visées au paragraphe 77(1).

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.) [hyperlien non disponible]

[17] La consécration constitutionnelle de droits linguistiques et leur prolongement quasi-constitutionnel, nuancés par l'appel à la prudence lancé aux tribunaux par la Cour suprême, n'emportent pas pour autant, à moins d'indications précises en ce sens, une modification des compétences des tribunaux appelés à interpréter et à appliquer ces droits. De même que la Charte canadienne des droits et libertés n'est pas en elle-même source de compétences nouvelles, de même la Loi sur les langues officielles de 1988 n'établit pas de compétences nouvelles autres que celles, dévolues au commissaire aux langues officielles et à la Section de première instance de la Cour fédérale, qu'elle établit expressément. Ainsi, comme en l'espèce, ce n'est pas parce que le Ministère se serait vu imposer des obligations légales plus précises que par le passé lorsque vient le temps d'établir les exigences linguistiques d'un poste, qu'un comité d'appel acquerrait du fait même une compétence qui lui avait jusque-là échappé. A moins qu'on ne trouve dans la Loi elle-même une indication de l'intention du Parlement de confier au comité d'appel une compétence nouvelle relativement au droit de gérance du ministère, le comité d'appel devra se résigner à continuer à jouer le rôle qui jusqu'ici lui était dévolu et à laisser à d'autres instances le soin de décider si, dans un cas donné, un ministère s'est conformé aux dispositions de la Loi sur les langues officielles de 1988.

[18] L'intimée soutient que le comité d'appel a reçu cette compétence nouvelle en raison, notamment, des termes du sixième attendu ("dans le strict respect du principe du mérite en matière de sélection"), du paragraphe 39(3) ("le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte au mode de sélection fondé sur le mérite") et de l'article 91 ("Les parties IV et V n'ont pour effet d'autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d'une dotation en personnel, que si elle s'impose objectivement pour l'exercice des fonctions en cause").

[19] Ces dispositions ne sont, au fond, que l’expression remaniée de l’obligation déjà imposée à l’article 40 de la Loi sur les langues officielles de 1969 de maintenir le principe de la sélection fondée sur le mérite.  L’article 91, en précisant que les exigences linguistiques doivent s’imposer « objectivement », confirme expressément ce qui a toujours été sous-entendu, soit que les exigences linguistiques ne peuvent être posées de manière capricieuse ou arbitraire.  Cet article se veut réconfort et assurance plutôt que droit nouveau, et il serait vain d’y chercher quelque compétence nouvelle que ce soit pour le comité d’appel, d’autant plus que le paragraphe 77(1) permet expressément de saisir le commissaire, et non le comité d’appel, d’une plainte fondée sur l’article 91, et qu’il appert de l’article 35 et du paragraphe 39(2) qu’il incombe au ministère concerné, et non à la Commission de la fonction publique, de veiller, dans l’établissement des langues de travail, au respect de la Loi sur les langues officielles de 1988. 

[20] Il y a davantage. Les dispositions précitées font voir que le Parlement a porté son attention sur la question de la sélection fondée sur le mérite. S'il avait voulu profiter de l'occasion pour conférer une compétence nouvelle au comité d'appel, il l'aurait très certainement fait, en même temps qu'il s'affairait à établir le nouveau recours judiciaire établi dans la partie X. Il ne faut pas oublier que si la Loi sur les langues officielles de 1988 consacre le droit des agents de l'État d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles (article 34), elle consacre également le droit du public d'être servi, conformément aux dispositions de la partie IV, dans l'une ou l'autre langue (article 21). Il est permis de penser que le législateur n'a pas jugé opportun de faire du comité d'appel l'instrument décisionnel approprié pour jauger les droits respectifs des agents de l'État et du public dans le domaine particulièrement sensible de la langue de travail et de la langue de service au sein de l'appareil gouvernemental fédéral. Le Parlement pouvait très certainement préférer confier cette tâche délicate au commissaire et à des juges. Il serait imprudent de remettre cette préférence en question.

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[25] L'article 39 de la LLO, qui figure à la partie VI, traite des droits linguistiques généraux en matière de recherche d'emploi et d'avancement. Plus particulièrement, le paragraphe 39(2) exige que les institutions fédérales « veillent [...] à ce que l'emploi soit ouvert à tous les Canadiens, tant d'expression française que d'expression anglaise [...] » et tiennent compte « des objets et des dispositions des parties IV et V relatives à l'emploi ». La partie IV a déjà été mentionnée cidessus (voir le paragraphe 8). La partie V crée des droits et des obligations relativement à la langue de travail. L'article 91, qui figure à la partie XI, traite des dotations en personnel dans les institutions fédérales; il oblige les institutions fédérales à utiliser des critères objectifs pour déterminer les exigences linguistiques de chaque poste.

[…]

[117] Bien qu'une violation de l'article 91 permette à la Cour d'accorder une réparation en vertu du paragraphe 77(4), aucune réparation ne peut être accordée par la Cour dans le cas d'une violation de l'article 39. Il ne faut pas oublier que la disposition qui permet à la Cour d'accorder réparation, c'est-à-dire le paragraphe 77(1), comprend une liste exhaustive. La partie VI, dans laquelle se trouve l'article 39, n'est pas mentionnée au paragraphe 77(1). Même s'il était établi qu'il y a eu violation de l'article 39, la Cour n'aurait pas compétence pour accorder réparation en vertu du paragraphe 77(4) quant à cette violation.

Voir également : Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner c. Via Rail Canada, 2009 CF 857 (CanLII), Temple c. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 RCF 80, 2009 CF 858 (CanLII).

Lavoie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1251 (CanLII)

[40] Il m’apparaît important de souligner que dans Devinat il s’agissait d’une demande de mandamus, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, dans le but de faire respecter l’article 20 de la LLO, un article qui, quoique ne permettant pas d’intenter un recours sous l’article 77 de la LLO, est source d’obligation pour le gouvernement par opposition à l’article 39 qui consiste plutôt en un simple engagement de la part du gouvernement. Dans l’arrêt Ayangma c. Sa Majesté la Reine, 2003 CAF 149 (CanLII), 2003 CAF 149, la Cour d’appel fédérale au paragraphe 31 a décidé que l’article 39 de la LLO « est une déclaration d’engagement du gouvernement du Canada. ».

[…]

[42] Je suis d’avis que pour les fins des présentes procédures deux enseignements doivent être retiré de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale :

• l’article 77 de la LLO n’écarte pas le recours en révision judiciaire prévu à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales; et

• un recours intenté en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérale ne peut pas être utilisé pour sanctionner des dispositions de la LLO qui ne sont pas source d’obligation ou de droit, mais qui consiste plutôt en un engagement du gouvernement.

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF)

[117] La partie VI de la Loi sur les langues officielles, intitulée « Participation des Canadiens d'expression française et d'expression anglaise », traite de l'emploi dans les institutions fédérales. L'alinéa 39(1)a) confirme l'engagement pris par le gouvernement de veiller à ce que les Canadiens d'expression française et d'expression anglaise « aient des chances égales d'emploi et d'avancement dans les institutions fédérales... ». Pour concrétiser cet engagement, le paragraphe 39(2) exige que les institutions fédérales veillent « à ce que l'emploi soit ouvert à tous les Canadiens, tant d'expression française que d'expression anglaise... » Le paragraphe 39(2) oblige de plus les institutions fédérales à tenir compte « des objets et des dispositions des parties IV et V » pour l'embauche et l'avancement de son personnel et la fixation de leurs conditions de travail. En d'autres termes, les institutions fédérales doivent, dans leurs décisions concernant la dotation de leurs postes, tenir compte des droits et des obligations correspondantes créées par les parties IV et V, concernant respectivement les communications avec le public et la prestation des services et la langue de travail, ainsi que des objets visés par les droits et obligations édictés. Toutefois, le paragraphe 39(3) réitère le principe du mérite, qui constitue la pierre angulaire de la dotation en personnel des institutions fédérales : « Le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte au mode de sélection fondé sur le mérite. »

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[30] La Loi garantit également des chances égales d'emploi au sein du gouvernement aux canadiens d'expression française et d'expression anglaise, dans le strict respect du principe du mérite.

[…]

[35] Aux termes de la partie VI de la Loi, le gouvernement s'engage à veiller à ce que les deux collectivités de langue officielle aient des chances égales d'emploi et d'avancement. Au titre de cet engagement, le gouvernement tient compte, en vertu du paragraphe 39(2), des objets et des dispositions des parties IV et V. Toutefois, il se trouve dans une situation délicate puisque, en vertu du paragraphe 39(3), les principes énoncés à l'article 39 n'ont pas pour effet de porter atteinte au principe de sélection fondé sur le mérite.

 

40. Règlements

40. Le gouverneur en conseil peut prendre toute mesure réglementaire d'application de la présente partie.

 

Partie VII – Promotion du français et de l’anglais

41. (1) Engagement

41. (1) Le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu'à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.

41. (2) Obligations des institutions fédérales

41. (2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en œuvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces.

41. (3) Règlements

41. (3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique, le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, le Service de protection parlementaire ou le bureau du directeur parlementaire du budget, fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente partie leur impose.

1985, ch. 31 (4e suppl.), art. 41; 2005, ch. 41, art. 1; 2006, ch. 9, art. 23; 2015, ch. 36, art. 147; 2017, ch. 20, art. 182.

Annotations – Paragraphe 41(1)

DesRochers c. Canada (Industrie), [2009] 1 R.C.S. 194, 2009 CSC 8 (CanLII)

[18] La partie VII s’intitule « Promotion du français et de l’anglais » et, pendant  la période visée en l’espèce, l’art. 41, qui figure dans cette partie, était ainsi libellé :

41. Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

À l’époque du recours intenté par les appelants DesRochers et CALDECH, aucune disposition exécutoire ne s’ajoutait au texte déclaratoire de l’art. 41.  De plus, le recours prévu au par. 77(1) de la LLO et sur lequel s’appuie le recours en l’espèce ne concernait que les plaintes fondées sur les parties IV et V, la partie VII n’ayant été ajoutée au par. 77(1) qu’en 2005, par le truchement d’un amendement législatif (Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), L.C. 2005, ch. 41).

[19] En juillet 2004, soit quelques mois avant que le recours ne soit formé en l’espèce, la Cour d’appel fédérale conclut dans Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276, qu’un recours judiciaire ne peut être intenté sur la base d’une contravention alléguée à l’engagement énoncé dans la partie VII à l’art. 41.  En février 2005, notre Cour accorde une autorisation de pourvoi  à l’encontre de cette décision ([2005] 1 R.C.S. ix). En mai 2005, le juge Harrington entend le présent recours en première instance et décide de l’affaire en juillet, uniquement dans le cadre de la partie IV, conformément à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Forum des maires.

[20] Par la suite, le Parlement modifie la LLO pour y inclure la partie VII dans le par. 77(1) et y ajouter certaines dispositions exécutoires : voir par. 41(2) et (3).  L’autorisation d’appel accordée par la Cour dans l’affaire Forum des maires est alors retirée et déclarée sans effet : Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2005 CSC 85 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 906.

[21] À la lumière de ces développements, voici comment la Cour d’appel fédérale statue sur la portée du recours en l’espèce :

À l’époque du recours intenté par les appelants, la modification législative n’avait pas encore été effectuée. En outre, elle n’est entrée en vigueur que le 25 novembre 2005, sans effet rétroactif.  En conséquence, la décision de notre Cour portant sur le texte du paragraphe 77(1), tel qu’il existait avant la modification, est celle qu’il convient d’appliquer en l’espèce : le recours de l’article 77 n’est donc pas ouvert aux appelants pour des manquements allégués à la partie VII.  [Je souligne.]

(2006 CAF 374 (CanLII), [2007] 3 R.C.F. 3, par. 74)

[22] Les appelants conviennent que la question débattue dans le présent pourvoi relève complètement de l’application de la partie IV de la LLO et ne vise pas les obligations pouvant découler de la partie VII.

[23] Il est clair, à la seule lecture du texte de la loi, que la distinction entre la partie IV et la partie VII est importante.  […]

[55] Il est important, cependant, d’apporter deux précisions quant à la portée du principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services.  Premièrement, les obligations qui découlent de la partie IV de la LLO ne requièrent pas que les services gouvernementaux atteignent un seuil minimal de qualité ou qu’ils répondent effectivement aux besoins en cause de chaque communauté de langue officielle.  Il se peut que les services soient de qualité égale dans les deux langues, mais inadéquats, ou même de mauvaise qualité, et qu’ils ne satisfassent pas aux besoins de l’une ou l’autre communauté linguistique en matière de développement économique communautaire.  Une lacune à cet égard tiendrait peut-être à un manquement aux obligations imposées par la LMI [Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1], comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale en l’espèce.  Ou encore, comme semblait le croire la Commissaire, il pourrait s’agir d’un manquement à des obligations découlant de la partie VII.  Je reviendrai sur ce point.

[…]

[63] Chose certaine, bien que les parties contestent le nombre des projets de CALDECH qu’Industrie Canada aurait réellement appuyés, le fait que CALDECH a réussi à toucher la communauté linguistique minoritaire et à l’engager dans de nombreux projets de développement économique communautaire démontre qu’il y a un besoin réel de tels services au sein de la communauté francophone de la Huronie et qu’il est possible d’y répondre.  Mais je ne peux conclure que le défaut de combler cette carence relève du principe de l’égalité linguistique en matière de communications et de prestation de services tel que mis en œuvre par la partie IV de la LLO.  Tout comme le juge d’instance Harrington, j’estime que les arguments des appelants se rapportent essentiellement à de prétendues violations de la partie VII de la LLO.  Il est notable que, dans chacun de ses trois rapports, la Commissaire a fait une distinction nette entre les obligations résultant du principe de l’égalité en matière de communications et de prestation de services prévue à la partie IV et celles qui découlent de l’engagement du gouvernement de favoriser l’épanouissement et le développement des minorités linguistiques énoncé à la partie VII.  Elle a, dans tous ses rapports, situé l’obligation de prendre en considération et de répondre aux besoins et préoccupations particuliers de la communauté d’affaires de langue française du comté de Simcoe en matière de développement économique dans le cadre de la partie VII.

[64] Bien sûr, comme nous l’avons vu, le rôle de la Commissaire est tout à fait distinct de celui du tribunal et ses conclusions ne lient pas le tribunal qui entend un recours fondé sur l’art. 77.  Par exemple, la Commissaire n’a pas à se préoccuper outre mesure des distinctions entre les diverses parties de la LLO, puisque c’est un rapport assorti de recommandations qu’elle produit, et non une ordonnance assortie de réparations.  Il peut aussi très bien y avoir chevauchement entre les obligations prévues par la partie IV et celles énoncées à la partie VII.  Puisque les questions de la nature et de la portée des obligations pouvant découler de la partie VII de la LLO n’ont pas été soulevées devant la Cour, je ne me prononce pas sur le bien-fondé des observations de la Commissaire quant aux obligations pouvant résulter de la partie VII.  Cela dit, je conclus par contre, tout comme la Commissaire a semblé le faire dans ses rapports et le juge d’instance l’a constaté, que les carences en cause en l’espèce dépassent nettement le champ d’application de la partie IV.

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[343] Les appelants au pourvoi incident allèguent que la juge de première instance a commis une erreur de droit en omettant d’examiner la question de savoir si, en vertu de la partie VII de la LLOC [Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.)] (Promotion du français et de l’anglais), le GDC [gouvernement du Canada] avait l’obligation de promouvoir activement les services de langue française dans les TNO [Territoires du Nord-Ouest]. Ils font également valoir que cette obligation n’a jamais été déléguée au GTNO [gouvernement des Territoires du Nord-Ouest] et ne pouvait pas l’être. Ils appuient leur argument sur l’article 41 de la LLOC. Modifiée le 25 novembre 2005, cette disposition prévoyait auparavant :

41. Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

[344] Par l’entrée en vigueur le 25 novembre 2005 de la Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), L.C. 2005, ch. 41, la numérotation a changé, l’article 41 est devenu le paragraphe 41(1) et les dispositions suivantes ont été ajoutées :

(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en oeuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en oeuvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces.

(3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique et le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente partie leur impose.

[345] Ce motif d’appel est rejeté pour plusieurs raisons.

[346] Premièrement, nous faisons nôtre le raisonnement de la Cour d’appel fédérale portant que l’article 41 de la LLOC (maintenant le paragraphe 41(1)) est simplement déclaratoire et qu’il ne peut être sanctionné par les tribunaux : Forum des maires C.A.F., au paragraphe 46. Bien qu’il soit possible que les paragraphes (2) et (3) imposent au GDC une obligation de promouvoir activement les langues des minorités, ces paragraphes ont été adoptés après la fin du présent litige et longtemps après que soient survenus la plupart des événements pertinents en l’espèce. Conformément aux articles 6 et 10 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, la LLOC doit être interprétée telle qu’elle était au moment où les événements en litige se sont déroulés.

[347] Dans la décision Forum des maires C.A.F., la cour a fait référence aux débats du Parlement et du Sénat qui divulguaient que les partisans (sénateurs et députés) de la LLOC estimaient que l’article 41 était simplement de nature déclaratoire et ne pouvait être sanctionné par les tribunaux. Ceci était appuyé en preuve par les tentatives faites pour modifier la disposition et la rendre exécutoire (telle qu’elle est maintenant en application des paragraphes (2) et (3)). La cour a également souligné la similarité entre le libellé de l’article 41 et le septième « attendu que » du préambule de la LLOC (se distinguant ainsi d’autres dispositions à caractère obligatoire). De même, la cour a commenté la note marginale accompagnant le texte anglais, « Government policy » ([Traduction] politique gouvernementale), qui confirme également la nature déclaratoire de cette disposition. Cette preuve étayait la conclusion de la cour selon laquelle l’article 41 de la LLOC énonçait simplement un principe et n’était pas susceptible d’être sanctionné par les tribunaux.

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[43] Les parties VII et VIII de la LLO décrivent pour leur part les obligations et responsabilités des institutions fédérales pour ce qui est de favoriser la vitalité et l’épanouissement des minorités francophones et anglophones au Canada. La partie VII s’intitule « Promotion du français et de l’anglais ». Plus particulièrement, son paragraphe 41(1) énonce, depuis 1988, l’engagement général du gouvernement fédéral de « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada », de voir à « appuyer leur développement », ainsi que de « promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ». En vertu du paragraphe 41(2), amendé en 2005, les institutions fédérales doivent prendre « des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement ».

[…]

[183] Je passe maintenant à la deuxième question de fond soulevée par la FFCB, soit l’argument voulant qu’il y ait eu entorse à la partie VII de la LLO, et plus particulièrement à son article 41. Pour décider si EDSC et la Commission ont fait défaut de se conformer à l’article 41, il faut encore une fois que cette disposition (et plus globalement la partie VII) s’applique dans le contexte de l’Entente et des prestations et mesures offertes par la Colombie-Britannique. Il n’est pas contesté que ce soit le cas. Le paragraphe 41(1) de la LLO dispose que « [l]e gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ». Pour sa part, le paragraphe 41(2) prescrit qu’il « incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement » (en anglais, « […] that positive measures are taken […] »). Il ne fait nul doute qu’EDSC et la Commission soient des institutions fédérales assujetties à cette obligation, et qu’elles le demeurent même dans le contexte d’une entente fédérale-provinciale de développement du marché du travail comme celle négociée avec la Colombie-Britannique. Et ce, même si les services d’aide à l’emploi offerts par la province aux termes de l’Entente le sont dans l’exercice de sa compétence législative.

[…]

[204] Il faut souligner en premier lieu que la partie VII diffère des autres parties de la LLO, et notamment de la partie IV également au centre du présent dossier. En effet, la partie VII édicte des obligations, alors que la partie IV crée des droits. Comme le dit la Cour suprême, « [i]l est clair, à la seule lecture du texte de la loi, que la distinction entre la partie IV et la partie VII est importante » (DesRochers CSC au para 23). En fait, la partie VII de la LLO est distincte du reste de la LLO (Picard c Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86 (CanLII) [Picard] au para 75). Ainsi, comme l’ont fait valoir avec justesse les défendeurs, la question qui se pose quand on parle de la partie VII n’est pas de déterminer si une mesure est en « violation » de cette partie, mais plutôt de savoir si l’institution fédérale a pris « des mesures positives ». Les dispositions de l’article 41 ne confèrent pas de droits aux Canadiens issus de minorités linguistiques; elles imposent plutôt aux institutions fédérales l’obligation d’œuvrer au bénéfice des communautés francophones et anglophones. Il y a ainsi une différence de formulation fondamentale entre la partie IV et la partie VII.

[205] D’ailleurs, la LLO n’attribue pas à la partie VII le même statut que les autres parties de la loi : « [l]e paragraphe 82(1) est particulièrement révélateur à cet égard, puisqu’il établit la primauté de certaines parties seulement de la Loi sur toute autre loi, et la partie VII n’est pas de celles-là » (Forum des maires au para 26). Seules les parties I à V de la LLO bénéficient de cette primauté. Il y a une certaine « asymétrie » dans la loi, pour reprendre le terme du juge Décary dans Forum des maires. Cette asymétrie reflète l’intention du législateur de ne pas traiter toutes les parties de la LLO de la même manière et sur un même pied. Bien sûr, la partie VII doit être lue en harmonie avec le reste de la LLO et avec ses objectifs fondamentaux de protection des minorités linguistiques et de promotion des langues officielles au Canada, mais elle joue dans un registre différent. On ne peut pas la mettre au même diapason que les autres parties. Le langage utilisé à la partie VII et le traitement que lui réserve le législateur dans la LLO le reflètent clairement.

[206] Incidemment, la jurisprudence établit plus particulièrement que l’article 41 de la LLO ne peut devenir une simple redite de la partie IV ou servir à faire renaître les obligations de la partie IV sous le déguisement d’une obligation de prendre « des mesures positives » sous la partie VII. La partie VII couvre autre chose que la partie IV (Picard au para 77). Autrement dit, les droits prévus sous la partie IV ne peuvent pas se réincarner sous les obligations de la partie VII et réapparaître sous le couvert de mesures positives. Le Commissaire a d’ailleurs exprimé son accord avec cette interprétation lors de l’audience devant la Cour. Ceci signifie que l’obligation de prendre des mesures positives ne peut avoir pour objet d’imposer indirectement le régime juridique de la partie IV à une situation où ce régime ne s’applique pas directement. Ce principe demeure tout aussi valide dans le contexte d’ententes de paiements de transfert comme l’Entente.

[…]

[210] Ainsi, on peut tirer de ces définitions que, dans le contexte de l’article 41, des mesures « positives » seront des mesures concrètes qui sont prises avec l’intention d’avoir un effet favorable au bénéfice des minorités linguistiques au Canada et qui constituent une étape constructive dans l’engagement du paragraphe 41(1), soit la progression vers leur épanouissement et leur développement et la promotion des deux langues officielles. Une chose apparaît certaine cependant : la notion de « suffisance » à laquelle la FFCB a abondamment référé lors de l’audience n’est pas incluse dans le texte de l’article 41. Il n’y a pas de seuil au paragraphe 41(2), explicite ou implicite; ce que fait le paragraphe, c’est simplement d’imposer l’obligation générale de prendre « des mesures positives ». Le critère à employer pour mesurer si l’obligation faite aux institutions fédérales est satisfaite n’en est pas un de suffisance; c’en est un de pertinence, au sens où les mesures se doivent d’être « positives ». C’est cette qualité qui est en cause et que les tribunaux doivent apprécier à la lumière de la preuve devant eux. Aussi, lorsque la FFCB soutient que les défendeurs auraient manqué de se conformer à leur obligation aux termes de la partie VII parce qu’ils auraient omis de prendre les « mesures positives suffisantes », elle ajoute à la disposition un qualificatif et une exigence qui ne s’y trouvent pas.

[…]

[221] Toute la structure et l’économie de l’article 41 s’articulent autour d’un premier paragraphe qui décrit l’engagement pris par le gouvernement fédéral envers les minorités linguistiques, d’un second qui édicte l’obligation générale faite aux institutions fédérales de prendre des mesures positives, et d’un troisième qui prévoit l’adoption de modalités plus précises d’application et de mise en œuvre par voie de règlement. Aucun règlement n’ayant été adopté à ce jour, il s’ensuit que la nature précise de l’obligation contenue au paragraphe 41(2) reste générale et indéterminée à ce jour, et n’a pas la spécificité que les règlements devaient et pourraient lui conférer.

[222] Un retour sur le contexte de l’adoption de l’article 41 vient appuyer et renforcir ce qui ressort du texte même de la disposition. L’article 41 de la LLO tel qu’on le connaît aujourd’hui tire son origine d’une modification législative apportée à la loi en novembre 2005 par l’adoption du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), LC 2005, c 41. Les paragraphes 41(2) et 41(3) actuels ont alors été ajoutés à la loi par le truchement d’un amendement, incorporant alors cette nouvelle obligation de prendre « des mesures positives » pour mettre en œuvre l’engagement de l’article 41. Le projet de loi S-3 était le résultat d’une initiative du défunt sénateur Jean-Robert Gauthier, décrit à juste titre par le juge Décary comme « un des plus ardents défenseurs des droits linguistiques au Canada » (Forum des maires au para 44). Ce projet de loi avait été mis en branle en réponse à la position du gouvernement fédéral voulant que l’article 41 n’ait qu’un pouvoir déclaratoire et non-exécutoire. L’amendement répondait aussi à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Forum des maires, où la Cour avait conclu que l’article 41 d’alors ne créait pas de droit ou d’obligation susceptible d’être sanctionné par les tribunaux (Forum des maires au para 46). L’objectif, pour reprendre les mots qui semblent avoir été popularisés à l’origine par le sénateur Gauthier, était de donner des « dents » à la partie VII de la LLO.

[…]

[239] Un dernier mot sur l’objet de la loi. L’article 41 de la LLO fait état d’un « engagement » du gouvernement fédéral, soit celui de contribuer à la vitalité et l’épanouissement des CLOSM et à la promotion des deux langues officielles au Canada. Cet engagement reprend les grandes lignes d’un des attendus contenus au préambule de la loi et fait aussi écho à l’objet même de la LLO contenu à son article 2b). De plus, la partie VII de la LLO, qui s’intitule « Promotion du français et de l’anglais », a pour fondement les paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte, car elle a pour effet de codifier l’obligation du gouvernement fédéral de veiller au développement des communautés de langues officielles.

[…]

[243] La FFCB (appuyée en cela par le Commissaire) suggérait de son côté que les mesures positives acceptables devraient concerner la même communauté linguistique, le même territoire (soit la province visée), et le même champ d’application que ce qui a fait l’objet de la plainte logée devant le Commissaire et de l’atteinte alléguée à l’épanouissement de la minorité linguistique visée. Je suis d’accord avec les critères d’une même communauté linguistique et d’un même territoire compte tenu du langage relatif à l’engagement du gouvernement fédéral au paragraphe 41(1) : on y parle de favoriser l’épanouissement « des minorités francophones et anglophones du Canada », et une interprétation large et libérale de cette disposition cadre avec l’idée qu’on puisse ici référer à des communautés linguistiques spécifiques sur une partie du territoire canadien (soit une province).

[…]

[257] Cela demeure vrai en matière de droits linguistiques. L’interprétation large et libérale préconisée en matière linguistique ne doit pas faire fi des règles d'interprétation reconnues (Thibodeau CSC au para 112; Charlebois aux para 23-24; Desrochers CAF au para 41). Comme l’a souligné le juge Décary dans Forum des maires, « ce n’est pas parce qu’une loi est qualifiée de quasi-constitutionnelle que les tribunaux doivent lui faire dire ce qu’elle ne dit pas » (Forum des maires au para 40). Certes, les tribunaux doivent toujours considérer le régime légal comme une « solution de droit » et l’interpréter « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, art 12). Ceci signifie, bien évidemment, que, dans le contexte de la LLO, les droits linguistiques doivent toujours recevoir une interprétation large et libérale, compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada (Beaulac au para 25; FCFA au para 26). Mais une interprétation large et libérale des droits linguistiques ne peut transformer une obligation générale d’agir en une série de prescriptions ciblées alors que le législateur ne l’a pas dit et n’avait pas l’intention de le dire, et qu’il a spécifiquement réservé au pouvoir exécutif le droit et le devoir de le faire. Ce serait ignorer la retenue pour laquelle le législateur a clairement opté à la partie VII, et imposer aux institutions fédérales des obligations linguistiques que les pouvoirs législatif et exécutif se sont jusqu’à maintenant gardés d’exiger d’elles.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada c. Canada (Procureur général), [2012] 2 RCF 23, 2010 CF 999 (CanLII)

[20] En l’espèce, la nature de la question en litige touche l’action administrative gouvernementale eu égard à une loi qui a un statut quasi-constitutionnel. Étant appelée à déterminer si le Décret du 12 août 2010 [lequel établit à dix (10) le nombre de questions qui feront partie du recensement de 2011] enfreint la Partie VII de la Loi sur les langues officielles, la Cour doit interpréter la Loi en l'occurrence son article 41. Puisque la Cour est amenée à interpréter une disposition législative, elle doit donc le faire en suivant la norme de la décision correcte.

