Lois linguistiques du Canada annotées : Lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales

2e édition

2017 CanLIIDocs 1

Ministère de la Justice Canada, juillet 2017

 

RÉSUMÉ : L’ouvrage Lois linguistiques annotées du Canada : lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales (« Lois linguistiques du Canada annotées » ou « la publication ») est un outil de référence juridique complet et évolutif. Il répertorie toutes les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales qui touchent, en tout ou en partie, à l’utilisation des langues avec et au sein des institutions gouvernementales et dans le cadre d’activités commerciales ou privées. L’ouvrage comprend une variété de dispositions législatives et réglementaires ainsi que les extraits de jurisprudence y afférents portant sur les langues officielles du Canada, les langues autochtones et les droits de ceux et celles qui parlent d’autres langues que le français ou l’anglais. La publication sera rendue accessible en ligne de façon progressive, en commençant par la Charte canadienne des droits et libertés à compter du 27 juillet 2017.  Les autres chapitres portant sur les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales seront ajoutés en ligne au cours de l’automne et de l’hiver de 2017.

Données de publication CanLII

Auteur(s) : Direction des langues officielles, Ministère de la Justice Canada

Référence : Lois linguistiques du Canada annotées : Lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales, 2017 CanLIIDocs 1

Source : Ministère de la Justice Canada

Publication : Montréal, juillet 2017

Droit d’auteur : © Sa Majesté la Reine du chef du Canada (2017). Tous droits réservés.

Date de dernière modification : 26 juillet 2017 (voir la date affichée sous chaque chapitre).

Accessibilité web (version HTML) : vérification avec JAWS (juillet 2017)

Autre URL : http://ouvert.canada.ca/data/fr/dataset/f17d967a-98c0-454f-a07b-f95d4a2820f1

 


 

 

Le contenu de cette publication ou de ce produit peut être reproduit en tout ou en partie, par quelque moyen que ce soit, sous réserve que la reproduction soit effectuée uniquement à des fins personnelles ou publiques, mais non à des fins commerciales, et cela sans frais ni autre permission, à moins d’avis contraire.

On demande seulement :

de faire preuve de diligence raisonnable en assurant l’exactitude du matériel reproduit;

d’indiquer le titre complet du matériel reproduit et le nom de l’organisation qui en est l’auteur;

d’indiquer que la reproduction est une copie d’un document officiel publié par le gouvernement du Canada et que la reproduction n’a pas été faite en association avec le gouvernement du Canada ni avec l’appui de celui-ci.

La reproduction et la distribution à des fins commerciales est interdite, sauf avec la permission écrite du ministère de la Justice du Canada.  Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec le ministère de la Justice du Canada à l’adresse www.justice.gc.ca.

© Sa Majesté la Reine du chef du Canada

représentée par la ministre de la Justice et procureur général du Canada, 2017

 

ISSN 2561-0384

No de cat. J12-6F-PDF


 

Table des matières

Structure de l’ouvrage

À propos des auteurs

Avant-propos

Remerciements

Guide d’utilisation

Avertissements supplémentaires

Questions ou commentaires

Chapitre 1 : Lois constitutionnelles

Loi constitutionnelle de 1982

Partie I – Charte canadienne des droits et libertés

Garantie des droits et libertés (article 1)

Libertés fondamentales (article 2)

Droits démocratiques (article 3)

Garanties juridiques (articles 7 à 14)

Droits à l’égalité (article 15)

Langues officielles du Canada (articles 16 à 22)

Droits à l'instruction dans la langue de la minorité (article 23)

Recours (article 24)

Dispositions générales (article 27)

Application de la Charte (article 33)


 

* * * * * * * * * * * * * * *

L’objectif de protéger les minorités de langue officielle […] est atteint par le fait que tous les membres de la minorité peuvent exercer des droits indépendants et individuels qui sont justifiés par l’existence de la collectivité.  Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. […]

Ce principe d’égalité réelle a une signification.  Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État […]. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement. […]

Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada […].

- R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 aux para 20, 24 et 25, 1999 CanLII 684 (CSC)

 

La protection des minorités linguistiques est essentielle à notre pays.  Le juge Dickson saisit l’esprit de la place des droits linguistiques dans la Constitution dans Société des Acadiens […] : « La question de la dualité linguistique est une préoccupation de vieille date au Canada, un pays dans l’histoire duquel les langues française et anglaise sont solidement enracinées. »  Comme l’énonce le juge La Forest dans R. c. Mercure […], les « droits concernant les langues française et anglaise […] sont essentiels à la viabilité de la nation ».

Comme nous l’avons déjà indiqué, la Charte [canadienne des droits et libertés] a enrichi les droits linguistiques.  La protection constitutionnelle du droit à l’égalité prévue par l’art. 15 et les dispositions imposant le respect et la protection des droits des autochtones ont fortifié la protection des droits des autres minorités et le droit de ne pas être l’objet de discrimination.  Comme la Cour suprême du Canada l’exprime dans le Renvoi relatif à la sécession […], « Des minorités linguistiques et culturelles, dont les peuples autochtones, réparties de façon inégale dans l’ensemble du pays, comptent sur la Constitution du Canada pour protéger leurs droits. »

Le principe du respect et de la protection des minorités est une caractéristique structurelle fondamentale de la Constitution canadienne, qui explique et transcende à la fois les droits des minorités expressément garantis dans le texte de la Constitution.  C’est un domaine où, comme l’explique la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession […], « Une lecture superficielle de certaines dispositions spécifiques du texte de la Constitution, sans plus, pourrait induire en erreur. »  Cette caractéristique structurelle de la Constitution ne ressort pas uniquement des garanties spécifiques en faveur des minorités.  Elle imprègne tout le texte, et comme nous l’avons expliqué, elle joue un rôle vital dans la modulation du contenu et des frontières des autres caractéristiques structurelles de la constitution : le fédéralisme, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et la démocratie. 

- Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), 2001 CanLII 21164 (CA ON) aux para 112-4

* * * * * * * * * * * * * * *


 

Structure de l’ouvrage

Cette publication est un outil de référence juridique complet et évolutif. Elle répertorie toutes les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales qui touchent, en tout ou en partie, à l’utilisation des langues avec et au sein des institutions gouvernementales et dans le cadre d’activités commerciales ou privées. L’ouvrage comprend une variété de dispositions législatives et réglementaires ainsi que les extraits de jurisprudence y afférents portant sur les langues officielles du Canada, les langues autochtones et les droits de ceux et celles qui parlent d’autres langues que le français ou l’anglais.  La publication sera rendue accessible en ligne de façon progressive, en commençant par la Charte canadienne des droits et libertés à compter du 27 juillet 2017.  Les autres chapitres portant sur les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales seront ajoutés en ligne au cours de l’automne et de l’hiver de 2017.

1.     LOIS CONSTITUTIONNELLES  

2.     LOIS FÉDÉRALES

3.     COLOMBIE-BRITANNIQUE

4.     ALBERTA

5.     SASKATCHEWAN

6.     MANITOBA

7.     ONTARIO

8.     QUÉBEC

9.     NOUVEAU-BRUNSWICK

10.  NOUVELLE-ÉCOSSE

11.  ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD

12.  TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

13.  YUKON

14.  TERRITOIRES DU NORD-OUEST

15.  NUNAVUT


 

À propos des auteurs

La mise à jour et l’élargissement des Lois linguistiques du Canada annotées sont le fruit du travail de la Direction des langues officielles du ministère de la Justice Canada (« ministère de la Justice »).  Les membres suivants actuels et anciens de la Direction ont contribué à la publication à des moments différents :

Michel Francoeur, directeur et avocat général

Isabelle Palad, analyste et co-gestionnaire de projet

Helen Kneale, avocate et co-gestionnaire de projet

Renée Soublière, avocate-conseil et coordonnatrice du contentieux

Carolina Mingarelli, directrice adjointe et avocate-conseil

Michael Aquilino, avocat

Chadia Brahim, parajuriste

Anne-Marie Duquette, avocate

Claude Imbeau, avocat 

Richard Keswick, avocat

Christine Lemaire, avocate

Rana El-Khoury, avocate

Alison Williams, adjointe juridique

Daniel Wirz, avocat

Breanne Lavallée-Heckert, étudiante en droit

Kaitlyn Chiasson, analyste étudiante

Marie-Ève Bélair, stagiaire (adjointe juridique)

Les membres suivants du Groupe du droit des langues officielles (aujourd’hui l’Équipe du droit de la Direction des langues officielles) du ministère de la Justice ont travaillé de 1996 à 1998 sur la première édition de la publication (1998) :

Michel Francoeur, gestionnaire et avocat-conseil 

Alain Tremblay, chargé de projet

Bruno Thériault, avocat

Alexandre Larouche, avocat

Liliane Marcil, adjointe administrative

Avant-propos

Première édition, 1998

La première édition de cette publication a été rédigée par le Groupe du droit des langues officielles (aujourd’hui l’Équipe du droit de la Direction des langues officielles) du ministère de la Justice et publiée en 1998 dans le cadre du Symposium national sur les langues officielles du Canada. Cet événement a commémoré le dixième anniversaire de l’entrée en vigueur de la deuxième Loi sur les langues officielles du Canada (1988) – la première Loi sur les langues officielles fédérale est entrée en vigueur en 1969 et a été abrogée en 1988 – et le vingtième anniversaire de l’adoption des dispositions linguistiques principales du Code criminel (article 530 – Langue de l’accusé) en 1978.

La première édition, entreprise par le ministère de la Justice de concert avec le ministère du Patrimoine canadien, a rassemblé non seulement la Loi sur les langues officielles fédérale et le Code criminel, mais également presque toutes les autres lois linguistiques canadiennes, c’est-à-dire les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales (398 en tout) ayant trait, en tout ou en partie, à l’utilisation de langue(s) avec et au sein des institutions gouvernementales et dans les sphères d’activités commerciales ou privées.

Pour chacune de ces lois, la publication a reproduit les extraits de jurisprudence pertinents et les références y afférents (331 en tout).  Cependant, pour des raisons administratives et financières, l’ouvrage n’a pas reproduit les règlements et les autres textes législatifs délégués pris sous l’égide de ces diverses lois, à l’exception de quelques textes, ni les lois relatives à l’éducation en langue minoritaire. Cependant, l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège les droits à l’instruction dans la langue de la minorité, a été reproduit et annoté avec les extraits de jurisprudence pertinents.

L’objectif de la publication était de permettre aux juristes et non-juristes d’acquérir une meilleure connaissance des principes juridiques linguistiques applicables au Canada. Elle a été publiée exclusivement en version papier et distribuée gratuitement.

Deuxième édition, 2017

Cette deuxième édition des Lois linguistiques du Canada annotées est publiée en 2017 en commémoration du 150e anniversaire du Canada et de l’enchâssement des premiers droits linguistiques constitutionnels au Canada à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Depuis la publication de la première édition en 1998, les droits linguistiques au Canada ont évolué de façon significative. Des développements de nature législative et judiciaire, notamment la décision phare R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 de la Cour suprême du Canada ainsi que les modifications à la partie VII (Promotion du français et de l’anglais) de la Loi sur les langues officielles fédérale en 2005, continuent de façonner la création, la mise en œuvre et l’interprétation des droits linguistiques.  Afin de mieux représenter cette réalité changeante, la Direction des langues officielles du ministère de la Justice s’est engagée en 2015 à mettre à jour et à élargir la portée de la publication.

Cette deuxième édition permet de rester à l’affût des développements législatifs, réglementaires et jurisprudentiels canadiens et constitue un outil de référence évolutif accessible en ligne gratuitement pour toutes les Canadiennes et tous les Canadiens. Son contenu fera l’objet de mises à jour régulières en fonction de la fréquence des changements législatifs et jurisprudentiels.

L’objectif de la publication demeure le même que celui de la première édition (1998) : permettre aux juristes et aux non-juristes d’acquérir une meilleure compréhension des principes juridiques applicables aux questions linguistiques au Canada. De surcroît, les auteurs ont visé à effectuer une compilation exhaustive de textes législatifs et d’extraits de jurisprudence linguistiques pertinents qui comprend non seulement les droits afférents aux langues officielles, mais également les droits linguistiques autochtones ainsi que les droits de ceux et celles qui parlent d’autres langues que le français ou l’anglais. Les textes législatifs ainsi que les extraits de jurisprudence relatifs au droit des langues officielles répertoriés dans l’ouvrage ont triplé depuis 1998.

Les auteurs espèrent donc que cette publication, dans son entier, permettra à ses lecteurs une meilleure compréhension de la portée et de l’ampleur des questions de droits linguistiques. Bien au-delà des droits linguistiques constitutionnels enchâssés à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, à l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et aux articles 16 à 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, cet ouvrage illustre la pertinence des enjeux linguistiques pour une panoplie de domaines régis par des lois : le droit pénal, le droit administratif, le droit de la famille, le droit du travail et de l’emploi, le droit de l’immigration et de la citoyenneté, le droit autochtone, le droit commercial, le droit de l’aviation, les ressources naturelles, la radiodiffusion, les soins de santé et ainsi de suite. Que nos lecteurs en profitent pour explorer les manifestations innovatrices, et parfois inattendues, des enjeux de droits linguistiques que fait surgir la vie de tous les jours.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier Laurie C. Wright, sous-ministre adjointe (Secteur du droit public et des services législatifs) du ministère de la Justice pour son appui à ce projet.

Ce projet a nécessité la participation de plusieurs partenaires clé qui ont collaboré au format, à la structure et à l’assistance technique afférents à cette publication numérique. Les auteurs désirent remercier les personnes suivantes pour leurs contributions : Dugald Topshee, Anne-Murielle Hassan et Marc Bernard de la Direction des solutions d’information du ministère de la Justice ; Karine Briand de la Direction des communications du ministère de la Justice ; Deborah MacNair, avocate ministérielle du ministère de la Justice; et Ashley Casovan et Alannah Hilt du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Les auteurs aimeraient remercier le Bureau de la traduction et Diane Brazeau, adjointe exécutive à la Direction des langues officielles, pour avoir géré les services de traduction nécessaires à ce projet.

Les auteurs tiennent aussi à remercier sincèrement Xavier Beauchamp-Tremblay, président de CanLII et Frédéric Pelletier, Ivan Mokanov et Maude Adam de Lexum Inc. pour leur collaboration exemplaire du début à la fin de cette publication.

Guide d’utilisation

Dans la mesure du possible, les auteurs ont incorporé des hyperliens aux titres des jugements, aux lois et aux règlements cités afin de permettre aux lecteurs de consulter la version entière d’une référence dans CanLII. Les titres en question sont reproduits conformément au système de référencement de CanLII.

Au niveau de la législation, seule la version courante d’une disposition figure dans la publication. Dans le cas où des modifications législatives significatives auraient été apportées à une disposition, les annotations peuvent être divisées en catégories distinctes. Par exemple, dans Chapitre 2: Lois fédérales, les annotations du paragraphe 530(3) du Code criminel comprennent une catégorie distincte intitulée « Jurisprudence antérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008 ».

Des catégories distinctes servent également, dans certains cas, à regrouper des extraits de jurisprudence ayant un thème ou enjeu juridique commun. En voici un exemple : dans le Chapitre 1 : Lois constitutionnelles, les annotations de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés sont subdivisées en fonction des dispositions de la Charte dont la violation est alléguée.

Lorsque le libellé d’une disposition se répète dans plusieurs lois ou règlements, les lois ou règlements en question peuvent être regroupés dans une catégorie distincte de dispositions linguistiques. Par exemple, dans le Chapitre 8 : Québec, une liste des règlements régissant les ordres professionnels figure dans les annotations du Code des professions, R.L.R.Q. c. C-26. Ces règlements disposent d’un libellé semblable pour les dispositions qui prévoient la possibilité de subir un examen professionnel en français ou en anglais.

Des notes explicatives, identifiées par « NOTA », figurent dans la publication afin de fournir des informations supplémentaires aux lecteurs quant à l’historique ou au traitement d’un jugement ou pour apporter une précision sur la portée des annotations d’un chapitre donné. Voici un exemple d’une note explicative :

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel du Québec. Voir également le jugement de première instance: Québec (Procureur général) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII) [disponible en anglais seulement].

Les dispositions législatives et réglementaires sont reproduites dans le(s) langue(s) dans laquelle/lesquelles elles ont été adoptées, alors que les extraits de jurisprudence sont fournis en français et en anglais. Les traductions des extraits de jurisprudence unilingues sont fournies afin d’en faciliter la lecture seulement et ne constituent pas des traductions officielles des jugements unilingues. 

Les traductions sont identifiées au début d’un extrait de jurisprudence par [NOTRE TRADUCTION] en français et [OUR TRANSLATION] en anglais.

Les auteurs respectent l’authenticité des textes reproduits dans la publication dans la mesure du possible. Advenant les rares cas d’une erreur typographique ou cléricale décelée par les auteurs dans un extrait de jurisprudence, elle pourrait être annoncée par « (sic) » peut apparaître dans le texte. Les abréviations et acronymes sont épelés et identifiés entre crochets, tel qu’illustré ci-dessous: 

[34] Or, autant dans le cas des EPNS [écoles privées non subventionnées] que dans celui des autorisations spéciales délivrées par la province, les enfants reçoivent ou ont reçu, de fait, de l’enseignement en langue anglaise et se situent en principe dans les catégories d’ayants droit établies par le par. 23(2). […]

- Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), [2009] 3 RCS 208, 2009 CSC 47 (CanLII)

Afin de favoriser la concision de la publication, les auteurs ont recours à l’ellipse […] pour représenter des paragraphes ou phrases omis tant pour les dispositions législatives que pour les extraits de jurisprudence.

Avertissements supplémentaires

Veuillez noter que les chapitres individuels des Lois linguistiques du Canada annotées sont datés dans le but d’indiquer leurs mises à jour les plus récentes. Par ailleurs, alors que le contenu de la publication est mis à jour de façon régulière, il ne jouit pas d’un statut officiel, alors les lecteurs sont invités à consulter les versions officielles des lois, règlements et jugements reproduits dans la publication. La publication ne constitue ni un avis juridique ni une position juridique du ministère de la Justice Canada.

Questions ou commentaires

En cas de questions ou de commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec la Direction des langues officielles du ministère de la Justice Canada par courriel à olad-dlo@justice.gc.ca.

Chapitre 1 : Lois constitutionnelles

Loi constitutionnelle de 1982

Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11

 

Partie I – Charte canadienne des droits et libertés

Garantie des droits et libertés (article 1)

1. Droits et libertés au Canada

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations – Paragraphe 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés

Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19 (CSC)

[73] Il ressort des documents se rapportant à l'article premier [de la Charte canadienne] et à l'art. 9.1 [de la Charte québécoise] que la politique linguistique sous-tendant la Charte de la langue française vise un objectif important et légitime. Ils révèlent les inquiétudes à l'égard de la survie de la langue française et le besoin ressenti d'une solution législative à ce problème. De plus, ces documents montrent le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans le "visage linguistique". Toutefois, les documents se rapportant à l'article premier et à l'art. 9.1 n'établissent pas que l'exigence de l'emploi exclusif du français est nécessaire pour atteindre l'objectif législatif ni qu'elle est proportionnée à cet objectif. Cette question précise n'est même pas abordée dans les documents. En fait, dans son mémoire et dans ses arguments oraux, le procureur général du Québec n'a pas tenté de justifier l'exigence de l'emploi exclusif du français. Il a plutôt insisté sur les motifs de l'adoption de la Charte de la langue française et de la législation antérieure en matière linguistique, motifs qui, il faut le répéter, ne sont pas contestés par les intimées. Le procureur général du Québec s'est appuyé sur ce qu'il a appelé la légitimité démocratique générale de la politique linguistique du Québec, sans mentionner expressément l'exigence de l'emploi exclusif du français. Sur la question de la proportionnalité, le procureur général du Québec s'est référé à la jurisprudence américaine traitant du discours commercial pour démontrer sans doute que les tribunaux devaient respecter le choix fait par le législateur quant aux moyens à employer pour atteindre, du moins dans le domaine de l'expression commerciale, un objectif législatif dont la légitimité est reconnue.  Il a toutefois mentionné, au titre de la justification de l’exigence de l’emploi exclusif du français, les « assouplissements » qu’y apportent les art. 59 à 62 de la Charte de la langue française et ses règlements d'application. Le procureur général a fait valoir que ces exceptions à l'exigence de l'emploi exclusif du français traduisent le souci de prendre des mesures bien conçues et d'intervenir le moins possible en matière d'expression commerciale. Si d'autres dispositions de la Charte de la langue française et de son règlement d'application viennent restreindre la portée de l'exigence de l'emploi exclusif du français, les art. 58 et 69 n'en interdisent pas moins l'emploi d'une langue autre que le français lorsqu'ils s'appliquent, par exemple, dans le cas des intimées. Nous devons donc décider si une telle interdiction est justifiée. La Cour pense qu'il n'a pas été démontré que l'interdiction, par les art. 58 et 69, de l'emploi d'une langue autre que le français est nécessaire pour défendre et pour améliorer la situation de la langue française au Québec ni qu'elle est proportionnée à cet objectif législatif. Puisque la preuve soumise par le gouvernement indique que la prédominance de la langue française ne se reflétait pas dans le "visage linguistique" du Québec, les mesures prises par le gouvernement auraient pu être conçues spécifiquement pour régler ce problème précis tout en restreignant le moins possible la liberté d'expression. Alors qu'exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l'objectif de promotion et de préservation d'un "visage linguistique" français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des Chartes québécoise et canadienne, l'obligation d'employer exclusivement le français n'a pas été justifiée. On pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue ou l'on pourrait exiger qu'il soit plus en évidence que d'autres langues. De telles mesures permettraient que le "visage linguistique" reflète la situation démographique du Québec où la langue prédominante est le français.  Cette réalité devrait être communiquée à tous, citoyens et non-citoyens, quelle que soit leur langue maternelle.  Cependant, l’usage exclusif du français ne résiste pas à l'examen fondé sur le critère de la proportionnalité et ne reflète pas la réalité de la société québécoise. En conséquence, nous estimons que la restriction imposée à la liberté d'expression par l'art. 58 de la Charte de la langue française, en ce qui concerne l'usage exclusif du français pour l'affichage public et la publicité commerciale, n'est pas justifiée en vertu de l'art. 9.1 de la Charte québécoise. De la même manière, la restriction imposée à la liberté d'expression par l'art. 69 de la Charte de la langue française, en ce qui concerne l'utilisation exclusive de la raison sociale en langue française, n'est pas justifiée, ni en vertu de l'art. 9.1 de la Charte québécoise ni en vertu de l'article premier de la Charte canadienne.

Devine c. Quebec (Attorney General), [1988] 2 R.C.S. 790, 1988 CanLII 20 (CSC)

[29] Il reste à déterminer si la restriction imposée à la liberté d'expression par les dispositions contestées de la Charte de la langue française, qui exigent l'usage du français tout en permettant en même temps l'usage d'une autre langue, est justifiée aux termes de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et de l'art. 9.1 de la Charte du Québec. Les documents relatifs à l'article premier et à l'art. 9.1 présentés par le procureur général du Québec pour justifier les dispositions contestées ont été examinés dans l'arrêt Ford. Pour les motifs énoncés dans cet arrêt, une mesure législative imposant l'usage exclusif, par opposition à l'usage prédominant, du français ne peut se justifier aux termes de l'article premier ou de l'art. 9.1. L'article 58 de la Charte de la langue française, comme il a été démontré dans l'arrêt Ford, exige l'emploi exclusif du français et par conséquent ne résiste pas à l'examen de l'art. 9.1. Pour les motifs donnés dans cet arrêt, l'exigence relative à l'usage concurrent ou prédominant du français est justifié aux termes de l'art. 9.1 et de l'article premier.

[…]

[32] Les articles 52 et 57 [de la Charte de la langue française], s'ils doivent être maintenus en vigueur, n'entraînent pas de résultats non voulus par cet ensemble législatif et n'enfreignent pas l'al. 2b) de la Charte canadienne ni l'art. 3 de la Charte québécoise comme il ressort de l'arrêt Ford. Leur maintien en vigueur ne produit pas de résultats non voulus parce que leur existence ne dépend pas de l'art. 58, comme c'est le cas pour les art. 59, 60 et 61. De même, leur maintien en vigueur ne porte pas atteinte aux Chartes car les art. 52 et 57 prévoient la publication de certains articles, tels les catalogues, les brochures, les bons de commande et les factures, en français mais n'exigent pas l'usage exclusif du français. L'article 89 prévoit clairement que, dans les cas où l'usage exclusif du français n'est pas exigé de façon explicite par la loi, la langue officielle et une autre langue peuvent être utilisées conjointement. Selon nos motifs dans l'arrêt Ford, l'autorisation de l'usage concurrent résiste à l'examen en vertu de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise. Cet arrêt a établi le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans le "visage linguistique" en exigeant que l'affichage se fasse en français. La même logique s'applique à la communication au moyen de divers articles, tels que les brochures, les catalogues, les bons de commande et les factures, et le lien rationnel est encore une fois démontré. Les articles 52 et 57 peuvent donc être maintenus aux termes de l'art. 9.1 de la Charte québécoise et l'art. 57 -- le seul des deux qui soit assujetti à la Charte canadienne -- peut être maintenu en vertu de son article premier. Il reste maintenant à déterminer si les art. 52 et 57 sont contraires à l'art. 10 de la Charte québécoise et si l'art. 57 est contraire à l'art. 15 et à l'article premier de la Charte canadienne.

[…]

[36] Il nous reste à déterminer si l'art. 57 est contraire à l'art. 15 et à l'article premier de la Charte canadienne. L'article 15 de la Charte canadienne a été invoqué par l'appelante seulement devant cette Cour, bien que le procureur général du Québec ait accepté que des questions constitutionnelles soient énoncées et que l'art. 15 soit en cause. Néanmoins, nous ne bénéficions pas de motifs de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure qui interprètent l'application de l'art. 15 à l'art. 57. Cette Cour n'a pas encore rendu de jugement interprétant le sens de l'art. 15. Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'examiner la question de savoir si l'art. 57 porte atteinte, à première vue, à l'art. 15. Nous avons déjà conclu qu'il portait atteinte à première vue à l'al. 2b). La seule question restant à trancher est de savoir si l'application de l'article premier serait différente s'il y avait une violation prima facie de l'art. 15 en l'espèce. Plus précisément, la question devient celle de savoir si le critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, et énoncé de nouveau par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 713, entraînerait un résultat différent en l'espèce si la violation prima facie dont il est question constituait une atteinte aux droits que garantit l'art. 15. Nous avons déjà décidé que l'exigence de l'usage concurrent du français a un lien rationnel avec la préoccupation urgente et réelle de l'Assemblée nationale d'assurer que le visage linguistique du Québec reflète la prédominance du français. Cette exigence porte-t-elle atteinte le moins possible au droit à l'égalité devant la loi et au droit à l'égalité de bénéfice et de protection égale de la loi, indépendamment de toute discrimination? Est-elle conçue de manière à ne pas empiéter sur ce droit au point que la réduction des droits l'emporte sur l'objectif législatif? En veillant à ce que les non-francophones puissent rédiger des formulaires de demandes d'emploi, des bons de commandes, des factures, des reçus et des quittances dans la langue de leur choix, de pair avec le français, l'art. 57 interprété conjointement avec l'art. 89, crée, tout au plus, une atteinte minimale aux droits à l'égalité. Bien que, comme l'appelante l'a soutenu, l'exigence de l'usage concurrent du français puisse créer un fardeau additionnel pour les marchands et les commerçants non francophones, il n'y a rien qui porte atteinte à leur capacité d'utiliser également une autre langue. Par conséquent, notre conclusion concernant l'application de l'article premier demeure même si, à première vue, la violation en cause de la Charte canadienne est une violation de l'art. 15.

Galganov c. Russell (Township), 2012 ONCA 409 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] Le règlement en litige, à savoir le règlement no 49-2008 (le Règlement), exige que le contenu de toute nouvelle affiche commerciale extérieure soit en français et en anglais, même si le nom de l’entreprise peut être unilingue.

[…]

[5] Voici les questions en litige dans le présent appel : (1) Monsieur Galganov a-t-il qualité pour demander l’annulation du Règlement? (2) Le Règlement excède-t-il les pouvoirs du canton? (3) Si le Règlement n’excède pas les pouvoirs du canton, a) porte-t-il atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, et b) s’il y porte atteinte, la limite à la liberté d’expression est-elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[…]

[7] Je suis également d’avis de rejeter l’appel de monsieur Brisson. Je souscris à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle le canton a le pouvoir d’adopter le Règlement. En ce qui concerne la question de savoir s’il y a atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression qui lui est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, je suis d’avis que la juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas atteinte. Toutefois, je conclus que cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[…]

[61] Compte tenu des décisions rendues par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine, en imposant l’utilisation du français et de l’anglais sur les nouvelles affiches commerciales extérieures, l’objet du Règlement porte atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression qui est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. Je dois maintenant déterminer si cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[…]

(i) Le Règlement sert-il un objectif suffisamment important?

[…]

[67] La preuve soumise à la Cour concernant le bien‑être social du canton analysé au point (2)b)(ii) portant sur le pouvoir d’adopter le Règlement, démontre l’importance de l’objet visé par le Règlement, à savoir le maintien et la valorisation de l’égalité du statut du français dans le canton, lequel a décidé de se doter d’un statut bilingue au titre de la Loi sur les services en français et d’offrir des services aux résidents dans les deux langues. L’objectif du Règlement, à savoir la promotion du statut d’égalité du français et de l’anglais, les langues officielles du Canada, est urgent et important. 

[68] Par conséquent, le Règlement satisfait au premier critère de l’article premier de la Charte.

(ii) Le Règlement satisfait-il au volet de la proportionnalité, le deuxième volet du critère?

[69] La Cour, ayant conclu que le Règlement satisfait au premier critère, doit examiner si les moyens utilisés sont raisonnables et si leur justification peut se démontrer par l’application du volet de la proportionnalité dont il est question dans le critère.

[…]

[75] La juge de première instance disposait d’éléments de preuve démontrant que, en 2006, le français était la première langue apprise par 45,5 p. 100 de la population du canton, l’anglais était la première langue apprise de 50,3 p. 100 de cette population et 4,2 p. 100 de la population avait une autre langue comme première langue apprise. Le nombre total de francophones dans le canton a augmenté, mais, selon le témoignage d’un expert, à savoir monsieur Castonguay, professeur de mathématiques retraité de l’Université d’Ottawa, qui a publié de nombreux écrits sur l’assimilation linguistique, la proportion de francophones est en baisse en raison de l’assimilation linguistique. Dans l’ensemble, monsieur Breton, un sociologue qui s’intéresse principalement aux minorités linguistiques et culturelles, et monsieur Choquette, un spécialiste de l’histoire des Franco-Ontariens, disent que la population francophone en Ontario et ailleurs au Canada est en baisse. Pour protéger la langue française, il est essentiel qu’il y ait un milieu linguistique. Selon les documents que la juge de première instance a acceptés, il existe un lien rationnel entre protéger le statut égalitaire du français et veiller à ce que la réalité de la société québécoise soit transmise par le « visage linguistique » comme l’a exposé la Cour suprême dans l’arrêt Ford.

[…]

[77] De même, l’utilisation conjointe du français et de l’anglais est rationnellement liée à la préoccupation du canton de veiller à ce que sa nature bilingue se reflète sur les affiches commerciales extérieures.

[78] Je souligne également qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard du choix du gouvernement à l’étape du lien rationnel : voir Lavoie c. Canada, 2002 CSC 23 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 769, au paragraphe 59. Compte tenu de la preuve de l’importance symbolique de confirmer l’égalité de statut des deux langues officielles, il existe un lien rationnel entre le Règlement et la promotion de l’égalité de statut du français et de l’anglais et, plus généralement, entre le Règlement et la protection du français.

[…]

[81] Le processus entrepris par le canton avant l’adoption du Règlement a compris la tenue de consultations avec le public et l’examen de solutions de rechange. Il en a résulté un règlement qui ne s’appliquait qu’aux nouvelles affiches commerciales extérieures. Dans Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 141, au paragraphe 94, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Premièrement, lorsqu’ils s’attaquent à un problème social comme celui-ci, en présence d’intérêts et de droits conflictuels, les représentants élus doivent bénéficier d’une certaine latitude.  La Cour n’interviendra pas du seul fait qu’elle peut imaginer un moyen plus adéquat, moins attentatoire, de remédier au problème.  Il suffit que la Ville démontre qu’elle a conçu une mesure restrictive  raisonnablement adaptée à la situation.

[82] En concevant le Règlement comme il l’a fait, le canton a démontré qu’il réglait le problème d’une manière qui porte atteinte de façon minimale à la liberté d’expression.

[83] Il faut aussi se rappeler les faits particuliers de l’espèce. L’argument selon lequel la liberté d’expression de M. Brisson est touchée de façon plus que minimale par l’exigence que la description de ses services sur sa nouvelle affiche unilingue française figure également en anglais perd beaucoup de sa solidité compte tenu des faits suivants : le nom de l’entreprise de M. Brisson, à savoir « Independent Radiator Services », n’est inscrit qu’en anglais, et M. Brisson a le droit de le laisser inchangé; pendant la plupart des 34 années au cours desquelles M. Brisson a exploité son entreprise, son affiche a été unilingue anglaise et il continue de distribuer des cartes professionnelles et des factures en anglais. Par conséquent, dans le passé, M. Brisson a choisi de ne s’exprimer qu’en anglais; il choisit maintenant de ne s’exprimer qu’en français sur son affiche extérieure tout en continuant d’utiliser l’anglais dans d’autres aspects de son entreprise. Exiger qu’il utilise l’anglais sur son affiche en plus du français constitue une atteinte minimale à son droit à la liberté d’expression.

[84] L’étape de l’atteinte minimale étant franchie, il faut finalement examiner si les effets attentatoires du Règlement l’emportent sur l’importance de l’objectif poursuivi. M. Brisson n’a formulé aucun argument quant à cet aspect du critère de l’arrêt Oakes. Compte tenu de l’importance de la protection et de la promotion de l’égalité de statut du français, je suis d’avis de conclure que les avantages procurés par le Règlement l’emportent sur l’atteinte à la liberté d’expression ou les inconvénients occasionnés. 

[85] Pour ces motifs, bien que le Règlement porte atteinte aux droits qui sont garantis à M. Brisson par l’alinéa 2b) de la Charte, cette atteinte est justifiée, au regard de l’article premier de la Charte, dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[45] La Cour suprême a déclaré en 1988, en obiter, c’est-à-dire sans que cela soit nécessaire pour appuyer sa décision, qu’exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l’objectif de promotion et préservation d’un « visage linguistique » français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des chartes québécoise et canadienne.  La Cour suprême est allée jusqu’à dire spécifiquement, dans l’arrêt Ford, qu’on pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue ou qu’on pourrait exiger qu’il soit plus en évidence que d’autres langues.

[46] Je suis d'avis que l'art. 58 ne fait rien d'autre, dans sa forme actuelle, que de reproduire les lignes directrices formulées par la Cour suprême.  Je suis également d'opinion qu'à la lumière de la preuve soumise à la Cour suprême en 1988 une disposition telle que l'art. 58 actuel aurait résisté à une attaque fondée sur le droit à la liberté d'expression et sur le droit à l'égalité, et n'aurait pas été déclarée inopérante.

[47] On le réalise immédiatement, pour que la même réponse s'impose aujourd'hui, vu que la Procureure générale du Québec a choisi de ne pas faire de preuve pour établir que la disposition se justifie au regard de l'article premier de la Charte canadienne et de l'article 9.1 de la Charte québécoise des droits de la personne, il faut pouvoir conclure que l'obiter dictum de l'arrêt Ford a la même force que s'il faisait partie de la ratio decidendi et qu'en conséquence l'appelante a le fardeau de prouver l'absence de justification.

[…]

[58] Je conclus en l’espèce que l’obiter dictum de la Cour suprême dans Ford a le même poids que s’il faisait partie de la ratio decidendi et lie la Cour d’appel.  En effet, il apparaît clairement de l’analyse des arrêts Ford et Devine que la Cour suprême mesurait la portée de ses conclusions sur le délicat contentieux de la langue d’affichage au Québec et souhaitait régler la question.  La formulation de la règle de la nette prédominance n’est certes pas une phrase isolée dont on n’aurait pas prévu la répercussion.

[…]

[61] L'appelante avait donc le fardeau d'établir que la situation révélée par les documents considérés par la Cour suprême en 1988 était modifiée au point que la mesure ne pouvait plus se justifier en 1999. Elle a fait une certaine preuve qui n'a pas été retenue par le juge de la Cour supérieure.  Elle a décliné l'invitation qui lui avait été faite de faire une preuve complète, estimant que le fardeau reposait toujours sur les épaules de la Procureure générale.  Elle a voulu le faire en Cour d'appel, mais la permission lui a été refusée pour la raison déjà indiquée.  C'est dans  ce cadre qu'il y a lieu d'examiner les griefs de l'appelante.

[62] Il paraît opportun de rappeler la preuve qui doit être faite pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique.

[63] À cette fin, l'arrêt Oakes, précité, établit, aux p. 138 et 139, que l'objectif poursuivi par la mesure restrictive doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution et que la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer.  Cela nécessite l'application d'« une sorte de critère de proportionnalité » qui comporte trois éléments :

Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question.  Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles.  Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question.  Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352.  Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme « suffisamment important ».

[…]

[65] L'appelante ayant le fardeau de la preuve en l'espèce, elle devait établir que la mesure ne se justifiait plus au sens de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.

[66] J'ai déjà indiqué que la Cour suprême a conclu dans Ford que la preuve faisait ressortir que la politique linguistique sous-tendant la Charte de la langue française vise un objectif important et légitime, et qu'elle montre le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans le visage linguistique.

[…]

[68] Je ne vois aucun mérite à l'argument de l'appelante que la Cour suprême n'a jamais soumis l'objectif général de la Charte de la langue française à l'examen du critère de proportionnalité élaboré dans Oakes.  Au contraire,  l'obiter de la Cour suprême dans Ford propose une clause qui rencontre toutes les exigences de l'arrêt Oakes et de l'arrêt Sharpe.

[…]

[88] Je partage l’avis du juge de la Cour supérieure que la doctrine du stare decisis s’applique à Devine et qu’il s’est bien dirigé en droit en concluant que, dans l’hypothèse où l’article 58 dans sa version actuelle porte atteinte à l’article 15 paragraphe 1 de la Charte canadienne et à l’article 10 de la Charte québécoise, l’atteinte est justifiée en vertu de l’article premier et l’article 9.1.

[…]

[117] Je suis d'avis que l'art. 58 de la Charte de la langue française adopté par le gouvernement du Québec en suivant les principes énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine est une disposition valide et que l'appelante n'a apporté aucune preuve pertinente qui aurait permis à la Cour supérieure de réviser ses conclusions portant sur la langue de l'affichage public et la publicité commerciale au Québec.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[43] Les appelants ont ensuite prétendu que le juge de première instance a commis une erreur [traduction] « lorsqu’il a présumément omis de suivre dans sa totalité l’obiter dictum formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Ford », à savoir que les affiches extérieures libellées en français et dans une autre langue satisferaient au critère de l’arrêt Oakes si le libellé français est nettement prédominant ou est de taille égale au libellé de l’autre langue.

[44] Les appelants ont prétendu qu’une disposition de « taille égale » plutôt qu’une disposition de « taille nettement prédominante » satisferait au critère de l’atteinte minimale de l’article premier de la Charte canadienne.

[45] La Cour suprême du Canada a dit dans les arrêts Ford et Devine que les deux types de dispositions satisfont au critère de l’arrêt Oakes. C’est au législateur, et non pas aux appelants, qu’il incombe de choisir entre deux solutions qui sont toute aussi constitutionnelles l’une que l’autre. En ce qui concerne la publicité commerciale, le législateur a choisi le critère voulant que le français doive figurer de façon « nettement prédominante » (article 58 de la CLF [Charte de la langue française]); en ce qui concerne les inscriptions sur un produit, des catalogues et d’autres documents, il a choisi d’autoriser l’utilisation de deux langues, et il n’exige pas que l’une ou l’autre soit prédominante (articles 51, 52 et 89 de la CLF).

[…]

[66] Le juge de première instance a résumé l’analyse de la Cour suprême du Canada, dans les arrêts Ford et Devine, concernant les droits à l’égalité.

[67] Dans l’arrêt Ford, la Cour suprême, ayant décidé que la loi constituait une atteinte à la liberté d’expression, ne s’est pas penchée sur la question de l’égalité.

[68] En revanche, la Cour suprême, dans l’arrêt Devine, après avoir conclu que la loi constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression, devait traiter de la question de l’égalité. Elle a conclu que l’analyse fondée sur l’article premier s’appliquait également à l’article 15 de la Charte canadienne, c’est-à-dire si la loi constitue une limite raisonnable à la liberté d’expression, elle constitue également une limite raisonnable aux dispositions sur l’égalité. En ce qui concerne l’article 10 de la Charte québécoise, la Cour suprême a décidé que le droit à l’égalité devait être lié à un autre droit ou à une autre liberté, en l’espèce, la liberté d’expression. Étant donné que la Cour suprême avait déjà conclu que la limite à la liberté d’expression était justifiable, elle a tiré la même conclusion en ce qui concerne le droit à l’égalité.

[69] En l’espèce, après avoir appliqué le même principe et après avoir conclu que l’atteinte à la liberté d’expression était justifiable au regard de l’article premier de la Charte canadienne et des articles 3 et 9.1 de la Charte québécoise, le juge de première instance a rejeté la contestation fondée sur l’égalité.

[…]

[77] La Cour n’a relevé aucune erreur dans l’analyse approfondie faite par le juge de première instance quant au droit et quant à l’application de principes de droit aux faits de l’espèce. Rien dans la CLF, peu importe que l’on analyse l’objet ou l’effet des dispositions, ne porte atteinte à la dignité humaine de la population anglophone. De toute façon, même s’il y a atteinte aux droits à l’égalité, celle-ci serait justifiable au regard de l’article premier de la Charte canadienne comme il a déjà été conclu dans l’analyse relative à la liberté d’expression.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Voir également le jugement de première instance : Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII).

Annotations – Article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés

Reference re the Final Report of the Electoral Boundaries Commission, 2017 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Il s’agit d’un renvoi. On demande à la Cour (1) si l’abolition, en 2012, des anciennes circonscriptions électorales provinciales de Clare, Argyle et Richmond portait atteinte à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés et, le cas échéant, (2) si l’atteinte était justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[…]

[133] L’article 3 exige que les limites des circonscriptions électorales reflètent une véritable représentation. La détermination comporte une mise en équilibre de la parité électorale et de critères faisant contrepoids. Les critères faisant contrepoids applicables varient selon les circonstances. En ce qui concerne Clare, Argyle et Richmond, les critères qui ont été relevés dans Carter, et qui méritent raisonnablement d’être pris en compte, comprennent la représentation des minorités et l’identité culturelle.

[…]

[135] Nous n’affirmons pas que l’article 3 de la Charte exige qu’il y ait des circonscriptions électorales protégées dans Clare, Argyle et Richmond. Nous affirmons plutôt que, selon l’article 3, l’organisme qui est autorisé par la loi à créer les circonscriptions électorales doit être autorisé à mettre en équilibre les critères constitutionnels énoncés dans l’opinion majoritaire de l’arrêt Carter, et de formuler son opinion sur la question.

[136] L’intervention du procureur général le 14 juin 2012 a empêché la Commission de faire la mise en équilibre et d’exprimer sa véritable opinion sur la représentation effective des électeurs de Clare, Argyle et Richmond. Par conséquent, l’intervention du procureur général a porté atteinte aux préceptes de l’article 3 de la Charte. L’atteinte (1) a mené directement à la recommandation du Rapport final d’éliminer les circonscriptions électorales protégées qui, elle, (2) a mené directement à leur abolition dans (pour citer le libellé de la question du renvoi no 1) « l’article 1 du chapitre 61 des Acts of Nova Scotia 2012 […] par lesquelles dispositions les recommandations soumises à l’Electoral Boundaries Commission par son Rapport final […] à la House of Assembly ont été adoptées ».

[…] 

8. Deuxième question : l’atteinte est-elle justifiée au regard de l’article premier?

[138] Aucune observation n’a été formulée quant à savoir si l’atteinte à la Charte était « prescrite par une règle de droit » au sens de l’article premier. Compte tenu de notre conclusion sur la proportionnalité, laquelle est exposée ci-après, il n’est pas nécessaire de formuler des commentaires sur ce point.

[…]

[145] Selon la Cour, l’objectif visé par la loi était d’appliquer à la situation de la Nouvelle‑Écosse les principes constitutionnels de la représentation effective énoncés dans l’arrêt Carter, avec l’aide d’une commission indépendante comme le prévoit l’article 5 de la House of Assembly Act. Ceci résume l’opinion exprimée dans le Rapport de 1992 de la Commission qui a mené à l’adoption de l’article 5 (précité, au  paragraphe 27). Il s’agit d’un objectif urgent et réel.