[…]

[37] Il convient donc à ce stade-ci d’examiner de plus près l’article 41 de la Loi sur les langues officielles.

[38] Tel que mentionné plus haut, la FCFA [Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada] s’appuie sur le paragraphe 41(2) de la Loi qui impose aux institutions fédérales de veiller à ce que des mesures positives soient prises afin de favoriser l’épanouissement des communautés minoritaires (paragraphe 41(1)). Selon la FCFA, le recensement long à caractère obligatoire fait partie de telles mesures positives dont il est fait mention au paragraphe 41(2) et, partant, en adoptant le Décret du 12 août 2010, le gouvernement a violé ses obligations imposées par la Loi.

[39] Il faut préciser que les paragraphes 41(2) et 41(3) de la Loi sur les langues officielles ont effectué leur entrée dans ladite Loi par le truchement d’un amendement en 2005 et ont un caractère exécutoire (DesRochers). Tel que noté plus tôt, le paragraphe 41(2) rappelle qu’il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives afin de mettre en œuvre le paragraphe 41(1) qui lui, demeure déclaratoire d’engagements en matière d’épanouissement des minorités francophones et anglophones. Le paragraphe 41(3) précise que le gouverneur en conseil peut définir les modalités d’exécution des obligations des institutions fédérales dont il est question au paragraphe 41(2) par règlement.

[40] Or, la Partie VII de la Loi – plus particulièrement son paragraphe 41(2) – ne contraint d’aucune manière le gouvernement à la collecte de quelques données que ce soit via le recensement. Du coup, elle n’impose a fortiori aucunement la collecte de données au moyen d’un questionnaire obligatoire long. En fait, aucune disposition de la Partie VII de la Loi, ni aucune autre partie de cette Loi – ni d’ailleurs de la Charte – ne requiert la collecte de données au moyen du recensement comme condition sine qua non de la base de l’octroi des droits qu’elle protège.

[41] Dans les circonstances, la Cour est d’avis qu’il n’existe pas de fondement législatif sur la base duquel des mesures positives puissent être interprétées comme comportant le devoir de recueillir des données par la voie d’un questionnaire long à caractère obligatoire. Le seul fondement législatif en cause est celui de la Loi sur la statistique relatif à l’obligation de tenir un recensement (articles 19 et 21). Or, la façon dont le recensement s’opère et la méthodologie sont laissées à la discrétion du gouvernement et la Cour est d’avis que ni la Partie VII de la Loi sur les langues officielles ni son article 41 n’imposent au gouverneur en conseil une méthodologie particulière en la matière. En effet, rien n’indique que le législateur en adoptant le paragraphe 41(2) de la Loi ait eu l’intention de restreindre le pouvoir et la discrétion du gouverneur en conseil de prendre des actes de législation déléguée autorisés par d’autres lois fédérales, nommément la Loi sur la statistique.

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[105] Comme il a été décidé dans la décision Institut professionnel de la fonction publique, le critère d'objectivité sous le régime de l'article 91 de la LLO « doit être étudié non seulement dans le cadre d'une désignation individuelle requise afin de répondre à une demande de services dans les deux langues, mais également en fonction des obligations « proactives » imposées aux institutions fédérales, qui doivent promouvoir l'emploi d'une langue officielle dans un milieu minoritaire ». Comme l'a fait remarquer le juge Joyal dans la décision Institut professionnel de la fonction publique, la Cour est d'avis que :

[...] le volet fonctionnel ou proactif des politiques linguistiques est non seulement compatible avec les obligations légales de l'intimée, mais il encourage les pratiques efficaces. En d'autres termes, l'intimée doit instaurer un certain niveau de services bilingues, et non se contenter simplement de répondre à des demandes individuelles ou collectives. Autrement, le syndrome décrit en 1967 se perpétuerait indéfiniment et, de plus en plus, l'intimée ne respecterait qu'en paroles les obligations légales que le Parlement lui a imposées.

Voir également : Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner c. Via Rail Canada, 2009 CF 857 (CanLII), Temple c. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 RCF 80, 2009 CF 858 (CanLII)

Voir également :

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

Annotations – Décisions antérieures aux modifications législatives de 2005

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[33] L'article 41 de la Loi fait état d'un « engagement » du gouvernement fédéral (« committed » dans le texte anglais) qui reprend à toutes fins utiles le septième attendu du préambule de la Loi. Le préambule, selon l'article 13 de la Loi d'interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21), « fait partie du texte et en constitue les motifs » (« shall be read as a part of the enactment intended to assist in explaining its purport and object »). L'article 41 fait aussi écho, encore qu'en des termes non identiques, à l'objet défini à l'alinéa 2b) de la Loi.

[…]

[36] Il est aussi intéressant de noter que l'article 41, tout comme le septième attendu et tout comme l'objet défini à l'alinéa 2b) de la Loi, utilisent des termes qui n'évoquent pas la notion d'une obligation légale, contrairement à ceux utilisés dans d'autres articles, dans l'objet défini à l'alinéa 2a) ("assurer", "ensure") et dans d'autre attendus. Et dans la mesure où il est permis de s'inspirer d'une note marginale pour interpréter une loi (voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed., Markham, Butterworths, 2002, pp. 309-311), je constate que la note marginale qui accompagne le texte anglais de l'article 41 se lit "Government policy".

[37] Il faut de plus constater qu'alors que les articles ou parties de la loi mentionnés au paragraphe 77(1) ou au paragraphe 82(1) visent des documents, des actes ou des activités précises, identifiés ou identifiables (les débats parlementaires, les actes législatifs, les décisions des tribunaux, la prestation de services, la langue de travail ou la dotation en personnel), les articles et parties non mentionnés aux dits paragraphes (telles la partie VI, "participation des canadiens d'expression française et d'expression anglaise", et la partie VII, "promotion du français et de l'anglais") visent plutôt des objectifs à long terme dont la réalisation dépend de l'existence d'une volonté politique.

[38] Bref, l'intimé et les intervenantes voudraient que la Cour modifie l'article 41 de la Loi et rende mandatoire ce qui, à sa face même, n'est qu'un engagement politique et que la Cour ajoute au paragraphe 77(1) et à l'article 82 les mots « partie VII ». Ce serait là faire violence non seulement au texte de la Loi mais aussi à l'intention explicite et implicite du Parlement d'exclure ces champs de l'intervention judiciaire.

[…]

[44] Nous rallier à l'interprétation que proposent l'intimé et les intervenantes relativement à l'article 41 de la Loi sur les langues officielles équivaudrait, à mon avis, à faire fi de l'intention clairement exprimée par le législateur et à reconnaître des droits que non seulement le Parlement n'a pas reconnus mais qu'il a de plus pris soin de ne pas reconnaître. C'est au Parlement que le débat relatif à l'article 41 doit se faire, pas devant les tribunaux. C'est d'ailleurs la voie qu'a suivie, en vain jusqu'à ce jour, le sénateur Jean-Robert Gauthier, un des plus ardents défenseurs des droits linguistiques au Canada. Ce dernier est revenu à la charge à plusieurs reprises, au cours des trois dernières années, pour faire modifier l'article 41 et le rendre exécutoire. Sa dernière tentative remonte au 11 mars dernier, lorsqu'il proposait en ces termes l'adoption en troisième lecture du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais) (Débats du Sénat), 3e session, 37e Législature, vol. 141, no 20, 11 mars 2004 à la page 541):

Présentement, aucun règlement ne régit la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Par conséquent, il n'y en a aucun pour l'article 41. Une loi sans règlement est un chien de garde qui n'a pas de dents ou un chien de poche, comme on disait autrefois. Il faut donner à la loi un pouvoir exécutoire accompagné, bien sûr, de règlements. De plus, il faut permettre à la commissaire aux langues officielles d'intervenir dans tout recours aux termes de la partie VII, ce qui lui est défendu également en vertu de l'article 77(1). Elle ne peut pas nous aider et les communautés ne peuvent pas aller devant les tribunaux, parce que l'article 41 n'est pas justiciable. La commissaire aux langues officielles est donc écartée, et non de sa volonté propre, car c'est elle-même qui a recommandé que nous donnions du mordant à la loi afin qu'elle puisse nous aider. C'est ce que j'ai fait.

[45] Le Sénat devait éventuellement adopter ce projet de loi le 11 mars 2004, mais le Parlement a été dissous avant qu'il ne soit soumis à la Chambre des communes.

[46] Ma lecture de la Loi m'amène ainsi à la conclusion que l'article 41 est déclaratoire d'un engagement et qu'il ne crée pas de droit ou d'obligation susceptible en ce moment d'être sanctionné par les tribunaux, par quelque procédure que ce soit.

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

Raîche c. Canada (Procureur général), [2005] 1 RCF 93, 2004 CF 679 (CanLII)

[16] Dans son rapport qui a été présenté au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, la Commission [de délimitation des circonscriptions électorales fédérales] a maintenu sa recommandation que la paroisse d'Allardville et une partie des paroisses de Saumarez et de Bathurst soient transférées de la circonscription électorale fédérale d'Acadie-Bathurst à celle de Miramichi.

[17] En février 2003, après l'émission du rapport de la Commission, la commissaire aux langues officielles (la commissaire) a reçu trois plaintes contre la Commission. Les plaignants contestaient les changements de délimitation des circonscriptions électorales proposés par la Commission à l'égard de la circonscription Acadie-Bathurst.

[18] La commissaire a jugé les plaintes recevables. L'enquête avait pour objectif d'évaluer dans quelle mesure la Commission avait tenu compte de l'article 41 de la Loi sur les langues officielles, lorsqu'elle a décidé de redéfinir les nouvelles limites de la circonscription électorale d'Acadie-Bathurst.

[19] La commissaire a conclu que l`engagement prévu à la partie VII de la LLO obligeait la Commission à évaluer les inconvénients et conséquences néfastes que la communauté minoritaire de langue officielle percevait, compte tenu des conséquences des changements apportés à la circonscription sur le développement et l'épanouissement de la communauté francophone. La commissaire a conclu:

Le rapport de la Commission ne m'a pas convaincue qu'elle a pleinement examiné l'impact de ses recommandations sur le développement et l'épanouissement de la communauté minoritaire de langue officielle de la circonscription d'Acadie-Bathurst, et ne me permet pas de conclure que la Commission a satisfait aux responsabilités qui lui incombent à cet égard en vertu de l'article 41 de la Loi sur les langues officielles [. . .]

[87] La commissaire prétend qu'il ne s'agit pas d'une question de préséance entre deux lois puisque il n'existe pas d'incompatibilité entre les obligations imposées par la Loi sur la révision [des limites des circonscriptions électorales] et celles imposées par la LLO. La commissaire souligne que le défendeur lui-même soumet ce point dans son mémoire.

[88] La Cour est également d'accord avec cette prétention. La Loi sur la révision impose à la Commission l'obligation de tenir compte de la communauté d'intérêts, incluant une communauté d'intérêts définie par la langue française, et la LLO requiert que des institutions gouvernementales favorisent « l'épanouissement des minorités francophones [. . .] du Canada. » En effet, les deux lois ont des buts semblables.

[89] Le défendeur soutient que la partie VII de la LLO est déclaratoire plutôt qu'exécutoire et que ni le gouvernement fédéral ni les institutions fédérales sont obligés de toujours donner suite à la partie VII de la LLO.

[90] Sur ce point la Cour est d'accord avec le défendeur. La Cour ne croit pas que la terminologie employée à l'article 41 est ambiguë. Il est clair, tel que le soumet la Commissaire, que le ministre du Patrimoine canadien doit encourager les institutions gouvernementales à appuyer le développement des minorités francophones. Mais, selon la Cour, l'interprétation de la LLO est telle que la législation n'oblige pas les institutions gouvernementales à faire ceci. Faisant référence à la version anglaise, l'article 42 utilise le mot « shall » en parlant des obligations du gouvernement, mais n'utilise pas ce mot en décrivant le rôle des institutions gouvernementales.

[91] Quelques autres parties de la LLO utilisent des mots impératifs en décrivant le rôle des institutions gouvernementales. La différence entre la terminologie utilisée dans la partie VII et celle que l'on retrouve dans les autres parties suggère que l'article 42 est déclaratoire, et non pas exécutoire.

[92] Finalement, le défendeur prétend que la partie X de la LLO, qui décrit les recours judiciaires disponibles, ne donne pas droit à un recours sous le régime de la partie VII parce que la partie X ne donne pas le droit au requérant de demander le contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu de la partie VII.

[93] Cependant, la commissaire soumet que la Cour a le pouvoir d'intervenir dans les décisions rendues sous la partie VII de la LLO.

[94] Les deux parties invoquent de la jurisprudence différente pour soutenir leurs arguments. En fait, la Cour d'appel a tiré deux constatations opposées à ce sujet. Comme la commissaire le prétend, dans la décision Devinat, la Cour a conclu qu'elle a le pouvoir de réviser une décision impliquant des parties de la LLO qui ne tombent pas sous la partie X, conformément à la juridiction générale accordée à la Cour de réviser des décisions des tribunaux.

[95] Par ailleurs, la Cour d'appel a aussi conclu dans la décision Ayangma que la partie X de la LLO interdit au requérant d'avoir un contrôle judiciaire en ce qui concerne les questions impliquant les parties de la LLO qui ne sont pas nommées sous la partie X.

[96] La Cour estime que la décision de la Cour d'appel dans Devinat s'applique. Dans Devinat la Cour a invoqué le Comité judiciaire du conseil privé quand il a dit [Board v. Board, 1919 CanLII 546 (UK JCPC), [1919] A.C. 956, à la page 962]:

[TRADUCTION] Si le droit existe, il faut présumer qu'il existe un tribunal qui peut le faire respecter, car si aucun autre mode d'exercice n'est prescrit, ce fait à lui seul suffit pour conférer compétence aux cours de justice du Roi. Pour les priver de leur compétence, il est nécessaire, en l'absence de loi spéciale excluant cette compétence, de plaider que celle-ci a été conférée à quelque autre tribunal.

[97] Puisque ce principe est si fondamental à la loi, la Cour n'interprétera pas la loi de manière à ce que la loi cède un droit mais exclut un recours, à moins que la loi exclu ce recours expressément.

[98] Dans le cas de la LLO, la loi n'a pas expressément exclu un recours. Ainsi, en vertu de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a la compétence d'entendre le contrôle judiciaire.

Norme de contrôle

[99] Le norme de contrôle de la décision de la Commission rendue en vertu de la partie VII de la LLO est semblable à la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission rendues en vertu de la Loi sur la révision. Il y a, quand même, quelques différences importantes.

[100] Par contre, la Commission a la discrétion de décider s'il est approprié d'invoquer la partie VII de la LLO.[101] Étant donné que la partie VII est déclaratoire, la Cour doit démontrer beaucoup de déférence à la Commission.

[102] La question en litige en l'espèce est une question de fait. Eu égard aux facteurs, la norme de contrôle est la norme manifestement déraisonnable.

[103] La constatation de la Cour que la Commission a enfreint la Loi sur la révision est aussi applicable ici. La Commission a décidé qu'en transférant des paroisses de la circonscription d'Acadie-Bathurst à celle de Miramichi, elle respectait la communauté d'intérêts des paroisses. Cette décision, pourtant, est erronée parce qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve devant elle. De plus, en disant que l'ajout des acadiens à la circonscription de Miramichi allait augmenter le pourcentage des acadiens et ensuite allait augmenter le pouvoir politique de la collectivité acadienne est manifestement déraisonnable, car le pourcentage des francophones n'augmentait pas avec l'addition des paroisses de Saumarez, Allardville et Bathurst à la circonscription de Miramichi.

[104] La Cour estime que la Commission a essayé d'appliquer la partie VII de la LLO, selon l'intention du législateur, mais elle n'a pas réussi à le faire parce que sa constatation des questions de fait était erronée. La Cour annule donc la décision de la Commission.

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

Canada (Commissaire Aux Langues Officielles) c. Canada (Ministre de la Justice), 2001 CFPI 239 (CanLII)

[84] Il est clair, tant par l'écriture de ces articles 2 et 41 de la LLO tout comme l'article 16 de la Charte, que ceux-ci donnaient à cette époque et encore aujourd'hui, un message clair à l'ensemble des Canadiens quant à l'égalité du statut des deux langues officielles au Canada et de l'intention ferme du gouvernement d'oeuvrer à atteindre ce but ultime de l'égalité de statut entre les deux langues.

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[31] Enfin, le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, et à appuyer leur développement.

[…]

[36] Sous le régime de la partie VII de la Loi, le gouvernement s'engage également à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones, à appuyer leur développement et à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage de l'anglais et du français dans la société canadienne.

[…]

[55] Après avoir étudié la preuve, je conclus que l'argument de l'intimée satisfait au critère d'objectivité relatif à l'article 91 de la Loi sur les langues officielles. À mon humble avis, ce critère d'objectivité doit être étudié non seulement dans le cadre d'une désignation individuelle requise afin de répondre à une demande de services dans les deux langues, mais également en fonction des obligations "proactives" imposées aux institutions fédérales, qui doivent promouvoir l'emploi d'une langue officielle dans un milieu minoritaire.

[56] En l'espèce, il est évident que la Loi sur les langues officielles présente un tableau général et un tableau plus restreint. La Loi ne vise pas seulement à permettre l'emploi de nos langues officielles et à donner aux citoyens le droit de communiquer avec les institutions fédérales dans la langue de leur choix. Elle fait plus que cela. Elle vise à promouvoir l'emploi des deux langues ou, comme il est écrit dans le préambule de la Loi, à « favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones… et à appuyer leur développement ». Un tel engagement de principe du gouvernement fédéral impose une obligation double qui doit tôt ou tard se traduire concrètement.

[57] La première obligation consiste à veiller à ce que les institutions fédérales soient en mesure de respecter le droit d'un citoyen de communiquer avec elles ou d'en recevoir les services dans l'une ou l'autre langue. Il est vrai que la mesure dans laquelle on répond à des besoins ou dans laquelle on offre des services varie. Il ne faut pas perdre de vue la question principale, à savoir que l'objet de la Loi et l'intention du législateur ne sont mis à l'épreuve que relativement aux droits linguistiques des minorités d'une collectivité. Les droits linguistiques de la majorité de la même collectivité sont dynamiquement respectés et ne posent aucune difficulté.

[…]  

[63] J'aimerais maintenant me pencher sur ce qui, à mon avis, constitue la deuxième obligation légale des institutions fédérales. Si la protection du groupe linguistique majoritaire dans la fonction publique exige une marge de manœuvre étroite dans la désignation de certains postes, le préambule et l'article 41 de la Loi imposent une deuxième obligation. Mon interprétation de l'article 41 va dans le sens de la proposition selon laquelle des considérations de principe obligent l'intimée non seulement à réagir ou à répondre aux pressions exercées sur elle en vue d'obtenir des services bilingues plus nombreux ou plus efficaces, mais encore à élaborer des programmes visant la prestation de ces services là où le besoin se fait sentir, besoin que ne traduiraient pas nécessairement une analyse statistique du nombre des demandes de renseignements ou des dossiers, ou encore le pourcentage de francophones et d'anglophones dans un bureau fédéral particulier.

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

Annotations – Paragraphe 41(2)

DesRochers c. Canada (Industrie), [2009] 1 R.C.S. 194, 2009 CSC 8 (CanLII)

[18] La partie VII s’intitule « Promotion du français et de l’anglais » et, pendant  la période visée en l’espèce, l’art. 41, qui figure dans cette partie, était ainsi libellé :

41. Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

À l’époque du recours intenté par les appelants DesRochers et CALDECH, aucune disposition exécutoire ne s’ajoutait au texte déclaratoire de l’art. 41.  De plus, le recours prévu au par. 77(1) de la LLO et sur lequel s’appuie le recours en l’espèce ne concernait que les plaintes fondées sur les parties IV et V, la partie VII n’ayant été ajoutée au par. 77(1) qu’en 2005, par le truchement d’un amendement législatif (Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), L.C. 2005, ch. 41).

[19] En juillet 2004, soit quelques mois avant que le recours ne soit formé en l’espèce, la Cour d’appel fédérale conclut dans Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276, qu’un recours judiciaire ne peut être intenté sur la base d’une contravention alléguée à l’engagement énoncé dans la partie VII à l’art. 41.  En février 2005, notre Cour accorde une autorisation de pourvoi  à l’encontre de cette décision ([2005] 1 R.C.S. ix). En mai 2005, le juge Harrington entend le présent recours en première instance et décide de l’affaire en juillet, uniquement dans le cadre de la partie IV, conformément à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Forum des maires.

[20] Par la suite, le Parlement modifie la LLO pour y inclure la partie VII dans le par. 77(1) et y ajouter certaines dispositions exécutoires : voir par. 41(2) et (3).  L’autorisation d’appel accordée par la Cour dans l’affaire Forum des maires est alors retirée et déclarée sans effet.

[21] À la lumière de ces développements, voici comment la Cour d’appel fédérale statue sur la portée du recours en l’espèce :

À l’époque du recours intenté par les appelants, la modification législative n’avait pas encore été effectuée. En outre, elle n’est entrée en vigueur que le 25 novembre 2005, sans effet rétroactif.  En conséquence, la décision de notre Cour portant sur le texte du paragraphe 77(1), tel qu’il existait avant la modification, est celle qu’il convient d’appliquer en l’espèce : le recours de l’article 77 n’est donc pas ouvert aux appelants pour des manquements allégués à la partie VII.  [Je souligne.]

(2006 CAF 374 (CanLII), [2007] 3 R.C.F. 3, par. 74)

[22] Les appelants conviennent que la question débattue dans le présent pourvoi relève complètement de l’application de la partie IV de la LLO et ne vise pas les obligations pouvant découler de la partie VII.

[23] Il est clair, à la seule lecture du texte de la loi, que la distinction entre la partie IV et la partie VII est importante.  […]

[55] Il est important, cependant, d’apporter deux précisions quant à la portée du principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services.  Premièrement, les obligations qui découlent de la partie IV de la LLO ne requièrent pas que les services gouvernementaux atteignent un seuil minimal de qualité ou qu’ils répondent effectivement aux besoins en cause de chaque communauté de langue officielle.  Il se peut que les services soient de qualité égale dans les deux langues, mais inadéquats, ou même de mauvaise qualité, et qu’ils ne satisfassent pas aux besoins de l’une ou l’autre communauté linguistique en matière de développement économique communautaire.  Une lacune à cet égard tiendrait peut-être à un manquement aux obligations imposées par la LMI [Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1], comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale en l’espèce.  Ou encore, comme semblait le croire la Commissaire, il pourrait s’agir d’un manquement à des obligations découlant de la partie VII.  Je reviendrai sur ce point.

[…]

[63] Chose certaine, bien que les parties contestent le nombre des projets de CALDECH qu’Industrie Canada aurait réellement appuyés, le fait que CALDECH a réussi à toucher la communauté linguistique minoritaire et à l’engager dans de nombreux projets de développement économique communautaire démontre qu’il y a un besoin réel de tels services au sein de la communauté francophone de la Huronie et qu’il est possible d’y répondre.  Mais je ne peux conclure que le défaut de combler cette carence relève du principe de l’égalité linguistique en matière de communications et de prestation de services tel que mis en œuvre par la partie IV de la LLO.  Tout comme le juge d’instance Harrington, j’estime que les arguments des appelants se rapportent essentiellement à de prétendues violations de la partie VII de la LLO.  Il est notable que, dans chacun de ses trois rapports, la Commissaire a fait une distinction nette entre les obligations résultant du principe de l’égalité en matière de communications et de prestation de services prévue à la partie IV et celles qui découlent de l’engagement du gouvernement de favoriser l’épanouissement et le développement des minorités linguistiques énoncé à la partie VII.  Elle a, dans tous ses rapports, situé l’obligation de prendre en considération et de répondre aux besoins et préoccupations particuliers de la communauté d’affaires de langue française du comté de Simcoe en matière de développement économique dans le cadre de la partie VII.

[64] Bien sûr, comme nous l’avons vu, le rôle de la Commissaire est tout à fait distinct de celui du tribunal et ses conclusions ne lient pas le tribunal qui entend un recours fondé sur l’art. 77.  Par exemple, la Commissaire n’a pas à se préoccuper outre mesure des distinctions entre les diverses parties de la LLO, puisque c’est un rapport assorti de recommandations qu’elle produit, et non une ordonnance assortie de réparations.  Il peut aussi très bien y avoir chevauchement entre les obligations prévues par la partie IV et celles énoncées à la partie VII.  Puisque les questions de la nature et de la portée des obligations pouvant découler de la partie VII de la LLO n’ont pas été soulevées devant la Cour, je ne me prononce pas sur le bien-fondé des observations de la Commissaire quant aux obligations pouvant résulter de la partie VII.  Cela dit, je conclus par contre, tout comme la Commissaire a semblé le faire dans ses rapports et le juge d’instance l’a constaté, que les carences en cause en l’espèce dépassent nettement le champ d’application de la partie IV. 

CBC/Radio-Canada c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2015 CAF 251 (CanLII)

[4] En 2009, la SRC [Société Radio-Canada] a été forcée de couper substantiellement dans son budget dans tout le pays. En réponse à cela, elle a adopté un plan de redressement qui, entre autres choses, prévoyait des compressions financières quant au contenu local et régional élaboré par CBEF Windsor, la seule station de radio de langue française du SudOuest de l’Ontario. Ces compressions ont donné lieu à une réduction du nombre d’employés de CBEF Windsor de dix à trois, ont causé la disparition de trois émissions produites localement et ont occasionné une diminution du contenu local et régional de la programmation de 36,5 heures à 5 heures par semaine.

[5] La CLOSM [communauté de langue officielle en situation minoritaire] francophone du Sud-Ouest de l’Ontario (dont est membre le Dr Amellal, un des intimés) s’est opposée à ces compressions. Une association de bénévoles a été créée, le Comité SOS CBEF (le Comité), et des plaintes ont été présentées au commissaire et au CRTC [Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes] concernant l’impact négatif que ces compressions auraient sur la minorité francophone de cette région. Le CRTC n’agissant pas assez rapidement, le commissaire a entamé une enquête au titre de l’article 56 de la LLO.

[6] La SRC a refusé de collaborer à l’enquête du commissaire. Selon elle, le commissaire n’avait pas compétence pour faire un examen de ses activités de programmation et ces activités n’étaient pas assujetties aux obligations découlant de la LLO. Elle faisait plutôt valoir que ces questions relevaient vraiment de la compétence du CRTC.

[7] Le commissaire a néanmoins produit un rapport sur l’affaire en cause. Il a déclaré que la SRC n’avait pas consulté la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario avant les compressions budgétaires de 2009 et que, de même, elle n’avait pas effectué d’analyse relative à l’impact de ces compressions. Il a dénoncé l’impact négatif de ces compressions et conclu que la SRC n’avait pas rempli son obligation de prendre des « mesures positives » pour favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et appuyer leur développement (LLO, paragraphe 41(2)). Le commissaire a incité la SRC à revoir sa décision. La SRC refusant de ce faire, le commissaire a introduit une instance devant la Cour fédérale.

[…]

[74] De ce qui précède, il ne fait aucun doute que la véritable question en litige dans la présente instance est de savoir si le commissaire a compétence, sous le régime de la LLO, pour enquêter sur ce que la SRC affirme constituer ses activités de programmation. À cet égard, la SRC fait valoir, comme je l’ai déjà mentionné, que l’article 41 de la LLO est applicable à ses activités de programmation, dans la mesure où le CRTC prend ces considérations en compte dans l’exercice de sa compétence sous le régime de la LR [Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11]. Ainsi, à la lumière de ce qui précède, il ne peut être affirmé que la SRC s’oppose à l’application de l’article 41 à ses activités de programmation, mais qu’elle s’oppose au fait que le commissaire prétende avoir compétence pour enquêter sur des plaintes liées à la programmation qui se rapportent à l’objet de la LLO, à savoir les langues officielles. De point de vue de la SRC, ce genre de plainte relève exclusivement du CRTC aux termes de la LR.

[…]

[79] Comme je l’ai déjà mentionné, le juge était d’avis que l’ensemble de la plainte portée par le Dr Amellal et le Comité relevait tant de la compétence du commissaire que de celle du CRTC. Selon moi, ce ne peut être le cas. Je crois que je suis sur un terrain solide en m’exprimant ainsi, parce que le commissaire reconnaît luimême quil na pas compétence sur ce qui constitue de véritables activités de programmation. La question est donc de savoir si toutes les activités en cause de la SRC en l’espèce sont des activités de programmation et, le cas échéant, si elles relèvent nécessairement de la compétence exclusive du CRTC. Si l’une ou l’autre de ces activités n’est pas de la nature de la programmation, estelle dans le domaine de compétence du commissaire?