[146] Vient ensuite le deuxième volet du critère de l’arrêt Oakes – la proportionnalité. Nous ne devons nous pencher que sur le premier et le deuxième volets du critère, à savoir le lien rationnel et l’atteinte minimale.

[…]

[152] Le fait est que, selon l’article 5 de la House of Assembly Act, le gouvernement majoritaire contrôle toujours le contenu de l’adoption future qui fixe les limites des circonscriptions électorales. Malgré tout ce qui est énoncé dans les rapports de la Commission, en suivant l’article 5 et les procédures législatives de la House of Assembly, le gouvernement majoritaire pourrait promulguer l’abolition des circonscriptions protégées dans Clare, Argyle et Richmond (précité, aux paragraphes 92 à 99). C’est là le processus qui a un lien rationnel avec l’objectif législatif.

[153] Par contre, l’objectif législatif ne prévoit pas que le procureur général peut faire dévier le processus prévu par la loi en interdisant à la Commission d’exprimer son opinion sur la représentation effective et en « annulant » un rapport qui énonçait son opinion. 

[154] Il n’y a aucun lien rationnel entre l’atteinte à la Charte et l’objectif législatif.

c) Proportionnalité – Atteinte minimale

[…]

[159] L’« annulation » par le procureur général du rapport provisoire de la Commission ne portait pas atteinte de façon minimale au droit garanti par la Charte

d) Résumé – Question no 2

[160] Pour chacun de ces deux motifs, l’atteinte ne satisfait pas au volet proportionnalité du critère de l’arrêt Oakes. Il n’est pas nécessaire d’examiner le troisième élément de la proportionnalité.

[161] La deuxième question posée dans le renvoi est la suivante : l’atteinte à l’article 3 est-elle justifiée au regard de l’article premier? Notre réponse est non.

Raîche c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.F. 93, 2004 CF 679 (CanLII)

[48] La Commission en est d'ailleurs arrivée à la même conclusion. Elle a accepté qu'il y avait une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst, et elle était aussi consciente que la parité du pouvoir électoral n'est pas le seul critère à évaluer en redécoupant des circonscriptions électorales. Toutefois, et elle a décidé qu'un écart de -21 % était tout simplement trop grand, et malgré l'existence d'une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst, il était nécessaire de réduire l'écart de Miramichi par rapport au quotient électoral. Par conséquent, elle a transféré la paroisse d'Allardville et une partie des paroisses de Saumarez et de Bathurst à la circonscription de Miramichi.

[49] Vu que le critère primordial pour déterminer si une population jouit d'une représentation effective est l'égalité des suffrages, et vu qu'une commission n'enfreint l'article 3 de la Charte que si « des personnes raisonnables, appliquant les principes appropriés, n'auraient pas pu tracer les limites existantes des circonscriptions » la Cour conclut que la Commission n'a pas enfreint l'article 3 de la Charte quand elle a décidé de transférer des paroisses d'Acadie-Bathurst à Miramichi.

[50] Cette décision est raisonnable, et par conséquent, la Commission n'a pas enfreint l'article 3 de la Charte.

L'article 1 de la Charte

[51] Pourtant, si la Cour n'a pas raison, et que la Commission a violé l'article 3 de la Charte, la Cour n'estime pas que la violation puisse être sauvegardée par l'article 1 de la Charte.

[52] La Cour suprême du Canada a énoncé le critère pour déterminer si une violation de la Charte est sauvée par l'article 1 dans les termes suivants :

Tout d'abord, ce dernier doit prouver que la disposition contestée vise un objectif suffisamment urgent et réel pour justifier la violation d'un droit constitutionnel. Il ne doit pas s'agir d'un objectif « peu importan[t] » ni « contrair[e] aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique » : Oakes, précité, p. 138. Une fois cette preuve faite, le gouvernement doit établir que l'atteinte est proportionnée, savoir qu'il existe un lien rationnel entre la disposition législative et l'objectif visé, que la disposition porte le moins possible atteinte au droit constitutionnel en cause et que ses effets bénéfiques l'emportent sur ses effets préjudiciables.

[53] En vertu du critère de l'arrêt Oakes, la Cour doit pondérer les droits de l'individu et les besoins de la société. Il est donc nécessaire d'avoir des éléments de preuve quant aux besoins de la société. Le défendeur, qui a le fardeau de la preuve, n'a rien avancé à ce sujet. Par conséquent, il s'avère impossible de faire une analyse solide de l'article 1, et le défendeur n'a pas démontré que la violation était justifiée.

Annotations – Article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés

Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, 1997 CanLII 327 (CSC)

[84] J’arrive maintenant à la possibilité de justification prévue par l’article premier de la Charte, qui est rédigé ainsi :

1.  La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés.  Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Afin de justifier la limitation d’un droit garanti par la Charte, le gouvernement doit établir que les limites sont prescrites par une « règle de droit » et qu’elles sont « raisonnables » dans le cadre d’une « société libre et démocratique ».  Dans R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, notre Cour a exposé le cadre analytique applicable pour décider si une loi constitue une limite raisonnable d’un droit garanti par la Charte.  Ce cadre a été reformulé succinctement par le juge Iacobucci dans l’arrêt Egan, au par. 182 :

Dans un premier temps, l’objectif de la loi doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles.  Dans un deuxième temps, le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif doit être raisonnable et doit pouvoir se justifier dans une société libre et démocratique.  Cette seconde condition appelle trois critères: (1) la violation des droits doit avoir un lien rationnel avec l’objectif législatif; (2) la disposition contestée doit porter le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte, et (3) il doit y avoir proportionnalité entre l’effet de la mesure et son objectif de sorte que l’atteinte au droit garanti ne l’emporte pas sur la réalisation de l’objectif législatif.  Dans le contexte de l’article premier, il incombe toujours au gouvernement de prouver selon la prépondérance des probabilités que la violation peut se justifier.

Il n’est pas nécessaire d’examiner chacun de ces éléments dans le présent pourvoi.  À supposer, sans trancher la question, que la décision de ne pas financer des services d’interprètes médicaux à l’intention des personnes atteintes de surdité constitue une limite prescrite par une « règle de droit », que l’objectif de cette décision -- limiter les dépenses au titre des soins de santé -- est « urgent et réel » et que la décision a un lien rationnel avec l’objectif, je conclus qu’elle n’est pas une atteinte minimale au par. 15(1).

[85] Notre Cour a confirmé récemment que l’application du critère de l’arrêt Oakes commande un examen attentif du contexte dans lequel s’inscrit le texte de loi attaqué; voir Ross c. Conseil scolaire du district No 15 du Nouveau-Brunswick, 1996 CanLII 237 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 825, au par. 78.  La Cour a également statué que, dans les cas où l’examen du texte en cause exige que soient soupesés des intérêts opposés et des questions de politique sociale, le critère de l’arrêt Oakes doit être appliqué avec souplesse, et non de manière formaliste ou mécanique; voir R. c. Keegstra, 1990 CanLII 24 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 697, à la p. 737, McKinney, précité, Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, aux pp. 999 et 1000, Cotroni, précité, à la p. 1489, Comité pour la République du Canada c. Canada, 1991 CanLII 119 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 139, à la p. 222 (le juge L’HeureuxDubé), Egan, précité, au par. 29 (le juge La Forest) et aux par. 105-106 (le juge Sopinka), et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, au par. 63 (le juge La Forest) et aux par. 127 à 138 (le juge McLachlin).  En outre, il est évident que, même si des considérations financières seules ne peuvent justifier une atteinte à la Charte (Schachter, précité, à la p. 709), les gouvernements doivent disposer d’une grande latitude pour décider de la distribution appropriée des ressources dans la société; voir les arrêts McKinney, à la p. 288, et Egan,  au par. 104 (le juge Sopinka).  Cela est particulièrement vrai dans les cas où le Parlement, lorsqu’il accorde des avantages sociaux déterminés, doit privilégier certains groupes défavorisés; voir Egan, aux par. 105 à 110 (le juge Sopinka).  En revanche, des membres de notre Cour ont avancé qu’il n’y a pas lieu de faire montre de retenue à l’égard de la décision du législateur du seul fait qu’une question relève du domaine « social », ou parce que la nécessité pour le gouvernement d’agir «progressivement» a été établie; voir Egan, au par. 97 (le juge L’Heureux-Dubé) et aux par. 215 et 216 (le juge Iacobucci).  Dans le présent pourvoi, le fait de ne pas fournir des services d’interprètes gestuels ne satisferait pas au volet de l’atteinte minimale du critère de l’arrêt Oakes, si on faisait montre de retenue.  Par conséquent, il n’est pas nécessaire, dans le présent contexte où des « avantages sociaux » sont en cause et où il faut choisir entre les besoins de la population en général et ceux d’un groupe défavorisé, de décider s’il convient de faire montre de retenue.

[86] Cependant, la liberté d’action qui doit être accordée à l’État n’est pas infinie.  Les gouvernements doivent démontrer que leurs actions ne portent pas atteinte aux droits en question plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire pour réaliser leurs objectifs. Ainsi, j’ai affirmé ce qui suit au nom de la Cour, dans TétreaultGadoury, précité, à la p. 44 :

Il va sans dire, cependant, que la retenue dont il sera fait preuve à l’égard du gouvernement qui légifère en ces matières ne lui permet pas d’enfreindre en toute impunité les droits dont bénéficie un individu en vertu de la Charte.  Si le gouvernement ne peut démontrer qu’il était raisonnablement fondé à conclure qu’il s’était conformé à l’exigence de l’atteinte minimale en tentant d’atteindre ses objectifs, la loi sera invalidée.

[87] Dans la présente espèce, le gouvernement n’a manifestement pas démontré qu’il était raisonnablement fondé à conclure que le refus complet de fournir des services d’interprètes médicaux aux personnes atteintes de surdité constituait une atteinte minimale aux droits de celles-ci.  Comme il a été souligné plus tôt, le coût estimatif de la fourniture de services d’interprétation gestuelle dans l’ensemble de la ColombieBritannique s’élevait seulement à 150 000 $, soit environ 0,0025 pour 100  du budget des soins de santé de la province à l’époque.  Ce chiffre découle d’une extrapolation faite à partir des services qui étaient alors fournis par le Western Institute for the Deaf and Hard of Hearing dans le Lower Mainland.  Même si peu d’éléments de preuve ont été présentés quant au contenu précis de ces services, personne n’a prétendu que l’élargissement de leur prestation à l’ensemble de la province n’aurait pas satisfait aux exigences du par. 15(1).  Vu ces circonstances, le refus de dépenser cette somme relativement peu importante pour maintenir ces services et en élargir la prestation ne saurait constituer une atteinte minimale aux droits garantis aux appelants par la Constitution.

[88] Toutefois, les intimés soutiennent qu’il n’est pas possible de faire de distinction utile entre la situation des personnes atteintes de surdité et celle des autres personnes qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles.  Si on les oblige à fournir des interprètes aux premières, d’affirmer les intimés, ils devront aussi en fournir aux secondes, ce qui augmentera de façon marquée le coût du programme et nuira sérieusement à la viabilité financière du régime de soins de santé.  Dans ce contexte, disentils, le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure qu’ils portaient le moins possible atteinte aux droits des personnes atteintes de surdité.

[89] À mon sens, cet argument relève entièrement de la spéculation.  Il n’est aucunement évident que les personnes atteintes de surdité et celles qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles sont dans une situation analogue, que ce soit sur le plan du statut constitutionnel ou de l’accès pratique à des soins de santé adéquats.  Du point de vue du patient, il n’y a pas vraiment de différence entre le langage gestuel et le langage parlé s’il lui est impossible de communiquer avec le médecin.  Toutefois, du point de vue des obligations de l’État, il peut très bien exister une différence.  En l’espèce, les seules dispositions constitutionnelles pertinentes sont le par. 15(1) et l’article premier de la Charte.  Par contraste, dans une affaire concernant la prestation de services d’interprètes médicaux pour des entendants, l’analyse serait plus compliquée.  En pareil cas, il serait nécessaire d’étudier l’interaction entre le par. 15(1) et les autres dispositions de la Constitution, en particulier celles touchant les obligations des gouvernements en matière linguistique.  De plus, les intimés n’ont produit aucun élément de preuve sur le champ d’application éventuel ou le coût d’un programme d’interprétation médicale pour les entendants.  Il est possible que la nature et l’étendue des mesures d’accommodement raisonnables requises pour les entendants en vertu de l’article premier diffèrent de celles requises dans le cas des personnes atteintes de surdité.  Par conséquent, toute action relative à la prestation d’un tel programme, qu’elle soit fondée sur l’origine nationale ou la langue en tant que motif analogue, serait examinée selon des paramètres constitutionnels nettement différents de ceux applicables à une action fondée sur la déficience.

[90] En outre, il est évident que les personnes atteintes de surdité sont dans une situation particulière en ce qui a trait à leur capacité de communiquer avec la population en général.  Comme je l’ai dit précédemment, il est extrêmement difficile pour bon nombre de personnes atteintes de surdité de bien maîtriser les langages basés sur l’expression orale, sous leur forme parlée ou écrite.  De plus, il est évident que ces personnes éprouvent des difficultés particulières à obtenir les services de concitoyens qui connaissent le langage gestuel.  Il n’y a aucune preuve permettant d’apprécier si les personnes qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles sont dans une situation analogue.  Aussi, sans vouloir minimiser les difficultés que rencontrent le groupe des entendants dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français, il n’est absolument pas évident que les obstacles à la communication qu’ils ont à surmonter sont analogues à ceux qui se dressent devant les personnes atteintes de surdité.  En conséquence, il est impossible de prédire quel succès auraient les membres de ce groupe s’ils présentaient une action fondée sur le par. 15(1).  Par conséquent, la possibilité qu’une telle action puisse être présentée ne saurait justifier l’atteinte aux droits constitutionnels des personnes atteintes de surdité.

[…]

[94] Bref, je suis d’avis que le fait de ne pas financer l’interprétation gestuelle n’est pas une « atteinte minimale » au droit des personnes atteintes de surdité à l’égalité de bénéfice de la loi qui leur est garanti par le par. 15(1) indépendamment de toute discrimination fondée sur leur déficience physique.  La preuve établit clairement que, en tant que groupe, les personnes atteintes de surdité reçoivent des services médicaux inférieurs à ceux reçus par les entendants.  Comme la santé est un aspect central  de la qualité de vie de tous les citoyens, la prestation de services médicaux de qualité inférieure aux personnes atteintes de surdité réduit nécessairement leur qualité de vie globale.  Le gouvernement n’a tout simplement pas démontré que cet état de choses défavorable doit être toléré afin de réaliser l’objectif de limitation des dépenses dans le domaine de la santé.  Autrement dit, le gouvernement n’a fait aucun « accommodement raisonnable » pour tenir compte de la déficience des appelants.  Pour reprendre la terminologie de la jurisprudence de notre Cour en matière de droits de la personne, il n’a pas pris, à l’égard de leurs besoins, des mesures d’accommodement au point d’en subir des « contraintes excessives »; voir Simpsons-Sears, et Central Alberta Dairy Pool, précités.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[45] La Cour suprême a déclaré en 1988, en obiter, c’est-à-dire sans que cela soit nécessaire pour appuyer sa décision, qu’exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l’objectif de promotion et préservation d’un « visage linguistique » français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des chartes québécoise et canadienne.  La Cour suprême est allée jusqu’à dire spécifiquement, dans l’arrêt Ford, qu’on pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue ou qu’on pourrait exiger qu’il soit plus en évidence que d’autres langues.

[46] Je suis d'avis que l'art. 58 ne fait rien d'autre, dans sa forme actuelle, que de reproduire les lignes directrices formulées par la Cour suprême.  Je suis également d'opinion qu'à la lumière de la preuve soumise à la Cour suprême en 1988 une disposition telle que l'art. 58 actuel aurait résisté à une attaque fondée sur le droit à la liberté d'expression et sur le droit à l'égalité, et n'aurait pas été déclarée inopérante.

[47] On le réalise immédiatement, pour que la même réponse s'impose aujourd'hui, vu que la Procureure générale du Québec a choisi de ne pas faire de preuve pour établir que la disposition se justifie au regard de l'article premier de la Charte canadienne et de l'article 9.1 de la Charte québécoise des droits de la personne, il faut pouvoir conclure que l'obiter dictum de l'arrêt Ford a la même force que s'il faisait partie de la ratio decidendi et qu'en conséquence l'appelante a le fardeau de prouver l'absence de justification.

[…]

[58] Je conclus en l’espèce que l’obiter dictum de la Cour suprême dans Ford a le même poids que s’il faisait partie de la ratio decidendi et lie la Cour d’appel.  En effet, il apparaît clairement de l’analyse des arrêts Ford et Devine que la Cour suprême mesurait la portée de ses conclusions sur le délicat contentieux de la langue d’affichage au Québec et souhaitait régler la question.  La formulation de la règle de la nette prédominance n’est certes pas une phrase isolée dont on n’aurait pas prévu la répercussion.

[…]

[61] L'appelante avait donc le fardeau d'établir que la situation révélée par les documents considérés par la Cour suprême en 1988 était modifiée au point que la mesure ne pouvait plus se justifier en 1999. Elle a fait une certaine preuve qui n'a pas été retenue par le juge de la Cour supérieure.  Elle a décliné l'invitation qui lui avait été faite de faire une preuve complète, estimant que le fardeau reposait toujours sur les épaules de la Procureure générale.  Elle a voulu le faire en Cour d'appel, mais la permission lui a été refusée pour la raison déjà indiquée.  C'est dans  ce cadre qu'il y a lieu d'examiner les griefs de l'appelante.

[62] Il paraît opportun de rappeler la preuve qui doit être faite pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique.

[63] À cette fin, l'arrêt Oakes, précité, établit, aux p. 138 et 139, que l'objectif poursuivi par la mesure restrictive doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution et que la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer.  Cela nécessite l'application d'« une sorte de critère de proportionnalité » qui comporte trois éléments :

Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question.  Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles.  Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question.  Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352.  Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme « suffisamment important ».

[…]

[65] L'appelante ayant le fardeau de la preuve en l'espèce, elle devait établir que la mesure ne se justifiait plus au sens de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.

[66] J'ai déjà indiqué que la Cour suprême a conclu dans Ford que la preuve faisait ressortir que la politique linguistique sous-tendant la Charte de la langue française vise un objectif important et légitime, et qu'elle montre le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans le visage linguistique.

[…]

[68] Je ne vois aucun mérite à l'argument de l'appelante que la Cour suprême n'a jamais soumis l'objectif général de la Charte de la langue française à l'examen du critère de proportionnalité élaboré dans Oakes.  Au contraire,  l'obiter de la Cour suprême dans Ford propose une clause qui rencontre toutes les exigences de l'arrêt Oakes et de l'arrêt Sharpe.

[…]

[88] Je partage l’avis du juge de la Cour supérieure que la doctrine du stare decisis s’applique à Devine et qu’il s’est bien dirigé en droit en concluant que, dans l’hypothèse où l’article 58 dans sa version actuelle porte atteinte à l’article 15 paragraphe 1 de la charte canadienne et à l’article 10 de la charte québécoise, l’atteinte est justifiée en vertu de l’article premier et l’article 9.1.

[…]

[117] Je suis d'avis que l'art. 58 de la Charte de la langue française adopté par le gouvernement du Québec en suivant les principes énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine est une disposition valide et que l'appelante n'a apporté aucune preuve pertinente qui aurait permis à la Cour supérieure de réviser ses conclusions portant sur la langue de l'affichage public et la publicité commerciale au Québec.

Paquette c. Canada, 1987 ABCA 228 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Le procureur général du Canada, qui poursuit l’accusé en vertu de la Loi sur les stupéfiants, et le procureur général de l’Alberta qui est intervenu dans l’instance, interjettent tous deux appel d’une décision selon laquelle les dispositions non adoptées de la Partie XIV.1 du Code criminel qui autorise la tenue de procès dans l’une ou l’autre des langues officielles sont en vigueur en Alberta. La question en litige est de savoir si l’omission de promulguer l’article en Alberta porte atteinte à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. […]

[33] Le débat tourne principalement autour de la question de savoir si la loi discrimine à tort (par opposition au terme plus neutre faire une distinction), et à quel moment le défenseur de la loi est poussé vers l’article premier.

[34] La discrimination en cause en l’espèce est de nature géographique. L’accusé pourrait bénéficier des droits prévus à Partie XIV.1 dans de nombreux endroits au Canada, mais il est privé de l’égalité devant la loi en raison de la province dans laquelle il est accusé.

[…]

[40] Un examen approfondi d’autorités figure dans le jugement rendu par la juge McLachlin dans Andrews v. The Law Society of British Columbia 1986 CanLII 1287 (BC CA), [1986] 4 W.W.R. 242 (entendu par la Cour suprême du Canada en juin). Elle propose le critère suivant à la page 253 :

La question ultime est de savoir si une personne impartiale, qui soupèse les objets de la loi en fonction de ses effets sur les personnes lésées et qui accorde l'importance voulue au droit de la législature d'adopter des lois pour le bien de tous, conclurait que les moyens législatifs adoptés sont déraisonnables ou injustes.

D’autres analyses utiles figurent dans les jugements du juge Spencer dans B.C. and Yukon Territory Building and Construction Trades Council et al v. A.G. of B.C. and Expo ‘86 Corporation et al (1986), 1985 CanLII 596 (BC SC), 22 D.L.R. (4th) 540, du juge Strayer, de la Cour fédérale, dans Smith, Kline and French Laboratories v. A.G. Canada (1986), 1985 CanLII 3151 (FC), 24 D.L.R. (4th) 321, et du juge Hugessen dans l’appel de cette cause. À la page 369, le juge Strayer déclare ceci:

On remarquera que ce critère comporte deux volets: d'une part, la fin recherchée doit faire partie de celles qu'il est, d'une façon générale, légitime pour un gouvernement de rechercher et, d'autre part, les moyens utilisés doivent se rapporter, d'une manière rationnelle, à la réalisation de cette fin.

Le juge Hugessen, au nom de la Cour d’appel fédérale, rejette ce critère, car il n’accorde pas une portée adéquate à l’article premier. Il ne propose aucun critère, bien qu’il déclare ceci : « Au niveau le plus fondamental, le droit à l’égalité que garantit l’article 15 ne peut être que le droit de ceux qui sont dans une situation analogue de recevoir un traitement analogue » (à la page 590). Il parle des fondements admissibles et non admissibles pour établir les catégories, les fondements non admissibles doivent être justifiés au regard de l’article premier. Dans Reference Re French in Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA), [1987] 5 W.W.R. 577, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu, à la majorité, que toute inégalité doit être justifiée au regard de l’article premier. Cette approche n’est pas compatible avec notre conclusion dans Mahe. J’ai éxaminé l’ouvrage de M. Gold, The Principled Approach to Equality Rights: a Preliminary Inquiry (1982), 4 Supreme Court L. Rev. 131, surtout à la page 147, et l’ouvrage de Wakeling et Chipeur, An Analysis of Section 15 of the Charter after the First Two Years, 1987, 25 Alta. L. Rev. 407.