[80] Par conséquent, si nous acceptions de trancher la question de compétence en cause dans le présent appel, il nous appartiendrait d’examiner la preuve et de tirer les conclusions de fait nécessaires pour décider les questions de droit. Cela devrait être fait sans pouvoir bénéficier de l’opinion du juge sur les questions que j’ai soulevées. Dans les circonstances de la présente affaire, je suis d’avis qu’il serait très peu judicieux de notre part de procéder ainsi.

VI. Conclusion

[81] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel de la SRC, j’annulerais la décision de la Cour fédérale datée du 8 septembre 2014 et, prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais la demande présentée par le commissaire et le Dr Amellal en vertu de l’article 77 de la LLO. Dans les circonstances, je ne rendrais pas d’ordonnance quant aux dépens.

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[7] Pour les motifs qui suivent, la demande de la FFCB doit échouer. En effet, je suis d’avis que, dans les circonstances, la partie IV ne s’applique pas à l’Entente conclue entre le gouvernement fédéral et la Colombie-Britannique, puisque la fourniture des services d’aide à l’emploi prévue à l’Entente constitue un exercice valide de la compétence législative de la province et que, partant, la Colombie-Britannique n’agit pas « pour [le] compte » d’une institution fédérale. De plus, je suis satisfait qu’en regard de l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 41(2) de la LLO et de la preuve au dossier, les institutions fédérales en cause avaient pris « des mesures positives » au sens de la partie VII de la LLO au moment du dépôt de la plainte de la FFCB auprès du Commissaire. Puisqu’il n’y avait pas de violation ou d’inobservation de la LLO au moment du dépôt de la plainte de la FFCB, la Cour ne peut imposer de réparation. Cependant, la FFCB a droit à ses frais et dépens dans les circonstances.

[43] Les parties VII et VIII de la LLO décrivent pour leur part les obligations et responsabilités des institutions fédérales pour ce qui est de favoriser la vitalité et l’épanouissement des minorités francophones et anglophones au Canada. La partie VII s’intitule « Promotion du français et de l’anglais ». Plus particulièrement, son paragraphe 41(1) énonce, depuis 1988, l’engagement général du gouvernement fédéral de « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada », de voir à « appuyer leur développement », ainsi que de « promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ». En vertu du paragraphe 41(2), amendé en 2005, les institutions fédérales doivent prendre « des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement ».

[…]

[183] Je passe maintenant à la deuxième question de fond soulevée par la FFCB, soit l’argument voulant qu’il y ait eu entorse à la partie VII de la LLO, et plus particulièrement à son article 41. Pour décider si EDSC et la Commission ont fait défaut de se conformer à l’article 41, il faut encore une fois que cette disposition (et plus globalement la partie VII) s’applique dans le contexte de l’Entente et des prestations et mesures offertes par la Colombie-Britannique. Il n’est pas contesté que ce soit le cas. Le paragraphe 41(1) de la LLO dispose que « [l]e gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ». Pour sa part, le paragraphe 41(2) prescrit qu’il « incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement » (en anglais, « […] that positive measures are taken […] »). Il ne fait nul doute qu’EDSC et la Commission soient des institutions fédérales assujetties à cette obligation, et qu’elles le demeurent même dans le contexte d’une entente fédérale-provinciale de développement du marché du travail comme celle négociée avec la Colombie-Britannique. Et ce, même si les services d’aide à l’emploi offerts par la province aux termes de l’Entente le sont dans l’exercice de sa compétence législative.

[184] Toutefois, l’analyse ne s’arrête pas là. La question en litige est de déterminer si, à la lumière des faits et du droit applicable, EDSC et la Commission se sont effectivement conformés à leur obligation de prendre « des mesures positives » pour mettre en œuvre l’engagement prévu à l’article 41.

[185] Pour les raisons qui suivent, je suis satisfait qu’en regard de l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 41(2) de la LLO et de la preuve au dossier, les institutions fédérales en cause avaient pris « des mesures positives » au sens de la partie VII de la LLO au moment du dépôt de la plainte de la FFCB auprès du Commissaire. Ce n’est donc pas une situation où EDSC et la Commission ont manqué à leurs obligations aux termes de la partie VII. La FFCB et le Commissaire maintiennent que les défendeurs auraient dû prendre davantage de mesures, que celles-ci auraient dû être plus ciblées sur les services d’aide à emploi ou encore qu’ils auraient dû en prendre de plus spécifiques eu égard à la clause linguistique contenue dans l’Entente, pour ainsi mieux appuyer l’épanouissement de la minorité francophone en Colombie-Britannique. Toutefois, ce faisant (et je le dis avec égards), ils se méprennent sur le contenu et la portée de l’obligation de « prendre des mesures positives » contenue au paragraphe 41(2) de la LLO. La question n’est pas de savoir si d’autres mesures positives auraient pu être prises par les défendeurs, ou si ces autres mesures seraient possibles ou souhaitables. La question est de déterminer si les défendeurs en ont prises et si elles contribuent aux objectifs de l’article 41.

[…]

[202] Le recours entrepris par la FFCB au niveau de la partie VII oblige d’abord de préciser la portée et l’étendue de l’obligation de prendre « des mesures positives » contenue à l’article 41. Ceci requiert, comme le veut la méthode bien acceptée d’interprétation des lois, de considérer le texte même de la loi, son contexte ainsi que son objet. Il faut s’arrêter au langage utilisé par le législateur dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur. Bien sûr, l’interprétation large et libérale qui doit prévaloir en matière de droits linguistiques continue de chapeauter la démarche.

[…]

[204] Il faut souligner en premier lieu que la partie VII diffère des autres parties de la LLO, et notamment de la partie IV également au centre du présent dossier. En effet, la partie VII édicte des obligations, alors que la partie IV crée des droits. Comme le dit la Cour suprême, « [i]l est clair, à la seule lecture du texte de la loi, que la distinction entre la partie IV et la partie VII est importante » (DesRochers CSC au para 23). En fait, la partie VII de la LLO est distincte du reste de la LLO (Picard c Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86 (CanLII) [Picard] au para 75). Ainsi, comme l’ont fait valoir avec justesse les défendeurs, la question qui se pose quand on parle de la partie VII n’est pas de déterminer si une mesure est en « violation » de cette partie, mais plutôt de savoir si l’institution fédérale a pris « des mesures positives ». Les dispositions de l’article 41 ne confèrent pas de droits aux Canadiens issus de minorités linguistiques; elles imposent plutôt aux institutions fédérales l’obligation d’œuvrer au bénéfice des communautés francophones et anglophones. Il y a ainsi une différence de formulation fondamentale entre la partie IV et la partie VII.

[205] D’ailleurs, la LLO n’attribue pas à la partie VII le même statut que les autres parties de la loi : « [l]e paragraphe 82(1) est particulièrement révélateur à cet égard, puisqu’il établit la primauté de certaines parties seulement de la Loi sur toute autre loi, et la partie VII n’est pas de celles-là » (Forum des maires au para 26). Seules les parties I à V de la LLO bénéficient de cette primauté. Il y a une certaine « asymétrie » dans la loi, pour reprendre le terme du juge Décary dans Forum des maires. Cette asymétrie reflète l’intention du législateur de ne pas traiter toutes les parties de la LLO de la même manière et sur un même pied. Bien sûr, la partie VII doit être lue en harmonie avec le reste de la LLO et avec ses objectifs fondamentaux de protection des minorités linguistiques et de promotion des langues officielles au Canada, mais elle joue dans un registre différent. On ne peut pas la mettre au même diapason que les autres parties. Le langage utilisé à la partie VII et le traitement que lui réserve le législateur dans la LLO le reflètent clairement.

[206] Incidemment, la jurisprudence établit plus particulièrement que l’article 41 de la LLO ne peut devenir une simple redite de la partie IV ou servir à faire renaître les obligations de la partie IV sous le déguisement d’une obligation de prendre « des mesures positives » sous la partie VII. La partie VII couvre autre chose que la partie IV (Picard au para 77). Autrement dit, les droits prévus sous la partie IV ne peuvent pas se réincarner sous les obligations de la partie VII et réapparaître sous le couvert de mesures positives. Le Commissaire a d’ailleurs exprimé son accord avec cette interprétation lors de l’audience devant la Cour. Ceci signifie que l’obligation de prendre des mesures positives ne peut avoir pour objet d’imposer indirectement le régime juridique de la partie IV à une situation où ce régime ne s’applique pas directement. Ce principe demeure tout aussi valide dans le contexte d’ententes de paiements de transfert comme l’Entente.

[207] Si on regarde maintenant les mots utilisés au paragraphe 41(2), la loi dit qu’il « incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives » [je souligne]. « [D]es » est un article indéfini, et on peut en déduire que la disposition n’établit pas de seuil minimal ou de nombre minimal de mesures positives à atteindre. Le texte suggère qu’il s’agit d’une obligation générale de faire quelque chose et non d’une obligation dirigée vers un résultat précis. Le seul caractère que doivent revêtir les mesures, c’est d’être « positives ».

[208] L’usage de l’article indéfini « des » suggère aussi l’octroi d’une discrétion aux institutions fédérales. La jurisprudence établit d’ailleurs que le texte de l’article 41 laisse une latitude appréciable aux institutions fédérales dans le choix des mesures positives. Dans l’affaire Picard, la juge Tremblay-Lamer reconnaît ainsi « que les décisions des institutions fédérales destinées à donner suite à l’engagement du gouvernement en vertu de la partie VII ont droit à une certaine déférence des tribunaux » (Picard au para 75). Dans le même esprit, le juge Martineau dit dans Canada (Commissaires aux langues officielles) c Radio-Canada, 2014 CF 849 (CanLII), inf pour d’autres motifs par 2015 CAF 251 (CanLII) [Radio-Canada CF] que « [l]e choix des mesures positives les plus aptes à mettre en œuvre l’engagement du gouvernement est, en principe, laissé à chaque institution, sous réserve bien entendu de tout règlement applicable et des pouvoirs de supervision ou de coordination que le ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles et le président du Conseil du Trésor, peuvent posséder en la matière » (Radio-Canada CF au para 41). En l’absence de règlement qui pourrait en circonscrire l’amplitude, la discrétion laissée aux institutions fédérales demeure donc entière. Ceci s’explique aisément. Les institutions fédérales sont les mieux placées pour déterminer, à l’intérieur du mandat institutionnel qui est le leur, quelles sont les mesures positives précises et spécifiques les mieux indiquées et les plus appropriées pour rencontrer l’engagement de favoriser l’épanouissement des minorités linguistiques et de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

[209] L’expression « mesures positives » n’est pas définie dans la LLO. Elle n’est pas non plus reprise ailleurs dans la loi; on ne la retrouve qu’à l’article 41. Selon les représentations de l’avocate des défendeurs faites à l’audience, l’adjectif « positives » voudrait simplement dire qui sont « au profit de » ou « au bénéfice de ». Si on regarde ce qu’en disent les dictionnaires, Le Petit Robert, 2018 définit l’adjectif « positif » comme signifiant notamment : « Opposé à négatif ou neutre A. sens courant : 1. Qui affirme qqch. [quelque chose]. Qui affirme du bien de qqn [quelqu’un], qqch [quelque chose]. […] 3. Qui a un contenu réel, construit ou organisé ». De son côté, Le Petit Larousse Illustré, 2018 définit le terme ainsi : « 1. Qui repose sur qqch [quelque chose] de concret; réel. […] 4. Qui a un effet favorable; constructif ». Enfin, l’adjectif « positive » en anglais comprend notamment les définitions suivantes dans le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd, 2004 : « […] 2 a. Having a helpful and constructive intention or attitude towards something. […] 3. Formally or explicitly stated; definite, unquestionable. […] 8. Tending in a direction naturally or arbitrarily taken as that of increase or progress » [Traduction] (« […] 2 a. Avoir une intention ou une attitude utile et constructive envers quelque chose. […] 3. Formellement ou explicitement indiqué; défini, indiscutable. […] 8. Tendant dans une direction naturellement ou arbitrairement prise comme celle de l’augmentation ou du progrès »).

[210] Ainsi, on peut tirer de ces définitions que, dans le contexte de l’article 41, des mesures « positives » seront des mesures concrètes qui sont prises avec l’intention d’avoir un effet favorable au bénéfice des minorités linguistiques au Canada et qui constituent une étape constructive dans l’engagement du paragraphe 41(1), soit la progression vers leur épanouissement et leur développement et la promotion des deux langues officielles. Une chose apparaît certaine cependant : la notion de « suffisance » à laquelle la FFCB a abondamment référé lors de l’audience n’est pas incluse dans le texte de l’article 41. Il n’y a pas de seuil au paragraphe 41(2), explicite ou implicite; ce que fait le paragraphe, c’est simplement d’imposer l’obligation générale de prendre « des mesures positives ». Le critère à employer pour mesurer si l’obligation faite aux institutions fédérales est satisfaite n’en est pas un de suffisance; c’en est un de pertinence, au sens où les mesures se doivent d’être « positives ». C’est cette qualité qui est en cause et que les tribunaux doivent apprécier à la lumière de la preuve devant eux. Aussi, lorsque la FFCB soutient que les défendeurs auraient manqué de se conformer à leur obligation aux termes de la partie VII parce qu’ils auraient omis de prendre les « mesures positives suffisantes », elle ajoute à la disposition un qualificatif et une exigence qui ne s’y trouvent pas.

[211] Il faut aussi s’arrêter à la dimension « mesures » de l’expression « des mesures positives » au paragraphe 41(2). J’observe que le mot « mesures » utilisé par le législateur à l’article 41 n’est pas étranger à la LLO. Loin de là. C’est un mot auquel le législateur recourt fréquemment dans la LLO, à pas moins d’une vingtaine d’occasions. Le législateur l’emploie sous différentes parties et pour différents types de droits et d’obligations. Et il accompagne le mot « mesures » de qualificatifs parfois bien différents, qui circonscrivent le poids des obligations qu’il entend faire porter aux personnes et institutions visées par la prise des mesures concernées. On peut notamment recenser les expressions suivantes dans la LLO :

« les mesures voulues », en anglais « appropriate measures » [je souligne] (article 28 sur l’offre active, dans la partie IV);

« les mesures d’incitation qu’il [le gouverneur en conseil] estime nécessaires pour que soient effectivement assurés […] », en anglais « any regulations that the Governor in Council considers necessary […] » [je souligne] (article 33 sur la prise de règlements dans cadre de la partie IV);

« toutes autres mesures possibles », en anglais « such measures […] as can reasonably be taken » [je souligne] (paragraphe 36(2) sur les obligations minimales en matière de langue de travail dans les régions désignées, à la partie V);

« toute autre mesure », en anglais « any other measures that are to be taken » [je souligne] (alinéa 38(1)b) sur les règlements possibles en matière de langue de travail, à la partie V);

« les mesures qu’il estime indiquées […] et, notamment, toute mesure », en anglais « such measures that the Minister considers appropriate […] and […] measures to » [je souligne] (paragraphe 43(1) sur la mise en œuvre de l’article 41 par Patrimoine Canada, à la partie VII);

« les mesures qu’il juge aptes à assurer la consultation », en anglais « such measures as that Minister considers appropriate » [je souligne] (paragraphe 43(2) sur la mise en œuvre par Patrimoine Canada, à la partie VII);

« toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance », en anglais « all actions and measures […] with a view to ensuring » [je souligne] (paragraphe 56(1) sur la mission du Commissaire, à la partie IX).

[212] J’arrête un moment pour faire remarquer que, même au sein de la courte partie VII, l’encadrement des obligations de « mesures » créées par le législateur n’est pas toujours du même ordre : l’obligation faite à Patrimoine Canada aux paragraphes 43(1) et 43(2) est plus précise et de plus grande envergure que celle contenue au paragraphe 41(2), le législateur intimant à cette institution fédérale de prendre « les mesures qu’[elle] estime indiquées pour favoriser […] » et « les mesures qu’[elle] juge aptes à assurer la consultation […] » [je souligne]. C’est différent de l’obligation de prendre « des mesures positives » contenue au paragraphe 41(2).

[213] Bref, même au sein de la LLO elle-même, le législateur a voulu que le concept de « mesures » en soit un à géométrie variable. Or, quand, dans une même loi, le législateur utilise le mot « mesures » tantôt avec l’article « les », tantôt avec les qualificatifs « voulues », « indiquées » ou « nécessaires », tantôt avec l’adverbe « toutes », on ne peut ignorer le fait qu’au paragraphe 41(2), il se soit contenté de parler « des mesures positives » à prendre par les institutions fédérales, avec l’article indéfini « des » et le qualificatif « positives », sans offrir davantage de précisions ou de caractère contraignant. Le législateur ne dit pas « mesures nécessaires »; il ne dit pas « mesures indiquées »; il ne dit pas « toutes les mesures possibles ». Clairement, le texte de la loi révèle que l’expression « des mesures positives » ne signifie pas la même chose que ces autres types de mesures. Elle ne revêt pas, à l’évidence, les mêmes attributs d’exhaustivité, de nécessité, de précision ou de suffisance qu’on retrouve ailleurs dans la LLO.

[214] Ce n’est pas étonnant, car ce caractère plus général et moins spécifique de l’obligation contenue au paragraphe 41(2) fait écho à l’objet lui-même général qui fonde la partie VII, soit la promotion du français et de l’anglais. À la différence des parties I à V de la LLO, la partie VII ne vise pas à protéger ou établir certains droits linguistiques précis. Aussi, encore une fois, quand la FFCB et le Commissaire parlent de « mesures nécessaires » ou de « toutes les mesures possibles » en faisant référence à l’obligation qui incomberait aux défendeurs aux termes de l’article 41, ils font fausse route et empruntent en fait à d’autres parties de la LLO qui prescrivent des actions visant des droits linguistiques et la protection de ceux-ci. C’est le cas, par exemple, des situations où le législateur utilise le mot « mesures » dans la partie IV sur la langue des communications et la prestation de services ou dans la partie V sur la langue de travail. Si le Parlement avait voulu parler des mesures positives « nécessaires », de « toutes les mesures qui seraient raisonnables » ou de « les » mesures positives à l’article 41, il l’aurait fait expressément, comme il n’a pas hésité à le faire pour d’autres dispositions au sein même de la LLO.

[…]

[216] En somme, l’article 41 n’impose pas d’obligations précises et particulières aux institutions fédérales. Rien dans le langage utilisé au paragraphe 41(2) n’évoque quelque spécificité que ce soit. Dans cet esprit, la Cour a ainsi déjà déterminé que le paragraphe 41(2) de la LLO ne prescrit pas de cadre ou de méthodologie spécifique (Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada c Canada (Procureur général), 2010 CF 999 (CanLII) [FCFA] au para 41). Dans cette affaire FCFA, le juge Boivin a opiné que les mesures positives ne peuvent être interprétées comme comportant le devoir d’adopter une certaine méthode de récolte de données. La Cour a décidé que la partie VII de la LLO n’imposait pas au gouvernement fédéral l’obligation de recueillir de l’information dans le cadre du recensement par l’entremise d’un questionnaire long, car aucune disposition ne l’exigeait dans la LLO et que rien dans la Loi sur la statistique, LRC 1985, c S-19 ne prévoyait d’obligations en matière linguistique. Ainsi, l’article 41 ne commande pas de méthodologie particulière ou de cadre précis.

[217] À cet égard, la condition préalable dont le Commissaire fait le premier volet du test qu’il suggère à la Cour pour déterminer ce qui compose l’obligation de prendre « des mesures positives » va donc au-delà du langage de la disposition. Je partage l’avis des défendeurs qu’en voulant exiger une méthode d’analyse d’impact et de recueil d’informations par les institutions fédérales, le Commissaire tente de faire de l’article 41 une mesure de contrôle qui ne correspond pas avec le langage et l’objet de la disposition. Ce volet ne peut, à mon avis, faire partie des paramètres qui peuvent aider les tribunaux à cerner la portée de l’obligation de prendre « des mesures positives ».

[218] Deux autres importantes remarques doivent être faites au sujet du texte de la loi. D’une part, le paragraphe 41(2) de la LLO prescrit expressément que la mise en œuvre, par le biais « des mesures positives », de l’engagement à favoriser l’épanouissement des minorités linguistiques et à promouvoir la pleine reconnaissance des deux langues officielles « se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces ». Les mesures positives ne peuvent donc se traduire par un empiétement des champs de compétence provinciale et une érosion de l’exercice valide de ces compétences. C’est, bien sûr, un considérant majeur à retenir en ce qui concerne les services d’aide à l’emploi visés par l’Entente et qui sont validement offerts par la Colombie-Britannique dans le cadre de sa compétence législative provinciale.

[…]

[221] Toute la structure et l’économie de l’article 41 s’articulent autour d’un premier paragraphe qui décrit l’engagement pris par le gouvernement fédéral envers les minorités linguistiques, d’un second qui édicte l’obligation générale faite aux institutions fédérales de prendre des mesures positives, et d’un troisième qui prévoit l’adoption de modalités plus précises d’application et de mise en œuvre par voie de règlement. Aucun règlement n’ayant été adopté à ce jour, il s’ensuit que la nature précise de l’obligation contenue au paragraphe 41(2) reste générale et indéterminée à ce jour, et n’a pas la spécificité que les règlements devaient et pourraient lui conférer.

[222] Un retour sur le contexte de l’adoption de l’article 41 vient appuyer et renforcir ce qui ressort du texte même de la disposition. L’article 41 de la LLO tel qu’on le connaît aujourd’hui tire son origine d’une modification législative apportée à la loi en novembre 2005 par l’adoption du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), LC 2005, c 41. Les paragraphes 41(2) et 41(3) actuels ont alors été ajoutés à la loi par le truchement d’un amendement, incorporant alors cette nouvelle obligation de prendre « des mesures positives » pour mettre en œuvre l’engagement de l’article 41. Le projet de loi S-3 était le résultat d’une initiative du défunt sénateur Jean-Robert Gauthier, décrit à juste titre par le juge Décary comme « un des plus ardents défenseurs des droits linguistiques au Canada » (Forum des maires au para 44). Ce projet de loi avait été mis en branle en réponse à la position du gouvernement fédéral voulant que l’article 41 n’ait qu’un pouvoir déclaratoire et non-exécutoire. L’amendement répondait aussi à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Forum des maires, où la Cour avait conclu que l’article 41 d’alors ne créait pas de droit ou d’obligation susceptible d’être sanctionné par les tribunaux (Forum des maires au para 46). L’objectif, pour reprendre les mots qui semblent avoir été popularisés à l’origine par le sénateur Gauthier, était de donner des « dents » à la partie VII de la LLO.

[223] Il est maintenant bien établi que les comptes rendus des débats parlementaires peuvent aider pour déterminer l’intention du législateur et interpréter une loi, dans la mesure où ils sont pertinents et fiables, et où on ne leur attache pas une importance excessive (Rizzo aux paras 31, 35; R c Morgentaler, 1993 CanLII 74 (CSC), [1993] 3 RCS 463 à la p 484). Dans le cas de l’amendement de 2005 qui a débouché sur le paragraphe 41(2) actuel de la LLO, ces débats parlementaires offrent un éclairage utile sur la portée de l’obligation de prendre « des mesures positives ». L’historique législatif et les débats parlementaires sont particulièrement révélateurs de la volonté législative au sujet 1) de la nature générale de l’obligation de prendre « des mesures positives » et 2) du rôle attendu des règlements envisagés au paragraphe 41(3) dans la structure et le déploiement de cette obligation. Les deux éléments convergent vers une absence de spécificité dans la portée de l’obligation de prendre « des mesures positives » contenue au paragraphe 41(2) lui-même.

[224] Comme les parties en ont convenu lors de l’audience devant la Cour, l’intention de l’amendement à l’article 41 n’était pas d’introduire une obligation de résultat au niveau des « mesures positives » à prendre. On voulait plutôt créer, comme l’a dit le Commissaire dans ses soumissions, une « obligation d’agir ». Les débats parlementaires entourant l’adoption de l’amendement de 2005 font effectivement écho à ce qui transpire du texte même de la loi, soit le caractère général de l’obligation contenue à l’article 41.

[225] Ainsi, la Commissaire de l’époque, Dyane Adam, avait alors dit de l’obligation qu’elle imposait au gouvernement fédéral un devoir d’agir et d’être proactif dans la mise en œuvre de la partie VII (Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 44 (6 octobre 2005) à la p 0905 (Dyane Adam)). La Commissaire avait confirmé que la modification ne créait ni une obligation de moyen, ni une obligation de résultat, mais plutôt une « obligation d’agir » (Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 44 (6 octobre 2005) à la p 0905 (Dyane Adam)). D’ailleurs, pour dissiper toute ambiguïté quant à la nature de l’obligation, le comité de la Chambre des communes avait accepté de modifier la version initiale du projet de loi proposé par le sénateur Gauthier pour remplacer les termes « des mesures positives pour assurer la mise en œuvre de cet engagement » par « des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement » [je souligne]; la raison de la modification étant que le mot « assurer » aurait pu être interprété comme imposant une obligation de résultat, ce qui n’était pas souhaité (Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 44 (6 octobre 2005) aux pp 0905–15, 0930, 0950, 1005, 1030 (Dyane Adam, Marc Godbout, Paule Brunelle et Guy Côté)).

[226] Plusieurs autres témoignages entendus lors des débats parlementaires sur le projet de loi S-3 confirment que l’amendement à l’article 41 de la LLO et l’insertion de l’obligation de prendre « des mesures positives » ne visaient pas à créer d’obligation de résultat ou de prendre des mesures qui mèneraient directement à l’épanouissement des communautés francophones et anglophones minoritaires ou à la promotion des deux langues officielles (voir par exemple : Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 44 (6 octobre 2005) aux pp 0940-45 (Pierre Poilievre et Dyane Adam); Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 38 (14 juin 2005) à la p 1035 (Pierre Foucher); Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 41 (28 septembre 2005) à la p 1620 (Irwin Cotler); Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 44 (28 septembre 2005) à la p 1720 (Michel Francoeur)). Ainsi, une obligation de prendre des mesures positives au sens du paragraphe 41(2), c’est plutôt une obligation de moyen des institutions fédérales, celle de prendre des mesures au profit des CLOSM afin de répondre à l’engagement du paragraphe 41(1). En d’autres mots, il ressort des débats parlementaires que l’article 41 crée une obligation « pour le gouvernement de faire des choses, et il sera tenu responsable s’il ne fait rien » (Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 38 (14 juin 2005) à la p 1035 (Pierre Foucher)).

[227] Le Commissaire dit aujourd’hui que cette obligation de prendre « des mesures positives » emporte non seulement celle d’agir, mais aussi celle de ne pas nuire. Les défendeurs répondent que ceci n’est pas au texte de la loi et que le paragraphe 41(2) n’impose pas une telle « obligation de ne pas nuire ». Je pense qu’une position légèrement plus nuancée doit prévaloir. Il est vrai que, dans les débats parlementaires de l’époque, il n’est pas mentionné de façon expresse que l’obligation de prendre « des mesures positives » comprenait aussi pour les institutions fédérales une obligation de ne pas nuire; on parlait toujours d’une obligation d’agir (voir Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 38e parl, 1re sess, no 44 (6 octobre 2005) aux pp 0905-1000 (Dyane Adam)). Je conviens aussi que le texte de la loi ne parle que de mesures « positives ». Toutefois, il me semble que le corollaire évident et implicite d’une obligation de prendre « des mesures positives » est que la dimension négative des mesures envisagées doit faire partie de l’équation. Je ne l’exprimerais pas en termes « d’obligation de ne pas nuire » mais plutôt, dans le cadre de cette « obligation d’agir » qui n’est pas contestée, en termes « d’obligation d’agir de façon à ne pas nuire » à la mise en œuvre de l’engagement prévu au paragraphe 41(1). Si j’adopte une interprétation libérale et téléologique compatible avec le maintien et l’épanouissement des langues officielles au Canada, je vois mal comment l’appréciation d’une obligation générale d’agir de façon positive pourrait ne pas inclure une considération des effets défavorables que les mesures envisagées par les institutions fédérales pourraient avoir pour les minorités linguistiques en cause.

[…]

[229] Cela dit, je conviens avec les défendeurs que cette obligation d’agir de façon à ne pas nuire ne peut avoir pour effet d’aboutir à l’importation, dans la partie VII, de la théorie dite de l’encliquetage rejetée par les tribunaux (Lalonde c Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 2001 CanLII 21164 (ON CA), 56 OR (3d) 505 (ON CA) aux para 90-94).

[…]

[235] À maints égards, ce que la FFCB et le Commissaire proposent et souhaitent dans leur interprétation de la portée de l’obligation de prendre « des mesures positives » au paragraphe 41(2), c’est ce qui devait faire l’objet de règlements en vertu du paragraphe 41(3) de la LLO. Leurs propositions rejoignent d’ailleurs ce que le sénateur Gauthier avait évoqué comme règlements potentiels. Par exemple, on recherche une spécificité accrue du type de mesures positives à adopter; l’exigence d’une méthode spécifique d’analyse des besoins des CLOSM; ou encore un lien plus étroit entre les mesures positives envisagées et des politiques, programmes ou situations particulières des institutions fédérales. Je suis d’accord avec la FFCB que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas encore de règlement que la partie VII n’a pas de force exécutoire. Toutefois, à mon avis, sans règlement précisant sa portée et son étendue, le paragraphe 41(2) ne saurait emporter l’exigence de spécificité accrue ou de lien avec des programmes ou des situations factuelles particulières que la FFCB et le Commissaire veulent lui prêter. L’intention du législateur, c’était que cette spécificité vienne des règlements. Sans ces précisions qui ne peuvent résulter que de règlements toujours en devenir, les tribunaux ne peuvent pas sanctionner les institutions fédérales pour un défaut de se conformer à des obligations que la LLO ne leur impose pas. Ou du moins pas encore.

[236] En somme, dans un contexte où le pouvoir d’adopter des règlements existe et où tant la structure que l’intention de l’article 41 étaient de voir ceux-ci apporter les précisions requises pour la mise en œuvre de l’obligation générale de prendre « des mesures positives », la Cour ne peut interpréter cette obligation comme emportant celle de prendre des mesures positives spécifiques et sanctionner les institutions fédérales pour ne pas l’avoir fait. En me demandant de préciser comme elles le souhaitent la portée de l’obligation faite aux institutions fédérales de prendre « des mesures positives », la FFCB et le Commissaire voudraient en fait que je me substitue au gouvernement fédéral et que je m’aventure sur un terrain que le pouvoir exécutif s’est abstenu – ou a refusé – de fouler jusqu’à maintenant, bien que le pouvoir législatif lui ait confié les outils et la responsabilité pour le faire depuis déjà plus de 12 ans.

[…]

[238] Le Parlement a déjà, en adoptant le paragraphe 41(2) et en élargissant le recours judiciaire de l’article 77 à la partie VII, donné des « dents » à l’article 41, selon l’expression consacrée du sénateur Gauthier. Pour poursuivre dans l’esprit de cette métaphore canine qui semble coller à la partie VII depuis la genèse de l’amendement de 2005, si le gouvernement fédéral veut non seulement que l’article 41 ait des dents, mais aussi que l’obligation de prendre des mesures positives ait du mordant, il peut le faire par le biais de son pouvoir réglementaire. C’est ce qui était attendu de lui lorsque l’obligation a été mise en place. Ce n’est pas à la Cour de mettre les chaussures du pouvoir exécutif et d’intervenir là où le gouvernement fédéral n’a pas voulu le faire. Comme le disait avec justesse le juge Martineau dans Radio-Canada CF, le recours sous l’article 77 ne permet pas à la Cour « d’entrer en quelque sorte dans l’arène politique et de se substituer au pouvoir politique en dictant au gouvernement ainsi qu’aux institutions fédérales quels programmes établir en vertu de l’article 41 de la LLO » (Radio-Canada CF au para 67). C’est là le rôle et le travail du pouvoir exécutif, qui en a expressément les moyens aux termes du paragraphe 41(3) de la LLO.

[…]

[240] En dépit de toute la discrétion dont bénéficient les institutions fédérales aux termes du paragraphe 41(2), il n’en demeure donc pas moins que des « mesures positives » doivent être adoptées par les institutions fédérales (il leur en « incombe ») dans le but de favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et pour viser l’égalité réelle des deux communautés de langue officielle au Canada. En ce sens, aussi large que puisse être la discrétion qu’on peut lire au paragraphe 41(2), et aussi générale que puisse être l’obligation d’agir des institutions fédérales, il reste que l’exercice de cette discrétion doit déboucher sur l’adoption de mesures positives quelconques par les institutions fédérales et qu’il faut des indicateurs vers lesquels elles (et les tribunaux) peuvent se rabattre pour déterminer ce qui constitue une mesure positive acceptable et ce qui n’en est pas une. La discrétion doit tout de même s’exercer en regard de certains paramètres qui vont en baliser l’exercice.

[241] Quels sont les enseignements à tirer de cet examen du texte, du contexte et de l’objet de l’article 41 de la LLO ? Quels sont, dans l’état actuel du régime juridique de la partie VII, les attributs de l’obligation de prendre « des mesures positives » qui doivent guider les tribunaux dans leur appréciation de la preuve et leur détermination de savoir si, dans un cas particulier, une institution fédérale s’est conformée à son obligation ?

[242] Le Commissaire avait proposé un test à trois volets pour aider à définir les attributs des « mesures positives ». Pour les raisons mentionnées plus haut, je suis d’avis que la spécificité de la méthode de recueil d’information décrite à son premier volet suffit pour la disqualifier. Accueillir ce qu’a proposé le Commissaire serait imposer un cadre et une méthodologie que l’article 41 ne prévoit tout simplement pas et que la jurisprudence a rejetés (FCFA au para 41). Toutefois, les deux autres volets, soient l’obligation d’agir de façon active et la prise en compte des effets défavorables des mesures envisagées, soit l’obligation d’agir de façon à ne pas nuire, s’inscrivent dans les paramètres qui doivent guider les institutions fédérales et les tribunaux dans l’appréciation de l’existence de « mesures positives ».

[243] La FFCB (appuyée en cela par le Commissaire) suggérait de son côté que les mesures positives acceptables devraient concerner la même communauté linguistique, le même territoire (soit la province visée), et le même champ d’application que ce qui a fait l’objet de la plainte logée devant le Commissaire et de l’atteinte alléguée à l’épanouissement de la minorité linguistique visée. Je suis d’accord avec les critères d’une même communauté linguistique et d’un même territoire compte tenu du langage relatif à l’engagement du gouvernement fédéral au paragraphe 41(1) : on y parle de favoriser l’épanouissement « des minorités francophones et anglophones du Canada », et une interprétation large et libérale de cette disposition cadre avec l’idée qu’on puisse ici référer à des communautés linguistiques spécifiques sur une partie du territoire canadien (soit une province).

[244] Cependant, l’exigence que les mesures positives soient limitées à des initiatives ou programmes particuliers des institutions fédérales ou reliées directement au cadre factuel précis de la plainte logée au Commissaire emporte un degré de spécificité qui n’est pas dans le texte de la loi, qui ne ressort pas de son contexte ou de son objet et qui, en l’absence de règlement à cet effet, ne respecterait pas la portée générale de l’obligation faite aux institutions fédérales par le paragraphe 41(2).

[245] C’est sur le jugement dans l’affaire Picard que la FFCB et le Commissaire s’appuient pour soumettre que les mesures positives de l’article 41 devraient être reliées aux circonstances particulières de la situation en cause et devraient donc, en l’espèce, être des mesures positives en lien avec les prestations de services d’aide à l’emploi offerts par la Colombie-Britannique dans le cadre de l’Entente. Je considère qu’il s’agit là d’une lecture incorrecte et trop étroite de la décision Picard.

[246] Dans l’affaire Picard, la juge Tremblay-Lamer avait conclu que le défaut de rendre disponible des brevets dans les deux langues officielles portait atteinte à la partie VII de la LLO et à l’obligation de prendre « des mesures positives », et elle avait imposé une réparation en conséquence. La juge Tremblay-Lamer y avait notamment déterminé que le fait que le gouvernement fédéral prenne des mesures positives destinées à favoriser l’épanouissement des communautés linguistiques et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne n’était pas suffisant pour s’acquitter de l’obligation de l’institution fédérale (en l’occurrence, le Bureau des brevets) sous la partie VII. Elle a fait expressément référence à « tous les efforts du gouvernement en matière de politiques linguistiques » (Picard au para 67) et à « l’ensemble de la politique linguistique du gouvernement » (au para 68) pour conclure que les actions et mesures positives de nature aussi générale ne permettent pas à une institution fédérale de se décharger du devoir imposé par la partie VII. La juge Tremblay-Lamer a ajouté, toujours au paragraphe 68, que les tribunaux avaient « l’habitude de se prononcer sur les circonstances factuelles relatives à une décision particulière ». Je ne suis pas persuadé qu’on peut inférer de ces propos que la Cour a interprété l’expression « des mesures positives » comme signifiant des mesures restreintes à une décision particulière de l’institution fédérale ou à la situation spécifique reliée à une plainte. Elle traçait plutôt l’opposition entre l’obligation qui incombe au Bureau des brevets « en tant qu’institution fédérale » et la politique linguistique plus globale du gouvernement en entier (Picard au para 69).

[247]  Je précise que, dans l’affaire Picard, c’était une situation où il n’était pas contesté que le Bureau des brevets n’avait lui-même pris aucune mesure positive pour mettre en œuvre l’engagement de l’article 41. Il n’avait rien fait. À mon avis, ce que la décision Picard établit, c’est uniquement que les mesures générales entreprises au niveau de l’ensemble du gouvernement fédéral, et sans relation directe ou indirecte avec l’institution fédérale en cause, ne peuvent à elles seules constituer des mesures positives au sens de l’article 41, suffisantes pour décharger une institution fédérale de son obligation. Je suis d’accord. Mais en aucun temps le jugement n’établit-il ou même ne suggère-t-il que des mesures positives prises dans le cadre général du fonctionnement et du mandat institutionnel de l’institution fédérale ne peuvent pas constituer « des mesures positives ». Le degré étroit de rattachement qui, de l’avis de la FFCB et du Commissaire, devrait être requis pour établir l’existence d’une « mesure positive » impliquerait à mon avis un niveau de spécificité qui ne ressort pas du texte de la loi, de son contexte, de son objet ou de la jurisprudence et qui retirerait aux institutions fédérales la marge de discrétion que leur donne le paragraphe 41(2) et la déférence que les tribunaux doivent leur accorder au niveau du choix des mesures.

[248] Autrement dit, il n’y a rien, dans le libellé actuel du paragraphe 41(2) tel qu’il convient de l’interpréter ou dans le jugement Picard, qui permette de conclure que les mesures positives prescrites par la partie VII de la LLO doivent être ciblées pour un programme, un processus décisionnel, une situation factuelle ou une initiative particulière d’une institution fédérale qui aura pu faire l’objet d’une plainte au Commissaire. Le paragraphe 41(2) parle d’une obligation qui incombe aux « institutions fédérales ». C’est peut-être quelque chose que le gouvernement voudra inclure dans un règlement adopté en vertu du paragraphe 41(3), comme la loi l’y autorise, mais dans l’état actuel des choses, ce n’est pas une portée que je peux donner à l’exigence de « mesures positives » sans ignorer ce que dit la loi et la façon dont l’article 41 a été construit par le législateur.

[249] À mon avis, les paramètres qui ressortent de l’analyse du texte, du contexte et de l’objet de l’article 41 sont plutôt les suivants. L’obligation de prendre « des mesures positives » est une obligation générale d’agir; ce n’est pas une obligation de résultat. Cette obligation d’agir comporte à la fois la dimension d’agir de façon active dans la poursuite de l’engagement décrit au paragraphe 41(1) ainsi que celle d’agir de façon à ne pas y nuire. Afin de constituer « des mesures positives » au sens du paragraphe 41(2) de la LLO, les initiatives des institutions fédérales doivent être des mesures concrètes prises avec l’intention d’avoir un effet favorable pour les minorités linguistiques au Canada et qui constituent une étape constructive dans l’engagement pour favoriser leur épanouissement et leur développement et la promotion des deux langues officielles. Elles doivent aussi être des mesures qui bénéficient directement ou indirectement à la CLOSM affectée par la plainte logée devant le Commissaire dans une province ou un territoire donné. De plus, l’obligation du paragraphe 41(2) porte sur des mesures positives qui doivent viser autre chose que ce qui est déjà couvert par les autres parties de la LLO, comme la partie IV sur les communications avec le public et les prestations de services.

[250] Il suffit par ailleurs, en l’absence de règlement qui en préciserait davantage la teneur, que ces mesures positives s’inscrivent dans le cadre général du fonctionnement et du mandat institutionnel de l’institution fédérale concernée. Par conséquent, les institutions fédérales conservent une large marge de discrétion dans l’établissement des mesures positives, et elles n’ont pas à prendre « toutes » les mesures « possibles », « indiquées » ou « nécessaires » pour mettre en œuvre l’engagement du paragraphe 41(1). En l’absence de règlement qui préciserait davantage le type de mesures positives à prendre ou leur amplitude, il n’y a pas de seuil minimal ou suffisant de mesures positives à rencontrer ou de spécificité particulière requise quant aux mesures acceptables. Ainsi, dans l’état actuel du droit, les mesures positives n’ont pas à être ciblées pour un programme, un processus décisionnel ou une initiative particulière d’une institution fédérale, ou encore pour une situation factuelle précise qui aura pu faire l’objet d’une plainte au Commissaire.

[251] Considérant la deuxième partie du paragraphe 41(2), il demeure aussi entendu que les mesures positives doivent respecter les champs de compétence et les pouvoirs des provinces. J’ajouterais qu’en regard de l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 41(2) et en l’absence de règlement qui pourrait établir des modalités particulières, les exigences en matière de « mesures positives » ne sont pas différentes dans le cadre d’une entente fédérale-provinciale de paiements de transfert comme l’Entente; le fardeau des institutions fédérales au niveau de l’obligation du paragraphe 41(2) n’y est pas plus élevé, pas plus précis et pas plus exigeant.

[252] Le caractère positif des mesures et leur rattachement au fonctionnement et au mandat de l’institution fédérale ainsi qu’au bénéfice des CLOSM concernées sont des questions de faits que les tribunaux peuvent apprécier en fonction de la situation particulière de chaque cas dont ils sont saisis. Il suffit que les tribunaux, sur la base de leur appréciation de la preuve devant eux dans chaque situation particulière, soient satisfaits, selon la norme de la prépondérance des probabilités, que l’institution fédérale aura effectivement pris des mesures pour satisfaire son obligation à la lumière des paramètres que je viens d’énoncer.

[253] Cette analyse du texte, du contexte et de l’objet de l’article 41 reflète aussi une chose fondamentale. Le gouvernement fédéral pourrait, par voie de règlement en vertu du paragraphe 41(3), préciser davantage la portée et les exigences de ce qui constitue « des mesures positives » acceptables et, par exemple, établir ce que la FFCB et le Commissaire souhaitent : un degré de spécificité ou de suffisance que les « mesures positives » devraient rencontrer; une exigence que les mesures positives se rattachent à un programme, décision ou initiative particulière de l’institution fédérale ou même à la situation soulevée dans la plainte sous-jacente au Commissaire; ou encore que « des mesures positives » dans le cadre d’ententes de paiements de transfert satisfassent certains critères plus serrés au niveau de la mise en place et du suivi des clauses linguistiques. Toutefois, en l’absence de règlements qui précisent et édictent de tels paramètres, un tribunal ne peut conclure qu’une institution fédérale ne se serait pas conformée à l’obligation générale qui lui est faite de prendre « des mesures positives » au motif qu’elle aurait manqué à une obligation plus spécifique que la loi, dans sa facture actuelle, n’exige pas d’elle.

[…]

[257] Cela demeure vrai en matière de droits linguistiques. L’interprétation large et libérale préconisée en matière linguistique ne doit pas faire fi des règles d'interprétation reconnues (Thibodeau CSC au para 112; Charlebois aux para 23-24; Desrochers CAF au para 41). Comme l’a souligné le juge Décary dans Forum des maires, « ce n’est pas parce qu’une loi est qualifiée de quasi-constitutionnelle que les tribunaux doivent lui faire dire ce qu’elle ne dit pas » (Forum des maires au para 40). Certes, les tribunaux doivent toujours considérer le régime légal comme une « solution de droit » et l’interpréter « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, art 12). Ceci signifie, bien évidemment, que, dans le contexte de la LLO, les droits linguistiques doivent toujours recevoir une interprétation large et libérale, compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada (Beaulac au para 25; FCFA au para 26). Mais une interprétation large et libérale des droits linguistiques ne peut transformer une obligation générale d’agir en une série de prescriptions ciblées alors que le législateur ne l’a pas dit et n’avait pas l’intention de le dire, et qu’il a spécifiquement réservé au pouvoir exécutif le droit et le devoir de le faire. Ce serait ignorer la retenue pour laquelle le législateur a clairement opté à la partie VII, et imposer aux institutions fédérales des obligations linguistiques que les pouvoirs législatif et exécutif se sont jusqu’à maintenant gardés d’exiger d’elles.

[258] Il me faut maintenant déterminer si, dans les faits du présent dossier et à la lumière de l’interprétation qu’il convient de retenir sur la portée de l’obligation de prendre « des mesures positives », EDSC et la Commission en avaient effectivement pris. Encore une fois, la question que je dois décider n’est pas de savoir si d’autres mesures positives pourraient être prises par les institutions fédérales en cause, ou pourraient être possibles ou souhaitables; la question est de savoir si, suite à l’analyse de la preuve au dossier, je suis satisfait, selon la norme de la prépondérance des probabilités, que les institutions fédérales en avaient prises et s’étaient conformées à l’obligation qui leur incombe en vertu de l’article 41. Pour les raisons qui suivent, je conclus que c’est le cas.

[…]

[260] À mon avis, une analyse rigoureuse et détaillée de la preuve au dossier ne mène qu’à un seul constat : les institutions fédérales en cause avaient, au moment du dépôt de la plainte de la FFCB, pris plusieurs « mesures positives » au sens de l’article 41 de la LLO. Ces mesures ont pris la forme : 1) de l’insertion de la clause de consultation contenue à l’article 5.4 de l’Entente; 2) de consultations effectives qui ont eu lieu avec les représentants de la minorité linguistique francophone, tant avant la conclusion de l’Entente que dans la phase transitoire qui a débouché sur l’adoption et la mise en œuvre de l’EPBC par la Colombie-Britannique; et 3) de différentes initiatives prises par EDSC dans le cadre de son mandat institutionnel et ayant des effets positifs sur la minorité linguistique francophone de la Colombie-Britannique. L’instauration de ces mesures positives concrètes avait pour objectif et a contribué de façon favorable à l’épanouissement et au développement de la communauté francophone en Colombie-Britannique, dans le cadre de la prestation des services d’aide à l’emploi aux termes de l’Entente mais aussi, de façon plus générale, dans le cadre du mandat d’EDSC en matière de ressources humaines et du développement des compétences au Canada.

[…]

[265] La FFCB et le Commissaire s’attardent à ce qu’ils estiment être des mesures positives qu’EDSC aurait omis de prendre. Par exemple, dans son rapport final d’enquête d’avril 2013, le Commissaire retient, en matière d’atteinte à l’article 41 de la LLO, le fait qu’EDSC n’ait pas veillé à ce que la province et le gouvernement fédéral entretiennent des consultations avec la FFCB en français en 2009 et 2010. Il relève aussi le défaut, lors des consultations conduites en 2008 et 2009 en réponse aux inquiétudes exprimées, d’avoir évalué l’impact probable du nouveau modèle à « guichet unique » sur la disponibilité des services d’emploi en français et sur la vitalité de la communauté francophone de la Colombie-Britannique. Le manquement d’EDSC de veiller à ce que les consultations avec la minorité linguistique francophone se déroulent en français est regrettable. C’eût été un facteur positif additionnel, je l’accorde, mais, considérant l’ensemble de la preuve sur les consultations effectives tenues avec la communauté francophone, je ne suis pas persuadé que cela suffit pour retirer à cette initiative de consultations son caractère de mesure positive. Par ailleurs, le fait qu’en bout de piste, la proposition de consortium de la FFCB n’ait pas été retenue comme telle ne signifie pas que les besoins spécifiques de la communauté n’aient pas été écoutés et pris en considération dans l’élaboration et la mise en œuvre du nouveau modèle de prestation de services d’aide à l’emploi de la Colombie-Britannique. Les témoignages écrits des représentants d’EDSC et de la province (Duncan Shaw, Sergei Bouslov et Hovan Baghdassarian) reflètent plutôt le contraire. La preuve fait état de la réponse des autorités provinciales au consortium et les ajustements apportés au programme qui s’en sont suivis.

[266] Le gouvernement fédéral pourrait certes choisir de prévoir, dans un règlement sous le paragraphe 41(3), qu’une consultation ne devient une mesure positive que si elle implique une prise en compte effective et une incorporation des représentations faites par les CLOSM consultées. Mais ce n’est pas ce que l’article 41, tel que rédigé et correctement interprété, prévoit actuellement.

[267] Sur la base de l’affidavit de Réal Roy, la FFCB reproche également à EDSC la réponse faite à la lettre de janvier 2011 de la FFCB envoyée à la ministre de l’époque pour l’aviser des inquiétudes de la FFCB sur les impacts assurément dévastateurs pour la communauté francophone, selon la FFCB, du nouveau modèle de prestation de services d’aide à l’emploi. Dans sa réponse de juin 2011, EDSC dit que l’Entente inclut des dispositions afin d’assurer les services d’aide à l’emploi en français (soit la clause linguistique et la clause de consultation) et que le gouvernement fédéral s’attend à ce que la Colombie-Britannique respecte ses engagements en matière de langue. Je ne partage pas l’opinion de la FFCB voulant que cette lettre traduise une sorte d’abdication de la part d’EDSC. La lettre explique plutôt que la province est responsable aux termes de l’Entente. EDSC avait déjà pris des mesures positives à ce moment-là (comme la clause de consultation) et elle reconnaissait dans cette correspondance la compétence de la Colombie-Britannique, suite à l’Entente, d’offrir ses propres prestations et mesures et de fournir les services d’aide à l’emploi. Cette réponse est tout à fait en conformité avec le paragraphe 41(2) de la LLO, qui stipule que la mise en œuvre de l’engagement du gouvernement fédéral de favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada se fait « dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces ».

[268] Somme toute, le fait que la Colombie-Britannique n’ait pas ultimement retenu le modèle alternatif présenté par le consortium ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de consultations utiles visant à favoriser l’épanouissement de la minorité francophone. La preuve indique plutôt que les consultations étaient menées avec cette préoccupation à l’esprit. Encore une fois, la FFCB et le Commissaire auraient souhaité qu’il y ait plus de mesures, et que les mesures soient plus spécifiques ou encore qu’elles soient plus directement en relation avec la prestation des services d’aide à l’emploi visés par l’Entente. C’est légitime, et je conçois bien que l’ajout de telles mesures aurait probablement contribué encore davantage à l’essor et à la vitalité de la minorité linguistique francophone en Colombie-Britannique – en sus de ce qu’EDSC avait déjà accompli. Mais ce n’est pas ce que l’article 41 de la loi exige de l’institution fédérale dans sa facture actuelle. Et en l’absence de règlements qui pourraient préciser le degré de spécificité souhaité par la FFCB et le Commissaire, ce n’est pas ce qui pourrait me permettre de conclure qu’EDSC et la Commission ne se seraient pas conformés à leurs obligations légales sous la partie VII et pourraient être sanctionnés pour ces omissions. Le fait qu’il puisse y avoir des mesures positives autres que celles prises par l’institution fédérale ne signifie pas que l’institution fédérale n’en avait pris aucune.

[269] Par ailleurs, la preuve produite au dossier par les défendeurs indique qu’au moment du dépôt de la plainte de la FFCB, EDSC avait également pris de nombreuses initiatives cadrant avec son mandat institutionnel pour assurer que les besoins de la communauté francophone de Colombie-Britannique soient considérés. Je suis satisfait que ce sont là « des mesures positives » concrètes qui ont été favorables pour la minorité linguistique francophone et à son bénéfice.

[270] Ainsi, l’affidavit d’Ouassim Meguellati, directeur général au sein d’EDSC, contient de nombreux exemples et fournit plusieurs détails au sujet d’initiatives plus générales prises par l’institution fédérale et qui ont contribué favorablement à l’épanouissement et à la vitalité des minorités linguistiques au Canada, incluant la minorité linguistique francophone de la Colombie-Britannique. Il mentionne entre autres :

•des mécanismes et activités aux fins de, notamment, veiller à ce que les besoins de la communauté francophone soient pris en compte dans l’élaboration de politiques, de programmes et d’initiatives, et de voir à ce qu’une analyse d’impact de ces actions sur les langues officielles soit complétée;

• un réseau intégré des langues officielles au sein d’EDSC, qui comprend des coordonnateurs des parties IV et VII de la LLO aux niveaux national et régional ainsi qu’au niveau des directions générales, et qui assure une plus grande clarté et efficience;

• un cadre intégré de consultation des CLOSM pour préparer et mener des séances de dialogue avec les associations nationales de CLOSM;

• des mesures pour obtenir l’information adéquate quant aux besoins et à la situation des CLOSM; et

• le Plan d’action axé sur les résultats pour la mise en œuvre de l’article 41 de la LLO 2010-2014 [Plan d’action].

[271] Je m’arrête au Plan d’action. Sa revue montre qu’il est très détaillé et contient plusieurs éléments faisant état d’initiatives d’EDSC eu égard à la minorité francophone de la Colombie-Britannique en matière d’emploi et de services liés au marché du travail. Son contenu est éclaté et traite des activités de consultations, de communications, de prestations de programmes et de reddition de comptes mises sur pied par EDSC. Sous les différentes rubriques, des éléments touchent la région de la Colombie-Britannique. Je concède que ce ne sont pas toutes les facettes du Plan d’action qui sont pertinentes pour la Colombie-Britannique. Les exemples un peu caricaturaux que l’avocat de la FFCB a utilisés lors de l’audience devant la Cour sont de ceux-là. Mais de nombreuses autres parties et initiatives du Plan d’action le sont assurément. De plus, ce Plan d’action, et les autres qui ont suivi par la suite, illustrent à mon avis le souci bien réel et bien présent au sein d’EDSC de voir à ce que ses obligations au niveau de la partie VII soient honorées. L’institution fédérale, dans toute sa structure, se préoccupe de sa performance en regard de ses obligations sous la partie VII de la LLO, à un niveau de détail révélateur d’une attention bien palpable aux résultats et à l’impact des mesures entreprises sur les CLOSM. Je vois mal comment je pourrais ne pas qualifier ces initiatives de « mesures positives » d’EDSC en l’espèce.

[…]

[276] La preuve soumise par les défendeurs au sujet des mesures prises par EDSC, qui n’a pas été contredite, fait ainsi état de multiples initiatives représentant différents niveaux d’intervention des institutions fédérales en cause. Elle conduit vite à démontrer qu’au moment de la plainte de la FFCB, les défendeurs avaient effectivement pris « des mesures positives ». Ils ont non seulement pris plusieurs initiatives générales, mais ont également déployé des stratégies plus ciblées en matière d’emploi ayant directement ou indirectement des effets bénéfiques pour l’épanouissement et le développement de la minorité linguistique francophone en Colombie-Britannique. Cette preuve de « mesures positives » produite par les défendeurs est lourde, allant du plus large au plus détaillé. Le bassin de mesures est vaste : il se décline en cascade à plusieurs niveaux, partant plus en amont de directives de principes et d’encadrement au niveau de Patrimoine Canada et d’EDSC pour irriguer par la suite une panoplie d’initiatives plus locales, comme celles décrites dans l’affidavit d’Ouassim Meguellati.

[277] Je suis satisfait que, lorsqu’analysée dans son ensemble, la preuve au dossier répond aux exigences du paragraphe 41(2) de la LLO interprété tel qu’il le convient et que, partant, EDSC et la Commission se sont conformés à leur obligation de prendre « des mesures positives ». Les initiatives décrites représentent des mesures concrètes qui visent à avoir un effet favorable pour la minorité linguistique francophone en Colombie-Britannique et qui constituent une étape constructive dans l’engagement pour favoriser son épanouissement et son développement. Elles s’inscrivent dans le cadre du mandat institutionnel d’EDSC et respectent les champs de compétence et les pouvoirs des provinces.

[…]

[282] Comme je l’ai dit plus haut, je ne suis pas d’accord que l’interprétation à retenir pour le paragraphe 41(2) autorise à lire dans l’obligation générale faite aux institutions fédérales l’exigence de ce lien de connexité étroit que la FFCB voudrait voir la Cour lui donner. De plus, j’ai déjà conclu que, dans le présent dossier, la preuve démontrait effectivement qu’EDSC avait pris « des mesures positives ». Cela dit, même si j’acceptais l’approche de la FFCB et prenais pour acquis qu’il faut tenir compte des « mesures négatives » au sens où elle l’entend, il n’y a pas ici une preuve suffisamment claire et convaincante permettant de démontrer qu’il y avait, au moment du dépôt de la plainte de la FFCB, des répercussions négatives telles qu’elles auraient déclenché, pour EDSC et la Commission, une obligation de prendre des mesures positives correspondantes pour les compenser. Au 15 juin 2011, la preuve ne démontrait pas l’existence d’une situation défavorable ou négative pour la communauté linguistique francophone, attribuable à l’Entente, et qui aurait pu commander une mesure positive compensatrice de la part d’EDSC. Cette preuve n’est pas là dans le présent dossier, en raison essentiellement de la décision de la FFCB de déposer hâtivement sa plainte en juin 2011, avant l’entrée en vigueur de l’EPBC et du modèle à « guichet unique » de services d’aide à l’emploi. Je m’explique.