[…]

[49] La Cour d’appel de la Saskatchewan a également rendu son jugement dans Reference Re French in Criminal Proceedings. La majorité semble approuver la décision rendue par le juge Halvorson dans Re Tremblay en mettant l’article en vigueur. La majorité a conclu que l’article 15 s’appliquait et que la Couronne ne s’était pas acquittée du fardeau imposé par l’article premier. Elle propose la solution possible de suspendre l’instance jusqu’à ce que la loi soit mise en œuvre. La majorité affirme que l’égalité est essentiellement de nature comparative, les cas semblables ne sont pas traités de façon semblable, les personnes qui sont dans une situation analogue ne reçoivent pas un traitement analogue. Non seulement je n’utiliserais pas ce critère, mais je ne pourrais pas conclure que l’accusé qui demande, au Québec ou en Ontario, que son procès ait lieu en français, se trouve dans une situation analogue à celle dans laquelle, par exemple, se trouve un accusé qui fait la même demande en Alberta. Présumer ainsi revient à nier la pertinence de la mise en œuvre par étapes. La majorité reconnaît que l’inégalité découle de l’omission de promulguer l’article et ne blâme pas la mise en œuvre par étapes. Elle conclut que des procès en français peuvent être tenus à la Cour supérieure et que la lacune dans les cours provinciales peut être comblée par des nominations de personnes appartenant aux barreaux de la Saskatchewan ou d’autres provinces au poste de juge permanent ou suppléant. Je m’arrête pour souligner que j’hésiterais à affirmer que la nomination d’un juge suppléant en Alberta constituerait une mesure satisfaisante. Elle a ensuite conclu que le défaut d’agir ne peut plus être justifié au regard de l’article premier. Je conviens que l’exécutif est tenu de respecter la Charte, mais je ne conviens pas qu’il doit faire preuve d’une justification au regard de l’article premier, et, plus important encore, je ne conviens pas que son défaut d’agir peut être présumé comme étant de l’inaction à court terme. La solution qui a été proposée, en accord avec ce que le juge Halvorson a fait, privait tout simplement le lieutenant-gouverneur en conseil de la possibilité d’agir et ne tenait pas compte de l’avis du législateur de donner cette possibilité. En Alberta une telle action est de nature législative parce que la mise en œuvre exige de passer outre à la Jury Act.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[64] Par conséquent, dans l’ensemble, selon nous, le meilleur point de vue sur l’affaire est le suivant : le législateur et les législatures, indubitablement, en vertu du paragraphe 16(3), ont le pouvoir de faire passer les droits en matière de langues officielles au-dessus des droits enchâssés dans la Charte, mais aucun d’eux, lorsqu’il le fait, n’est exempté par le paragraphe 16(3) de respecter les libertés et droits fondamentaux prévus ailleurs dans la Charte. Cette solution dont ils peuvent se prévaloir en vertu des articles 1 et 33 est, bien sûr, une tout autre affaire, bien que l’on pourrait ajouter que l’existence de ces articles vise à éliminer certains des obstacles à la promotion des langues officielles qui, compte tenu de l’article 15 en particulier, pourraient être rencontrés autrement.

[…]

[93] À notre humble avis, la présente affaire constitue un autre exemple de la façon dont l’interprétation des articles connexes de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte peut être très différente en raison de la présence de l’article premier dans la Charte. La différence, en l’espèce, est que ces considérations, ayant trait à l’établissement d’une distinction entre les inégalités justifiées et les inégalités injustifiées, qui, dans Burnshine, Prata et MacKay, avaient tant d’importance en ce qui concernait l’interprétation de l’article de la Déclaration canadienne des droits portant sur l’égalité, doivent maintenant, pour la plupart, être examinées dans le contexte de l’article premier de la Charte. La Déclaration canadienne des droits, bien sûr, ne contenait aucune disposition équivalente à l’article premier de la Charte.

[…]

[97] Toutefois, selon nous, la question de savoir si une inégalité devant la loi du type de celle qui est envisagée par le paragraphe 15(1) est justifiée ou injustifiée, compte tenu de la nature, de l’objet et de l’effet, et peut‑être de l’origine, de la mesure qui l’a occasionnée, doit être examinée dans le contexte de l’article premier plutôt que dans celui du paragraphe 15(1).

[…]

3. La disposition contestée : sa nature et son objet

[121] La Loi modifiant le droit pénal vise notamment à donner aux accusés dont la langue est le français la possibilité, laquelle existe partout au Canada, de subir leur procès dans leur propre langue.

[…]

[127] En ce qui concerne la nature et l’objet de la loi contestée, et le critère de l’arrêt Oakes, nous n’avons aucune difficulté à conclure que la loi, en ce qui concerne son objet et son effet, était raisonnable et amplement justifiée, au moment de son entrée en vigueur — au regard de l’alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits — et au moment de l’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte. Et nous sommes convaincus qu’elle jouit toujours de la protection de l’article premier de la Charte. L’objet de la loi est, selon nous, suffisamment important pour justifier de passer outre à l’article 15, et les moyens choisis pour atteindre cet objectif, à savoir autoriser l’exécutif à promulguer province par province, satisfont à chacun des éléments du volet de la proportionnalité du critère de l’arrêt Oakes.

[…]

[166] Comme il a déjà été souligné, une disposition transitoire constitue seulement un pont entre un ancien et un nouvel ordre juridique. Dès qu’il existe une raison de créer un nouvel ordre, le défaut de l’exécutif de traverser le pont, pour ainsi dire, devient de plus en plus inexplicable et difficile à justifier — et plus le défaut dure longtemps, plus la difficulté est grande. Cela est d’autant plus vrai en matière de droit pénal. C’est plus particulièrement à la lumière de ceci, et à la lumière des faits de l’espèce, que l’argument en faveur de la justification du défaut de promulguer en Saskatchewan, éprouve des difficultés. En effet, à notre humble avis, le défaut d’agir, lequel a pour effet de maintenir la restriction imposée quant au droit constitutionnel d’un accusé, en Saskatchewan, à l’égalité devant la loi, ne peut plus être justifié au regard de l’article premier.

[…]

[168] Le défaut de l’exécutif de promulguer en Saskatchewan [l’art. 530 du Code criminel], compte tenu de la situation qui prévaut dans la province, est déphasée par rapport à l’objectif—en effet il empêche d’atteindre l’objectif dans la province—et, pour reprendre les termes utilisés dans l’arrêt Oakes, il ne peut plus être considéré comme ayant un lien rationnel avec l’objectif. On pourrait ajouter que l’acte de l’exécutif en cause ne porte pas atteinte « le moins possible » aux droits à l’égalité, en Saskatchewan, d’un accusé dont la langue est le français. Par conséquent, à notre humble avis, la Couronne n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer que la restriction en question est raisonnable et que sa justification peut se démontrer.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[43] Les appelants ont ensuite prétendu que le juge de première instance a commis une erreur [traduction] « lorsqu’il a présumément omis de suivre dans sa totalité l’obiter dictum formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Ford », à savoir que les affiches extérieures libellées en français et dans une autre langue satisferaient au critère de l’arrêt Oakes si le libellé français est nettement prédominant ou est de taille égale au libellé de l’autre langue.

[44] Les appelants ont prétendu qu’une disposition de « taille égale » plutôt qu’une disposition de « taille nettement prédominante » satisferait au critère de l’atteinte minimale de l’article premier de la Charte canadienne.

[45] La Cour suprême du Canada a dit dans les arrêts Ford et Devine que les deux types de dispositions satisfont au critère de l’arrêt Oakes. C’est au législateur, et non pas aux appelants, qu’il incombe de choisir entre deux solutions qui sont toute aussi constitutionnelles l’une que l’autre. En ce qui concerne la publicité commerciale, le législateur a choisi le critère voulant que le français doive figurer de façon « nettement prédominante » (article 58 de la CLF [Charte de la langue française]); en ce qui concerne les inscriptions sur un produit, des catalogues et d’autres documents, il a choisi d’autoriser l’utilisation de deux langues, et il n’exige pas que l’une ou l’autre soit prédominante (articles 51, 52 et 89 de la CLF).

[…]

[66] Le juge de première instance a résumé l’analyse de la Cour suprême du Canada, dans les arrêts Ford et Devine, concernant les droits à l’égalité.

[67] Dans l’arrêt Ford, la Cour suprême, ayant décidé que la loi constituait une atteinte à la liberté d’expression, ne s’est pas penchée sur la question de l’égalité.

[68] En revanche, la Cour suprême, dans l’arrêt Devine, après avoir conclu que la loi constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression, devait traiter de la question de l’égalité. Elle a conclu que l’analyse fondée sur l’article premier s’appliquait également à l’article 15 de la Charte canadienne, c’est-à-dire si la loi constitue une limite raisonnable à la liberté d’expression, elle constitue également une limite raisonnable aux dispositions sur l’égalité. En ce qui concerne l’article 10 de la Charte québécoise, la Cour suprême a décidé que le droit à l’égalité devait être lié à un autre droit ou à une autre liberté, en l’espèce, la liberté d’expression. Étant donné que la Cour suprême avait déjà conclu que la limite à la liberté d’expression était justifiable, elle a tiré la même conclusion en ce qui concerne le droit à l’égalité.

[69] En l’espèce, après avoir appliqué le même principe et après avoir conclu que l’atteinte à la liberté d’expression était justifiable au regard de l’article premier de la Charte canadienne et des articles 3 et 9.1 de la Charte québécoise, le juge de première instance a rejeté la contestation fondée sur l’égalité.

[…]

[77] La Cour n’a relevé aucune erreur dans l’analyse approfondie faite par le juge de première instance quant au droit et quant à l’application de principes de droit aux faits de l’espèce. Rien dans la CLF, peu importe que l’on analyse l’objet ou l’effet des dispositions, ne porte atteinte à la dignité humaine de la population anglophone. De toute façon, même s’il y a atteinte aux droits à l’égalité, celle-ci serait justifiable au regard de l’article premier de la Charte canadienne comme il a déjà été conclu dans l’analyse relative à la liberté d’expression

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Voir également le jugement de première instance : Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII).

Annotations – Paragraphe 18(2) de la Charte canadienne des droits et libertés

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[118] J’ai conclu que le par. 18(2) de la Charte impose aux municipalités du Nouveau-Brunswick l’obligation d’adopter, d’imprimer et de publier leurs arrêtés municipaux dans les deux langues officielles. J’ai conclu également que l’omission de la ville de Moncton d’adopter et publier ses arrêtés municipaux, y compris l’arrêté municipal Z-4, enfreint le par. 18(2) de la Charte et l’obligation constitutionnelle à laquelle la ville est assujettie.

[119] Cette omission constitue une négation pure et simple d’un droit garanti par la Charte. Elle ne peut constituer une restriction prescrite par une règle de droit qui serait susceptible de justification en vertu de l’article premier de la Charte.

[120] Aux termes du par. 52(1), une loi peut être jugée inconstitutionnelle suivant son texte même parce qu’elle porte atteinte à un droit garanti dans la Charte et que sa validité n’est pas sauvegardée par l’article premier de la Charte. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une situation où une loi violerait des droits garantis mais de l’omission par une institution du gouvernement, la ville de Moncton, de respecter les modalités d’origine constitutionnelle en matière d’adoption de ses arrêtés municipaux.

[…]

[128] Il y a lieu de rappeler à cet égard que l’article premier de la Charte permet d’apporter des restrictions aux droits qui y sont garantis dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.  Cette limitation générale permet au législateur d’atteindre l’équilibre ou un compromis entre l’exercice d’un droit garanti et la sauvegarde d’un intérêt supérieur de la société.  Par contre, même si certaines limites imposées à l’exercice du droit garanti au para. 18(2) pourraient être justifiées, cette disposition crée une obligation au bilinguisme législatif qui ne saurait être limitée en faveur d’un unilinguisme ou d’un bilinguisme laissé au choix des conseils municipaux.  Cela reviendrait à nier le droit linguistique constitutionnel garanti au para. 18(2). Également l’obligation au bilinguisme s’étend implicitement au processus d’adoption des arrêtés municipaux.

Annotations – Paragraphe 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés

Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[51] Il est usuel de procéder à l'analyse d'une violation de la Charte en appliquant les critères de l'arrêt Oakes. En appliquant les critères de l'arrêt Oakes, on passe immédiatement à l'objectif pressant et urgent du gouvernement, pour ensuite s'interroger sur la proportionnalité de la mesure gouvernementale contestée. Cependant, il faut d'abord considérer si la mesure elle-même peut être considérée comme une règle de droit. Selon l'article 1 de la Charte, les droits et libertés énoncés « ne peuvent être restreints que par une règle de droit ». Il ne fait aucun doute que le Règlement, adopté sous le régime de la LLO, est une règle de droit. Ce qui est contesté, toutefois, n'est pas le Règlement en soi, mais plutôt une lacune qu'on y constate. À mon avis, l'effet est le même. L'absence de mesure réglementaire en l'espèce a pour effet de brimer un droit garanti par la Charte.

[…]

[54] Dans un pays aussi vaste que le Canada, avec une population relativement peu nombreuse et diversifiée, il est raisonnable et légitime de limiter l'offre de services bilingues là où la demande ne le justifie pas. Selon moi, il s'agit là d'un objectif valide du point de vue constitutionnel. L'objectif de rationalisation est donc évidemment légitime. Il s'agit de décider si sa réalisation porte atteinte aux droits de façon proportionnée. Il faut d'abord se demander s'il y a un lien entre l'objectif et l'atteinte, autrement dit, si le fait de limiter l'offre de services en français permet une rationalisation des services. Sans doute cela est-il vrai. Le lien logique existe; c'est à l'étape de la proportionnalité proprement dite, soit l'atteinte minimale et l'équilibre entre l'effet préjudiciable et les avantages conférés, que la mesure échoue.

[55] En effet, l’atteinte n’est pas minimale.  La preuve a établi une demande importante; ce sont les droits d’un grand nombre de francophones qui sont ainsi brimés. La juge McLachlin (maintenant juge en chef), dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, nous rappelle, pour ce qui est de l'atteinte minimale, que c'est au gouvernement qu'il incombe d'en faire la preuve […]

[56] En l'espèce, la défenderesse n'a pas démontré en quoi le règlement tel que formulé, qui omet les voyageurs en automobile comme facteur à considérer afin de déterminer la « demande importante » , porte minimalement atteinte aux droits des voyageurs appartenant à la minorité linguistique. La défenderesse se contente de soutenir que la démographie de l'endroit ne justifie pas des services policiers bilingues; cela ne répond en rien aux préoccupations des voyageurs francophones.

[…]

[60] Les effets bénéfiques du règlement contesté se mesurent uniquement par les économies que le Trésor public est susceptible de réaliser en n'étant pas obligé de fournir des agents bilingues sur l'autoroute 104 dans l'aire de service d'Amherst. Cet avantage d'ordre économique doit être apprécié par rapport à l'effet préjudiciable de la violation et ce, au regard des valeurs consacrées par la Charte. En l'instance, la preuve établit la « demande importante » et, en conséquence, l'effet préjudiciable sur les droits des francophones qui circulent sur l'autoroute 104 près d'Amherst est clair. Dans son témoignage, le sergent d'état-major Hastey a décrit les complications qu'entraînent les besoins de services en français des francophones unilingues. Il n'a toutefois pas abordé la problématique du droit des francophones de s'exprimer en français en s'adressant à une institution fédérale, quelle que soit par ailleurs leur compétence dans l'autre langue officielle. J'ai déjà traité des problèmes d'ordre pratique soulevés par la défenderesse, aux paragraphes 57 et suivants de ces motifs. Aucun de ces arguments ne justifie la violation des droits linguistiques garantis par la Charte. À mon avis, l'effet préjudiciable de l'omission notée dans le Règlement l'emporte largement sur tout avantage que pourrait entraîner la politique de refuser l'offre de services bilingues sur l'autoroute d'Amherst. L'effet de la mesure est donc disproportionné par rapport à l'avantage recherché par la rationalisation.

[61] J’en conclus que la violation des droits linguistiques des francophones qui circulent sur l’autoroute 104 près d’Amherst, et plus particulièrement l’atteinte aux droits garantis par le paragraphe 20(1) de la Charte, n’est pas justifiée aux termes de l’article premier de la Charte.

Annotations – Article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés

Association des parents de l’école Rose‑des‑vents c. Colombie‑Britannique (Éducation), [2015] 2 R.C.S. 139, 2015 CSC 21 (CanLII)

[49] Il se peut que les coûts et les considérations pratiques redeviennent pertinents si une partie responsable cherche à justifier une violation de l’art. 23 en vertu de l’article premier de la Charte. De plus, les coûts et les considérations pratiques peuvent s’avérer pertinents quand un tribunal cherche à concevoir une réparation « convenable et juste » eu égard aux circonstances en vertu du par. 24(1) de la Charte. Donc, la conclusion qu’il y a violation de l’art. 23 ne donnera pas automatiquement lieu à l’ouverture d’une nouvelle école pour les titulaires de droits. Il existe un tiraillement constant dans la conciliation de priorités concurrentes, entre la disponibilité de moyens financiers et les pressions exercées sur le trésor public. Pour concevoir une réparation, le tribunal tient compte des coûts et des considérations pratiques qui font partie de la prestation de tous les services d’enseignement ― tant pour les écoles de la majorité linguistique que pour celles de la minorité. Nous ne sommes toutefois pas saisis de cette question en l’espèce.

[50] En résumé, on tient compte des coûts et des considérations pratiques pour déterminer où se situe une communauté linguistique minoritaire sur l’échelle variable des droits garantis par l’art. 23. Si cette communauté a droit au plus haut niveau de services d’enseignement, au même titre que la communauté majoritaire, il n’est pas nécessaire de tenir compte des coûts et considérations pratiques pour décider si les titulaires des droits reçoivent les services auxquels ils ont droit. Il peut toutefois arriver que les coûts et les considérations pratiques s’avèrent pertinents lorsqu’on tente de justifier une violation de l’art. 23 ou de concevoir une réparation convenable et juste par suite d’une violation.

[…]

[61] À mon avis, le jugement déclaratoire prononcé par le juge en l’espèce constitue une déclaration limitée, ou faite à première vue, de violation de l’art. 23. Dans ces circonstances, où les enfants de titulaires des droits garantis par l’art. 23 ont droit à une expérience éducative équivalente à celle des enfants de la majorité, il n’y a aucune différence entre une conclusion d’absence d’équivalence et une conclusion selon laquelle les titulaires de droits n’ont pas reçu les services auxquels ils ont droit en vertu de l’art. 23. En fait, à moins qu’elle puisse être justifiée au sens de l’article premier, l’absence d’équivalence viole les droits garantis aux demandeurs par la Charte. Autrement dit, par quel autre moyen pourrait-on valider une violation, si ce n’est qu’en justifiant l’omission de fournir des services équivalents ou d’allouer suffisamment de ressources? Cependant, puisqu’aucune responsabilité n’a encore été attribuée pour cette violation ― et qu’il demeure possible que la ou les parties responsables tentent de la justifier ― on ne peut affirmer que le jugement déclaratoire rendu par le juge constitue une conclusion complète selon laquelle il y a violation de la Charte. D’ailleurs, le fait que le juge a soigneusement formulé son jugement déclaratoire indique qu’il était conscient de ces difficultés.

[…]

[73] L’imputation d’une responsabilité pour la violation en cause ne peut avoir lieu qu’à la prochaine étape de l’instance. Le partage de la responsabilité permettra de déterminer sur qui repose le fardeau de justifier la violation de l’art. 23 si l’on invoque un argument relatif à l’article premier. De même, la responsabilité serait fort probablement partagée avant que des ordonnances de réparation sur le fond ne soient rendues.

Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), [2009] 3 R.C.S. 208, 2009 CSC 47

[2] La première de ces modifications édicte que les périodes de fréquentation scolaire passées dans des écoles privées anglophones non subventionnées ne sont pas prises en compte pour établir l’admissibilité d’un enfant à l’enseignement dans le réseau scolaire anglophone financé par les fonds publics. La seconde modification établit la même règle pour l’enseignement reçu en vertu d’une autorisation particulière accordée par la province en vertu des art. 81, 85 ou 85.1 CLF [Charte de la langue française], dans les cas de difficultés graves d’apprentissage, de séjours temporaires au Québec ou de situations graves d’ordre familial ou humanitaire. Pour les  motifs qui suivent, je conclus que les modifications en litige limitent les droits garantis par l’art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, que ces limites n’ont pas été justifiées en vertu de l’article premier de la Charte et que les al. 2 et 3 ajoutés à l’art. 73 CLF par la Loi 104 [Loi modifiant la Charte de la langue française] sont en conséquence inconstitutionnels. Je rejetterais donc les pourvois principaux. Je rejetterais également les appels incidents des intimés, qui portent sur des questions accessoires.

[…]

[22] Notre Cour doit se pencher sur la validité constitutionnelle des deuxième et troisième alinéas de l’art. 73 CLF. Il s’agit, en premier lieu, de décider si les dispositions en cause portent atteinte aux droits linguistiques garantis par l’art. 23 de la Charte canadienne et, dans l’affirmative, de se demander si l’atteinte est raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de cette charte. Il faudra ensuite procéder à la détermination de la réparation appropriée et à l’adjudication des dépens.

[…]

E. La justification en vertu de l’article premier

[37] Les intimés ont plaidé que les appelants ne pouvaient invoquer l’article premier de la Charte canadienne pour justifier une limitation des droits garantis par l’art. 23. Il est maintenant bien établi que l’article premier s’applique aux droits linguistiques et que, dans l’arrêt Quebec Association of Protestant School Boards, la Cour n’a jamais conclu dans le sens invoqué par les intimés (voir notamment : Ford, p. 771 et 774).  Par conséquent, en conformité avec la méthode établie dans l’arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, notre Cour doit d’abord déterminer si l’objectif visé par les mesures adoptées par le législateur québécois est suffisamment important pour justifier l’atteinte aux droits garantis et, ensuite, si les moyens choisis sont proportionnels à l’objectif recherché.