[…]

[289]   J’aborde rapidement la question des clauses linguistiques, discutée notamment par le Commissaire. En deux mots, les soumissions qu’il a faites eu égard à une marche à suivre pour assurer, dans le cadre de la partie VII de la LLO, le respect des clauses linguistiques incorporées dans des ententes de paiements de transfert débordent largement les faits du présent dossier. Comme l’ont fait valoir les défendeurs, et je suis d’accord, la clause linguistique insérée à l’article 5.2 de l’Entente ne découle pas de l’article 41 de la LLO et n’est pas le résultat d’une « mesure positive » prise par EDSC et la Commission. Elle est plutôt la mise en œuvre d’une exigence législative imposée par le Parlement dans la LAE. La clause linguistique de l’Entente découle d’une ligne directrice contenue à l’alinéa 57(1)d.1) de la LAE qui prévoit que, dans le cadre d’entente fédérale-provinciale sur le développement du marché du travail aux termes de l’article 63, la province assumera des obligations similaires à celles autrement prévues aux termes de l’article 22 de la LLO sur le droit de recevoir les services dans l’une ou l’autre des langues officielles là où la demande le justifie. Ainsi, la clause linguistique de l’Entente n’est pas reliée à l’obligation des défendeurs aux termes de l’article 41. Je n’ai donc pas à en traiter dans le cadre du présent recours sous la partie VII.

[290] Il ne fait pas de doute qu’à la base, l’insertion de la clause linguistique à l’Entente contribue à favoriser la promotion et la reconnaissance du français ainsi que la vitalité et l’épanouissement de la communauté francophone en Colombie-Britannique dans le cadre de la prestation des services d’aide à l’emploi, en étendant la portée de l’article 22 de la LLO à une autorité provinciale. D’ailleurs, de façon générale, l’incorporation de clauses linguistiques dans les ententes de paiements de transfert et de financement a pour effet de prolonger les obligations linguistiques là où la LLO, et notamment la partie IV, ne s’applique pas et que l’article 25 n’entre pas en jeu. De telles clauses pourraient effectivement être négociées et mises en place par une institution fédérale dans le cadre de ses obligations aux termes de la partie VII de la LLO. Mais, dans le présent dossier, ce n’est pas le cas.

[291] J’observe par ailleurs que, dans la mesure où, comme ici, une autorité provinciale offre ses services d’aide à l’emploi dans le cadre de sa compétence législative, on ne pourrait pas utiliser la partie VII de la LLO pour en arriver, sous le couvert d’un suivi de la clause linguistique, à assujettir indirectement l’Entente à la partie IV de la loi. Dans le présent dossier, l’argument du Commissaire sur les obligations de suivi et de vérification de la clause linguistique reviendrait à réglementer, à travers la partie VII, les prestations et mesures qu’offre la Colombie-Britannique dans l’exercice de sa compétence législative. EDSC et la Commission n’ont pas d’obligations linguistiques en vertu de la partie IV dans le cadre de l’Entente, et on ne peut pas les faire revivre sous le couvert de la partie VII. De plus, une telle mesure reviendrait à toutes fins pratiques à s’immiscer dans un champ de compétence provincial, ce que le paragraphe 41(2) de la LLO n’autorise pas.

[292] Pour l’ensemble de ces raisons, je suis satisfait qu’en regard de l’interprétation qui s’impose pour l’article 41 de la LLO et de la preuve au dossier, EDSC et la Commission avaient pris « des mesures positives » au sens de la partie VII de la LLO au moment du dépôt de la plainte de la FFCB auprès du Commissaire. Ce n’est donc pas une situation où ils ne se sont pas conformés à leurs obligations aux termes de la partie VII de la LLO. Il n’y a, ici, aucun comportement à sanctionner. La FFCB et le Commissaire auraient voulu que les défendeurs prennent davantage de mesures, ou encore qu’ils en prennent de plus ciblées eu égard aux services d’aide à l’emploi visés par l’Entente, pour ainsi mieux appuyer l’épanouissement de la minorité francophone en Colombie-Britannique. Hélas, ce n’est pas ce que l’article 41 dit ou requiert dans sa facture actuelle.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada c. Canada (Procureur général), [2012] 2 RCF 23, 2010 CF 999 (CanLII)

[26] La Cour rappelle que la question principale en l’espèce est de déterminer si le Décret du 12 août 2010 constitue une violation de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles et plus particulièrement de son paragraphe 41(2). D’entrée de jeu, la Cour note que les parties reconnaissent qu’en matière de droits linguistiques, qu’ils soient d’origine constitutionnelle ou législative, ces droits doivent recevoir une interprétation large et libérale, compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada (voir R. c Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 RCS 768, [1999] ACS no 25, au para 25; DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8 (CanLII), [2009] 1 RCS 194).

[…]

[37] Il convient donc à ce stade-ci d’examiner de plus près l’article 41 de la Loi sur les langues officielles.

[38] Tel que mentionné plus haut, la FCFA [Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada] s’appuie sur le paragraphe 41(2) de la Loi qui impose aux institutions fédérales de veiller à ce que des mesures positives soient prises afin de favoriser l’épanouissement des communautés minoritaires (paragraphe 41(1)). Selon la FCFA, le recensement long à caractère obligatoire fait partie de telles mesures positives dont il est fait mention au paragraphe 41(2) et, partant, en adoptant le Décret du 12 août 2010, le gouvernement a violé ses obligations imposées par la Loi.

[39] Il faut préciser que les paragraphes 41(2) et 41(3) de la Loi sur les langues officielles ont effectué leur entrée dans ladite Loi par le truchement d’un amendement en 2005 et ont un caractère exécutoire (DesRochers). Tel que noté plus tôt, le paragraphe 41(2) rappelle qu’il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives afin de mettre en œuvre le paragraphe 41(1) qui lui, demeure déclaratoire d’engagements en matière d’épanouissement des minorités francophones et anglophones. Le paragraphe 41(3) précise que le gouverneur en conseil peut définir les modalités d’exécution des obligations des institutions fédérales dont il est question au paragraphe 41(2) par règlement.

[40] Or, la Partie VII de la Loi – plus particulièrement son paragraphe 41(2) – ne contraint d’aucune manière le gouvernement à la collecte de quelques données que ce soit via le recensement. Du coup, elle n’impose a fortiori aucunement la collecte de données au moyen d’un questionnaire obligatoire long. En fait, aucune disposition de la Partie VII de la Loi, ni aucune autre partie de cette Loi – ni d’ailleurs de la Charte – ne requiert la collecte de données au moyen du recensement comme condition sine qua non de la base de l’octroi des droits qu’elle protège.

[41] Dans les circonstances, la Cour est d’avis qu’il n’existe pas de fondement législatif sur la base duquel des mesures positives puissent être interprétées comme comportant le devoir de recueillir des données par la voie d’un questionnaire long à caractère obligatoire. Le seul fondement législatif en cause est celui de la Loi sur la statistique relatif à l’obligation de tenir un recensement (articles 19 et 21). Or, la façon dont le recensement s’opère et la méthodologie sont laissées à la discrétion du gouvernement et la Cour est d’avis que ni la Partie VII de la Loi sur les langues officielles ni son article 41 n’imposent au gouverneur en conseil une méthodologie particulière en la matière. En effet, rien n’indique que le législateur en adoptant le paragraphe 41(2) de la Loi ait eu l’intention de restreindre le pouvoir et la discrétion du gouverneur en conseil de prendre des actes de législation déléguée autorisés par d’autres lois fédérales, nommément la Loi sur la statistique.

Picard c. Canada (Office de la propriété intellectuelle), 2010 CF 86 (CanLII)

[63] Comme nous l’avons vu précédemment, l’accessibilité des brevets aux citoyens est importante car tout brevet soustrait certaines activités, pourtant interdites par aucune règle de droit, à la liberté d’action de chaque personne au Canada. De plus, parmi les considérations de politique publique qui justifient cette restriction, on retrouve la diffusion des connaissances scientifiques et techniques à l’origine des inventions brevetées.

[64] Le juge Binnie, dissident mais non sur ce point, explique dans Harvard College, ci-dessus, au par. 64, que « la Loi sur les brevets a essentiellement pour effet d’empêcher les autres d’exploiter l’invention comme ils pourraient le faire n’était-ce le monopole conféré par le brevet. En contrepartie de la divulgation publique, le brevet empêche, pendant une période déterminée, l’utilisation non autorisée de l’information divulguée ». Comme l’explique également le juge Binnie, au nom de la Cour suprême, dans Free World, ci-dessus, au paragraphe 42, « [l]e régime de concession de brevets vise à favoriser la recherche et le développement et à encourager l’activité économique en général ».

[65] Cet objectif ne peut être qu’entravé par la non-accessibilité de l’information scientifique et technique contenue dans un brevet à la partie de la population canadienne qui ne parle pas la langue dans laquelle le brevet en question a été rédigé. En somme, le fait que les brevets n’existent que dans une langue officielle prive donc les Canadiens ne parlant pas cette langue d’informations importantes tant sur le plan juridique que sur le plan scientifique.

[66] La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276, au par. 17, insistait sur le fait qu’en créant le recours en vertu de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles, le Parlement a voulu s’assurer que celle-ci « ait des dents, que les droits ou obligations qu’elle reconnaît ou impose ne demeurent pas lettres mortes, et que les membres des minorités linguistiques officielles ne soient pas condamnés à se battre sans cesse et sans garantie au seul niveau politique ».

[67] C’est pourquoi, avec égards, je ne partage pas l’opinion des défendeurs que la non-disponibilité de brevets dans les deux langues officielles ne saurait constituer une violation de la partie VII, vu tous les efforts du gouvernement fédéral en matière de politiques linguistiques.

[68] J’estime cependant que les tribunaux doivent se limiter aux circonstances factuelles relatives à une décision particulière plutôt qu’examiner l’ensemble de la politique linguistique du gouvernement à chaque fois qu’ils sont saisis d’un recours fondé sur la partie VII. Les tribunaux ne sont tout simplement pas équipés pour évaluer l’ensemble de la politique linguistique gouvernementale : une telle évaluation est de nature politique. Le Parlement est mieux situé que les tribunaux pour l’émettre. Par contre, les tribunaux ont l’habitude de se prononcer sur les circonstances factuelles relatives à une décision particulière, et il est logique de supposer qu’en créant un recours juridique pour des atteintes à la partie VII, le Parlement voulait justement faire appel à leur expertise en la matière.

[69] Je conclus donc que les mesures proposées à ce jour par le Bureau des brevets ne sont pas suffisantes pour rencontrer l’obligation qui lui incombe, en tant qu’institution fédérale, de promouvoir l’usage de ces deux langues. Cela dit, les conséquences d’une violation de la partie VII la Loi sur les langues officielles et de ses autres dispositions ne sont pas les mêmes. 

[…]

[75] Comme je l’affirmais ci-haut, à mon avis, une violation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles ne peut entraîner les mêmes réparations que celles des parties I à V de celle-ci. Décider autrement reviendrait à anéantir la différence entre ces dispositions et à nier l’effet des limites précises que les parties I à V posent aux obligations du gouvernement en matière de bilinguisme. De plus, je conviens avec les défendeurs que les décisions des institutions fédérales destinées à donner suite à l’engagement du gouvernement en vertu de la partie VII ont droit à une certaine déférence des tribunaux.

[76] Cependant, elles ne sauraient être déterminantes; autrement, pourquoi le Parlement aurait-il rendu ces dispositions justiciables? Décider que les tribunaux n’ont pas le pouvoir de rendre des ordonnances forçant le gouvernement à prendre des mesures spécifiques pour rectifier des manquements aux obligations qui lui incombent de par la partie VII rendrait le choix fait par le Parlement de lui « donner des dents » en la rendant justiciable inutile et sans effet.

[77] Les réparations suggérées par le demandeur ne tiennent aucun compte de la différence entre la partie VII de la Loi sur les langues officielles et les autres dispositions de celles-ci. Puisque je ne trouve pas que le Commissaire est tenu de délivrer des brevets bilingues en vertu des articles 7, 12 ou 22 de la Loi sur les langues officielles, je ne saurais déclarer qu’il doit le faire pour respecter les obligations qui lui incombent en vertu de la partie VII.

[78] Dans DesRochers, ci-dessus, au par. 37, la Cour suprême a adopté la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans Forum des maires, ci-dessus, au par. 20, à l’effet que dans un recours porté en vertu de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles, « [l]e remède variera selon que la violation perdure ou non ». En l’espèce, la violation de la partie VII perdure, et la Cour doit donc ordonner une réparation en conséquence.

[79] Je rappelle qu’un brevet est un document qui s’adresse au public et l’informe. Si la traduction complète de tous les brevets, est difficilement réalisable, le Bureau des brevets doit à tout le moins rendre disponibles dans les deux langues officielles les abrégés des brevets, comme l’avait proposé le Commissariat aux langues officielles.

[80] Il s’agira, bien entendu d’une traduction non-officielle. Cependant, sa disponibilité constituera une « réparation convenable et juste eu égard aux circonstances », au sens que la Cour suprême a donné à cette expression dans l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), 2003 CSC 62 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 3 aux pars. 55 à 58. Ainsi, elle permettra de défendre utilement les droits linguistiques du demandeur et de tous les Canadiens en leur donnant une bonne idée du contenu des brevets valides en effectuant une recherche préliminaire dans la langue officielle de son choix. Obliger le Commissaire à rendre disponibles les abrégés bilingues ne dépasse ni le mandat de la Cour dans notre système constitutionnel ni les limites de son expertise. De plus cette mesure n’imposera pas de grandes difficultés au Commissaire, puisqu’il ne s’agit, en somme, que d’une confirmation des mesures qu’il affirme lui-même avoir l’intention de prendre.

LaRoque c. Société Radio-Canada, 2009 CanLII 35736 (ON CS)

[53] Je souscris également à la prétention de l’intimée selon laquelle les dispositions de la Loi sur les langues officielles prévoient que le gouvernement du Canada s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. La Loi sur les langues officielles impose une obligation aux institutions fédérales (dont les sociétés d’état) de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre l’engagement prévu.

Voir également :

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

Annotations – Paragraphe 41(3)

DesRochers c. Canada (Industrie), [2009] 1 R.C.S. 194, 2009 CSC 8 (CanLII)

[18] La partie VII s’intitule « Promotion du français et de l’anglais » et, pendant  la période visée en l’espèce, l’art. 41, qui figure dans cette partie, était ainsi libellé :

41. Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

À l’époque du recours intenté par les appelants DesRochers et CALDECH, aucune disposition exécutoire ne s’ajoutait au texte déclaratoire de l’art. 41.  De plus, le recours prévu au par. 77(1) de la LLO et sur lequel s’appuie le recours en l’espèce ne concernait que les plaintes fondées sur les parties IV et V, la partie VII n’ayant été ajoutée au par. 77(1) qu’en 2005, par le truchement d’un amendement législatif (Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), L.C. 2005, ch. 41).

[19] En juillet 2004, soit quelques mois avant que le recours ne soit formé en l’espèce, la Cour d’appel fédérale conclut dans Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276, qu’un recours judiciaire ne peut être intenté sur la base d’une contravention alléguée à l’engagement énoncé dans la partie VII à l’art. 41.  En février 2005, notre Cour accorde une autorisation de pourvoi  à l’encontre de cette décision ([2005] 1 R.C.S. ix). En mai 2005, le juge Harrington entend le présent recours en première instance et décide de l’affaire en juillet, uniquement dans le cadre de la partie IV, conformément à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Forum des maires.

[20] Par la suite, le Parlement modifie la LLO pour y inclure la partie VII dans le par. 77(1) et y ajouter certaines dispositions exécutoires : voir par. 41(2) et (3).  L’autorisation d’appel accordée par la Cour dans l’affaire Forum des maires est alors retirée et déclarée sans effet : Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2005 CSC 85 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 906.

[21] À la lumière de ces développements, voici comment la Cour d’appel fédérale statue sur la portée du recours en l’espèce :

À l’époque du recours intenté par les appelants, la modification législative n’avait pas encore été effectuée. En outre, elle n’est entrée en vigueur que le 25 novembre 2005, sans effet rétroactif.  En conséquence, la décision de notre Cour portant sur le texte du paragraphe 77(1), tel qu’il existait avant la modification, est celle qu’il convient d’appliquer en l’espèce : le recours de l’article 77 n’est donc pas ouvert aux appelants pour des manquements allégués à la partie VII.  [Je souligne.]

(2006 CAF 374 (CanLII), [2007] 3 R.C.F. 3, par. 74)

[22] Les appelants conviennent que la question débattue dans le présent pourvoi relève complètement de l’application de la partie IV de la LLO et ne vise pas les obligations pouvant découler de la partie VII.

Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada c. Canada (Procureur général), [2012] 2 RCF 23, 2010 CF 999 (CanLII)

[39] Il faut préciser que les paragraphes 41(2) et 41(3) de la Loi sur les langues officielles ont effectué leur entrée dans ladite Loi par le truchement d’un amendement en 2005 et ont un caractère exécutoire (DesRochers). Tel que noté plus tôt, le paragraphe 41(2) rappelle qu’il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives afin de mettre en œuvre le paragraphe 41(1) qui lui, demeure déclaratoire d’engagements en matière d’épanouissement des minorités francophones et anglophones. Le paragraphe 41(3) précise que le gouverneur en conseil peut définir les modalités d’exécution des obligations des institutions fédérales dont il est question au paragraphe 41(2) par règlement.

[40] Or, la Partie VII de la Loi – plus particulièrement son paragraphe 41(2) – ne contraint d’aucune manière le gouvernement à la collecte de quelques données que ce soit via le recensement. Du coup, elle n’impose a fortiori aucunement la collecte de données au moyen d’un questionnaire obligatoire long. En fait, aucune disposition de la Partie VII de la Loi, ni aucune autre partie de cette Loi – ni d’ailleurs de la Charte – ne requiert la collecte de données au moyen du recensement comme condition sine qua non de la base de l’octroi des droits qu’elle protège.

[41] Dans les circonstances, la Cour est d’avis qu’il n’existe pas de fondement législatif sur la base duquel des mesures positives puissent être interprétées comme comportant le devoir de recueillir des données par la voie d’un questionnaire long à caractère obligatoire. Le seul fondement législatif en cause est celui de la Loi sur la statistique relatif à l’obligation de tenir un recensement (articles 19 et 21). Or, la façon dont le recensement s’opère et la méthodologie sont laissées à la discrétion du gouvernement et la Cour est d’avis que ni la Partie VII de la Loi sur les langues officielles ni son article 41 n’imposent au gouverneur en conseil une méthodologie particulière en la matière. En effet, rien n’indique que le législateur en adoptant le paragraphe 41(2) de la Loi ait eu l’intention de restreindre le pouvoir et la discrétion du gouverneur en conseil de prendre des actes de législation déléguée autorisés par d’autres lois fédérales, nommément la Loi sur la statistique.

[42] Force est de constater que la Loi sur les langues officielles ne prescrit pas d’obligations qui assujettissent le gouvernement à une méthodologie spécifique tel que le recensement à questionnaire long obligatoire. En fait, quand le législateur a voulu procéder de la sorte, il l’a fait dans le cadre de la mise en œuvre d’un règlement. Ce fut le cas avec le Règlement sur les langues officielles - communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, qui lui exige la tenue d’un recensement comme outil pour déterminer le nombre suffisant pour la mise en œuvre de la Partie IV de la Loi sur les langues officielles.

[…]

[44] Dans le cas qui nous occupe, - la Partie IV de la Loi n’étant pas en cause - la preuve ne contient aucun règlement pris en vertu de la Partie VII de la Loi (paragraphe 41(3)) qui consisterait à définir une méthodologie particulière par rapport au recensement et aucun règlement de cet acabit n’a été porté à l’attention de la Cour.

Voir également :

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

 

42. Coordination

42. Le ministre du Patrimoine canadien, en consultation avec les autres ministres fédéraux, suscite et encourage la coordination de la mise en œuvre par les institutions fédérales de cet engagement.

Annotations – Décision antérieure aux amendements législatifs de 2005

Raîche c. Canada (Procureur général), [2005] 1 RCF 93, 2004 CF 679 (CanLII)

[83] Le défendeur soutient que l'article 41 n'est pas applicable au rapport final de la Commission [de délimitation des circonscriptions électorales fédérales] parce que l'engagement énoncé à la partie VII de la LLO vise uniquement le « gouvernement fédéral ». Comme les commissions de délimitation des circonscriptions électorales ne font pas partie du gouvernement du Canada, elles ne peuvent pas être assujetties à l'engagement gouvernemental énoncé à la partie VII de la LLO.

[84] Par contre, la commissaire soumet que l'article 42 [mod. par L.C. 1995, ch. 11, art. 27] de la LLO engage clairement et expressément les institutions fédérales à la mise en œuvre de l'engagement du gouvernement fédéral énoncé à l'article 41.

[85] La Cour est d'accord avec la commissaire. Tel que la commissaire l'indique, le rôle du ministre du Patrimoine est de « susciter » et d' « encourager » une coordination avec les autres ministres et les institutions afin de développer et de promouvoir l'usage du français et de l'anglais. Cependant, ce sont les institutions fédérales qui doivent mettre en œuvre l'engagement puisque la LLO vise expressément les institutions gouvernementales ainsi que le gouvernement fédéral.

[…]

[90] […] La Cour ne croit pas que la terminologie employée à l'article 41 est ambiguë. Il est clair, tel que le soumet la Commissaire, que le ministre du Patrimoine canadien doit encourager les institutions gouvernementales à appuyer le développement des minorités francophones. Mais, selon la Cour, l'interprétation de la LLO est telle que la législation n'oblige pas les institutions gouvernementales à faire ceci. Faisant référence à la version anglaise, l'article 42 utilise le mot « shall » en parlant des obligations du gouvernement, mais n'utilise pas ce mot en décrivant le rôle des institutions gouvernementales.

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[34] L'article 42 confie au ministre du Patrimoine canadien la responsabilité de susciter et d'encourager "la coordination de la mise en oeuvre par les institutions fédérales de cet engagement". L'alinéa 43(1)a) confie à ce même ministre la responsabilité de prendre "les mesures qu'il estime indiquées" pour "favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement".

[35] Les obligations--on le voit par l'emploi du mot « shall » dans le texte anglais--se retrouvent donc aux articles 42 et 43; elles ne se retrouvent pas à l'article 41. Elles sont par ailleurs des plus générales et vagues et se prêtent mal à l'exercice du pouvoir judiciaire.

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

 

43. (1) Mise en œuvre

43. (1) Le ministre du Patrimoine canadien prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne et, notamment, toute mesure :

a) de nature à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement;

b) pour encourager et appuyer l'apprentissage du français et de l'anglais;

c) pour encourager le public à mieux accepter et apprécier le français et l'anglais;

d) pour encourager et aider les gouvernements provinciaux à favoriser le développement des minorités francophones et anglophones, et notamment à leur offrir des services provinciaux et municipaux en français et en anglais et à leur permettre de recevoir leur instruction dans leur propre langue;

e) pour encourager et aider ces gouvernements à donner à tous la possibilité d'apprendre le français et l'anglais;

f) pour encourager les entreprises, les organisations patronales et syndicales, les organismes bénévoles et autres à fournir leurs services en français et en anglais et à favoriser la reconnaissance et l'usage de ces deux langues, et pour collaborer avec eux à ces fins;

g) pour encourager et aider les organisations, associations ou autres organismes à refléter et promouvoir, au Canada et à l'étranger, le caractère bilingue du Canada;

h) sous réserve de l'aval du gouverneur en conseil, pour conclure avec des gouvernements étrangers des accords ou arrangements reconnaissant et renforçant l'identité bilingue du Canada.

43. (2) Consultation

43. (2) Il prend les mesures qu'il juge aptes à assurer la consultation publique sur l'élaboration des principes d'application et la révision des programmes favorisant la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.   

Annotations

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[34] L'article 42 confie au ministre du Patrimoine canadien la responsabilité de susciter et d'encourager « la coordination de la mise en œuvre par les institutions fédérales de cet engagement ». L'alinéa 43(1)a) confie à ce même ministre la responsabilité de prendre « les mesures qu'il estime indiquées » pour « favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement ».

[35] Les obligations--on le voit par l'emploi du mot « shall » dans le texte anglais--se retrouvent donc aux articles 42 et 43; elles ne se retrouvent pas à l'article 41. Elles sont par ailleurs des plus générales et vagues et se prêtent mal à l'exercice du pouvoir judiciaire.

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

 

44. Rapport annuel

44. Dans les meilleurs délais après la fin de chaque exercice, le ministre du Patrimoine canadien dépose un rapport annuel au Parlement sur les questions relevant de sa mission en matière de langues officielles.

Annotations

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[26] Le paragraphe 82(1) est particulièrement révélateur à cet égard, puisqu'il établit la primauté de certaines parties seulement de la Loi [sur les langues officielles] sur toute autre loi, et la partie VII n'est pas de celles-là. Par ailleurs, l'imputabilité politique varie selon les parties de la Loi qui sont en cause, le Conseil du Trésor, par exemple, étant responsable de l'application des parties IV, V et VI (voir l'article 46) et le ministre du Patrimoine canadien, de l'application de la partie VII (voir les articles 42, 43 et 44 [mod. par L.C. 1995, ch. 11, art. 29]). Selon l'article 31, les dispositions de la partie IV l'emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V. Enfin, l'article 91 de la Loi précise qu'en matière de dotation en personnel, les parties IV et V de la Loi ne produisent pas certains effets.

NOTA – Cette décision a été rendue avant les modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005, lesquelles ont fait ajouter les paragraphes 41(2) et 41(3) et ont rendu la partie VII justiciable en vertu de la l’art. 77 de la même loi.

 

45. Consultations et négociations avec les provinces

45. Tout ministre fédéral désigné par le gouverneur en conseil peut procéder à des consultations et négociations d'accords avec les gouvernements provinciaux en vue d'assurer le plus possible, sous réserve de la partie IV et compte tenu des besoins des usagers, la coordination des services fédéraux, provinciaux, municipaux, ainsi que ceux liés  à l'instruction, dans les deux langues officielles.  

 

Partie VIII – Attributions et obligations du Conseil du Trésor en matière de langues officielles

46. (1) Mission du Conseil du Trésor

46. (1) Le Conseil du Trésor est chargé de l’élaboration et de la coordination générales des principes et programmes fédéraux d’application des parties IV, V et VI dans les institutions fédérales, à l’exception du Sénat, de la Chambre des communes, de la bibliothèque du Parlement, du bureau du conseiller sénatorial en éthique, du bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, du Service de protection parlementaire et du bureau du directeur parlementaire du budget.

46. (2) Attributions

46. (2) Le Conseil du Trésor peut, dans le cadre de cette mission :

a) établir des principes d'application des parties IV, V et VI ou en recommander au gouverneur en conseil;

b) recommander au gouverneur en conseil des mesures réglementaires d'application des parties IV, V et VI;

c) donner des instructions pour l'application des parties IV, V et VI;

d) surveiller et vérifier l'observation par les institutions fédérales des principes, instructions et règlements - émanant tant de lui-même que du gouverneur en conseil - en matière de langues officielles;

e) évaluer l'efficacité des principes et programmes des institutions fédérales en matière de langues officielles;

f) informer le public et le personnel des institutions fédérales sur les principes et programmes d'application des parties IV, V et VI;

g) déléguer telle de ses attributions aux administrateurs généraux ou autres responsables administratifs d'autres institutions fédérales.  

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 46; 2004, ch. 7, art. 29; 2006, ch. 9, art. 24; 2015, ch. 36, art. 148; 2017, ch. 20, art. 183.

Annotations

Canada (Procureur général) c. Shakov, 2017 CAF 250 (CanLII)

IV. Questions en litige

[53] Le procureur général du Canada, appelant en l’espèce, soulève trois questions.

[…]

[55] Deuxièmement, le procureur général affirme que la Cour fédérale, dans son examen de la question relative aux langues officielles, a conclu à tort au caractère déraisonnable de la décision de la CFP [Commission de la fonction publique]. Selon le procureur général, l’alinéa 30(2)a) de la LEFP [Loi sur l’emploi dans la fonction publique], les paragraphes 36(1) et 46(1), l’alinéa 46(2)c) et l’article 91 de la LLO ainsi que la Directive sur l’identification linguistique des postes ou des fonctions du Conseil du Trésor, pris ensemble, faisaient en sorte d’imposer un profil linguistique minimal de « BBB » pour le poste de directeur. Il en est ainsi parce que le poste est situé dans la région de la capitale nationale et nécessite la supervision de plusieurs employés occupant des postes ayant des profils linguistiques bilingues.