[38] La Loi 104 comportait deux objectifs principaux. D’une part, elle visait à régler le problème des écoles passerelles et de l’élargissement des catégories d’ayants droit qu’entraînaient les inscriptions d’élèves dans ces institutions. D’autre part, et de façon plus générale, elle cherchait à protéger la langue française au Québec et à favoriser son épanouissement. Bien que la législature québécoise doive exécuter ses obligations constitutionnelles relatives aux droits à l’instruction dans la langue de la minorité sur son territoire, la règle fondamentale relative à la langue d’enseignement au Québec demeure. Selon l’article 72 CLF, sauf exceptions, l’enseignement se donne en langue française à tous les élèves, tant à la maternelle qu’aux niveaux primaire et secondaire, sur le territoire du Québec. Cette règle exprime un choix politique valide.  L’Assemblée nationale du Québec peut légitimement vouloir faire respecter ce choix, sans dérogations autres que celles qu’imposent les droits linguistiques reconnus par l’art. 23 de la Charte canadienne. La création d’une voie d’accès quasi automatique aux écoles de la minorité linguistique par l’intermédiaire de ces écoles tremplins compromettrait la réalisation de cette volonté du législateur. Résoudre cette difficulté représente un objectif important et légitime. D’ailleurs, dans l’arrêt Ford, notre Cour a déjà reconnu que l’objectif général de protection de la langue française représentait un objectif légitime, au sens de l’arrêt Oakes, eu égard à la situation linguistique et culturelle particulière de la province de Québec :

[…]

[40] L’objectif législatif étant reconnu comme valide, il faut alors déterminer si les dispositions introduites par la Loi 104 apportent une réponse proportionnée aux problèmes identifiés plus haut. À mon avis, les appelants ont établi l’existence d’un lien rationnel de causalité entre les objectifs de la Loi 104 et les mesures prises par la province de Québec. Notre Cour s’est d’ailleurs prononcée à plusieurs reprises sur l’importance de l’éducation et de l’organisation des écoles pour la préservation et l’épanouissement d’une langue et de sa culture (Mahe, p. 362-363; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), p. 849; Gosselin, par. 31). La Loi 104 cherche à protéger et à valoriser l’enseignement en langue française et l’usage de cette langue.

[41] La difficulté principale que pose l’examen de la validité constitutionnelle des dispositions attaquées se situe à l’étape de l’analyse de la proportionnalité des mesures adoptées. Même si l’existence d’un lien rationnel entre les mesures attaquées et l’objectif de la loi est reconnue, il faut poursuivre l’analyse et se demander si les moyens retenus par le législateur représentent une atteinte minimale, au sens de la jurisprudence, aux droits constitutionnels garantis par le par. 23(2) de la Charte canadienne. Je suis d’avis que les mesures adoptées et contestées dans les pourvois Nguyen et Bindra sont excessives par rapport aux objectifs visés et ne satisfont pas à la norme de l’atteinte minimale.

[42] Je traiterai d’abord de l’affaire Nguyen et donc du cas des écoles privées non subventionnées, visées par le deuxième alinéa de l’art. 73 CLF.  Comme je l’ai souligné plus tôt, la Loi 104 exclut toute considération du parcours scolaire d’un enfant dans une école anglophone privée non subventionnée. Elle ne tient aucunement compte de la durée et des circonstances de ce parcours, non plus que de la nature et de l’histoire de l’établissement scolaire où l’enfant a été inscrit. Le refus de prendre en compte ce parcours est total et sans nuance. À la lumière de la preuve présentée dans le pourvoi Nguyen, cette solution législative paraît excessive par rapport à la gravité du problème identifié, ainsi qu’à son impact sur les clientèles scolaires et, potentiellement, sur la situation de la langue française au Québec. Selon la preuve, le nombre d’enfants pouvant se faire admettre dans le réseau public anglophone après un passage dans une EPNS [école privée non subventionnée] reste relativement faible, bien qu’il semble augmenter graduellement. Par exemple, pour l’année scolaire 2001-2002, il ressort des statistiques fournies par le ministère de l’Éducation que, pour l’ensemble du Québec, un peu plus de 2 100 élèves inscrits dans les EPNS anglaises aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire ne détenaient pas de certificat d’admissibilité à l’enseignement en anglais (d.a., p. 1605). En conséquence, avant l’entrée en vigueur de la Loi 104, leur passage dans ces institutions aurait pu les qualifier pour un éventuel transfert vers le réseau anglophone financé à même les fonds publics. Ce chiffre représente environ un peu plus de 1,5 pour 100 du nombre total des élèves admissibles à l’enseignement en langue anglaise cette année-là (Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, 2002-2007, p. 82). De plus, ce nombre s’est accru. En effet, le nombre d’écoliers fréquentant une EPNS anglaise sans détenir de certificat d’admissibilité dépassait 4 000 pour l’année scolaire 2007-2008 (d.a., p. 1605). Malgré cette augmentation, les effectifs en cause demeurent relativement faibles par rapport aux clientèles des réseaux scolaires anglophone et francophone. Devant cette situation, sans pour autant nier l’importance de l’objectif de l’al. 2 de l’art. 73 CLF, la prohibition absolue de la prise en considération du parcours scolaire dans une EPNS semble trop draconienne. En effet, on n’assiste pas à un retour effectif au libre choix et à un bouleversement des catégories d’ayants droit. Le législateur aurait pu adopter des solutions différentes, qui soient moins attentatoires aux droits garantis et davantage conciliables avec l’approche concrète et contextuelle que recommande l’arrêt Solski.

[43] Toutefois, je ne veux pas nier les dangers que l’expansion illimitée des EPNS pourrait présenter pour les objectifs de préservation et d’épanouissement de la langue française au Québec. En l’absence de toute mesure susceptible de contrôler le développement de ce phénomène, les écoles passerelles pourraient devenir éventuellement un mécanisme permettant de manière quasi automatique de contourner les dispositions de la CLF portant sur les droits scolaires linguistiques, de créer de nouvelles catégories d’ayants droit en vertu de la Charte canadienne et de rétablir indirectement un régime de libre choix linguistique dans le domaine scolaire au Québec.

[44] Certains éléments de preuve relatifs à l’utilisation des écoles passerelles laissent planer des doutes quant à l’authenticité de bon nombre de parcours scolaires, et quant aux objectifs de la création de certaines institutions. Ainsi, la publicité de quelques établissements suggère qu’un court passage en leur sein permet de rendre leurs élèves admissibles aux écoles anglophones financées à même les fonds publics (d.a., p. 1200-1202). Une méthode d’examen des dossiers plus conforme à celle établie dans l’arrêt Solski permet l’étude concrète du cas de chaque élève et de celui des établissements concernés. Elle porte sur la durée du parcours, la nature et l’histoire de l’institution et le type d’enseignement qu’on y donne. Par exemple, on peut penser qu’un passage de six mois ou d’un an au début du cours primaire dans des institutions créées pour jouer le rôle de passerelles vers l’enseignement public ne représente pas un parcours scolaire respectant les objectifs du par. 23(2) de la Charte canadienne et l’interprétation donnée à cette disposition dans l’arrêt Solski. De plus, comme je l’ai souligné précédemment, on se souviendra que dans cet arrêt, notre Cour avait exprimé des réserves à l’égard des tentatives de créer des droits linguistiques en faveur de catégories élargies d’ayants droit au moyen de courts passages dans des établissements scolaires de la langue de la minorité (Solski, par. 39).

[45] Les situations visées par le pourvoi Bindra touchent elles aussi un nombre relativement restreint d’enfants. En effet, selon les statistiques fournies par les appelants, il appert que, de 1990 à 2002, en moyenne 7,1 pour 100 des élèves admissibles à l’enseignement en anglais l’étaient en vertu d’une autorisation spéciale délivrée par la province en conformité avec les art. 81, 85 et 85.1 CLF (Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, 2002-2007, p. 90). Bien qu’il ne soit pas possible de déterminer avec précision dans quelle proportion ces élèves ont par la suite obtenu un certificat d’admissibilité en vertu de l’art. 73, al. 1(2) CLF, je constate, toutefois, qu’une forte majorité de ceux-ci sont admissibles parce qu’ils séjournent temporairement au Québec et ont obtenu, sur cette base, des autorisations spéciales en vertu de l’art. 85 CLF. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le mécanisme des autorisations spéciales continue de relever entièrement du gouvernement du Québec. Celui-ci peut donc accorder des autorisations qui excèdent le cadre de ses obligations constitutionnelles, mais il ne peut, ce faisant, nier les droits qui découlent de ces autorisations et qui sont garantis par la Charte canadienne.  Les dispositions ajoutées à la CLF par la Loi 104 et qui s’appliquent au cas de M. Bindra ne respectent pas le principe de la préservation de l’unité des groupes familiaux que reconnaît le par. 23(2) de la Charte canadienne. En effet, elles sont de nature à empêcher totalement le regroupement des enfants d’une famille dans un même système scolaire.

F. Les réparations

[46] Je dois donc conclure que la limitation des droits constitutionnels des intimés n’a pas été justifiée conformément à l’article premier de la Charte canadienne. Par conséquent, je confirmerais la déclaration d’invalidité des al. 2 et 3 de l’art. 73 CLF prononcée par la Cour d’appel du Québec. En raison des difficultés que peut entraîner cette déclaration d’invalidité, je suspendrais ses effets pour une période d’un an afin de permettre à l’Assemblée nationale du Québec de réexaminer la loi. Toutefois, il faut également considérer la situation des demandeurs concernés dans les deux pourvois.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 (CanLII)

[21] Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité consacrés à l’art. 23 ont une portée nationale et un caractère réparateur.  Au moment où cette disposition a été adoptée, ses rédacteurs connaissaient et considéraient inadéquats les divers régimes applicables aux minorités linguistiques anglophones et francophones du Canada.  L’article 23 était destiné à offrir une solution uniforme qui permettrait de combler les lacunes de ces régimes.  Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Quebec Association of Protestant School Boards, p. 79-80, relatif à la constitutionnalité des dispositions en matière d’enseignement contenues dans la CLF :

Sans doute est-ce un régime général que le constituant a voulu instaurer au sujet de la langue de l’enseignement par l’art. 23 de la Charte et non pas un régime particulier pour le Québec.  Mais, vu l’époque où il a légiféré, et vu surtout la rédaction de l’art. 23 de la Charte lorsqu’on la compare à celle des art. 72 et 73 de la Loi 101, il saute aux yeux que le jeu combiné de ces deux derniers articles est apparu au constituant comme un archétype des régimes à réformer ou que du moins il fallait affecter et qu’il lui a inspiré en grande partie le remède prescrit pour tout le Canada par l’art. 23 de la Charte.

En raison du caractère national de l’art. 23, la Cour a interprété les droits qu’il confère de façon uniforme pour toutes les provinces : Quebec Association of Protestant School Boards; Mahe; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.); Arsenault-Cameron; Doucet-Boudreau.  Cependant, le contexte historique et social propre à chaque province n’est pas pour autant dépourvu de pertinence; il faut en tenir compte dans l’examen des approches adoptées par les provinces pour appliquer ces droits et dans les cas où une justification au sens de l’article premier de la Charte canadienne est nécessaire : Ford, p. 777-781.

[…]

[52] Par ailleurs, le procureur général du Québec fait valoir que, bien que l’interprétation quantitative que l’on donne actuellement de l’art. 73 CLF [Charte de la langue française] ne soit pas la norme requise par le par. 23(2) de la Charte canadienne, cette interprétation est néanmoins justifiable au sens de l’article premier.  Il estime que la situation linguistique unique du Québec au sein du Canada — la communauté linguistique provinciale majoritaire est, en même temps, la communauté linguistique nationale minoritaire — peut justifier le critère de la « majeure partie » selon l’interprétation qu’il donne de ce critère.  Nous ne jugeons pas nécessaire d’examiner cette possibilité.  Le fait de donner une interprétation atténuante de l’art. 73 permet au Québec d’atteindre ses objectifs législatifs tout en garantissant qu’aucune personne admissible en vertu de l’art. 23 de la Charte canadienne ne sera empêchée de fréquenter une école de la minorité linguistique si elle choisit de le faire. […] 

P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, 1984 CanLII 32 (CSC)

[p. 84] Si, comme il est clair, le chapitre VIII de la Loi 101 [Charte de la langue française] est le prototype de régime auquel le constituant veut remédier par l’adoption de l’art. 23 de la Charte, il est inconcevable que les restrictions que ce régime impose aux droits relatifs à la langue de l’enseignement puissent, pour autant qu’elles sont incompatibles avec l’art. 23, avoir pu être considérées par le constituant comme se confinant à « des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Les restrictions imposées par le chapitre VIII de la Loi 101 ne sont donc pas des restrictions légitimes au sens de l’art. 1 de la Charte, pour autant que ce dernier s’applique à l’art. 23.

[…]

[p. 85] Imaginons en effet que le chapitre VIII de la Loi 101 ait été édicté après la Charte, ou encore, qu’une autre province que le Québec adopte maintenant une loi rédigée comme le chapitre VIII de la Loi 101 mais destinée à restreindre le droit à l’enseignement dans la langue française.

[p. 86] Pourrait-on penser que l’art. 1 de la Charte est capable de légitimer une telle législation, pour autant que l’art. 1 s’applique à l’art. 23?

Nous ne le croyons pas.

Quelle que soit leur portée, les restrictions que l’art. 1 de la Charte permet d’apporter aux droits et libertés qu’elle énonce ne peuvent pas équivaloir à des dérogations comme celles qu’autorisent les par. 33(1) et (2) de la Charte, lesquels d’ailleurs n’autorisent pas de dérogation à l’art. 23 :

[…]

Elles ne peuvent non plus équivaloir à des modifications de la Constitution du Canada dont la procédure est prescrite par les art. 38 et suiv. de la Loi constitutionnelle de 1982.

[…]

[p. 87] Nous paraissent irréfutables les moyens suivants, invoqués par le procureur général du Nouveau-Brunswick dans son mémoire :

[TRADUCTION] … L’article 59 modifie les catégories de parents qui ont le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise en suspendant l’application au Québec de l’al. 23(1)a). Par déduction, les autres catégories de bénéficiaires des droits conférés par l’art. 23 ne peuvent être redéfinies selon le processus législatif ordinaire.

La définition détaillée des catégories de parents est au cœur même de l’art. 23. Toute tentative visant à redéfinir les catégories de parents qui ont des droits scolaires constitue en réalité une tentative visant à modifier la Constitution sans observer la formule d’amendement prescrite et n’est pas, en conséquence, visée par l’art. 1.

C’est la même idée qu’énonce le procureur général du Canada dans son mémoire où il écrit, après avoir référé à l’article 1 de la Charte :

…[il] ne permet pas de modifier les catégories de citoyens qui sont titulaires du droit reconnu à l’article 23 en imposant des critères différents qui vont directement à l’encontre de ceux expressément énoncés à cet article. La clause de dérogation prévue à l’article 33 ne couvre pas l’article 23 et ce n’est qu’aux termes de la procédure de modification de la Constitution prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 qu’on peut amender la Charte canadienne des droits et libertés.

[…]

[p. 88] […] Les dispositions de l’art. 73 de la Loi 101 heurtent de front celles de l’art. 23 de la Charte et ne sont pas des restrictions qui peuvent être légitimées par l’art. 1 de la Charte. Ces restrictions ne peuvent être des dérogations aux droits et libertés garanties par la Charte ni équivaloir à des modifications de la Charte. Une loi du Parlement ou d'une législature qui par exemple prétendrait imposer les croyances d'une religion d'état entrerait en conflit direct avec l'al. 2a) de la Charte qui garantit la liberté de conscience et de religion, et devrait être déclarée inopérante sans qu'il y ait même lieu de se demander si une telle loi est susceptible d'être légitimée par l’art. 1. Il en va de même pour le chapitre VIII de la Loi 101 vis-à-vis de l’art. 23 de la Charte.

Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[864] Je retiens de ces commentaires un certain nombre de principes : dès lors que des considérations de coûts et de pédagogie ou des décisions rendues dans des litiges antérieurs établissent le droit au plus haut degré de services – l’équivalence—les coûts et les aspects pratiques ne sont pas pertinents en ce qui concerne l’analyse relative à l’équivalence. Les coûts et les considérations pratiques sont pertinents lorsqu’il est question de déterminer les services auxquels un nombre donné d’étudiants a droit; en d’autres mots, ils sont pertinents lorsque la Cour situe le nombre sur l’échelle variable. Ils peuvent également être pertinents si une partie tente de justifier, au regard de l’article premier de la Charte, une atteinte à l’article 23. Les coûts et les considérations pratiques peuvent s’avérer pertinents quand un tribunal cherche à concevoir une réparation « convenable et juste », car « la conclusion qu’il y a violation de l’art. 23 ne donnera pas automatiquement lieu à l’ouverture d’une nouvelle école pour les titulaires de droits ».

[…]

[989] De plus, bien que le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité soit restreint par le critère de la justification par le nombre, ces restrictions ne suscitent pas les mêmes préoccupations d’ordre philosophique que les éléments du critère de l’arrêt Oakes. Le critère de l’article premier s’intéresse aux intérêts sociaux opposés et aux avantages publics (Carter, au paragraphe 79). Les restrictions imposées par le critère de la justification par le nombre visent à limiter les dépenses gouvernementales à ce qui est pratique en termes de pédagogie et de coûts. Le critère de la justification par le nombre repose encore moins sur les préoccupations visées par l’article premier que les notions de lois à caractère arbitraire, de portée trop grande et exagérément disproportionnées. Les restrictions énoncées à l’article 23 ne permettent tout simplement pas à la Cour de prendre en compte les avantages publics qui pourraient justifier de restreindre les droits linguistiques.

[990] On a beaucoup moins parlé des raisons pour lesquelles les revendications fondées sur l’article 15 sont si rarement justifiées. Il semble que la rareté des cas où le droit à l’égalité a été justifié au regard de l’article premier est attribuable au fait qu’il n’y a pas de norme plus exigeante imposée aux gouvernements. Ces cas se sont avérés exceptionnellement difficiles à justifier au vu des faits de l’espèce en raison des intérêts humains fondamentaux et des intérêts opposés qui sont en jeu.

[…]

D. Justification

[1518] Je conclus que la province a porté atteinte à l’article 23 en maintenant sa politique de ne pas appliquer l’AFG [Annual Facility Grant] Rural Factor au CSF [Conseil scolaire francophone] en 2008-2009, 2009‑2010 et 2010-2011. Le ministre a traité le CSF différemment des conseils majoritaires en dépit du fait qu’il a reconnu que la raison invoquée pour justifier ce traitement était en train de s’estomper. Il reste à déterminer si l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier.

[1519] J’énonce, au chapitre IX, intitulé Justification, le cadre pour la justification. Dans ce chapitre, j’explique qu’étant donné que la revendication des demandeurs est fondée sur les effets inconstitutionnels d’une loi d’apparence neutre, c’est le cadre analytique établi dans l’arrêt Oakes plutôt que le cadre analytique établi dans l’arrêt Doré, qu’il convient d’appliquer. L’objet de ce régime, qui, comme le reconnaissent les demandeurs, est urgent et réel, est l’« affectation rationnelle et juste des fonds publics ». En l’espèce, la mesure attentatoire en cause, à savoir la politique consistant à ne pas appliquer le AFG Rural Factor au CSF, avait également pour objectif l’affectation rationnelle et juste des fonds publics.

[1520] L’étape du lien rationnel de l’analyse prescrite par l’arrêt Oakes vise à éviter les régimes législatifs arbitraires en examinant s’il existe un lien entre la mesure attentatoire et un objectif valide poursuivi par le gouvernement. En examinant s’il existe un lien rationnel, je vais tenir compte de l’objectif et du régime visant à atteindre cet objectif.

[1521] Je conclus qu’il existe un lien rationnel entre dépenser les fonds publics de façon juste et rationnelle et une mesure qui n’appliquait pas l’AFG Rural Factor au CSF. La politique n’accordait au CSF aucun accroissement de financement lorsqu’il se livrait à ses activités dans de nombreuses écoles louées, hétérogènes, et ne payait pas pour l’entretien de ces installations. Ainsi, on disposait de davantage de fonds pour les conseils scolaires de la majorité qui s’occupaient de l’entretien, ce qui constituait une allocation juste et rationnelle de fonds. De plus, après environ 2008, le maintien de l’application de la politique au CSF a réduit le préjudice causé au (sic) à une époque où le ministre ne fournissait annuellement que la moitié de l’ensemble du financement AFG des districts. Le ministre a décidé d’attendre jusqu’à ce qu’il y ait plus de fonds à distribuer avant de rendre l’AFG Rural Factor applicable au CSF.

[1522] L’étape de l’atteinte minimale du critère sert à déterminer si la mesure attentatoire porte atteinte le moins possible au droit à la liberté. Dans le cadre de cette étape, on examine s’il existe des moyens moins radicaux grâce auxquels la province aurait pu atteindre son objectif de façon réelle et substantielle. Le fait que la province se livre à une mise en balance des intérêts et à une allocation de ressources limitées incite à faire preuve d’une certaine déférence envers la province. Il s’agit d’un degré moyen de déférence qui tient compte du bien collectif et de la valeur que la société accorde à l’éducation. 

[1523] Selon moi, le défaut de ne pas avoir fait le changement en 2008 constituait une atteinte minimale. Le CSF a continué de recevoir environ 60 p. 100 du financement AFG auquel il aurait finalement droit. Les nouveaux programmes du CSF dans le cadre desquels le CSF est passé de locaux loués à des locaux lui appartenant en 2008, puis en 2011, de sorte que le besoin du CSF en fonds supplémentaires n’était pas urgent en 2009. En outre, étant donné que le CSF ne consacrait pas ses fonds AFG à la location de locaux, notamment à la location de locaux homogènes, il était concrètement dans une position avantageuse en ce qui concerne les fonds AFG.

[1524] La dernière étape consiste à déterminer la proportionnalité des effets de la mesure attentatoire. Cette étape va au-delà de l’objectif de la mesure et elle sert à déterminer ses effets bénéfiques et ses effets préjudiciables. 

[1525] À l’échelle locale, les effets bénéfiques de la politique consistant à ne pas appliquer l’AFG Rural Factor au CSF sont simples : le ministère n’a pas eu à subir les conséquences politiques découlant du fait de prendre à la majorité pour donner à la minorité à une époque où il venait justement de faire cela. La politique a également eu l’effet de protéger les conseils majoritaires contre les petites pertes AFG supplémentaires dans les années où ils ne recevaient déjà que la moitié de ce qu’ils avaient l’habitude de recevoir. Le ministère n’a économisé aucuns fonds attribués à la majorité qu’il aurait pu réaffecter à la minorité.