V. Analyse

[64] À mon avis, l’alinéa 30(2)a) de la LEFP, les paragraphes 36(1) et 46(1), l’alinéa 46(2)c) et l’article 91 de la LLO ainsi que la Directive sur l’identification linguistique des postes ou des fonctions, pris ensemble, pourraient très bien avoir pour effet d’exiger que les postes de supervision au sein de ministères fédéraux dans la région de la capitale nationale soient désignés bilingues. En effet, le paragraphe 36(1) et l’alinéa 46(2)c) de la LLO confèrent au Conseil du Trésor le pouvoir de définir les exigences linguistiques associées aux postes, et, suivant la Directive, le niveau de ces postes ne saurait être inférieur à bilingue « BBB ».

[65] Toutefois, la CFP n’était pas chargée de déterminer ce qu’exigeait la Directive. Elle était plutôt chargée de décider si la CMF [Commissariat à la magistrature fédérale], M. Giroux et Mme Clemenhagen avaient fait preuve d’une conduite irrégulière interdite par l’article 66 de la LEFP.

[…]

[67] En l’espèce, l’enquêtrice était d’avis qu’une conduite avait bafoué les valeurs consacrées par la LEFP parce que le profil linguistique du poste à durée déterminée avait été ramené à « anglais essentiel » en fonction des compétences de M. Shakov. Or, dans les circonstances inhabituelles de cette affaire, où la survie d’une importante Division était en jeu, l’enquêtrice était tenue d’examiner d’autres facteurs avant de tirer une conclusion quant à la conduite.

[68] Précisons que le CMF, M. Giroux et Mme Clemenhagen se trouvaient dans une situation où s’affrontaient, d’une part, les valeurs consacrées par la LEFP destinées à assurer la nomination urgente d’un candidat compétent et, d’autre part, le respect des exigences linguistiques applicables à la dotation. Seul M. Shakov était raisonnablement susceptible de répondre aux besoins urgents du CMF et d’assurer la survie de la division des Programmes internationaux.

[69] Si le CMF avait disposé des fonds nécessaires, il aurait pu pourvoir le poste de directeur pour une durée indéterminée, le désigner bilingue et l’offrir à M. Shakov par voie de nomination non impérative en vertu du Règlement sur les nominations et du Décret d’exemption. Autrement dit, si le CMF avait eu les fonds, il aurait pu faire exactement ce qu’il a fait, et ce sans enfreindre la Directive.

[…]

[74] L’enquêtrice ne s’est pas prononcée au vu des faits tels qu’ils se présentaient; sa décision est donc déraisonnable. Elle n’a pas répondu à la question qu’elle devait trancher, à savoir si la décision d’assortir de la désignation « anglais essentiel » un poste à durée déterminée de direction dans la région de la capitale nationale en vue d’éviter la disparition probable d’une partie de la fonction publique qui fournit un important service international constituait une conduite irrégulière interdite par l’article 66 de la LEFP.

[75] En tirant cette conclusion, je suis tout à fait consciente que les droits conférés par la LLO sont fondamentaux et je souscris entièrement aux observations formulées à cet égard par mon collègue, le juge Stratas, aux paragraphes 111 à 116 et 119 à 122 de ses motifs. Cependant, ce n’est pas une raison pour confirmer la décision de la CFP si cette dernière a négligé la principale question dont elle était saisie, car la Cour usurperait ainsi le rôle que le législateur a confié à la CFP. J’estime ainsi que la décision de la CFP doit être annulée. 

[76] La CFP, en plus d’avoir négligé la question qu’elle était appelée à trancher, a rendu une décision à mon avis déraisonnable dans la mesure où elle a ordonné la révocation de la nomination à durée déterminée de M. Shakov rétroactive au jour précédant sa nomination à son poste actuel, à durée indéterminée. À l’époque où la mesure corrective a été ordonnée, M. Shakov n’occupait plus le poste à durée déterminé et avait satisfait aux exigences linguistiques d’un poste de supervision bilingue. Il avait également été nommé à un poste à durée indéterminée, qu’il occupe actuellement. Par conséquent, ce volet de la mesure ordonnée n’a servi qu’à démettre une personne qualifiée et méritante d’un poste difficile à combler.

[77] Certes, le pouvoir de réparation des tribunaux administratifs —tout particulièrement dans l’arène du droit du travail et de l’emploi — est vaste, mais il n’est pas absolu. Une ordonnance réparatrice sera déraisonnable si elle va à l’encontre de l’objet de la loi en vertu de laquelle elle a été rendue (Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), 1996 CanLII 220 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 369, par. 68; VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, 2004 CAF 194 (CanLII), par. 63, [2005] 1 R.C.F. 205).

[78] J’estime que le volet de l’ordonnance rendue par la CFP dans laquelle elle révoque rétroactivement la nomination de M. Shakov au poste à durée déterminée va à l’encontre de l’objet de la LEFP en ce sens qu’elle a eu pour effet de démettre un candidat qualifié d’un poste difficile à combler. C’est tout le contraire du principe du mérite. 

[79] D’ailleurs, le procureur général reconnaît, au moins implicitement, que ce volet de l’ordonnance de la CFP était déraisonnable, car il affirme que, même si la décision de cette dernière était confirmée, elle pourrait tout de même nommer M. Shakov au poste à durée indéterminée, qu’il occupe à l’heure actuelle, en vertu de l’article 73 de la LEFP. Une telle nomination évacuerait complètement cette partie de la décision.

[80] En outre, je conviens avec M. Shakov pour dire que cette mesure prise par la CFP va à l’encontre de sa propre ligne directrice sur les réparations convenables. En effet, elle n’a pas tenu compte du fait que M. Shakov n’y était pour rien dans les décisions contestées et pourtant cette mesure a eu des répercussions très graves pour lui. Il a accepté à contre-cœur cette nomination à durée déterminée, à son détriment sur le plan financier, pour le bien de la Division des programmes internationaux du CMF. Or, la mesure corrective aurait pour effet de le priver d’un emploi, et ce après qu’il ait occupé le poste depuis plusieurs années.

LE JUGE STRATAS (Motifs dissidents)

[111] Primo, l’importance de la langue. La langue n’est pas qu’un outil. « C’est [. . .] pour un peuple un moyen d’exprimer son identité culturelle. C’est aussi le moyen par lequel un individu exprime son identité personnelle et son individualité » (R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 17, citant Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748-49). La langue est intimement liée à l’identité personnelle et culturelle, à la dignité et à la personnalité.

[112] Secundo, l’importance du travail. Pour nombre d’entre nous, le travail occupe la plus grande partie de nos journées et constitue la pierre angulaire ou, à tout le moins, un aspect fondamental de nos vies. Le juge en chef Dickson a fait une remarque éloquente à ce sujet :

Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel. C’est pourquoi les conditions dans lesquelles une personne travaille sont très importantes pour ce qui est de façonner l’ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu’elle a d’elle-même.

(Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 368).

[113] Il ressort de cette citation que l’intersection de la langue et du travail — soit la langue de travail — n’est pas négligeable. Il n’est pas surprenant que le législateur et le Conseil du Trésor, l’employeur principal de l’État, y aient consacré beaucoup d’attention, sur les plans législatif et administratif. La Commission, qui interprète et applique la législation, les mesures administratives et les politiques, et notre Cour, qui contrôle les décisions de la Commission, devons garder à l’esprit le rôle considérable de la langue de travail.

[114] Tertio, l’égalité réelle. Ce concept reconnaît qu’une conduite à première vue neutre qui assure un traitement identique « peut fréquemment engendrer de graves inégalités » (Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30 (CanLII), [2015] 2 R.C.S. 548, par. 17, renvoyant à Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, p. 164). L’analyse relative à l’égalité réelle cherche à voir s’il existe un effet négatif disproportionné sur un groupe précis en raison des antécédents ou des caractéristiques du groupe. Pour savoir s’il y a égalité réelle, il faut creuser sous la surface et examiner « l’effet réel [de la mesure ou décision contestée], compte tenu de l’ensemble des facteurs sociaux, politiques, économiques et historiques » (Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 396, par. 39).

[115] Il y a deux décennies, dans l’arrêt Beaulac, la Cour suprême a intégré la notion d’égalité réelle à notre conception des droits linguistiques. Elle y fait les observations suivantes (par. 22 et 24) :

L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique. En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable. Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien.

[…]

Ce principe d’égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État [références omises]. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement.

[116] Depuis l’arrêt Beaulac, l’interprétation stricte des droits linguistiques a été écartée en faveur d’une approche téléologique fondée sur le principe de l’égalité réelle (Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 3, par. 31; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 773, par. 22; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 194, par. 31; Association des parents de l’école Rosedesvents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21 (CanLII), [2015] 2 R.C.S. 139, par. 29-30; Warren J. Newman, « Understanding Language Rights, Equality and the Charter: Towards a Comprehensive Theory of Constitutional Interpretation », (2004) 15 Nat’l J. Const. L. 363, p. 394).

[…]

[119] Prenons l’exemple d’un employé qui, contrairement aux autres employés et à leurs superviseurs, est obligé de fonctionner toujours dans la langue qui n’est pas celle qu’il préfère ou dont le milieu de travail le rend mal à l’aise d’utiliser la langue officielle de son choix. Ces employés seront-ils aussi bien placés ou aussi à l’aise que les autres pour persuader leur unité de travail d’adopter un plan audacieux et novateur, par exemple? Seront-ils aussi confiants que leurs collègues pour se proposer à mener des équipes? Seront-ils à l’aise ou en mesure de faire la gymnastique linguistique nécessaire pour aviser les superviseurs, avec tact, professionnalisme et respect, du rendement insatisfaisant d’un collègue dans le cadre d’un projet? Ces employés seront-ils en mesure ou à l’aise d’employer une expression idiomatique qui n’a pas son pendant dans leur culture ou langue? Si leur supérieur les interroge sur une baisse récente dans leur productivité, ces employés seront-ils en mesure ou à l’aise de faire comprendre à leur superviseur qu’ils traversent une épreuve familiale?

[120] Il se peut que ces employés fonctionnent bien au sein de leur unité de travail. Or, peut-on dire qu’ils jouissent de l’égalité réelle? Les mesures comme la traduction des notes de service et les logiciels bilingues, si elles traitent les employés de manière identique, ne permettent pas forcément d’atteindre le but d’égalité réelle. L’égalité linguistique en milieu de travail ne saurait dépendre simplement du fait qu’un employé est à l’aise de lever la main en cours de réunion, peut comprendre un courriel ou s’entretenir avec un supérieur. En bout de ligne, une dotation juste et bien fondée, sur le plan linguistique, des postes pertinents constitue un pas dans la direction de l’égalité réelle.

[121] Il ne sert à rien de dire qu’il est possible de prendre des mesures pour accommoder l’employé ou réduire le préjudice, comme faire appel à une personne qui peut parler la même langue officielle que l’employé en cas de besoin. Les mesures d’accommodement et les solutions temporaires ne permettent pas la reconnaissance et le respect des droits linguistiques (Voir Beaulac, par. 24 et 45; Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII), par. 22-23; DesRochers, par. 31; Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII), par. 82). Les mesures d’accommodement et les solutions temporaires ne permettent pas non plus d’atteindre ou de respecter le but que constitue l’égalité réelle (ibid. et Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 536). En comptant sur des mesures d’accommodement et des solutions temporaires — en traitant l’exercice par une personne de ses droits linguistiques comme s’il s’agissait d’une exception ou d’une anomalie que l’on tolère et gère au besoin — on bafoue les notions d’égalité réelle et d’appartenance qui sont au cœur du concept d’égalité. La vision de l’égalité réelle énoncée dans l’arrêt Beaulac [traduction] « ne peut s’accomplir en [réaction à une situation], en adoptant la moins pire des solutions possibles compte tenu des ressources ». La Cour suprême dans l’arrêt Beaulac exige que « l’État se conduise sur le plan linguistique comme s’il appartenait aux deux communautés de langues officielles » (Denise G. Réaume, « The Demise of the Political Compromise Doctrine: Have Official Language Use Rights Been Revived? », (2002) 47 McGill L.J. 593, p. 620).

NOTA – Une demande d’autorisation d’appel a été déposée à la Cour suprême du Canada.

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[26] Le Conseil du Trésor peut donner des instructions pour l'application des parties IV, V et VI et peut informer le public et le personnel des institutions fédérales sur les principes et programmes d'application des parties IV, V et VI (voir les alinéas 46(2)c) et f) de la LLO). Bien que VIA, à titre de société d'État, et, donc, à titre d'employeur distinct, ne soit pas soumise aux politiques et aux directives du SCT [Secrétariat du Conseil du Trésor], le commissaire a estimé qu'elle devait, à titre d'institution fédérale, respecter les principes sous-jacents et l'objet des politiques du Secrétariat en matière de langues officielles. Par conséquent, le commissaire a examiné la légalité des exigences de VIA en matière de bilinguisme en fonction de la directive du Conseil du Trésor quant à la dotation impérative et non impérative des postes bilingues dans la fonction publique fédérale.

Voir également : Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner c. Via Rail Canada, 2009 CF 857 (CanLII), Temple c. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 RCF 80, 2009 CF 858 (CanLII)

Canada (Procureur général) c. Green, [2000] 4 RCF 629, 2000 CanLII 17146 (CF)

[46] La partie IV de la LLO s'intitule « Communications avec le public et prestation des services », la partie V porte sur la langue de travail, la partie XIII impose au Conseil du Trésor des obligations en matière de langues officielles, et la partie XI contient des dispositions générales comme celle établissant la primauté de la LLO sur les autres lois (article 82) et celle sur la dotation en personnel (article 91). Voici le libellé des articles pertinents de la partie IV (articles 21 et 22), de la partie V (articles 34 et 35), de la partie VIII (article 46), ainsi que des articles 82 et 91 de la LLO: […]

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[37] Les articles 46 à 48 de la partie VIII de la Loi [sur les langues officielles] prévoient plus précisément que le Conseil du Trésor est chargé de l'application de la partie IV qui porte sur les communications avec le gouvernement et les services qu'il offre, de la partie V, qui régit la langue de travail et de la partie VI, qui vise les chances d'emploi et d'avancement au sein de la fonction publique pour les deux collectivités de langue officielle.

 

47. Rapport envoyé au commissaire

47. Le dirigeant principal des ressources humaines nommé en vertu du paragraphe 6(2.1) de la Loi sur la gestion des finances publiques fait parvenir au commissaire tous rapports établis au titre de l’alinéa 46(2)d).

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 47; 2005, ch. 15, art. 3; 2010, ch. 12, art. 1676.

Annotations

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[37] Les articles 46 à 48 de la partie VIII de la Loi [sur les langues officielles] prévoient plus précisément que le Conseil du Trésor est chargé de l'application de la partie IV qui porte sur les communications avec le gouvernement et les services qu'il offre, de la partie V, qui régit la langue de travail et de la partie VI, qui vise les chances d'emploi et d'avancement au sein de la fonction publique pour les deux collectivités de langue officielle.

 

48. Rapport au Parlement

48. Dans les meilleurs délais après la fin de chaque exercice, le président du Conseil du Trésor dépose devant le Parlement un rapport sur l'exécution des programmes en matière de langues officielles au sein des institutions fédérales visées par sa mission.

Annotations

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[37] Les articles 46 à 48 de la partie VIII de la Loi [sur les langues officielles] prévoient plus précisément que le Conseil du Trésor est chargé de l'application de la partie IV qui porte sur les communications avec le gouvernement et les services qu'il offre, de la partie V, qui régit la langue de travail et de la partie VI, qui vise les chances d'emploi et d'avancement au sein de la fonction publique pour les deux collectivités de langue officielle.

 

Partie IX – Commissaire aux langues officielles

Commissariat

49. (1) Nomination du commissaire

49. (1) Est institué le poste de commissaire aux langues officielles du Canada. Le titulaire est nommé par commission sous le grand sceau, après approbation par résolution du Sénat et de la Chambre des communes.

49. (2) Durée du mandat et révocation

49. (2) Le commissaire est nommé à titre inamovible pour un mandat de sept ans, sauf révocation par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes.

49. (3) Renouvellement du mandat

49. (3) Le mandat du commissaire est renouvelable pour des périodes d'au plus sept ans chacune.

49. (4) Absence ou empêchement

49. (4) En cas d'absence ou d'empêchement du commissaire ou de vacance de son poste, le gouverneur en conseil peut, après consultation par le premier ministre des présidents du Sénat et de la Chambre des communes, confier à une autre personnalité compétente, pour un mandat maximal de six mois, les attributions conférées au titulaire par la présente loi et fixer la rémunération et les indemnités auxquelles elle a droit. 

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 RCS 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[37] Le Commissaire aux langues officielles et le Commissaire à la protection de la vie privée détiennent un mandat dont plusieurs éléments importants sont propres au rôle d’un ombudsman (voir M. A. Marshall et L. C. Reif, « The Ombudsman : Maladministration and Alternative Dispute Resolution » (1995), 34 Alta. L. Rev. 215) :

– Ils sont indépendants de l’administration gouvernementale et occupent leur charge à titre inamovible pour une période déterminée.  Ils reçoivent le même traitement qu’un juge de la Cour fédérale.  Cette indépendance est renforcée du fait  qu’ils ne peuvent pas généralement être contraints à témoigner et jouissent d’une immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions;

– Ils examinent les plaintes des citoyens contre l’administration gouvernementale et mènent des enquêtes impartiales;

– Ils cherchent à obtenir la réparation appropriée lorsque la plainte du citoyen est fondée sur des moyens non judiciaires; 

– Ils cherchent à améliorer le degré de conformité de l’administration gouvernementale à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur les langues officielles;

– Ils sont généralement tenus à la confidentialité.

 

50. (1) Rang et non-cumul de fonctions

50. (1) Le commissaire a rang et pouvoirs d'administrateur général de ministère; il se consacre à sa charge à l'exclusion de tout autre poste au service de Sa Majesté ou de tout autre emploi.

50. (2) Traitement et indemnités

50. (2) Le commissaire reçoit le traitement d'un juge de la Cour fédérale autre que le juge en chef. Il a droit aux frais de déplacement et de séjour entraînés par l'accomplissement de ses fonctions hors du lieu de sa résidence habituelle.

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 50; 2002, ch. 8, art. 157.                 

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[37] Le Commissaire aux langues officielles et le Commissaire à la protection de la vie privée détiennent un mandat dont plusieurs éléments importants sont propres au rôle d’un ombudsman (voir M. A. Marshall et L. C. Reif, « The Ombudsman : Maladministration and Alternative Dispute Resolution » (1995), 34 Alta. L. Rev. 215) :

– Ils sont indépendants de l’administration gouvernementale et occupent leur charge à titre inamovible pour une période déterminée.  Ils reçoivent le même traitement qu’un juge de la Cour fédérale.  Cette indépendance est renforcée du fait  qu’ils ne peuvent pas généralement être contraints à témoigner et jouissent d’une immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions;

– Ils examinent les plaintes des citoyens contre l’administration gouvernementale et mènent des enquêtes impartiales;

– Ils cherchent à obtenir la réparation appropriée lorsque la plainte du citoyen est fondée sur des moyens non judiciaires;

– Ils cherchent à améliorer le degré de conformité de l’administration gouvernementale à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur les langues officielles

– Ils sont généralement tenus à la confidentialité.

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

[26] Cette responsabilité qui est attribuée à un administrateur général de vérifier si l'esprit de la Loi et l'intention du législateur ont été respectés dans un cas donné, est exceptionnelle. Le commissaire se voit reconnaître un pouvoir d'intervention tout à fait inhabituel et le Parlement lui dicte expressément, lorsqu'il reçoit une plainte, d'aller au fond des choses et de ne pas se contenter d'examiner la légalité technique du comportement de l'administration qui fait l'objet de la plainte.

 

51. Personnel

51. Le personnel nécessaire au bon fonctionnement du commissariat est nommé conformément à la loi.  

 

52. Concours d'experts

52. Le commissaire peut engager temporairement des experts compétents dans les domaines relevant de son champ d'activité et, avec l'approbation du Conseil du Trésor, fixer et payer leur rémunération et leurs frais.

 

53. Assimilation à fonctionnaire

53. Le commissaire et le personnel régulier du commissariat sont réputés appartenir à la fonction publique pour l’application de la Loi sur la pension de la fonction publique.

L.R. (1985), ch. 31 (4e suppl.), art. 53; 2003, ch. 22, art. 225(A).           

 

54. Autonomie financière

54. Sur recommandation du Conseil du Trésor, le gouverneur en conseil peut, par décret, soustraire le commissaire à l'exécution d'instructions - données par le Conseil du Trésor ou lui-même en application de la Loi sur la gestion des finances publiques - concernant la gestion des institutions fédérales par leurs administrateurs généraux ou autres responsables administratifs.       

 

Mandat du commissaire

55. Fonctions du commissaire

55. Le commissaire exerce les attributions que lui confèrent la présente loi et toute autre loi fédérale; il peut en outre se livrer à toute activité connexe autorisée par le gouverneur en conseil.        

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[35] Tout comme le Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire aux langues officielles joue un rôle important.  C’est à lui que revient la tâche de prendre toutes les mesures nécessaires visant la reconnaissance du statut de chacune des deux langues officielles et de faire respecter l’esprit de la Loi sur les langues officielles notamment au sein de l’administration des affaires des institutions fédérales.  C’est donc le commissaire qui a le mandat d’assurer la poursuite des objectifs de cette loi.  Pour lui permettre de s’acquitter de cette mission sociale de grande envergure, le Parlement du Canada l’a investi de vastes pouvoirs.  Ainsi, il peut procéder à des enquêtes sur un cas précis de nonreconnaissance du statut dune langue officielle ou de manquement à une loi ou un règlement fédéral sur le statut ou lusage des deux langues officielles ou, encore, à l’esprit de la Loi sur les langues officielles ou à l’intention du législateur :

56. (1) Il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne.

(2) Pour s’acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu’il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.

58. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue -- sur un acte ou une omission -- et faisant état, dans l’administration d’une institution fédérale, d’un cas précis de nonreconnaissance du statut d’une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou encore à l’esprit de la présente loi et à l’intention du législateur.

(2) Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants. [Je souligne.]

Le commissaire peut également exercer son influence persuasive afin de mettre en œuvre toute décision prise et de donner suite aux recommandations formulées après une enquête.  Ainsi, le par. 63(3) de la Loi sur les langues officielles prévoit qu’il peut demander aux administrateurs généraux ou aux autres responsables administratifs de l’institution fédérale concernée de lui faire savoir, dans un délai qu’il fixe, les mesures envisagées pour donner suite à ses recommandations.  Il peut en outre, selon  son appréciation et après examen des réponses faites par l’institution fédérale concernée ou en son nom, transmettre au gouverneur en conseil un exemplaire du rapport et de ses recommandations; celui-ci peut ensuite prendre les mesures qu’il juge indiquées pour donner suite au rapport (par. 65(1) et (2)).  Le commissaire peut déposer une copie du rapport au Parlement lorsque le gouverneur en conseil n’a pas donné suite au rapport (par. 65(3)).  Enfin, il a le pouvoir d’exercer un recours judiciaire avec le consentement du plaignant (art. 78).

[…]

[37]  Le Commissaire aux langues officielles et le Commissaire à la protection de la vie privée détiennent un mandat dont plusieurs éléments importants sont propres au rôle d’un ombudsman (voir M. A. Marshall et L. C. Reif, « The Ombudsman : Maladministration and Alternative Dispute Resolution » (1995), 34 Alta. L. Rev. 215) :

– Ils sont indépendants de l’administration gouvernementale et occupent leur charge à titre inamovible pour une période déterminée.  Ils reçoivent le même traitement qu’un juge de la Cour fédérale.  Cette indépendance est renforcée du fait  qu’ils ne peuvent pas généralement être contraints à témoigner et jouissent d’une immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions;

– Ils examinent les plaintes des citoyens contre l’administration gouvernementale et mènent des enquêtes impartiales;

– Ils cherchent à obtenir la réparation appropriée lorsque la plainte du citoyen est fondée sur des moyens non judiciaires;

– Ils cherchent à améliorer le degré de conformité de l’administration gouvernementale à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur les langues officielles;

– Ils sont généralement tenus à la confidentialité.

[38] Le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire aux langues officielles utilisent une approche qui les distingue d’une cour de justice.  Ils ont pour mission propre de résoudre les tensions d’une manière informelle.  C’est, entre autres, pour répondre aux limites des recours judiciaires que l’ombudsman a été créé.  En effet, selon W. Wade (Administrative Law (8e éd. 2000), p. 87-88) :

[TRADUCTION] Si un acte illégal est commis, le droit administratif peut prévoir un recours, quoique la procédure des cours de justice soit trop formelle et trop coûteuse pour convenir à de nombreux plaignants.  Mais des griefs justifiés peuvent tout aussi bien découler d’un acte légal ou d’un acte qui n’est, en tout cas, pas clairement illégal, lorsqu’un organisme gouvernemental a agi de façon inconsidérée ou inéquitablement, ou lorsqu’il a induit en erreur le plaignant, qu’il a retardé son dossier de façon excessive ou qu’il l’a traité cavalièrement. Un tribunal créé par la loi est parfois en mesure de l’aider à peu de frais et de façon informelle.  Il y a cependant un bon nombre de griefs qui ne correspondent à aucun des modèles juridiques habituels, mais qui n’en sont pas moins réels.  Un système de gouvernement empreint de compassion doit fournir un moyen de régler ces griefs, tant pour les fins de la justice que parce que l’accumulation du mécontentement constitue un obstacle important à l’efficacité administrative dans un pays démocratique. [. . .] Toute forme de gouvernement a besoin d’un mécanisme régulier bien rodé pour répondre, après évaluation impartiale, aux réactions de ses clients insatisfaits et pour corriger ce qui a pu mal fonctionner.  [. . .] C’est parce qu’il a comblé ce besoin que l’instrument que constitue l’ombudsman s’est soudainement attiré une immense popularité, faisant le tour du monde démocratique et prenant racine en GrandeBretagne et dans de nombreux autres pays tout en faisant couler beaucoup dencre.

[49] L’objet de l’art. 55 de la Loi sur les langues officielles est de circonscrire les attributions du commissaire à celles prévues par cette loi ou une autre loi fédérale :

55.  Le commissaire exerce les attributions que lui confèrent la présente loi et toute autre loi fédérale; il peut en outre se livrer à toute activité connexe autorisée par le gouverneur en conseil.

Or, l’al. 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels confère au Commissaire aux langues officielles le pouvoir de refuser l’accès aux renseignements demandés si la divulgation risque vraisemblablement de nuire au déroulement de ses enquêtes.  C’est principalement sur cette disposition que le commissaire appuie son refus de donner accès aux renseignements.

[…]

[63] Bien que le rôle du Commissaire aux langues officielles s’apparente à celui du Commissaire à la protection de la vie privée, les deux lois dont ils sont chargés d’assurer le respect et leurs circonstances d’application sont différentes à bien des égards.  La langue est un moyen d’expression qui appartient à l’individu.  Elle permet l’épanouissement de la culture et des traditions propres à un groupe culturel et représente un véhicule privilégié d’expression et de communication de la pensée.  Il n’est pas étonnant que l’histoire du Canada soit marquée par plusieurs luttes linguistiques considérant la présence de deux langues dominantes au pays.  Comme l’expose A. Braën, la langue est un repère culturel pouvant être à l’origine de conflits (« Les droits linguistiques », dans M.  Bastarache, dir., Les droits linguistiques au Canada (1986), 1, p. 17 :

La langue est un mode privilégié d’expression culturelle et sa vitalité est, selon la même Commission [Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme], une condition nécessaire, quoiqu’insuffisante à elle seule, au maintien intégral d’une culture.  Elle demeure malgré tout un foyer continu de tensions au sein d’une société bilingue ou multilingue dans la mesure où la langue exprime une communauté d’intérêts propres à un groupe linguistique et culturel. [Je souligne.]

Concernant l’histoire du bilinguisme au Canada, voir : C.-A. Sheppard, The Law of Languages in Canada (1971), étude no 10 de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, p. 1-96, et F. Chevrette et H. Marx, Droit constitutionnel : notes et jurisprudence (1982), p. 1583-1588.

[…]

[65] Le législateur a assujetti le Commissariat aux langues officielles à l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et ce n’est que lorsque l’institution fédérale peut justifier l’exercice de sa discrétion de refuser la divulgation qu’elle peut le faire.  Dans le cas qui nous concerne, l’appelant n’a pas réussi à démontrer qu’il est raisonnable de maintenir la confidentialité.   Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi principal.