[1526] Les effets préjudiciables sont plus difficiles à quantifier. Le ministère a toujours prétendu que les conseils scolaires devraient consacrer une partie de leurs fonds de fonctionnement à l’entretien des installations. Le CSF a eu des excédents de fonctionnement de plus de 5 793 403 $ en 2008-2009, de 4 242 349 $ en 2009-2010 et de 1 853 493 $ en 2010-2011. Le CSF n’a fait mention d’aucun projet qu’il était incapable de terminer en raison d’un manque de fonds AFG au cours de cette période. Je souligne que, au cours des dernières années, depuis 2013-2014, le CSF a reporté le remplacement d’un système de chauffage, ventilation et climatisation (« CVC ») à l’École Élémentaire Anne-Hébert (Vancouver (est)) en raison d’une insuffisance de fonds AFG. Il est possible que le CSF aurait pu être en mesure d’aller de l’avant plus tôt avec un tel projet si le ministère avait commencé à appliquer l’AFG Rural Factor au CSF en 2008‑2009. Toutefois, cela est peu probable parce que le CSF devait composer avec la diminution du financement AFG accordé à l’ensemble des districts au cours de ces années. À la limite, je conclus que si le ministère avait appliqué plus tôt l’AFG Rural Factor au CSF, il aurait réduit le fardeau financier du CSF. 

[1527] Après avoir mis en balance ces effets, je conclus que les effets bénéfiques l’emportent sur les effets préjudiciables. Tous les conseils scolaires étaient confrontés à une période économique difficile en 2008‑2009 et en 2009-2010, surtout en ce qui concernait leur AFG. Le CSF a commencé à avoir besoin du AFG  Rural Factor au cours de ces années, mais ce n’est qu’en 2011 que ce besoin s’est concrétisé, après que ses programmes soient passés de locaux loués hétérogènes à des locaux lui appartenant. Le CSF possédait à cette époque un avantage comparatif en raison de sa décision de ne pas consacrer ses fonds AFG à la location de locaux, même s’il recevait des fonds pour des étudiants inscrits dans ces écoles. Le CSF disposait également d’excédents de fonctionnement très importants. Dès que le ministère a pu obtenir plus de fonds pour son enveloppe budgétaire AFG, il a attribué tous ces fonds au CSF. Compte tenu de ces facteurs et de la déférence dont il faut faire preuve à l’égard de l’évaluation du ministère quant aux meilleurs moyens d’établir un équilibre entre les besoins de la majorité et les besoins de la minorité, je conclus que les effets préjudiciables et les effets bénéfiques sont équilibrés, et que l’atteinte satisfait au critère de la proportionnalité.

NOTA – Pour d’autres exemples de justifications de violations de l’art. 23 la Charte canadienne des droits et libertés en vertu de l’article premier dans le présent jugement, veuillez vous référer aux paragraphes 4247 à 4259 et 4991 à 5003. Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Dauphinee c. Conseil Scolaire Acadien Provincial, 2007 NSSC 238 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[46] Je conclus que le ministère, en ne prévoyant pas, et en ne tentant même pas de prévoir, des dispositions dans son Tuition Support program qui pourraient répondre aux besoins d’étudiants du CSAP [Conseil scolaire acadien provincial] ayant des besoins particuliers porte atteinte aux droits à l’égalité ou à l’équivalence des parents qui, selon la Cour suprême du Canada, font partie intégrante des garanties prévues à l’article 23 de la Charte. Les défendeurs n’ont invoqué aucune raison impérieuse expliquant pourquoi les étudiants du CSAP  ne devraient pas avoir accès au Tuition Support program. Les demandeurs ne demandent pas que de nouvelles écoles ou de nouvelles installations soient construites, ils demandent simplement que le ministère approuve un plan permettant aux étudiants du CSAP qui sont admissibles à de l’aide en matière de frais de scolarité d’avoir accès au Tuition Support program. Ils demandent accès à un plan, semblable à celui auquel la majorité anglophone a accès, qui répond aux besoins des étudiants francophones ayant des besoins particuliers. Il ne s’agit certainement pas d’une demande exagérée. Je conclus que le défaut du ministère de s’efforcer de prévoir de telles dispositions constitue une atteinte aux droits garantis par l’article 23 de la Charte aux familles qui sont visées par cet article. Si le ministère refuse de s’efforcer de prévoir de telles dispositions, compte tenu du fait que cela ne semble entraîner aucun coût supplémentaire, ou même si cela entraîne des coûts supplémentaires raisonnables, il est difficile d’envisager comment cela pourrait être justifié au regard de l’article premier de la Charte. Rien ne justifie dans les circonstances de ne pas offrir aux étudiants et aux familles du CSAP l’accès au Tuition Support program, et (sic), compte tenu de certaines des dispositions  dont j’ai déjà fait mention. Le ministère doit agir afin de voir, le cas échéant, quelles écoles de français langue première, dans d’autres administrations, qui répondent aux besoins des étudiants ayant des besoins particuliers peuvent être incluses dans le Tuition Support program actuel, ou doit mettre en place un plan différent qui répondra de façon adéquate aux besoins des étudiants du CSAP qui ont des besoins particuliers. Si cela exige que des modifications soient apportées aux lignes directrices et aux règlements actuels, alors cela peut certainement être fait en collaboration avec le CSAP et ses groupes de parents. Il s’agit tout simplement d’une question d’« accommodement ».

[…]

[53] Le ministère a bel et bien porté atteinte aux droits garantis aux demandeurs par l’article 23 de la Charte en n’examinant pas la question des accommodements et en ne fournissant aucun accommodement aux familles du CSAP en ce qui concerne son Tuition Support program pour les étudiants ayant des besoins particuliers.  Une telle atteinte n’est pas justifiée dans les circonstances et elle ne peut être justifiée au regard de l’article premier. Le ministère doit s’efforcer d’inclure et d’accommoder dans son Tuition Support Program les étudiants du CSAP qui ont des besoins particuliers d’une manière qui répond à leurs besoins et à leurs droits en matière linguistique. La meilleure façon d’atteindre cet objectif devrait être élaborée par le ministère, le CSAP et ses groupes de parents. Dans les circonstances, cela ne s’applique pas à la création de nouvelles installations comparables aux écoles privées anglophones existantes parce que le nombre ne justifie pas la prise de telles mesures.

Voir également :

Canadians for Language Fairness c. Ottawa (Ville), 2006 CanLII 33668 (CS ON)

 

Libertés fondamentales (article 2)

2. Libertés fondamentales

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

[…]

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations

Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19 (CSC)

[40] […] La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l'expression qu'il ne peut y avoir de véritable liberté d'expression linguistique s'il est interdit de se servir de la langue de son choix. Le langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression. Comme le dit le préambule de la Charte de la langue française elle-même, c'est aussi pour un peuple un moyen d'exprimer son identité culturelle. C'est aussi le moyen par lequel un individu exprime son identité personnelle et son individualité. Que le concept d'"expression" utilisé à l'al. 2b) de la Charte canadienne et à l'art. 3 de la Charte québécoise aille au-delà du simple contenu de l'expression ressort de la protection spécifiquement accordée à la "liberté de pensée, de croyance [et] d'opinion" à l'art. 2 et à la "liberté de conscience" et à la "liberté d'opinion" à l'art. 3. Cela nous permet de penser que la "liberté d'expression" est censée englober plus que le contenu de l'expression au sens étroit.

[…]

[43] Les deuxième et troisième moyens invoqués par le procureur général du Québec et résumés ci-dessus, visent ce qu'impliquent pour la question à l'étude les garanties expresses ou précises de droits linguistiques énoncées à l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et aux art. 16 à 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces moyens sont étroitement liés et peuvent être traités ensemble. Ces garanties spéciales de droits linguistiques ne font pas obstacle, par implication, à une interprétation de la liberté d'expression qui englobe la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix. La liberté générale de s'exprimer dans la langue de son choix et les garanties spéciales de droits linguistiques dans certains secteurs d'activité ou de compétence gouvernementale -- la législature et l'administration, les tribunaux et l'enseignement -- sont des choses tout à fait différentes. Comme l'a fait observer cette Cour dans l'arrêt MacDonald, précité, et dans l'arrêt Société des Acadiens, précité, ces garanties spéciales de droits linguistiques ont un fondement historique, politique et constitutionnel qui leur est propre. Tous les droits linguistiques expressément reconnus dans la Constitution canadienne ont ceci de commun qu'ils s'appliquent aux institutions gouvernementales et que, d'une manière générale, ils obligent le gouvernement à prévoir, ou du moins à tolérer, l'emploi des deux langues officielles. En ce sens, ils s'apparentent davantage à des droits proprement dits qu'à des libertés. Ils donnent droit à un avantage précis qui est conféré par le gouvernement ou dont une personne peut jouir dans le cadre de ses rapports avec le gouvernement. Parallèlement, le gouvernement est tenu de fournir certains services ou avantages dans les deux langues officielles ou tout au moins d'autoriser les personnes faisant affaire avec le gouvernement à employer l'une ou l'autre langue. À la différence d'une liberté garantie, les droits en question n'assurent pas à un individu la liberté de choisir sa propre ligne de conduite dans le cadre d'un large champ d'activités privées. Les droits linguistiques garantis par la Constitution imposent au gouvernement et aux institutions gouvernementales des obligations qui, pour reprendre l'expression employée par le juge Beetz dans l'arrêt MacDonald, forment un "système précis" qui donne expressément l'option d'employer l'anglais ou le français ou de recevoir des services en anglais ou en français dans certaines circonstances concrètes, facilement déterminables et limitées. En l'espèce, par contre, ce que demandent les intimées est une liberté comme celle dont parle le juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 336: "La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'État ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte." Les intimées désirent se dégager de l'exigence, imposée par l'État, de faire leur publicité et leur affichage commerciaux uniquement en français et réclament la liberté, dans le domaine entièrement privé ou non gouvernemental de l'activité commerciale, de faire leur publicité et leur affichage dans la langue de leur choix ainsi qu'en français. À l'évidence, les intimées ne cherchent pas à utiliser la langue de leur choix dans des relations directes, quelles qu'elles soient, avec un organisme gouvernemental et ne cherchent pas non plus à obliger le gouvernement à leur fournir des services ou d'autres avantages dans la langue de leur choix. En cela, les intimées revendiquent une liberté, la liberté de s'exprimer dans la langue de leur choix dans un secteur d'activité non gouvernemental par opposition à un droit linguistique de la nature de ceux garantis par par la Constitution. Reconnaître que la liberté d'expression englobe la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix ne compromet ni ne contredit les garanties spéciales relatives aux droits en matière de langues officielles dans des domaines relevant de la compétence ou de la responsabilité du gouvernement. La structure juridique, la fonction et les obligations des institutions gouvernementales en ce qui concerne l'anglais et le français ne sont aucunement touchées par la reconnaissance que la liberté d'expression comprend la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix en dehors des domaines pour lesquels les garanties linguistiques spéciales ont été prévues.

[…]

[54] La Cour estime que la liberté d'expression garantie par l'al. 2b) de la Charte canadienne et par l'art. 3 de la Charte québécoise ne peut se limiter à l'expression politique, si importante soit-elle dans une société libre et démocratique. Si la jurisprudence antérieure à la Charte a insisté sur l'importance de l'expression politique, cela tenait à ce qu'elle était la forme d'expression qui donnait le plus souvent lieu à des contestations fondées sur le partage des pouvoirs et sur la "charte des droits implicite" et que, dans ce contexte, la liberté d'expression politique pouvait être rattachée au maintien et au fonctionnement des institutions d'un gouvernement démocratique. L'expression politique n'est toutefois qu'une forme d'expression dans la grande diversité de types d'expression qui méritent une protection constitutionnelle parce qu'ils servent à promouvoir certaines valeurs individuelles et collectives dans une société libre et démocratique.

[…]

[57] […] Pour répondre aux questions soulevées en l'espèce, il n'est pas nécessaire que la Cour trace les limites du vaste éventail des types d'expression qui méritent la protection de l'al. 2b) de la Charte canadienne ou de l'art. 3 de la Charte québécoise. Il suffit de décider si les intimées ont un droit protégé par la Constitution d'utiliser la langue anglaise dans leur affichage ou, plus précisément, si le fait que l'affichage en question vise un but commercial exclut l'expression qu'il comporte du champ d'application de la liberté garantie.

[59] À notre avis, son caractère commercial n'a pas cet effet. Étant donné que cette Cour a déjà affirmé à plusieurs reprises que les droits et libertés garantis par la Charte canadienne doivent recevoir une interprétation large et libérale, il n'y a aucune raison valable d'exclure l'expression commerciale de la protection de l'al. 2b) de la Charte. Notons que les tribunaux d'instance inférieure ont eu recours au même genre d'interprétation large et généreuse pour faire bénéficier l'expression commerciale de la protection accordée à la liberté d'expression par l'art. 3 de la Charte québécoise. Au-delà de sa valeur intrinsèque en tant que mode d'expression, l'expression commerciale qui, répétons-le, protège autant celui qui s'exprime que celui qui l'écoute, joue un rôle considérable en permettant aux individus de faire des choix économiques éclairés, ce qui représente un aspect important de l'épanouissement individuel et de l'autonomie personnelle. La Cour rejette donc l'opinion selon laquelle l'expression commerciale ne sert aucune valeur individuelle ou sociale dans une société libre et démocratique et, pour cette raison, ne mérite aucune protection constitutionnelle.

[60] Bien au contraire, l'expression envisagée aux art. 58 et 69 de la Charte de la langue française est une expression au sens de l'al. 2b) de la Charte canadienne et au sens de l'art. 3 de la Charte québécoise. En conséquence, l'art. 58 porte atteinte à la liberté d'expression garantie par l'art. 3 de la Charte québécoise et l'art. 69 porte atteinte à la liberté d'expression protégée par l'al. 2b) de la Charte canadienne et par l'art. 3 de la Charte québécoise. Bien que l'expression considérée ait un aspect commercial, il faut souligner que l'accent est mis, en l'espèce, sur le choix de la langue et sur une loi qui interdit l'emploi d'une langue. […]

Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291 (CanLII)

[32] Deuxièmement, l’appelant soutient que le refus de l’employeur de mener ses entrevues disciplinaires en français, tel qu’il l’aurait demandé à deux reprises (les 27 et 31 août 2009), a porté atteinte à sa liberté d’expression telle que garantie par l’alinéa 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu’à ses droits linguistiques protégés par l’article 16 de la Charte et par la Loi sur les langues officielles (la Loi). Il faut préciser que même si l’appelant insiste que cette question ne devait pas être traitée comme un simple manquement à l’équité procédurale, son grief ne soulève pas la violation de ses droits linguistiques comme une question distincte à être tranchée par l’arbitre. J’en traiterai donc ici.

[…]

[46] À mes yeux, il est loin d’être établi que l’appelant bénéficiait effectivement des droits linguistiques qu’il prétend avoir en vertu de la Charte et de la Loi, laquelle met en œuvre les paragraphes 16 à 20 de la Charte (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 773). L’appelant s’appuie sur l’article 16 de la Charte et sur l’objet de la Loi (article 2), sans pour autant démontrer que ces dispositions imposaient une obligation à son employeur d’assurer que les entrevues du 31 août et du 1er septembre 2009 se dérouleraient en français. […]

Galganov c. Russell (Township), 2012 ONCA 409 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[7] Je suis également d’avis de rejeter l’appel de monsieur Brisson. Je souscris à la conclusion de la juge saisie de première instance selon laquelle le canton a le pouvoir d’adopter le règlement. En ce qui concerne la question de savoir s’il y a atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression qui lui est garanti par l’alinéa 2b) de la Charte, je suis d’avis que la juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas atteinte. Toutefois, je conclus que cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte

[…]

a) Le règlement porte-il atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte?

[50] M. Brisson, appuyé par l’intervenante, prétend que le règlement porte atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b) de la Charte.

[51] Pour décider si le règlement porte atteinte à la liberté d’expression, je dois procéder à l’analyse en deux étapes prescrite dans l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (P.G.), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927. La première étape consiste à déterminer si l’activité fait partie de la sphère des activités protégées par la liberté d'expression. Le cas échéant, la deuxième étape consiste à déterminer si l’objet ou l’effet de l'action gouvernementale en cause restreint la liberté d'expression

[52] Le fait que l’affiche de M. Brisson soit une affiche commerciale ne la soustrait pas à l’application du droit à la liberté garanti à l’alinéa 2b) : voir Ford c. Québec (P.G.), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pages 766 à 767. L’expression commerciale est visée par la garantie de liberté d’expression si elle transmet un message.

[53] Il suffit de lire l’affiche de M. Brisson pour se rendre compte qu’elle transmet un message concernant la nature de son entreprise. En dessous de son nom commercial, à savoir « Independent Radiator Services », l’affiche est ainsi libellée :

Radiateurs réparés et neufs

Air climatisé rempli et réparé

Réparation mécanique mineure

[54] L’affiche indique que l’entreprise de M. Brisson est une entreprise de réparation et d’installation de nouveaux radiateurs, de remplissage [avec du liquide] et de réparation de climatiseurs, et de réparation mécanique mineure. Par conséquent, l’affiche de M. Brisson transmet un message et ne peut pas être soustraite à la protection de l’alinéa 2b).

[55] Je dois donc déterminer si l’objet ou l’effet du règlement porte atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression. M. Brisson et l’intervenante prétendent que le bilinguisme obligatoire sur les nouvelles affiches commerciales extérieures oblige les entreprises commerciales à agir d’une manière qu’elles n’auraient pas souhaité et que cette contrainte porte atteinte au droit à la liberté d’expression garanti à l’alinéa b). Par conséquent, ils prétendent que la juge de première instance a commis une erreur en statuant qu’il n’y avait aucune atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression.

[56] Le choix de la langue est un aspect important de l’expression. Dans l’arrêt Ford, à la page 748, la Cour suprême a déclaré que « [l]e langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression ». La Cour suprême a conclu que l’article 58 de la Charte de la langue française du Québec, L.R.Q, c. C-11, lequel mentionnait que « [l]'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement dans la langue officielle [le français] » était inopérant parce qu’il portait atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q, c. C-12, (la « Charte québécoise »), lequel est l’équivalent de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne. La Cour suprême a conclu qu’il y a atteinte à l’article 3 lorsqu’il y a obligation d’utiliser une langue en particulier et qu’il n’est donc pas possible d’utiliser la langue de son choix. L’article 58 n’est pas non plus justifié au regard de l’article 9.1 de la Charte québécoise. L’article 9.1 est une disposition qui correspond à l’article 1 de la Charte canadienne, et dont l’application est également soumise au critère de la proportionnalité et du lien rationnel.

[…]

[61] Compte tenu des décisions rendues par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine, en imposant l’utilisation du français et de l’anglais sur les nouvelles affiches commerciales extérieures, l’objet du Règlement porte atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression qui est garanti par l’alinéa 2b) de la Charte. Je dois maintenant déterminer si cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[4] L'appelante a été déclarée coupable d'avoir enfreint l'art. 58 de la Charte de la langue française du Québec, L.R.Q., chap. C-11, qui exige la nette prédominance du français dans l'affichage commercial bilingue, et condamnée à payer l'amende minimale prévue par l'art. 205 de la même loi.  Elle demande à la Cour de déclarer ces articles invalides et inopérants, au motif que l'art. 58 enfreint son droit à la liberté d'expression garanti par les art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et par l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., chap. C-12, ainsi que son droit à l'égalité garanti par l'art. 15 de la Charte canadienne et par l'art. 10 de la Charte québécoise.

[…]

Le droit à la liberté d’expression est-il violé par l’exigence de la nette prédominance du français?

[44] La disposition qui prescrivait que l'affichage public et la publicité commerciale devaient se faire exclusivement en français a été déclarée inopérante en 1988.  À l'évidence, une telle disposition le serait encore aujourd'hui.

[45] La Cour suprême a déclaré en 1988, en obiter, c'est-à-dire sans que cela soit nécessaire pour appuyer sa décision, qu'exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l'objectif de promotion et préservation d'un « visage linguistique » français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des Chartes québécoise et canadienne.  La Cour suprême est allée jusqu'à dire spécifiquement, à la p. 780 de l'arrêt Ford, qu'on pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue ou qu'on pourrait exiger qu'il soit plus en évidence que d'autres langues.

[46] Je suis d'avis que l'art. 58 ne fait rien d'autre, dans sa forme actuelle, que de reproduire les lignes directrices formulées par la Cour suprême.  Je suis également d'opinion qu'à la lumière de la preuve soumise à la Cour suprême en 1988 une disposition telle que l'art. 58 actuel aurait résisté à une attaque fondée sur le droit à la liberté d'expression et sur le droit à l'égalité, et n'aurait pas été déclarée inopérante.

[…]

[60] Tenant pour acquis que l'art. 58 restreint la liberté d'expression, le juge de la Cour supérieure a conclu qu'il appartenait à l'appelante de démontrer, par sa propre preuve, que les principes de Ford ne s'appliquaient plus.  Je suis d'avis qu'il a raison.  L'arrêt Ford a établi des lignes directrices et le législateur les a pour ainsi dire codifiées en 1993, satisfaisant ainsi au fardeau de preuve imposé par l'article premier de la Charte canadienne et par l'art. 9 de la Charte québécoise.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

2. Liberté d’expression

[20] Au procès, les appelants ont prétendu que les articles 51, 52 et 58 de la CLF [Charte de la langue française] portaient atteinte à leur droit à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte canadienne) et l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte québécoise).

[…]

[33] Le juge de première instance a décidé que la protection de la langue française était toujours un objectif important et que les mesures adoptées satisfaisaient au critère de l’arrêt Oakes. Il a conclu que les appelants ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de prouver que la situation du français avait changé de façon importante depuis les décisions rendues dans les arrêts Ford et Devine.

2.2 Motifs d’appel

[34] Les appelants ont prétendu que le juge de première instance a mal interprété ce qui suit :

• l’obiter dictum de la Cour suprême dans l’arrêt Ford;

• le jugement rendu dans Entreprises W.F.H.;

• le principe de l’autorité de la chose jugée et son application;

• la notion de visage linguistique du Québec dont il est fait mention dans l’arrêt Ford;

• les mots « la vulnérabilité du français ».

2.3 L’obiter dictum de la Cour suprême dans l’arrêt Ford

[…]

[37] Le juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit et n’a pas interprété l’obiter de la Cour suprême du Canada comme signifiant que seule l’exigence voulant que le français soit « nettement prédominant » satisfait au critère de l’atteinte minimale.

2.4 Le jugement rendu dans Entreprises W.F.H.

[40] Les appelants peuvent être en désaccord avec le jugement rendu par la Cour d’appel dans l’arrêt Entreprises W.F.H., mais la Cour du Québec, en l’espèce, était liée par la jurisprudence des tribunaux d’instance supérieure, notamment la jurisprudence de la Cour d’appel.

[…]

[42] Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en ayant recours à l’arrêt Entreprises W.F.H.