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (CAF) [hyperlien non disponible]

[17] La consécration constitutionnelle de droits linguistiques et leur prolongement quasi-constitutionnel, nuancés par l’appel à la prudence lancé aux tribunaux par la Cour suprême, n’emportent pas pour autant, à moins d’indications précises en ce sens, une modification des compétences des tribunaux appelés à interpréter et à appliquer ces droits.  De même que la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas en elle-même source de compétences nouvelles, de même la Loi sur les langues officielles de 1988 n’établit pas de compétences nouvelles autres que celles, dévolues au commissaire aux langues officielles et à la Section de première instance de la Cour fédérale, qu’elle établit expressément. 

Voir également :

Parasiuk c. Québec (Tribunal administratif), 2004 CanLII 16530 (CS QC)

 

56. (1) Mission

56. (1) Il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l'esprit de la présente loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l'anglais dans la société canadienne.

56. (2) Enquêtes

56. (2) Pour s'acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu'il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.  

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[35] Tout comme le Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire aux langues officielles joue un rôle important.  C’est à lui que revient la tâche de prendre toutes les mesures nécessaires visant la reconnaissance du statut de chacune des deux langues officielles et de faire respecter l’esprit de la Loi sur les langues officielles notamment au sein de l’administration des affaires des institutions fédérales.  C’est donc le commissaire qui a le mandat d’assurer la poursuite des objectifs de cette loi.  Pour lui permettre de s’acquitter de cette mission sociale de grande envergure, le Parlement du Canada l’a investi de vastes pouvoirs.  Ainsi, il peut procéder à des enquêtes sur un cas précis de non-reconnaissance du statut d’une langue officielle ou de manquement à une loi ou un règlement fédéral sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou, encore, à l’esprit de la Loi sur les langues officielles ou à l’intention du législateur.

56. (1) Il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne.

(2) Pour s’acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu’il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.

58. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue -- sur un acte ou une omission -- et faisant état, dans l’administration d’une institution fédérale, d’un cas précis de nonreconnaissance du statut d’une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou encore à l’esprit de la présente loi et à l’intention du législateur.

(2) Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants. [Je souligne.]

Le commissaire peut également exercer son influence persuasive afin de mettre en œuvre toute décision prise et de donner suite aux recommandations formulées après une enquête.  Ainsi, le par. 63(3) de la Loi sur les langues officielles prévoit qu’il peut demander aux administrateurs généraux ou aux autres responsables administratifs de l’institution fédérale concernée de lui faire savoir, dans un délai qu’il fixe, les mesures envisagées pour donner suite à ses recommandations.  Il peut en outre, selon  son appréciation et après examen des réponses faites par l’institution fédérale concernée ou en son nom, transmettre au gouverneur en conseil un exemplaire du rapport et de ses recommandations; celui-ci peut ensuite prendre les mesures qu’il juge indiquées pour donner suite au rapport (par. 65(1) et (2)).  Le commissaire peut déposer une copie du rapport au Parlement lorsque le gouverneur en conseil n’a pas donné suite au rapport (par. 65(3)).  Enfin, il a le pouvoir d’exercer un recours judiciaire avec le consentement du plaignant (art. 78).

[36] De plus, c’est le commissaire qui décide de la procédure à suivre lors des enquêtes, sous réserve des exigences suivantes : l’obligation de faire parvenir un avis de son intention d’enquêter (art. 59), l’obligation de veiller à ce que les enquêtes soient secrètes (par. 60(1)) et l’obligation de donner au particulier ou à l’institution fédérale concernée la possibilité de répondre aux critiques dont ils font l’objet (par. 60(2)). L’enquête doit également être menée promptement puisque le plaignant a le droit d’exercer un recours judiciaire six mois après le dépôt de la plainte (par. 77(3)).  Le commissaire et toute personne agissant en son nom sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils ont connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la Loi sur les langues officielles (art. 72).

[37] Le Commissaire aux langues officielles et le Commissaire à la protection de la vie privée détiennent un mandat dont plusieurs éléments importants sont propres au rôle d’un ombudsman (voir M. A. Marshall et L. C. Reif, « The Ombudsman : Maladministration and Alternative Dispute Resolution » (1995), 34 Alta. L. Rev. 215) :

– Ils sont indépendants de l’administration gouvernementale et occupent leur charge à titre inamovible pour une période déterminée.  Ils reçoivent le même traitement qu’un juge de la Cour fédérale.  Cette indépendance est renforcée du fait  qu’ils ne peuvent pas généralement être contraints à témoigner et jouissent d’une immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions;

– Ils examinent les plaintes des citoyens contre l’administration gouvernementale et mènent des enquêtes impartiales;

– Ils cherchent à obtenir la réparation appropriée lorsque la plainte du citoyen est fondée sur des moyens non judiciaires;

– Ils cherchent à améliorer le degré de conformité de l’administration gouvernementale à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur les langues officielles;

– Ils sont généralement tenus à la confidentialité.

[38] Le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire aux langues officielles utilisent une approche qui les distingue d’une cour de justice.  Ils ont pour mission propre de résoudre les tensions d’une manière informelle.  C’est, entre autres, pour répondre aux limites des recours judiciaires que l’ombudsman a été créé. En effet, selon W. Wade (Administrative Law (8e éd. 2000), p. 87-88) :

[TRADUCTION] Si un acte illégal est commis, le droit administratif peut prévoir un recours, quoique la procédure des cours de justice soit trop formelle et trop coûteuse pour convenir à de nombreux plaignants.  Mais des griefs justifiés peuvent tout aussi bien découler d’un acte légal ou d’un acte qui n’est, en tout cas, pas clairement illégal, lorsqu’un organisme gouvernemental a agi de façon inconsidérée ou inéquitablement, ou lorsqu’il a induit en erreur le plaignant, qu’il a retardé son dossier de façon excessive ou qu’il l’a traité cavalièrement. Un tribunal créé par la loi est parfois en mesure de l’aider à peu de frais et de façon informelle.  Il y a cependant un bon nombre de griefs qui ne correspondent à aucun des modèles juridiques habituels, mais qui n’en sont pas moins réels.  Un système de gouvernement empreint de compassion doit fournir un moyen de régler ces griefs, tant pour les fins de la justice que parce que l’accumulation du mécontentement constitue un obstacle important à l’efficacité administrative dans un pays démocratique. [. . .] Toute forme de gouvernement a besoin d’un mécanisme régulier bien rodé pour répondre, après évaluation impartiale, aux réactions de ses clients insatisfaits et pour corriger ce qui a pu mal fonctionner.  [. . .] C’est parce qu’il a comblé ce besoin que l’instrument que constitue l’ombudsman s’est soudainement attiré une immense popularité, faisant le tour du monde démocratique et prenant racine en GrandeBretagne et dans de nombreux autres pays tout en faisant couler beaucoup dencre.

[…]

[39] L’ombudsman n’est pas l’avocat du plaignant.  Il a le devoir d’examiner les deux côtés du litige, apprécier les torts et recommander les moyens d’y remédier.  Il privilégie la discussion et l’entente à l’amiable. Selon le juge Dickson dans l’affaire British Columbia Development Corp. c. Friedmann, 1984 CanLII 121 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 447, la fonction d’ombudsman et la procédure de règlement qui ne sont ni légales ni politiques au sens strict sont d’origine suédoise et remontent aux environs de 1809.  Il en décrit la genèse (aux p. 458-459) :

Au début, l’ombudsman suédois devait être le surveillant parlementaire de l’administration, mais par la suite la nature de l’institution s’est progressivement modifiée.  Finalement, l’ombudsman en est venu à avoir pour fonction principale d’enquêter sur des plaintes de mauvaise administration pour le compte de citoyens lésés et de recommander des mesures correctives aux fonctionnaires ou ministères gouvernementaux visés.

L’institution d’ombudsman a connu un essor depuis sa création.  De nombreux pays dans le monde l’ont adoptée pour répondre à ce que R. Gregory et P. Hutchesson, à la p. 15 de leur ouvrage intitulé The Parliamentary Ombudsman (1975), appellent [traduction] « l’un des dilemmes de notre époque », savoir que [traduction] « dans l’État moderne . . . l’action démocratique n’est possible qu’au moyen de l’organisation bureaucratique; mais la puissance bureaucratique, si elle n’est pas bien contrôlée, tend ellemême à détruire la démocratie et ses valeurs ».

Les facteurs qui ont contribué à l’essor de l’institution d’ombudsman sont bien connus.  Depuis une ou deux générations, la taille et la complexité du gouvernement ont augmenté considérablement tant du point de vue qualitatif que quantitatif.  Depuis l’avènement de l’Étatprovidence moderne, lingérence du gouvernement dans la vie et les moyens de subsistance des individus a augmenté de façon exponentielle.  Le gouvernement assure maintenant des services et des avantages, intervient activement sur le marché et exerce des fonctions de propriétaire, à un degré qui aurait été inconcevable il y a cinquante ans.

[…]

[45] L’intimé de même que le Commissaire à la protection de la vie privée, agissant à titre d’intervenant dans la présente affaire, soutiennent que la confidentialité des entrevues n’est pas nécessaire pour qu’il y ait participation des témoins parce que le Commissaire aux langues officielles  jouit de vastes pouvoirs, dont celui d’assigner des personnes et de les contraindre à comparaître devant lui (art. 62 de la Loi sur les langues officielles).  Cet argument ne peut être retenu puisque l’utilisation de la procédure de contrainte compromet le rôle d’ombudsman du commissaire.  Celui-ci a pour mission d’instruire de façon impartiale les plaintes qui lui sont soumises et de les régler dans le cadre de mécanismes souples basés sur la discussion et la persuasion.  Le commissaire doit protéger les témoins et aider les victimes à faire respecter leurs droits.  Exiger du commissaire qu’il utilise sur une base régulière la contrainte afin de forcer les personnes à comparaître est contraire au rôle d’un ombudsman.  De plus, la contrainte à témoigner alourdit inutilement les enquêtes et leur nuit.  Une personne contrainte à témoigner risque d’être réticente et moins disposée à collaborer.  L’interprétation à donner à la Loi sur les langues officielles ne doit pas nuire aux activités du commissaire visant à régler les conflits de manière informelle.

[…]

[58] La non-divulgation des renseignements personnels prévue à l’al. 22(1)b) n’est autorisée que s’il existe un risque « vraisemblable » que la divulgation nuise à l’enquête.  Or, comme le mentionne le juge Richard dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), précité, par. 43, « [l]a vraisemblance du préjudice implique qu’on ait des motifs d’y croire ».  Il faut qu’il y ait entre la divulgation d’une information donnée et le préjudice allégué un lien clair et direct.  La non-divulgation ne doit pas avoir pour seul objectif de faciliter le travail de l’organisme en question et doit se justifier par un vécu professionnel.  La confidentialité des renseignements personnels ne doit être protégée que lorsque les faits le justifient et doit avoir pour but de favoriser le respect de la loi. Le refus d’assurer la confidentialité peut parfois créer des difficultés aux enquêteurs, mais peut aussi inciter à la franchise et protéger l’intégrité du processus d’enquête.  Le Commissaire aux langues officielles a l’obligation d’être sensible aux différences de situations et il doit actualiser l’application de son pouvoir.  L’exercice du pouvoir prévu à l’al. 22(1)b) doit respecter la nature et les objectifs de la Loi sur les langues officielles.  Le commissaire doit, entre autres, tenir compte du caractère secret et confidentiel des enquêtes prévu par le législateur.  Comme je l’ai expliqué, les articles prévoyant la confidentialité et le secret des enquêtes sont essentiels à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles.  L’application de l’al. 22(1)b) doit se faire dans le  respect des deux lois.

[…]

[63] Bien que le rôle du Commissaire aux langues officielles s’apparente à celui du Commissaire à la protection de la vie privée, les deux lois dont ils sont chargés d’assurer le respect et leurs circonstances d’application sont différentes à bien des égards.  La langue est un moyen d’expression qui appartient à l’individu.  Elle permet l’épanouissement de la culture et des traditions propres à un groupe culturel et représente un véhicule privilégié d’expression et de communication de la pensée.  Il n’est pas étonnant que l’histoire du Canada soit marquée par plusieurs luttes linguistiques considérant la présence de deux langues dominantes au pays.  Comme l’expose A. Braën, la langue est un repère culturel pouvant être à l’origine de conflits (« Les droits linguistiques », dans M.  Bastarache, dir., Les droits linguistiques au Canada (1986), 1, p. 17 :

La langue est un mode privilégié d’expression culturelle et sa vitalité est, selon la même Commission [Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme], une condition nécessaire, quoiqu’insuffisante à elle seule, au maintien intégral d’une culture.  Elle demeure malgré tout un foyer continu de tensions au sein d’une société bilingue ou multilingue dans la mesure où la langue exprime une communauté d’intérêts propres à un groupe linguistique et culturel. [Je souligne.]

Concernant l’histoire du bilinguisme au Canada, voir : C.-A. Sheppard, The Law of Languages in Canada (1971), étude no 10 de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, p. 1-96, et F. Chevrette et H. Marx, Droit constitutionnel : notes et jurisprudence (1982), p. 1583-1588.

[…]

[65] Le législateur a assujetti le Commissariat aux langues officielles à l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et ce n’est que lorsque l’institution fédérale peut justifier l’exercice de sa discrétion de refuser la divulgation qu’elle peut le faire.  Dans le cas qui nous concerne, l’appelant n’a pas réussi à démontrer qu’il est raisonnable de maintenir la confidentialité.   Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi principal.

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

[25] L'expression « l'esprit de la loi et l'intention du législateur », notée au paragraphe 58(4) de la Loi, se retrouve également au paragraphe 56(1) de la Loi qui donne au commissaire la mission de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l'esprit de la Loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'administration des affaires des institutions fédérales. L'esprit de la Loi et l'intention du législateur nous ramènent au préambule de la Loi sur les langues officielles notamment le paragraphe suivant :

Attendu:

. . . . .

qu'elle prévoit en outre des garanties quant au droit du public à l'emploi de l'une ou l'autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services;

[…]

[29] D'autre part, le commissaire n'a pas tenu compte dans son appréciation du dossier, de l'esprit de la Loi et de l'intention du législateur. Il importait au commissaire, en vertu de sa mission exprimée au paragraphe 56(1) de la Loi et en vertu du pouvoir d'enquête que lui confère le paragraphe 58(4) de la Loi, de déterminer si le bureau de la Commission de la fonction publique du Canada à Toronto, comme institution fédérale dans un lieu où l'emploi de la langue française fait l'objet d'une demande importante, avait respecté l'esprit de la Loi et l'intention du législateur lors de ses communications avec l'appelant et de la prestation de ses services à ce dernier.

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[44] La partie IX énumère les obligations et pouvoirs du Commissaire, qui est entre autres tenu de procéder à des enquêtes et de présenter des rapports et recommandations. De son côté, la partie X de la LLO traite des recours judiciaires et prévoit, à son paragraphe 77(1), que quiconque ayant saisi le Commissaire d’une plainte mettant en jeu certains droits ou obligations linguistiques prévus à la LLO peut former un recours devant la Cour fédérale. Le paragraphe 77(4) habilite la Cour, si elle conclut au défaut d’une institution fédérale de se conformer à la LLO, à accorder la réparation qu’elle estime convenable et juste dans les circonstances. Enfin, à la partie XI, l’article 82 prévoit que les dispositions de certaines parties de la LLO, dont la partie IV, ont primauté sur les autres lois fédérales.

[…]

[75] Il importe de rappeler que le Commissaire et la Cour jouent un rôle différent et distinct, et les conclusions du Commissaire ne lient pas la Cour, qui entend l’affaire de novo dans le cadre d’un recours sous l’article 77 (DesRochers CSC aux para 36, 64; Forum des maires au para 20). Le rôle du Commissaire est bien décrit dans l’arrêt Lavigne CSC. La Cour suprême y indique que c’est au Commissaire « que revient la tâche de prendre toutes les mesures nécessaires visant la reconnaissance du statut de chacune des deux langues officielles et de faire respecter l’esprit de la [LLO] notamment au sein de l’administration des affaires des institutions fédérales », d’assurer « la poursuite des objectifs » de la LLO, ainsi que de « procéder à des enquêtes sur un cas précis de non-reconnaissance du statut d’une langue officielle ou de manquement à une loi ou un règlement fédéral sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou, encore, à l’esprit de la [LLO] ou à l’intention du législateur » (Lavigne CSC au para 35). La Cour suprême ajoute que le Commissaire « [utilise] une approche qui [le] distingue d’une cour de justice », considérant qu’il a « pour mission propre de résoudre les tensions de manière informelle » (Lavigne CSC au para 38). Elle précise aussi que c’est entre autres pour répondre aux limites des recours judiciaires que cet ombudsman a été créé (Lavigne CSC au para 38).

[76] Dans l’affaire Forum des maires, le juge Décary fait écho à ces propos et explique lui aussi que le rôle du Commissaire s’apparente à celui d’un ombudsman (Forum des maires au para 21). Le recours judiciaire prévu à l’article 77 de la LLO vise à « vérifier le bien-fondé de la plainte, pas le bien-fondé du rapport de la commissaire » (DesRochers CSC au para 35, citant Forum des maires au para 17). Comme le souligne la Cour d’appel fédérale, le Commissaire « n’est pas un tribunal », puisqu’il ne rend pas de décision proprement dite, mais reçoit des plaintes, mène une enquête, puis fait un rapport assorti de recommandations. Bref, « [l]e remède, à ce niveau, est politique » (Forum des maires au para 16). Le rôle de la Cour est quant à lui de donner des « dents » à la LLO, afin que « les membres des minorités linguistiques ne soient pas condamnés à se battre sans cesse et sans garantie au seul niveau politique » (Forum des maires au para 17).

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[9]  Bien que la LLO réaffirme un certain nombre de valeurs et de droits linguistiques reconnus par la Charte, elle impose non seulement un certain nombre d'obligations précises aux institutions fédérales, elle les encourage également à prendre des mesures concrètes afin de favoriser les objectifs généraux visés par la LLO. À cet égard, les politiques linguistiques de VIA font l'objet d'un contrôle de la part de diverses institutions publiques, notamment de la part de la direction des langues officielles du Conseil du Trésor, et ce, grâce à des examens annuels, et de la part du commissaire aux langues officielles, qui est chargé de promouvoir la LLO et de voir à ce qu'elle soit complètement mise en œuvre, de protéger les droits linguistiques des Canadiens et de promouvoir la dualité linguistique et le bilinguisme.

Voir également: Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner v. Via Rail Canada, 2009 FC 857 (CanLII), Temple v. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 FCR 80, 2009 FC 858 (CanLII)

LaRoque c. Société Radio-Canada, 2009 CanLII 35736 (CS ON)

[54] La Loi sur les langues officielles crée le bureau du commissaire aux langues officielles et prévoit ses responsabilités, y compris toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente Loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration des affaires des institutions fédérales et, notamment, la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne. Pour s’acquitter de cette mission, le commissaire mène des enquêtes, soit de son propre chef, soit à la suite de plaintes reçues, et présente ses rapports et ses recommandations conformément à la Loi.

Parasiuk c. Québec (Tribunal administratif), 2004 CanLII 16530 (CS QC)

[8] La Commissaire, à titre d'entité créée par une loi particulière, la Loi sur les langues officielles n'a que les pouvoirs que lui attribue expressément cette loi ou qui peuvent s'en inférer par implication nécessaire.  En effet, la Cour suprême du Canada dans Les Immeubles Port Louis Ltée c. Corporation municipale du Village de Lafontaine a énoncé qu'une créature de la loi ne possède que les pouvoirs qui lui ont été délégués expressément ou qui découlent directement de pouvoirs ainsi délégués.

[…]

[11] La Loi sur les langues officielles vise les institutions fédérales.  Les parties I et II visent les débats et travaux du Parlement du Canada et les actes législatifs et autres du Parlement du Canada. Les parties III et IV visent l'administration de la justice des tribunaux fédéraux, la communication avec le public et la prestation des services par les institutions fédérales.  Les parties V et VI visent les langues de travail des institutions fédérales et la participation des Canadiens d'expression française et d'expression anglaise dans les institutions fédérales.  La partie VII vise la promotion du français et de l'anglais dans la société canadienne.

[…]

[13] Il faut conclure de cet examen que la Loi sur les langues officielles n'impose des obligations qu'au gouvernement fédéral et à ses institutions et que le mandat de la Commissaire, en tant qu'officier public en matière linguistique, n'est limité qu'au gouvernement fédéral et à ses institutions.

Rogers c. Canada (Service correctionnel), [2001] 2 RCF 586, 2001 CanLII 22031 (CF)

[56] Le rôle du commissaire est de faire enquête sur les plaintes déposées en application de la Loi et de faire un rapport et des recommandations relativement à celles-ci. L'article 56 de la Loi définit ce rôle.

56. (1) Il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l'esprit de la présente loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l'anglais dans la société canadienne.

(2) Pour s'acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu'il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.

[57] Le commissaire, qui est nommé en vertu de la Loi, a le mandat de faire enquête sur les allégations selon lesquelles on a contrevenu aux droits linguistiques du demandeur.

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 RCF 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[38] La partie IX de la Loi énonce les fonctions du commissaire aux langues officielles et prévoit particulièrement au paragraphe 56(1) qu'il incombe à ce dernier d'assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et de faire respecter l'esprit de la Loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'administration du gouvernement. Pour s'acquitter de cette mission, le commissaire est investi de généreux pouvoirs d'enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite de plaintes qu'il reçoit.

[…]

[68] Les commentaires du commissaire à l'égard de la qualité des services bilingues dans certains bureaux de district de Revenu Canada, et plus particulièrement au bureau d'Halifax, méritent également notre attention. À cet égard, le commissaire tient son rôle de nombreuses dispositions de la Loi sur les langues officielles. La disposition la plus générale est le paragraphe 56(2), ainsi libellé:

56. ...

(2) Pour s'acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu'il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.

[…]

[89] Je répète toutefois que l'examen par les tribunaux de la dotation en personnel doit nécessairement être circonscrit. Je partage l'opinion de la Cour d'appel dans l'arrêt Viola, précité, selon laquelle, d'une part, le critère serait le même en l'absence du critère d'objectivité établi à l'article 91 de la Loi et, d'autre part, aucune méthode capricieuse ou arbitraire de dotation bilingue ne doit évidemment être encouragée. Aux termes du paragraphe 56(1), l'« esprit de la présente loi et l'intention du législateur » doivent toujours être respectés.

Canada (Commissaire aux Langues Officielles) c. Air Canada, 1998 CanLII 8008 (CF), inf. en partie par [1999] A.C.F. No. 738 (CAF)

[12] En vertu des dispositions de l'article 56 de la Loi, il incombe au Commissaire de prendre les mesures nécessaires pour assurer la reconnaissance du statut des deux langues officielles et de faire respecter l'esprit de la Loi et l'intention du législateur. Pour s'acquitter de cette mission, le Commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu'il reçoit (paragraphe 56(2)). Son pouvoir, tel qu'exercé dans le cadre de sa compétence, est exceptionnel et son pouvoir d'intervention est tout à fait inhabituel. […]

Canada (P.G.) c. Asselin, [1995] A.C.F. no 846 (CF) [hyperlien non disponible]

[11]  La Loi sur les langues officielles crée un réseau de droits linguistiques basé sur les obligations imposées par la Constitution au Gouvernement fédéral. C'est une loi quasi-constitutionnelle qui reflète un compromis social et politique, accorde au Commissaire les pouvoirs d'un véritable ombudsman linguistique et prévoit un mécanisme de redressement administratif. De plus, cette Loi offre un recours judiciaire habilitant la Cour fédérale à connaître les plaintes portant sur les exigences linguistiques imposées lors de dotations dans la fonction publique. Seules les personnes ayant porté plainte auprès du Commissaire peuvent intenter un recours en Cour fédérale et seul le Commissaire a le pouvoir de faire enquête sur cette question, à l'exclusion des comités d'appel.

Voir également :

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

 

57. Examen des règlements et instructions

57. Le commissaire peut d'office examiner les règlements ou instructions d'application de la présente loi ainsi que tout autre règlement ou instruction visant ou susceptible de viser le statut ou l'emploi des langues officielles et établir à cet égard un rapport circonstancié au titre des articles 66 ou 67. 

 

Plaintes et enquêtes

58. (1) Plaintes

58. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue - sur un acte ou une omission - et faisant état, dans l'administration d'une institution fédérale, d'un cas précis de non-reconnaissance du statut d'une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l'usage des deux langues officielles ou encore à l'esprit de la présente loi et à l'intention du législateur.

58. (2) Dépôt d'une plainte

58. (2) Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants.

58. (3) Interruption de l'instruction

58. (3) Le commissaire peut, à son appréciation, interrompre toute enquête qu'il estime, compte tenu des circonstances, inutile de poursuivre.

58. (4) Refus d'instruire

58. (4) Le commissaire peut, à son appréciation, refuser ou cesser d'instruire une plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) elle est sans importance;

b) elle est futile ou vexatoire ou n'est pas faite de bonne foi;

c) son objet ne constitue pas une contravention à la présente loi ou une violation de son esprit et de l'intention du législateur ou, pour toute autre raison, ne relève pas de la compétence du commissaire.

58. (5) Avis au plaignant

58. (5) En cas de refus d'ouvrir une enquête ou de la poursuivre, le commissaire donne au plaignant un avis motivé.

Annotations – Paragraphe 58(1)

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[35] Tout comme le Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire aux langues officielles joue un rôle important.  C’est à lui que revient la tâche de prendre toutes les mesures nécessaires visant la reconnaissance du statut de chacune des deux langues officielles et de faire respecter l’esprit de la Loi sur les langues officielles notamment au sein de l’administration des affaires des institutions fédérales.  C’est donc le commissaire qui a le mandat d’assurer la poursuite des objectifs de cette loi.  Pour lui permettre de s’acquitter de cette mission sociale de grande envergure, le Parlement du Canada l’a investi de vastes pouvoirs.  Ainsi, il peut procéder à des enquêtes sur un cas précis de non-reconnaissance du statut d’une langue officielle ou de manquement à une loi ou un règlement fédéral sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou, encore, à l’esprit de la Loi sur les langues officielles ou à l’intention du législateur.

56. (1) Il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne.

(2) Pour s’acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu’il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.

58. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue -- sur un acte ou une omission -- et faisant état, dans l’administration d’une institution fédérale, d’un cas précis de nonreconnaissance du statut d’une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou encore à l’esprit de la présente loi et à l’intention du législateur.

(2) Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants. [Je souligne.]

Le commissaire peut également exercer son influence persuasive afin de mettre en œuvre toute décision prise et de donner suite aux recommandations formulées après une enquête.  Ainsi, le par. 63(3) de la Loi sur les langues officielles prévoit qu’il peut demander aux administrateurs généraux ou aux autres responsables administratifs de l’institution fédérale concernée de lui faire savoir, dans un délai qu’il fixe, les mesures envisagées pour donner suite à ses recommandations.  Il peut en outre, selon  son appréciation et après examen des réponses faites par l’institution fédérale concernée ou en son nom, transmettre au gouverneur en conseil un exemplaire du rapport et de ses recommandations; celui-ci peut ensuite prendre les mesures qu’il juge indiquées pour donner suite au rapport (par. 65(1) et (2)).  Le commissaire peut déposer une copie du rapport au Parlement lorsque le gouverneur en conseil n’a pas donné suite au rapport (par. 65(3)).  Enfin, il a le pouvoir d’exercer un recours judiciaire avec le consentement du plaignant (art. 78).

Canada (Commissaire Aux Langues Officielles) c. Air Canada, 1999 CanLII 8095 (CAF)

[10] Il ressort des articles 58, 64(1), 77 et 78 de la Loi qu'une plainte doit viser "un cas précis", que le commissaire doit faire enquête sur ce cas précis et que le commissaire doit communiquer "de la manière qu'il juge indiqué[e]" ses conclusions au plaignant. La Loi n'exige pas, à proprement parler, que le commissaire fasse "rapport" au plaignant. Le "rapport" en tant que tel doit plutôt être transmis au président du Conseil du Trésor ainsi qu'à l'administrateur général de l'institution fédérale concernée (paragraphe 63(1)).

Canada (Commissaire aux Langues Officielles) c. Air Canada, 1998 CanLII 8008 (CF), inf. en partie par [1999] A.C.F. No. 738 (CAF)

[13] Le Commissaire doit considérer toute plainte qu'il reçoit. S'il refuse d'ouvrir une enquête ou de la poursuivre, il doit donner un avis motivé au plaignant (article 58). Au terme de l'enquête, le Commissaire doit émettre un rapport motivé au plaignant et à l'institution concernée (paragraphe 64(1)). Lorsqu'il a émis des recommandations auxquelles l'institution n'a pas donné suite, le Commissaire peut en informer le plaignant: en d'autres mots, il peut assurer un suivi et faire des commentaires ou émettre de nouvelles recommandations (paragraphe 64(2)).

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique v. Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 (CanLII)

[78] La référence au fait que le bien-fondé du recours s’apprécie en regard de la date du dépôt de la plainte reflète aussi l’importance que le plaignant fasse état de faits précis allégués dans sa plainte initiale au Commissaire. D’ailleurs, le paragraphe 58(1) de la LLO prévoit que le Commissaire « instruit toute plainte reçue – sur un acte ou une omission – et faisant état, dans l’administration d’une institution fédérale, d’un cas précis de non-reconnaissance du statut de langue officielle, de manquement à une loi ou à un règlement fédéraux sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou encore à l’esprit de la présente loi et à l’intention du législateur » [je souligne]. La disposition traduit l’exigence d’avoir une assise factuelle précise dans la plainte, permettant ainsi à l’institution fédérale de savoir, à partir du moment où la plainte est déposée, ce à quoi elle doit répondre.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Voir également :

Commissaire Aux Langues Officielles (Re), 1997 CanLII 5363 (CF)

Annotations – Paragraphe 58(2)

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 RCF 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

[1] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31] (la Loi) permet à tout « groupe » de porter plainte devant la commissaire aux langues officielles (la commissaire). S'autorisant de ce paragraphe, le Forum des maires de la Péninsule acadienne (le Forum ou l'intimé), en octobre 1999, s'est plaint auprès de la commissaire de ce qu'une réorganisation administrative effectuée au Nouveau-Brunswick par l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'Agence) l'avait été au détriment des régions francophones du nord de la province. Le Forum reprochait plus précisément à l'Agence d'avoir transféré quatre inspecteurs du bureau de Shippagan, dans la péninsule acadienne, au bureau de Shédiac situé dans le sud-est de la province, d'avoir confié la supervision du bureau d'inspection des aliments pour la Péninsule acadienne à un gestionnaire unilingue anglophone du bureau de Blacks Harbour et d'avoir constamment diminué, depuis les années 1990, le nombre d'employés à la division de l'inspection de Shippagan. Le Forum soutenait que les décisions prises par l'Agence avaient un impact, non seulement sur le service au public et sur la capacité de l'Agence de respecter le droit des employés du bureau de Shippagan de travailler en français, mais aussi sur l'économie de la région. Le Forum soutenait également que les décisions de l'Agence reflétaient une tendance d'érosion graduelle des services en place qui se développait dans la région (D.A., vol. 1, à la page 46).

[…]

[17] […] Le « plaignant », selon le paragraphe 58(2), peut être un « individu » ou un « groupe » .

Annotations – Paragraphe 58(4)

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles) 1992 CarswellNat 117F, 1992 CarswellNat 117, [1992] 3 F.C. 287, [1992] F.C.J. No. 567, 145 N.R. 327, 34 A.C.W.S. (3d) 768, 57 F.T.R. 160 (note), 93 D.L.R. (4th) 649 [hyperlien non disponible]

[17] Le premier juge observa que ce n'était que par exception que cette Cour avait compétence pour intervenir dans des décisions d'ordre administratif prises selon des dispositions statutaires. Le paragraphe 58(4) de la Loi sur les langues officielles (la« Loi ») prévoit en effet:

58. ...

(4) Le commissaire peut, à son appréciation, refuser ou cesser d'instruire une plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants:

a) elle est sans importance;

b) elle est futile ou vexatoire ou n'est pas faite de bonne foi;

c) son objet ne constitue pas une contravention à la présente loi ou une violation de son esprit et de l'intention du législateur ou, pour toute autre raison, ne relève pas de la compétence du commissaire. [Nous soulignons.]

[…]

[21] L'intimé a reconnu que l'alinéa 58(4)c) de la Loi est ainsi rédigé que la discrétion du commissaire de refuser ou de cesser d'instruire une plainte est circonscrite au cas où l'objet de la plainte ne constitue pas une contravention de la loi, ou une violation de son esprit et de l'intention du législateur. L'intimé a également reconnu que Toronto était un lieu où l'emploi de la langue française fait l'objet d'une demande importante selon que le prévoit l'article 22 de la Loi, ce qui, au départ, distingue la région de Toronto des deux régions, Chicoutimi et Saskatoon, auxquelles réfère malencontreusement le juge de première instance. Il ne saurait être question, en effet, de comparer la situation juridique de régions, où il n'existe pas de demande importante, à celle de régions, telle Toronto, où il existe une demande importante et où le Parlement a expressément, par l'article 22 de la Loi, imposé davantage d'obligations aux bureaux des institutions fédérales et, du même coup, reconnu davantage de droits au public lorsqu'il communique avec eux et en reçoit des services.

[…]

[25] L'expression « l'esprit de la loi et l'intention du législateur », notée au paragraphe 58(4) de la Loi, se retrouve également au paragraphe 56(1) de la Loi qui donne au commissaire la mission de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l'esprit de la Loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'administration des affaires des institutions fédérales. L'esprit de la Loi et l'intention du législateur nous ramènent au préambule de la Loi sur les langues officielles notamment le paragraphe suivant :

Attendu:

. . . . .

qu'elle prévoit en outre des garanties quant au droit du public à l'emploi de l'une ou l'autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services;

[…]

[28] D'une part, en ce qui a trait à l'aspect contravention à la Loi, il ne s'est pas enquis de ce volet de la plainte de l'appelant qui avait trait à sa difficulté à entrer en contact oralement en français avec la Commission de la fonction publique du Canada, ce qui l'obligea à faire plusieurs appels téléphoniques avant de finalement rejoindre quelqu'un qui pouvait donner réponse à ses questions dans la langue de son choix. Le commissaire n'a fait que le constat de la lettre du 17 mai 1990 et de la conversation téléphonique en français avec le directeur, le 14 juin 1990 — ce sur quoi il n'y a pas lieu d'intervenir, le commissaire ayant jugé à sa satisfaction que ces deux incidents ne constituaient pas contravention à la Loi et aucun motif d'intervention n'ayant été mis de l'avant. Il ne s'est cependant pas enquis de la légalité de ce qui s'est passé entre ces deux incidents. Nous devrons en conséquence lui retourner le dossier pour qu'il entreprenne cet examen.

[29] D'autre part, le commissaire n'a pas tenu compte dans son appréciation du dossier, de l'esprit de la Loi et de l'intention du législateur. Il importait au commissaire, en vertu de sa mission exprimée au paragraphe 56(1) de la Loi et en vertu du pouvoir d'enquête que lui confère le paragraphe 58(4) de la Loi, de déterminer si le bureau de la Commission de la fonction publique du Canada à Toronto, comme institution fédérale dans un lieu où l'emploi de la langue française fait l'objet d'une demande importante, avait respecté l'esprit de la Loi et l'intention du législateur lors de ses communications avec l'appelant et de la prestation de ses services à ce dernier.

Voir également :

Canada (Procureur général) c. Montreuil, 2009 CF 60 (CanLII)

Englander c. Telus Communications Inc., 2004 CAF 387 (CanLII)

 

59. Préavis d'enquête

59. Le commissaire donne un préavis de son intention d'enquêter à l'administrateur général ou à tout autre responsable administratif de l'institution fédérale concernée.

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[36] De plus, c’est le commissaire qui décide de la procédure à suivre lors des enquêtes, sous réserve des exigences suivantes : l’obligation de faire parvenir un avis de son intention d’enquêter (art. 59), l’obligation de veiller à ce que les enquêtes soient secrètes (par. 60(1)) et l’obligation de donner au particulier ou à l’institution fédérale concernée la possibilité de répondre aux critiques dont ils font l’objet (par. 60(2)). L’enquête doit également être menée promptement puisque le plaignant a le droit d’exercer un recours judiciaire six mois après le dépôt de la plainte (par. 77(3)).  Le commissaire et toute personne agissant en son nom sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils ont connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la Loi sur les langues officielles (art. 72).

 

60. (1) Secret des enquêtes

60. (1) Les enquêtes menées par le commissaire sont secrètes.

60. (2) Droit de réponse

60. (2) Le commissaire n'est pas obligé de tenir d'audience, et nul n'est en droit d'exiger d'être entendu par lui. Toutefois, si au cours de l'enquête, il estime qu'il peut y avoir des motifs suffisants pour faire un rapport ou une recommandation susceptibles de nuire à un particulier ou à une institution fédérale, il prend, avant de clore l'enquête, les mesures indiquées pour leur donner toute possibilité de répondre aux critiques dont ils font l'objet et, à cette fin, de se faire représenter par un avocat.

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[36]  De plus, c’est le commissaire qui décide de la procédure à suivre lors des enquêtes, sous réserve des exigences suivantes : l’obligation de faire parvenir un avis de son intention d’enquêter (art. 59), l’obligation de veiller à ce que les enquêtes soient secrètes (par. 60(1)) et l’obligation de donner au particulier ou à l’institution fédérale concernée la possibilité de répondre aux critiques dont ils font l’objet (par. 60(2)). L’enquête doit également être menée promptement puisque le plaignant a le droit d’exercer un recours judiciaire six mois après le dépôt de la plainte (par. 77(3)).  Le commissaire et toute personne agissant en son nom sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils ont connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la Loi sur les langues officielles (art. 72).

[…]

[40] Le législateur a clairement indiqué que la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique au Commissariat aux langues officielles.  En effet, celui-ci est énuméré à l’annexe de la loi en tant qu’institution fédérale assujettie à la Loi sur la protection des renseignements personnels.  De plus, l’art. 2 stipule qu’elle a pour objet de compléter la législation canadienne, dont la Loi sur les langues officielles, quoique l’art. 82 de la Loi sur les langues officielles prévoit que les dispositions des parties I à V l’emportent sur toute autre loi ou tout autre règlement fédéraux.  Aucun des articles invoqués par l’appelant ne figure dans ces parties.  En effet, le par. 60(1) ainsi que les art. 72, 73 et 74 se situent dans la partie IX de la loi.  Les dispositions en litige dans le présent pourvoi doivent donc être conciliées et lues ensemble. […]

[42] L’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels au Commissariat aux langues officielles doit donc se faire dans le respect de l’objectif de la Loi sur les langues officielles de promouvoir le statut d’égalité des deux langues officielles au Canada et d’assurer aux minorités linguistiques le droit d’utiliser la langue de leur choix au sein des institutions fédérales. Le législateur a expressément prévu que les enquêtes du commissaire sont secrètes et que les enquêteurs sont tenus au secret en ce qui concerne les informations qu’ils obtiennent dans l’exercice de leurs fonctions :

60. (1) Les enquêtes menées par le commissaire sont secrètes.

72. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la présente loi. [Je souligne.]

Ces dispositions démontrent le souci du législateur de faciliter l’accès au commissaire et de reconnaître la nature très délicate de l’usage d’une langue officielle au travail par une minorité.  Le caractère secret et confidentiel des enquêtes est un élément important de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Sans de telles protections, les plaignants pourraient hésiter à déposer une plainte auprès du commissaire de peur, par exemple, de voir diminuer leurs chances d’avancement ou de voir s’effriter leurs relations au travail.  De même, ces dispositions favorisent la participation des témoins aux enquêtes du commissaire.  Ceux-ci sont ainsi moins susceptibles de craindre que leur participation puisse avoir un impact néfaste sur la relation employeur-employé ou la relation avec les autres employés et de refuser d’y collaborer par crainte d’ennuis ou de préjudice à leur carrière.  L’affidavit de M. Langelier, directeur général adjoint à la Direction générale des enquêtes, explique l’importance de conserver une certaine confidentialité des enquêtes du commissaire, notamment pour les raisons suivantes :

– les enquêteurs ont dû donner l’assurance aux personnes interviewées que les informations recueillies demeureraient confidentielles afin de s’assurer la collaboration de ces derniers ;

– . . . les membres du public et notamment les fonctionnaires hésiteraient à déposer des plaintes [. . .] s’ils étaient prévenus que leur identité ainsi que toute information qu’ils auraient communiquée aux enquêteurs du Commissariat serait susceptible d’être dévoilée autrement que dans le contexte du respect des principes de justice naturelle ou, exceptionnellement, d’un recours judiciaire en vertu de la partie X de la [Loi sur les langues officielles];

– les membres du public et notamment les fonctionnaires seraient plus réticents à collaborer avec les enquêteurs du Commissariat et ces derniers devraient, pour donner suite à l’obligation qui est faite au Commissaire d’instruire les plaintes, avoir recours aux pouvoirs d’enquêtes et notamment assigner à comparaître et contraindre à témoigner et à produire des documents par voie d’assignations à témoigner;

–  le processus d’enquête du Commissaire deviendrait beaucoup plus formel et rigide, ce qui compromettrait le rôle d’ombudsman du Commissaire;

– le fait que le Commissaire soit tenu de dévoiler certaines informations risquerait de porter atteinte à son rôle de médiateur et de facilitateur et compromettrait ainsi le pouvoir de persuasion et la crédibilité dont un ombudsman doit disposer pour s’acquitter de ses fonctions.

[…]

[44] En plus d’avoir prévu des dispositions spécifiques assurant le caractère secret des enquêtes, le législateur a donné au commissaire le pouvoir de transmettre un rapport motivé au président du Conseil du Trésor lorsqu’un plaignant ou un témoin a fait l’objet de menaces, d’intimidation ou de discrimination (al. 62(2)a)).  Voici comment le ministre de la Justice de l’époque, Ray Hnatyshyn, s’exprimait sur cette disposition au Comité législatif (Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-72, Fascicule no 20, 7 juin 1988, p. 20:25 et 20:28-20:29) :

[TRADUCTION] Nous avons parlé du rôle de médiateur du commissaire aux langues officielles qui a la possibilité d’examiner le harcèlement, l’intimidation, la discrimination ou l’obstruction qu’ont pu subir certaines personnes afin de se pencher sur ces questions et de les soumettre à l’attention du président du Conseil du Trésor.  On assure ainsi que des plaintes puissent être portées librement en vertu de ce projet de loi, sans crainte de discrimination.  Il est important que tous les Canadiens estiment avoir le droit de recourir à cette législation et qu’ils puissent utiliser le bureau du commissaire pour porter plainte, sans craindre de mesures de rétorsion.

. . .

Il est entièrement possible que l’auteur d’une plainte en bonne et due forme fasse l’objet de discrimination.

Évidemment, il incombe au commissaire de protéger ces personnes :  non pas de leur compliquer la vie, mais de les protéger contre des conséquences malheureuses du fait d’avoir porté plainte.  Si on empêchait le commissaire d’exercer cette responsabilité, par exemple au moyen d’un veto, ce projet de loi pourrait remettre en question les droits de tous les fonctionnaires, et permettrait assurément le même genre de discrimination à l’endroit d’autres personnes qui éprouveraient un sentiment d’impuissance qui les empêcheraient de réagir. [Je souligne.]

L’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels au Commissariat aux langues officielles doit se faire de façon à reconnaître le contexte particulier des enquêtes du commissaire.  Le législateur, par les art. 60, 62 et 72, a clairement reconnu le contexte délicat de l’utilisation d’une langue officielle au travail par une minorité en imposant le secret et la confidentialité pour protéger les plaignants et les témoins contre toutes formes de préjudice résultant de leur implication dans les plaintes et le processus d’enquête et en donnant au commissaire le pouvoir de transmettre un rapport motivé au président du Conseil du Trésor lorsqu’un plaignant ou un témoin a fait l’objet de menaces, d’intimidation ou de discrimination.  Si le législateur n’avait pas prévu de telles dispositions, les objectifs de la Loi sur les langues officielles pourraient difficilement être atteints.  La participation des témoins et des plaignants est au cœur même de l’efficacité de la loi.  Le but de l’enquête étant la recherche de la vérité et d’apprécier le vécu de la situation, les enquêteurs doivent être prudents dans la collecte de renseignements et l’appréciation des renseignements obtenus.

[45]  L’intimé de même que le Commissaire à la protection de la vie privée, agissant à titre d’intervenant dans la présente affaire, soutiennent que la confidentialité des entrevues n’est pas nécessaire pour qu’il y ait participation des témoins parce que le Commissaire aux langues officielles  jouit de vastes pouvoirs, dont celui d’assigner des personnes et de les contraindre à comparaître devant lui (art. 62 de la Loi sur les langues officielles).  Cet argument ne peut être retenu puisque l’utilisation de la procédure de contrainte compromet le rôle d’ombudsman du commissaire.  Celui-ci a pour mission d’instruire de façon impartiale les plaintes qui lui sont soumises et de les régler dans le cadre de mécanismes souples basés sur la discussion et la persuasion.  Le commissaire doit protéger les témoins et aider les victimes à faire respecter leurs droits.  Exiger du commissaire qu’il utilise sur une base régulière la contrainte afin de forcer les personnes à comparaître est contraire au rôle d’un ombudsman.  De plus, la contrainte à témoigner alourdit inutilement les enquêtes et leur nuit.  Une personne contrainte à témoigner risque d’être réticente et moins disposée à collaborer.  L’interprétation à donner à la Loi sur les langues officielles ne doit pas nuire aux activités du commissaire visant à régler les conflits de manière informelle.

[…]

[47]  À l’époque du litige, la politique du Commissariat aux langues officielles était d’expliquer aux témoins que les art. 60 et 72 de la Loi sur les langues officielles stipulent que les enquêtes sont secrètes et que la loi prévoit aux art. 73 et 74 les circonstances limitées dans lesquelles les témoignages pourraient être communiqués.  Selon l’affidavit de M. Langelier :

La crédibilité du Commissaire repose grandement, à mon avis, sur le respect de la stricte confidentialité des renseignements communiqués au Commissaire et à ses représentants dans le cadre des enquêtes sous réserve toutefois :

A) des situations où le Commissaire doit communiquer les renseignements qui, à son avis, sont nécessaires pour mener ses enquêtes.  On pense notamment au respect des principes de justice naturelle où il est essentiel que la personne ou l’institution visée par une recommandation puisse connaître l’identité du plaignant ainsi que les déclarations de cette dernière;

B) des situations dans lesquelles le Commissaire est impliqué dans un recours judiciaire formé en vertu de la partie X de la LLO.  Dans ces cas, le Commissaire peut communiquer ou autoriser la communication des renseignements. [Je souligne.]

La politique du commissaire  était donc d’assurer aux témoins que l’information qu’ils communiquent aux enquêteurs demeure confidentielle, dans les limites des art. 72, 73 et 74.  En l’espèce, la promesse de confidentialité a également été donnée sous réserve de ces articles.  En effet, selon le mémoire de l’appelant :

Les enquêteurs ont expliqué le rôle et la mission du [C]ommissaire aux langues officielles à titre d’ombudsman et ont donné l’assurance que les entrevues demeureraient confidentielles, compte tenu du paragraphe 60(1) ainsi que des articles 72, 73 et 74 de la Loi sur les langues officielles.  Les enquêteurs ont expliqué que, conformément à ces dispositions, les enquêtes sont « secrètes ». [Je souligne.]

La promesse de confidentialité donnée aux témoins lors de l’enquête concernant la plainte de M. Lavigne n’était donc pas absolue.

[48] À la suite de la plainte déposée par l’intimé, le Commissaire aux langues officielles a modifié sa politique à l’égard des instructions à donner aux témoins.  Sa nouvelle politique demande aux enquêteurs d’informer les témoins que le Commissariat aux langues officielles est soumis à la Loi sur la protection des renseignements personnels.  Les enquêteurs continuent à informer les témoins que les enquêtes sont secrètes, comme le prévoit le par. 60(1) de la Loi sur les langues officielles, et que les renseignements qui viennent à l’attention des enquêteurs, y compris leurs dépositions, ne seront pas communiqués sauf si une telle communication est requise pour l’enquête ou pour un recours formé sous le régime de la partie X ou encore dans les cas où la communication est requise pour des raisons d’équité dans la procédure, en vertu du par. 60(2) de la Loi sur les langues officielles.  De plus, les enquêteurs informent les témoins que le Commissariat aux langues officielles est soumis à la Loi sur la protection des renseignements personnels et que les renseignements recueillis peuvent être soustraits à l’exigence de communication lorsqu’une exception à la divulgation trouve application.

[…]

[58] La non-divulgation des renseignements personnels prévue à l’al. 22(1)b) n’est autorisée que s’il existe un risque « vraisemblable » que la divulgation nuise à l’enquête.  Or, comme le mentionne le juge Richard dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), précité, par. 43, « [l]a vraisemblance du préjudice implique qu’on ait des motifs d’y croire ».  Il faut qu’il y ait entre la divulgation d’une information donnée et le préjudice allégué un lien clair et direct.  La non-divulgation ne doit pas avoir pour seul objectif de faciliter le travail de l’organisme en question et doit se justifier par un vécu professionnel.  La confidentialité des renseignements personnels ne doit être protégée que lorsque les faits le justifient et doit avoir pour but de favoriser le respect de la loi. Le refus d’assurer la confidentialité peut parfois créer des difficultés aux enquêteurs, mais peut aussi inciter à la franchise et protéger l’intégrité du processus d’enquête.  Le Commissaire aux langues officielles a l’obligation d’être sensible aux différences de situations et il doit actualiser l’application de son pouvoir.  L’exercice du pouvoir prévu à l’al. 22(1)b) doit respecter la nature et les objectifs de la Loi sur les langues officielles.  Le commissaire doit, entre autres, tenir compte du caractère secret et confidentiel des enquêtes prévu par le législateur.  Comme je l’ai expliqué, les articles prévoyant la confidentialité et le secret des enquêtes sont essentiels à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles.  L’application de l’al. 22(1)b) doit se faire dans le  respect des deux lois.

[…]

[61]  Je ne crois pas que les affirmations de M. Langelier permettent raisonnablement de conclure que la divulgation des notes d’entrevue de Mme Dubé risquerait vraisemblablement de nuire aux enquêtes futures.  Monsieur Langelier prétend que la divulgation aura un effet nuisible sur les enquêtes futures sans en faire une preuve dans les circonstances de l’espèce.  Or, la décision du commissaire doit être basée sur des motifs réels et liée au cas précis à l’étude.  La preuve déposée par l’appelant démontre que la décision du commissaire de ne pas divulguer les renseignements personnels demandés s’appuie sur l’absence de consentement de Mme Dubé à la divulgation et n’établit pas le risque de préjudice que celle-ci pourrait causer aux enquêtes du commissaire.  Si Mme Dubé avait donné son autorisation, le commissaire aurait divulgué les renseignements.  En effet, selon le mémoire de l’appelant :

Jacqueline Dubé n’a pas donné l’autorisation de communiquer à l’intimé les renseignements personnels le concernant qui ont été consignés au cours de l’entrevue qu’elle a accordée au CoLo [Commissariat aux langues officielles], et celui-ci n’a donc communiqué aucun des renseignements personnels en question. [Je souligne.]

L’appelant n’invoque aucun autre fait précis pour établir le risque vraisemblable de préjudice.  L’absence de preuve circonstanciée rend l’analyse presque théorique.  Au lieu de démontrer les conséquences néfastes de la divulgation des notes d’entrevue de Mme Dubé sur les enquêtes futures, M. Langelier a tenté de faire une preuve générale que l’absence de confidentialité des enquêtes risquerait de compromettre leur bonne marche, sans établir des circonstances particulières permettant de conclure raisonnablement à la vraisemblance du préjudice.  Il existe des cas où la divulgation des renseignements personnels demandés risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement d’enquêtes et, par conséquent, ceux-ci pourront être gardés secrets. Encore faut-il que la preuve permette raisonnablement de conclure en ce sens.  L’autorisation de divulguer les notes d’entrevue dans ce casci ne veut pas dire pour autant que les renseignements personnels soient toujours accessibles.  La confidentialité et le caractère secret des enquêtes seront encore possibles, mais le droit à la confidentialité et au secret est nuancé par les limites imposées par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur les langues officielles.  Le commissaire exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction de chaque cas spécifique. Dans le cas de Mme Dubé, l’ensemble du dossier ne permet pas raisonnablement de conclure que la divulgation de ses notes d’entrevue risquerait vraisemblablement de nuire aux enquêtes du commissaire.

[…]

[64] Dans le contexte particulier de l’emploi, l’utilisation d’une langue officielle par une minorité est une situation très délicate.  Il peut être difficile pour un employé de déposer une plainte visant la reconnaissance de ses droits linguistiques.  En effet, l’employé se trouve dans une double situation de faiblesse :  il appartient à un groupe minoritaire et il a une relation de subordination vis-à-vis l’employeur.  Au lieu d’affronter ces difficultés en faisant valoir ses droits, un employé peut préférer se conformer à la langue de la majorité.  Or, la Loi sur les langues officielles a justement pour objectif d’éviter ce type de comportement en favorisant l’épanouissement des deux langues officielles.  Pour faciliter l’exercice des droits linguistiques, le législateur a expressément prévu le caractère confidentiel et secret des enquêtes et a confié au Commissaire aux langues officielles le mandat de veiller à la mise en application de cette loi.  C’est dans ce contexte délicat que le commissaire exerce ses fonctions.

[65] Le législateur a assujetti le Commissariat aux langues officielles à l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et ce n’est que lorsque l’institution fédérale peut justifier l’exercice de sa discrétion de refuser la divulgation qu’elle peut le faire.  Dans le cas qui nous concerne, l’appelant n’a pas réussi à démontrer qu’il est raisonnable de maintenir la confidentialité.   Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi principal.

Canada (Commissaire Aux Langues Officielles) c. Air Canada, 1999 CanLII 8095 (CAF)

[10] Il ressort des articles 58, 64(1), 77 et 78 de la Loi qu'une plainte doit viser "un cas précis", que le commissaire doit faire enquête sur ce cas précis et que le commissaire doit communiquer "de la manière qu'il juge indiqué[e]" ses conclusions au plaignant. La Loi n'exige pas, à proprement parler, que le commissaire fasse "rapport" au plaignant. Le "rapport" en tant que tel doit plutôt être transmis au président du Conseil du Trésor ainsi qu'à l'administrateur général de l'institution fédérale concernée (paragraphe 63(1)).

Lavigne c. Société canadienne des postes, 2009 CF 756 (CanLII)

[38] Enfin, le commissaire est tenu de voir à ce que les enquêtes soient secrètes, et ce, conformément aux articles 60 et 72 de la LLO. Le commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la LLO. Le caractère secret et confidentiel des enquêtes est un élément important de la mise en œuvre de la LLO, car sans de telles protections, les plaignants pourraient hésiter à déposer une plainte auprès du commissaire ou les témoins pourraient être réticents à participer aux enquêtes du commissaire (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53, aux paragraphes 36 et 42).

[39] De plus, le commissaire est tenu, en vertu de l'article 16.1 de la Loi sur l'accès à l'information, "de refuser de communiquer les documents qui contiennent des renseignements créés ou obtenus par [lui] ou pour [son] compte dans le cadre de tout examen, enquête ou vérification fait par [lui] ou sous [son] autorité".

[40] Le demandeur a présenté une demande d'accès à l'information au commissaire quant aux mêmes documents dont il demande la communication dans le cadre de la présente requête. L'accès aux renseignements demandés a été refusé par le commissaire en vertu de l'article 16.1 de la Loi sur l'accès à l'information. La présente instance ne doit pas remplacer les procédures prévues dans la Loi sur l'accès à l'information et ne doit pas servir à contourner les protections mises en place par la loi.

[41] Pour l'ensemble des motifs susmentionnés, je suis d'avis que la protonotaire n'a commis aucune erreur en concluant que la LLO ne comprend aucune disposition en vertu de laquelle la Cour pourrait obliger la production des documents et des renseignements demandés par M. Lavigne.

 

61. (1) Procédure

61. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire peut établir la procédure à suivre pour ses enquêtes.

61. (2) Délégation pour la collecte de renseignements

61. (2) Le commissaire peut, dans les limites qu'il fixe, déléguer en tout ou en partie à un cadre du commissariat nommé au titre de l'article 51 les attributions que lui confère la présente loi en ce qui concerne la collecte des renseignements utiles à l'enquête.

Annotations

Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII)

[36]  De plus, c’est le commissaire qui décide de la procédure à suivre lors des enquêtes, sous réserve des exigences suivantes : l’obligation de faire parvenir un avis de son intention d’enquêter (art. 59), l’obligation de veiller à ce que les enquêtes soient secrètes (par. 60(1)) et l’obligation de donner au particulier ou à l’institution fédérale concernée la possibilité de répondre aux critiques dont ils font l’objet (par. 60(2)). L’enquête doit également être menée promptement puisque le plaignant a le droit d’exercer un recours judiciaire six mois après le dépôt de la plainte (par. 77(3)).  Le commissaire et toute personne agissant en son nom sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils ont connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la Loi sur les langues officielles (art. 72).

 

62. (1) Pouvoir d'enquête

62. (1) Pour les enquêtes, à l'exclusion de celles relatives à la partie III, qu'il mène en vertu de la présente loi, le commissaire a le pouvoir :

a) de la même manière et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives, d'assigner des témoins et de les contraindre à comparaître devant lui et à déposer sous serment, verbalement ou par écrit, ainsi qu'à produire les documents et autres pièces qu'il estime indispensables pour instruire à fond toute question relevant de sa compétence aux termes de la présente loi;