[…]

2.5 Le principe de l’autorité de la chose jugée et son application

[…]

[45] La Cour suprême du Canada a dit dans les arrêts Ford et Devine que les deux types de disposition satisfaisaient au critère de l’arrêt Oakes. C’est au législateur, et non pas aux appelants, qu’il incombe de choisir entre deux solutions qui sont toutes les deux constitutionnelles. Pour ce qui est de la publicité commerciale, le législateur a choisi le critère voulant que le français doive figurer de façon « nettement prédominante » (article 58 de la CLF); en ce qui concerne les inscriptions figurant sur un produit, dans un catalogue et dans d’autres documents, le législateur a décidé d’autoriser l’utilisation des deux langues sans exiger qu’une langue soit prédominante par rapport à l’autre (articles 51, 52 et 89 de la CLF).

[…]

[49] Le juge de première instance a correctement appliqué le critère de l’autorité de la chose jugée. La véritable question à trancher en l’espèce était celle de savoir si la preuve soumise au procès justifiait de s’écarter de la jurisprudence. Non, elle ne justifiait pas de s’écarter de la jurisprudence.

[…]

[64] La Cour ne relève aucune erreur dans l’analyse du juge de première instance. La protection du français est toujours un objectif important et les mesures adoptées satisfont toujours au critère de l’arrêt Oakes. Les appelants n’ont pas démontré que la situation du français avait changé de façon importante depuis les décisions rendues dans les arrêts Ford et Devine.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Voir également Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII)

Canadians for Language Fairness c. Ottawa (Ville), 2006 CanLII 33668 (CS ON)

[115] La requérante soutient que le droit d’expression des Anglophones unilingues est abrogé par le Règlement [n0 2001-170] et la politique [de bilinguisme]. Les employés unilingues anglais sont forcés de prendre des mesures supplémentaires pour être bilingues. La politique est contraignante et discriminatoire et donc en contravention de la Charte et de divers pactes internationaux des Nations-Unies.

[…]

[119] Dans l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (P.G.), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, la Cour suprême du Canada préconise une méthode en deux étapes pour déterminer s’il y a eu violation de la liberté d’une personne.

[120] La première étape consiste à déterminer si une activité relève du champ de la liberté d’expression. La Charte ne protège pas une activité qui ne transmet ni ne tente de transmettre une signification.

[121] Le fait d’être obligé d’apprendre une deuxième langue pour obtenir un emploi particulier n’est pas une activité qui a une signification ou un contenu.

[122]  Par contre, si l’activité a une signification, la deuxième étape consiste à déterminer si l'objet ou l'effet de l'action en cause était de restreindre la liberté d'expression.

[123] La preuve avancée en l’espèce est que l’objet et l’effet de la politique sont de s’assurer que les citoyens anglophones et francophones puissent obtenir des services dans la langue officielle de leur choix. La preuve nous convainc qu’en permettant aux employés de la Ville de travailler dans la langue de leur choix, on facilite la prestation des services publics en français et en anglais. On n’a donc pas essayé de restreindre l’expression de pensée, d’opinion ou de croyance en adoptant une politique qui encourage l’usage des deux langues. Le droit de s’exprimer dans la langue de son choix est clairement garanti dans la politique.

Lavigne c. Quebec (Attorney General), 2000 CanLII 30033 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[22] Le requérant soulève également la question de la liberté d’expression. La Cour suprême, dans l’arrêt Ford, a fait une distinction entre les droits linguistiques et la liberté d’expression :

"La liberté générale de s'exprimer dans la langue de son choix et les garanties spéciales de droits linguistiques dans certains secteurs d'activité ou de compétence gouvernementale ‑‑ la législature et l'administration, les tribunaux et l'enseignement ‑‑ sont des choses tout à fait différentes."

[23] Pour illustrer cette remarque, nous soulignons que la liberté d’expression est garantie à tous les Canadiens indépendamment de leur langue. Toutefois, devant les tribunaux, les actes de procédure et les plaidoiries ne peuvent être rédigés et ne peuvent se faire que dans l’une des langues officielles.

[24] L’essence même de la liberté d’expression d’une personne est qu’elle peut exercer celle-ci dans sa propre langue. Par conséquent, en l’espèce, M. Lavigne peut s’exprimer dans sa propre langue, à savoir l’anglais, comme il l’a fait lorsqu’il a plaidé sa requête. Il peut également bénéficier des services d’un interprète. Il serait par conséquent difficile de concevoir qu’il puisse y avoir, de quelque façon que ce soit, entrave à sa liberté d’expression. La conclusion recherchée par le requérant vise en fait à obliger le gouvernement du Québec à adopter une politique législative.

[25] La Cour suprême a décidé que cette liberté suppose essentiellement qu’il n’y a aucune contrainte ni aucune coercition : l’article 2 de la Charte canadienne impose d’une manière générale une obligation négative au gouvernement plutôt qu’une obligation positive d’aide ou de protection. Pour ce qui est de la liberté d’expression, ce principe est bien illustré dans la décision Haig :

Selon le point de vue traditionnel, exprimé dans le langage courant, la garantie de la liberté d'expression énoncée à l'al. 2b) interdit les bâillons mais n'oblige pas à la distribution de porte‑voix.

[26] Selon la Cour, l’alinéa 2b) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise n’imposent pas au gouvernement l’obligation de légiférer [sic] de s’obliger à désigner comme procureurs ceux qui parlent la langue de l’autre partie. La mesure sollicitée par M. Lavigne s’apparente en fait davantage à une politique législative.

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté sur requête à la Cour d’appel du Québec et la demande d'autorisation d'appel a été rejetée à la Cour suprême du Canada.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[p. 14] Il ne fait nul doute, sous le régime des art. 530 et 530.1 du Code criminel, que l’accusé et son avocat jouissent effectivement du droit et de la liberté de s’exprimer dans leur langue officielle. En effet, l’art. 530.1 précise, à son alinéa a), que « l’accusé et son avocat ont le droit d’employer l’une ou l’autre langue officielle au cours de l’enquête préliminaire et du procès » (dans la version anglaise, il est précisé que ce droit peut être exercé « for all purposes during the preliminary inquiry and trial of the accused »).

[p. 14] Cela dit, la Cour suprême du Canada ayant indiqué qu’il existait une nette distinction entre la liberté d’expression exercée dans le cadre d’activités privées et les droits linguistiques exercés dans le cadre de rapports avec l’État, à mon avis il serait inopportun de transposer l’analyse faite par la Cour suprême à l’égard de la liberté d’expression aux dispositions relatives aux droits linguistiques. […]

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

Voir également :

Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, 1988 CanLII 20 (CSC)

Immeubles Claude Dupont inc. c. Québec (Procureur général), [1994] J.Q. no 1553, [1994] R.J.Q. 1968 (CS QC) [hyperlien non disponible]

 

Droits démocratiques (article 3)

3. Droits démocratiques des citoyens

3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations

Figueroa c. Canada (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 912, 2003 CSC 37 (CanLII)

I. La représentation régionale

[…]

[167] Ces caractéristiques de l’histoire et des institutions politiques du Canada confirment que la notion de représentation démocratique équitable dans notre pays inclut la représentation des intérêts particuliers des groupes régionaux.  Cette conclusion est, selon moi, étayée par certains énoncés de notre Cour sur le lien entre le fédéralisme et la démocratie, particulièrement dans le Renvoi sur la sécession.  Notre Cour a alors affirmé que les principes à la base de la Constitution, y compris le fédéralisme et la démocratie, existaient en symbiose : « [a]ucun de ces principes ne peut être défini en faisant abstraction des autres, et aucun de ces principes ne peut empêcher ou exclure l’application d’aucun autre » (par. 49).  Cette affirmation suggère que le fédéralisme — et l’attention qu’il porte à la protection des intérêts particuliers des groupes régionaux — contribue à définir la démocratie canadienne.

[…]

[169] Ces observations paraissent indiquer que l’un des éléments du droit de participer utilement au processus démocratique s’identifie au droit de se faire entendre en tant que membre d’une collectivité régionale.  La garantie constitutionnelle de représentation effective emporte le droit de tout électeur à un certain degré de reconnaissance de ses intérêts en tant que résident du Manitoba, d’une province maritime ou du Québec, et elle sous-entend l’existence d’une égalité relative minimale entre les différentes provinces et régions du pays qui ne peut être entièrement écartée par une majorité numérique à l’échelle nationale.  Cet aspect de la représentation effective ne doit pas être élevé au niveau d’un droit absolu.  Sa valeur ne devrait pas être exagérée au risque d’éclipser des préoccupations fondamentales telle l’équité entre les électeurs.  Il s’agit toutefois d’une des valeurs qui doit être prise en compte pour définir la notion de représentation utile et pour déterminer si la mesure gouvernementale viole l’art. 3.

Reference re the Final Report of the Electoral Boundaries Commission, 2017 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Il s’agit d’un renvoi. La Cour a demandé 1) si l’abolition, en 2012, des anciennes circonscriptions électorales provinciales de Clare, d’Argyle et de Richmond portait atteinte à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l’affirmative, 2) si l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[2] Les circonscriptions électorales devraient refléter une [traduction] « représentation effective ». Il s’agit d’un droit constitutionnel garanti aux citoyens par l’article 3 de la Charte. Il ne s’agit pas d’une option stratégique dont dispose le gouvernement. Dans le présent renvoi, l’analyse porte sur les normes qui régissent la mise en œuvre du principe constitutionnel de la représentation effective.

[3] La représentation effective découle d’une mise en équilibre des critères, qui sont définis de façon large par la Cour suprême du Canada et qui sont tirés de l’article 3. L’équilibre est appliqué aux circonstances de la carte électorale. Il s’agit d’une enquête normative et contextuelle dont le résultat pourrait être subjectif. Un observateur raisonnable pourrait être en désaccord. Il est donc essentiel d’identifier la personne qui est chargée de l’enquête.

[…]

[19] La portée « démocratique » de l’article 3 ne se limite pas au bureau de scrutin. L’interprétation téléologique faite par les tribunaux de l’article 3 a eu très tôt une incidence sur les limites des circonscriptions électorales. Il y a eu d’abord la décision rendue par la juge en McLachlin, qui siégeait alors à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, dans l’arrêt Dixon c. British Columbia (Attorney General) (1989), 1989 CanLII 248 (CS de la C.‑B.), 59 D.L.R. (4th) 247. Il y a ensuite eu l’arrêt Circ. électorales provinciales (Sask.), 1991 CanLII 61 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 158 (communément appelé « Carter »), qui a infirmé (1991), 1991 CanLII 8030 (CA Sask.), 78 D.L.R. (4th) 449 (CA Sask.), sur le renvoi concernant le renvoi du gouvernement de la Saskatchewan concernant les limites des circonscriptions électorales.

[…]

[49] L’annexe G du rapport intérimaire expliquait le raisonnement qui a amené la Commission [de délimitation des circonscriptions électorales] à recommander le maintien des circonscriptions protégées d’Argyle, de Clare et de Richmond (afin de favoriser la représentation acadienne) ainsi que celle de Preston (afin de favoriser la représentaation afro‑néo‑écossaise). La Commission a appliqué sa conception du principe énoncé dans l’arrêt Carter aux circonstances qui sont devenues évidentes lors des audiences de la Commission :

Annexe G : Maintenir les « circonscriptions protégées »

Le Canada est reconnu à l’échelle mondiale pour sa reconnaissance et son respect des droits des minorités au sein de ses institutions démocratiques et parlementaires. En effet, selon la Cour suprême, il s’agit de l’une des caractéristiques de l’ordre constitutionnel canadien (voir le Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998). La Nouvelle‑Écosse possède un historique relativement récent en matière de reconnaissance et de respect de ses collectivités distinctes acadienne et afro‑néo‑écossaise. Depuis 1991, la province de la Nouvelle‑Écosse a fait cela en étendant une « protection » spéciale à quatre circonscriptions électorales. [] La création et le maintien de ces circonscriptions électorales représentent un choix – reconnu ou non – quant à la meilleure façon de représenter un groupe minoritaire. Pour assurer une « représentation effective » à l’assemblée législative pour tous les Néo‑Écossais (un droit qui leur est accordé par la Constitution et l’objectif principal du redécoupage de la carte électorale) il faut que la parité relative du pouvoir électoral soit mise en balance avec d’autres considérations, et que l’équilibre atteint variera en fonction d’un certain nombre de facteurs et de circonstances. Dans le jugement de la Commission, conserver les quatre circonscriptions protégées pour les Acadiens et les Afro‑Néo‑Écossais continue d’être l’équilibre approprié entre la parité relative des électeurs et d’autres considérations afin de mieux assurer que ces groupes reçoivent une représentation effective au sein de l’assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse.

Les circonscriptions protégées de la Nouvelle‑Écosse ont été ainsi désignées parce qu’elles ont une importance historique spéciale pour la province, ainsi qu’une importance significative pour les minorités acadienne et afro‑néo‑écossaise dont la représentation politique au sein de l’assemblée législative doit être protégée. Trois des quatre circonscriptions possèdent une population acadienne majoritaire ou nombreuse : Clare, Argyle et Richmond. La quatrième circonscription est celle de Preston, où les Afro‑Néo‑Écossais constituent une composante importante des électeurs. La protection spéciale a été accordée afin d’éviter la dilution politique inévitable de ces collectivités minoritaires au sein de la majorité environnante (même si leur nombre total à l’échelle provinciale justifierait autrement une représentation proportionnelle au sein de l’assemblée législative). Bien que ce type d’accommodement des groupes minoritaires pose problème (voir plus bas), il demeure important aussi bien sur le plan politique que culturel car il reconnaît la place unique que ces groupes minoritaires occupent dans l’histoire de la province et sa diversité culturelle actuelle et le rôle qu’elles y jouent.

Tout comme les Mi’kmaq, les collectivités acadienne et afro‑néo‑écossaise ont un caractère culturel unique et un fondement territorial en Nouvelle‑Écosse qui soutient l’argument selon lequel il faut maintenir une forme de « statut spécial » au sein du processus de redécoupage des circonscriptions électorales. Ce statut découle du fait qu’elles constituent des collectivités culturelles minoritaires qui sont propres à la Nouvelle‑Écosse; on peut également dire qu’elles possèdent des « territoires » dans la province qui ont été occupés de façon continue depuis des centaines d’années. Leur caractère unique découle de la longue évolution des minorités ethno‑linguistiques (Acadiens) ou raciales (Afro‑Néo‑Écossais) au sein d’une majorité de langue anglaise principalement de descendance britannique, mais aussi, ce qui est tout aussi important, de leurs cultures autochtones uniques qui ont évoluées au cours des siècles d’isolement (en raison de l’éloignement rural et/ou de l’exclusion sociale) comme collectivités cohérentes. En bref, ces cultures minoritaires sont toutes deux néo‑écossaises de façon différente et profondément enracinées dans des collectivités territoriales au sein de la province.

[]

En effet, les représentants élus des circonscriptions protégées en Nouvelle‑Écosse ont pour mission de jouer un double rôle à l’intérieur et à l’extérieur de l’assemblée législative : ils ont le devoir de représenter les circonscriptions comme les autres membres de l’assemblée législative, mais ils agissent aussi comme représentants politiques de la communauté culturelle élargie qu’ils représentent. Par conséquent, les Acadiens de l’ensemble de la province, qu’ils habitent ou non dans les trois circonscriptions protégées dépendent de celles‑ci et des représentants élus qu’ils envoient à l’assemblée législative pour qu’ils jouent un rôle important dans la protection des intérêts et des identités liées à la langue, à la culture, ainsi qu’à la tradition acadiennes. Il en va de même pour la circonscription de Preston qui, qu’elle élise ou non un Afro‑Néo‑Écossais à l’assemblée législative (un résultat qui dépend en grande partie des décisions prises par les partis politiques dans le cadre de leur processus de sélection de candidats), s’attend toujours à ce que son député élu joue ce double rôle – une mission qu’ils sont capables de réaliser grâce à la forte présence des électeurs afro‑néo‑écossais dans les limites de la circonscription protégée de Preston (il convient de souligner que cela correspond à la définition politique classique d’une circonscription d’influence, où les candidats politiques doivent solliciter l’appui d’un groupe minoritaire afin d’être élus, même si l’importance de l’influence minoritaire variera selon la situation locale et d’une élection à une autre). Il s’agit d’un élément additionnel à prendre en considération. Ceci revêt l’importance de la reconnaissance symbolique des collectivités minoritaires. Une telle reconnaissance constitue un message positif de reconnaissance de la part de la majorité à l’intention des minorités quant à leur importance historique et quant à leur caractère distinctif continu. La révocation du statut protégé des quatre circonscriptions désignées éliminerait cette reconnaissance; elle enverrait un message négatif clair au sujet de leur place et de leur statut au sein de la vaste collectivité provinciale.

[] La protection offerte aux trois circonscriptions acadiennes devrait être perçue comme une mesure supplémentaire visant à reconnaître et à protéger la minorité francophone de la province mais, au‑delà de ça, les collectivités acadiennes et indigènes particulières d’où provient la vaste majorité de la population francophone de la Nouvelle‑Écosse. La Constitution reconnaît aussi explicitement – au paragraphe 15(2) qui protège la constitutionnalité des programmes de promotion sociale – que l’égalité des minorités doit être perçue comme autre chose qu’une « uniformité » de traitement; une différence de traitement est parfois nécessaire pour atteindre une forme d’égalité qui correspond plus étroitement à l’équité à l’égard des minorités, particulièrement celles qui ont historiquement fait l’objet de discrimination. Enfin, ce qui est directement pertinent quant au processus de redécoupage des circonscriptions électorales, la Cour suprême dans le Renvoi relatif aux circonscriptions électorales provinciales (1991) a conclu que le droit de vote garanti à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés n’inclut pas le droit que les votes aient le même « poids », c’est‑à‑dire que les circonscriptions doivent être de la même taille sur le plan de la population.

[…]

[52] Le 14 juin 2012, le procureur général, M. Landry, a écrit au président de la Commission. Dans sa lettre, M. Landry déclarait que le rapport intérimaire était « nul et sans effet », parce qu’il ne respectait pas le mandat et il enjoignait la Commission à remplacer le rapport en question par un autre rapport intérimaire :

[…]

[65] Il n’y a aucun chemin direct vers la représentation effective. Selon la juge McLachlin, la question « comprend plusieurs facteurs » :

[…]

[66] On s’attend à ce que l’organe qui détermine ou qui recommande les limites établisse un équilibre entre ces facteurs. La représentation efficace met en balance le principe de la parité des électeurs et les critères faisant contrepoids. Parmi les critères faisant contrepoids on compte la représentation des minorités et l’identité culturelle et de groupe. […]

[79] D’après le texte du premier rapport intérimaire de la Commission, il semble que sans la lettre du 14 juin 2012 du procureur général, la Commission aurait conclu que les critères énoncés dans l’arrêt Carter de représentation des minorités et d’identité culturelle et de groupe, soutenaient un écart plus marqué pour les circonscriptions acadiennes (précité, aux paragraphes 47 à 49). L’intervention du procureur général a forcé la Commission à signer un rapport final comprenant des limites des circonscriptions électorales qui, à cet égard, ne représentaient pas la perception authentique de la Commission à l’égard de la représentation effective selon les critères constitutionnels.

[…]

[89] La Commission n’est pas seulement un mandataire du gouvernement qui suit les ordres de son mandant. Elle tire également directement de l’article 3 de la Charte le pouvoir de mettre en œuvre les principes constitutionnels de représentation effective. La représentation effective n’est pas une faveur découlant de la générosité du gouvernement. L’article 3 énonce un « droit démocratique » enchâssé qui est garanti aux citoyens et qui est intouchable, même par la dérogation législative prévue à l’article 33.

[…]

[133] L’article 3 exige que les limites des circonscriptions électorales reflètent une représentation effective. La mise en œuvre comporte l’établissement d’un équilibre entre la parité électorale et les critères opposés. Les critères opposés applicables varient selon les circonstances. Pour les circonscriptions de Clare, d’Argyle et de Richmond, les critères qui ont été soulignés dans l’arrêt Carter et dont on doit raisonnablement prendre en considération comprennent la représentation des minorités et l’identité culturelle.

[…]

[135] Nous n’affirmons pas que l’article 3 de la Charte exige que les circonscriptions de Clare, d’Argyle et de Richmond soient protégées. L’article 3 prévoit plutôt que l’organe qui est autorisé par la loi à établir les circonscriptions électorales doit pouvoir établir un équilibre entre les critères constitutionnels tels qu’établis par la majorité dans la décision Carter, et exprimer son point de vue relativement à l’affaire en question.

[136] L’intervention du procureur général du 14 juin 2012 a empêché la Commission d’établir un équilibre, et d’exprimer son point de vue réel quant à la représentation effective des électeurs dans les circonscriptions de Clare, d’Argyle et de Richmond. Par conséquent, l’intervention du procureur général a porté atteinte aux préceptes de l’article 3 de la Charte. L’atteinte 1) a mené directement à la recommandation du rapport final qui consiste à éliminer les circonscriptions protégées qui, elle, 2) a mené directement à leur abolition (pour citer le libellé de la question no 1 visée par le Renvoi) « l’article 1 du chapitre 61 des Acts of Nova Scotia 2012 [] en vertu duquel les recommandations formulées par la Commission de délimitation des circonscriptions électorales dans son rapport final [] à l’assemblée législative ont été adoptées » .

Daoust c. Directeur général des élections du Québec, 2011 QCCA 1634 (CanLII)

[37] Le juge de première instance a conclu que la Loi électorale [québécoise] ne contrevient ni à l’article 3 de la Charte canadienne ni à l’article 22 de la Charte québécoise, pas plus que la preuve n’établit de violation du droit à l’égalité consacré par l’article 15 de la Charte canadienne et l’article 10 de la Charte québécoise. Je suis du même avis. Voici pourquoi.

[…]

[39] Sans entrer dans tous les détails, la carte électorale du Québec est, aujourd’hui, divisée, en vertu de la Loi électorale, en circonscriptions, lesquelles sont délimitées en tenant compte de l'égalité de vote des électeurs, mais en prenant également en compte des considérations d'ordre démographique, géographique et sociologique. Sous réserve d'exceptions, l'article 16 de la Loi électorale stipule qu'il ne peut y avoir de différence entre le nombre d'électeurs dans chaque circonscription qui dépasse 25 % du quotient obtenu par la division du nombre total d'électeurs par le nombre de circonscriptions. Le candidat d'une circonscription ayant remporté le plus grand nombre de votes est élu député.

[…]

[44] Tout système électoral doit donc conférer ou assurer à l’électorat un degré de représentation minimal, mais significatif, pour être valide. Les appelants soutiennent que le mode de scrutin en vigueur ne satisfait pas cette exigence. Ils relèvent les écarts qui peuvent parfois exister entre le pourcentage de votes obtenus et le nombre de députés élus. Ils considèrent, à l’instar des intervenants, que le mode de scrutin actuel crée des distorsions importantes qui affectent le caractère représentatif de l’électorat. Les minorités, notamment les anglophones du « West Island », seraient, selon les appelants, sous-représentées à l’Assemblée nationale. Le système actuel favoriserait l’élection de gouvernements majoritaires et jouerait contre les partis minoritaires.

[…]

[50] La preuve, particulièrement le témoignage de l’expert Leslie Seidle retenu par le juge, permet de conclure que le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour actuellement en vigueur au Québec respecte le droit à une représentation effective des électeurs, y compris des minorités identifiés par les appelants.

[…]

[56] À partir du moment où il y a représentation effective des citoyens, ce qui implique la possibilité que chaque électeur puisse exercer son droit de vote périodiquement, librement et secrètement, être candidat aux élections, voter pour le parti de son choix, s'exprimer sur la place publique, le droit de vote consacré à l'article 3 de la Charte canadienne et à l’article 22 de la Charte québécoise est respecté. C’est le cas en l’espèce.

City of Yellowknife et al c. Commissioner of NWT et al, 2015 NWTSC 51 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[47] Le rapport final [de la Commission sur la délimitation des circonscriptions électorales] est très catégorique quant aux défis auxquels est confrontée la Commission pour ce qui est d’atteindre une parité relative tout en tenant compte des autres questions légitimes, et des préoccupations qui ont été soulevées :

Il est évident que la parité électorale absolue entre les circonscriptions électorales est impossible à atteindre. De plus, il est extrêmement difficile de formuler une recommandation qui ferait en sorte que toutes les circonscriptions électorales aient une différence de plus ou moins 25 p. 100 quant au nombre d’électeurs. Pour ce faire, il faudrait apporter des changements radicaux aux circonscriptions électorales qui ne tiendraient pas suffisamment compte de la configuration historique des circonscriptions, de la langue, de la culture, de la géographie, des revendications territoriales ou des ententes sur l’autonomie gouvernementale.

Nous sommes également d’avis que le statu quo est inacceptable et que des changements doivent être envisagés. Certaines iniquités entre les circonscriptions sont importantes et se sont accrues au fil du temps. Le concept de représentation effective exige que l’on tente de réduire ces iniquités autant que possible.

Il semble clair que la question du nombre de circonscriptions électorales à Yellowknife, par rapport à d’autre endroits dans les Territoires du Nord‑Ouest, ne peut être réglée d’une manière qui répond aux préoccupations de chacun. Nous ne croyons pas que la représentation effective exige que le nombre de circonscriptions électorales à Yellowknife corresponde parfaitement à la proportion de la population territoriale de Yellowknife. Par contre, la situation à Yellowknife ne peut pas être ignorée et, si des circonscriptions électorales additionnelles sont envisagées, l’une d’entre elles devrait être allouée à Yellowknife.

Ibid., page 15.

[48] Les demandeurs allèguent que même si la question de la sous‑représentation des circonscriptions de Yellowknife était reconnue, rien dans le rapport final n’explique pourquoi ce problème ne pouvait pas être atténué. Je ne suis pas d’accord.  Le rapport fait référence aux autres questions à prendre en considération qui ont été prises en compte dans l’analyse. Dans l’extrait cité plus haut au paragraphe 47, la Commission renvoie directement aux défis auxquels elle était confrontée, ainsi qu’au besoin de tenir compte de facteurs tels que la configuration historique des districts, la langue, la culture, la géographie, les revendications territoriales et les ententes sur l’autonomie gouvernementale.

[49] Ces préoccupations correspondent de très près aux réalités citées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renvoi : Circ. électorales provinciales (Sask.) lorsqu’elle a fait allusion aux situations où mettre l’accent sur la parité des électeurs peut nuire à l’objectif de représentation effective :

(...) la représentation effective et la bonne administration dans ce pays obligent ceux qui sont chargés de fixer les limites des circonscriptions électorales à tenir parfois compte d'autres facteurs que la parité du nombre des électeurs, tels les conditions géographiques et les intérêts de la collectivité.  La difficulté qu'il y a à représenter de vastes territoires à faible densité de population, par exemple, peut dicter un nombre d'électeurs quelque peu inférieur dans ces districts; en insistant sur la parité des nombres, on pourrait priver des citoyens, ayant des intérêts distincts, d'une voix effective au sein du processus législatif aussi bien que d'une aide réelle de la part de leurs représentants dans leur rôle d'"ombudsman".  Ce n'est là qu'un des nombreux facteurs susceptibles de commander une dérogation à la règle "une personne, une voix" dans l'intérêt d'une représentation effective.

Renvoi : Circ. électorales provinciales (Sask.), précité, p. 188.

[50] Il est difficile d’imaginer une juridiction où ces points à prendre en considération auraient un plus grand écho que dans les Territoires du Nord‑Ouest. Cette juridiction couvre une vaste région géographique. Bon nombre de ses collectivités sont privées d’accès routier une partie de l’année. Le transport aérien est extrêmement cher. Le territoire compte onze langues officielles, dont neuf langues autochtones. Loi sur les langues officielles, L.R.T.N.‑O. 1988, ch. O‑1. Certains groupes autochtones ont réglé des revendications territoriales et les bénéficiaires sont répartis dans plusieurs collectivités. D’autres groupes n’ont pas réglé leurs revendications territoriales mais ont une communauté d’intérêts. Ce sont tous des facteurs qui ont une incidence sur la manière dont les citoyens de ces territoires peuvent atteindre une représentation effective à l’assemblée législative.

[…]

[54] La délimitation des circonscriptions électorales constitue toujours un exercice complexe; cependant, dans le contexte de cette juridiction, la délimitation est particulièrement difficile à faire. Les circonscriptions ne sont pas divisées conformément aux limites de « circonscriptions urbaines » et de « circonscriptions rurales ». Tel qu’il a déjà été mentionné, une multitude de variables doivent être prises en compte afin d’assurer une représentation effective.

[…]

[58] Tel qu’indiqué plus haut, les Territoires du Nord‑Ouest possèdent des caractéristiques uniques, ce qui pose particulièrement problème en ce qui concerne la délimitation des circonscriptions électorales. Des personnes raisonnables peuvent ne pas s’entendre sur la manière dont ces problèmes pourraient être résolus. En soupesant les nombreux facteurs qui devaient être pris en compte, notamment les chiffres, l’assemblée législative pourrait bien avoir pris une décision différente quant au meilleur moyen de régler ces problèmes difficiles, et délimiter différemment les circonscriptions électorales. Cependant, dire qu’une décision différente aurait été prise n’a aucune commune mesure avec le fait d’affirmer que la décision n’aurait pas pu avoir été prise par des personnes raisonnables, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

Judicial Recount Arising out of the 41st General Election in the Electoral District of Etobicoke-Centre (Re), 2011 CanLII 36068 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[36] Certains bulletins de vote doivent être rejetés en raison des dispositions législatives. Ces bulletins de vote peuvent être catégorisés de la manière suivante :

[…]

2. Lorque le « X » n’apparaît pas dans le cercle

L’alinéa 284(1)b) de la Loi [électorale du Canada] prévoit que, pour qu’un bulletin soit valide, une marque doit se trouver à droite des noms des candidats. Par conséquent, si le « X » ne se trouve pas dans le cercle, le bulletin de vote n’est pas valide.

L’avocat de Borys Wrzesnewskyj a fait valoir que le terme « shall » qui figure dans la version anglaise à l’alinéa 284(1)b) de la Loi ne devrait pas être interprété comme ayant un caractère impératif, mais plutôt comme ayant un caractère facultatif, ce qui signifie que les bulletins qui portent une marque située à l’extérieur du cercle se trouvant à droite des noms des candidats peuvent encore être valides tant que l’intention de l’électeur est claire.

L’avocat a fait valoir que l’interprétation du terme « shall » (dans la version anglaise) comme ayant un caractère impératif est fondée sur une jurisprudence qui date d’avant la Charte et celle‑ci n’a pas pris en considération l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada R.U.), 1982, ch. 11 (la « Charte »). Afin que l’alinéa 284(1)b) soit conforme à l’article 3 de la Charte, le terme « shall » doit être interprété comme ayant un caractère facultatif. Sinon, les électeurs qui inscriront une marque à l’extérieur du cercle seront privés de leurs droits, et un tel résultat n’est pas conforme aux droits qui leur sont garantis par l’article 3.

L’avocat de M. Wrzesnewskyj a allégué qu’un certain nombre de résidents de la circonscription électorale Etobicoke‑Centre n’ont pas l’anglais comme langue maternelle. L’avocat a fait valoir que les personnes qui ne comprennent peut‑être pas l’anglais pourraient avoir de la difficulté à comprendre les instructions quant à l’endroit où il faut inscrire son vote sur le bulletin et, par conséquent, pourraient inscrire leur vote à l’extérieur du cercle. L’interprétation du terme « shall » qui figure à l’alinéa 284(1)b) comme ayant un caractère impératif priverait ces personnes de droits. L’avocat a aussi fait référence à la législation du Manitoba qui permet que les marques situées à l’extérieur du cercle soient considérées comme des votes valides et les décisions Chrol c. Winnipeg (City), 2007 MBQB 16 (CanLII), [2007] M.J. No 22 appuient cet argument.

[…]

L’avocat de Ted Opitz a fait valoir que le terme « shall » qui figure à l’alinéa 284(1)b) devrait être interprété conformément à la Loi d’interprétation du Canada, L.R.C. 1985, ch. I‑21, article 11 (la « Loi d’interprétation ») qui énonce ce qui suit :

L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions.

L’avocat a fait valoir que la Cour doit interpréter l’alinéa 284(1(b) conformément à l’interprétation faite par des tribunaux ontariens au cours des dernières années, lesquels ont appliqué « shall » de façon impérative, et que la jurisprudence du Manitoba présentée par le demandeur n’est pas pertinente en l’espèce, puisque la législation du Manitoba concernant cette question diffère des dispositions de la Loi électorale du Canada. Il allègue que la Charte  n’annulle pas le libellé clair de la loi, et que la Cour doit appliquer l’alinéa 248(1)b) tel qu’il est écrit.

Je suis d’avis que le terme « shall » qui figure à l’alinéa 284(1)b) doit être interprété comme ayant un caractère impératif. La jurisprudence de l’Ontario et d’autres provinces a conclu de façon systématique que l’alinéa 248(1)b) exige qu’un bulletin de vote qui porte une marque à l’extérieur de l’un des cercles soit invalide. La Cour suprême du Canada a conclu ce qui suit dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S 1038, à la page 1078 :

Or, quoique cette Cour ne doive pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte, elle ne doit pas par ailleurs interpréter une disposition législative, susceptible de plus d'une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante. 

L’alinéa 284(1)b) ne se prête pas à plus d’une interprétation. L’article énonce clairement que les bulletins qui portent des marques à l’extérieur de l’un des cercles doivent être rejetés. Le législateur a déterminé sans ambiguïté que le terme « shall » doit être interprété comme ayant un caractère impératif. Par conséquent, l’alinéa 284(1)b) doit être interprété comme ayant un caractère impératif. Il n’incombe pas à la Cour d’ajouter ou de supprimer quoi que ce soit dans une loi lorsque les dispositions ne sont pas ambiguës. De plus, l’alinéa 284(1)b) n’est peut‑être pas incompatible aux droits prévus à l’article 3 de la Charte. Afin de déterminer si le libellé de l’alinéa 284(1)b) porte atteinte à l’article 3, une analyse complète de la Charte devrait être effectuée. Aucune demande visant à contester la constitutionnalité de l’alinéa 284(1)b) n’a été présentée à la Cour en l’espèce, et il convient d’aviser le procureur général avant de présenter une telle demande. Par conséquent, je suis d’avis que l’argument doit être rejeté, et que les bulletins qui portent des marques à l’extérieur du cercle sont invalides.

Raîche c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.F. 93, 2004 CF 679 (CanLII)

[28] Dans l'arrêt Renvoi: Circ. électorales provinciales (Sask.) la Cour suprême du Canada à examiné les principes de l'article 3 de la Charte. Le juge McLachlin (telle qu'elle était à l'époque), écrivant pour la majorité, a conclu que l'objet du droit de vote garanti à l'article 3 de la Charte est le droit à une représentation effective, et non seulement la parité du pouvoir électoral.

[…]

[30] Donc, la parité relative du pouvoir électoral est la condition première pour assurer une représentation effective, mais, d'autres facteurs, par exemple les caractéristiques géographiques, l'histoire, les intérêts de la collectivité et la représentation des groupes minoritaires, devaient être considérés et ils pourraient justifier une dérogation à l'égalité absolue des votes.

[…]

[33] En l'espèce, les demandeurs ont déposé de la preuve pour montrer qu'il existe une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst. Ils ont déposé sept affidavits des résidents de l'ancienne circonscription d'Acadie-Bathurst. Tous les sept attestent qu'il y a de forts liens linguistiques, historiques, sociaux et administratifs en Acadie-Bathurst, et très peu de liens entre les collectivités de l'ancienne circonscription Acadie-Bathurst et celles de Miramichi. Ainsi, à titre d'exemple, Carmel Raîche, une résidente d'Allardville et Ian Oliver, un résident de South Tetagouche, notent dans leurs affidavits qu'eux-mêmes, comme la population d'Allardville et South Tetagouche, étudient, font des achats, utilisent l'hôpital et fréquentent les centres de récréation dans la région de Bathurst et non pas à Mira. Finalement, la Cour estime que le témoignage des témoins des demandeurs est très important. La région a parlé d'une voix unie. Des représentants des associations, des maires des différentes villes, et le député d'Acadie-Bathurst ont déposé des affidavits et on fait des représentations devant la Commission. Une pétition, signée par plus de 2 000 personnes a été présentée à la Commission.

[…]

[47] Les gens expliquent que la région est unique. Elle a, d'après un intervenant, la plus grande concentration d'Acadiens au Canada. Pendant les audiences, plusieurs intervenants ont parlé de l'importance d'avoir une voix acadienne forte, et ont rappelé aux membres de la Commission les torts historiques causés aux Acadiens. La Cour estime, tenant compte de la preuve dans son ensemble, qu'il y a une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst.

[48] La Commission en est d'ailleurs arrivée à la même conclusion. Elle a accepté qu'il y avait une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst, et elle était aussi consciente que la parité du pouvoir électoral n'est pas le seul critère à évaluer en redécoupant des circonscriptions électorales. Toutefois, et elle a décidé qu'un écart de -21 % était tout simplement trop grand, et malgré l'existence d'une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst, il était nécessaire de réduire l'écart de Miramichi par rapport au quotient électoral. Par conséquent, elle a transféré la paroisse d'Allardville et une partie des paroisses de Saumarez et de Bathurst à la circonscription de Miramichi.

[49] Vu que le critère primordial pour déterminer si une population jouit d'une représentation effective est l'égalité des suffrages, et vu qu'une commission n'enfreint l'article 3 de la Charte que si « des personnes raisonnables, appliquant les principes appropriés, n'auraient pas pu tracer les limites existantes des circonscriptions » la Cour conclut que la Commission n'a pas enfreint l'article 3 de la Charte quand elle a décidé de transférer des paroisses d'Acadie-Bathurst à Miramichi.

[50] Cette décision est raisonnable, et par conséquent, la Commission n'a pas enfreint l'article 3 de la Charte.

Friends of Democracy c. Northwest Territories (Commissioner), 1999 CanLII 4256 (NWT SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[10] Il s’ensuit que le droit de vote garanti par l’article 3 de la Charte représente plus que le simple droit d’être inscrit comme électeur et de remplir un bulletin de vote le jour de l’élection. Dans le passé, des résidents des Territoires du Nord‑Ouest se sont vu refuser le droit de voter aux élections à la Chambre des communes et aux élections à l’Assemblée législative des Territoires du Nord‑Ouest. Ces refus de droit de vote ont depuis longtemps été corrigés par le législateur. Les Canadiens, par l’entremise du Parlement et de leurs assemblées législatives provinciales et territoriales, ont choisi de tolérer un certain degré de surreprésentation des régions peu populeuses  et des régions relativement éloignées plutôt qu’un refus complet de représentation législative de la part de ces régions. La présente demande ne vise  pas non plus l’abolition ou la réduction de la surreprésentation au sein des Territoires du Nord‑Ouest.

[11] La question dont la Cour est plutôt saisie en l’espèce est de savoir si la sous‑représentation des électeurs à Yellowknife, lors des élections à l’assemblée législative, viole l’article 3 de la Charte. Des circonscriptions électorales additionnelles devraient‑elles y être créées afin de corriger cette sous‑représentation et répondre aux normes établies en raison de cette exigence importante et primordiale de la Constitution du Canada?

[…]

[18] En tenant compte des facteurs de la géographie, de l’histoire et des intérêts communautaires, des différences linguistiques, des difficultés de communication avec les collectivités éloignées, et de la représentation des minorités, sans oublier les difficultés habituelles et les dépenses de déplacement entre le siège du gouvernement à Yellowknife et les diverses collectivités à l’extérieur de Yellowknife, je suis convaincu qu’il y a probablement une justification au regard de l’article 3 de la Charte à la surreprésentation actuelle des circonscriptions où les variations de pourcentage de la population se situent en-dessous de la moyenne. D’autre part, je ne peux pas trouver de justification semblable quant à l’énorme sous‑représentation des autres circonscriptions où les variations sont nettement (25 p. 100 ou plus) supérieures à la moyenne. Cette énorme sous‑représentation en l’absence d’une justification adéquate doit constituer une violation manifeste de l’article 3 de la Charte.

[…]

[24] Compte tenu du fait que le droit de vote prévu à l’article 3 de la Charte constitue un droit conféré par la citoyenneté pouvant être exercé par toutes les personnes habilitées à exercer ce droit, il est clair que ni l’existence ni l’exercice de ce droit ne doit dépendre de l’autorisation, ou de l’approbation d’un  gouvernement ou d’une autre autorité exécutive, que ce soit en lien avec la négociation ou la jouissanse de revendications territoriales autochtones ou de droits issus de traité. De plus, dans la mesure où les droits de vote dépendent de la loi ou ne peuvent être exercés qu’en fonction de celle‑ci, cette loi ne doit pas violer la loi suprême, à savoir la Constitution du Canada, tel que défini par l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

(2) La Constitution du Canada comprend :

a)  la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi; 

b)  les textes législatifs et les décrets figurant à l'annexe; 

c)  les modifications des textes législatifs et des décrets mentionnés aux alinéas a) ou b). 

(3) La Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément aux pouvoirs conférés par elle.

[25] Tel que ce qui précède vise à démontrer, je ne suis toujours pas convaincu que l’article 3 de la Charte doit, en quelque sorte être interprété selon l’article 25 de la Charte ou l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, du moins en l’espèce, compte tenu de la preuve dont est saisie la Cour dans la présente demande. Il  est tout à fait inacceptable qu’un tel droit fondamental conféré par la citoyenneté, comme celui reconnu et garanti à l’article 3 de la Charte (et, par conséquent, la Constitution du Canada) soit suspendu et, par conséquent, ne soit pas exerçable lors des négociations gouvernementales à l’égard de l’autonomie gouvernementale future de groupes autochtones ou d’autres groupes qui pourraient durer des décennies.

[…]

[38] Comme me l’a rappelé l’avocat du défendeur, la Cour, dans la décision Morin c. Northwest Territories (Conflict of Interest Commissioner) (1999) N.W.T.J. No 5 (dossier CV 07975) a conclu que l’Assemblée législative des Territoires du Nord‑Ouest est une assemblée législative dans le plein sens du mot, même si elle n’a pas encore le pouvoir de modifier sa propre constitution, sauf dans la mesure permise par la Loi sur les Territoires du Nord‑Ouest. Cela dit, il est évident que le droit de vote prévu à l’article 3 de la Charte s’étend au vote lors des élections à cette assemblée législative ainsi qu’aux assemblées législatives provinciales dans l’ensemble du Canada. La situation dans les Territoires du Nord‑Ouest est différente à certains égards de la situation dans les provinces, mais les mêmes principes constitutionnels s’appliquent. Les citoyens canadiens de ces territoires possèdent les mêmes droits prévus à l’article 3 de la Charte que les citoyens canadiens des autres provinces.

 

Garanties juridiques (articles 7 à 14)

7. Vie, liberté et sécurité

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[41] Une autre considération importante dans l’interprétation des « meilleurs intérêts de la justice » tient au fait que les droits linguistiques sont totalement distincts de l’équité du procès.  […]

Le droit à une défense pleine et entière est lié aux aptitudes linguistiques uniquement en ce que l’accusé doit être en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre.  Toutefois, ce droit est déjà garanti par l’art. 14 de la Charte, une disposition qui prévoit le droit à l’assistance d’un interprète.  Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas des membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues.  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts.  Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais. Notre Cour a déjà tenté d’éliminer cette confusion à plusieurs occasions.  Ainsi, dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, précité, le juge Beetz dit, aux pp. 500 et 501:

Ce serait une erreur que de rattacher les exigences de la justice naturelle aux droits linguistiques [. . .] ou vice versa, ou de relier un genre de droit à un autre [. . .] Ces deux genres de droits sont différents sur le plan des concepts. [. . .] Les lier, c’est risquer de les dénaturer tous les deux, plutôt que de les renforcer l’un et l’autre.

Je réaffirme cette conclusion dans l’espoir de mettre fin à cette confusion.  L’équité du procès n’est pas une considération à ce stade, et n’est certainement pas un critère qui, s’il y est satisfait, permettra de priver l’accusé des droits linguistiques que lui confère l’art. 530.

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

[38] L'interprétation large de l'art. 14 peut également se justifier par la Charte elle‑même.  Notre Cour a déjà indiqué que les dispositions de la Charte doivent s'interpréter non pas isolément, mais plutôt l'une en fonction de l'autre: voir, par ex., R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588, les juges Wilson et La Forest, Dubois c. La Reine, 1985 CanLII 10 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 350, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), et Law Society of Upper Canada c. Skapinker, 1984 CanLII 3 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 357.  Notre Cour a déjà fait observer que l'art. 7 de la Charte est une expression générale des garanties juridiques contenues aux art. 8 à 14 de la Charte: Renvoi:  Motor Vehicle Act de la C.‑B., 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), à la p. 502.  Il n'est donc pas surprenant que l'art. 14 soit étroitement lié à l'art. 7 et aux autres « garanties juridiques » offertes par la Charte.  En fait, je dirais que le droit à l'assistance d'un interprète garanti par l'art. 14 est un moyen d'assurer que les procédures criminelles respectent la garantie constitutionnelle d'un procès public et équitable prévue à l'al. 11d) de la Charte.  En même temps, la force de l'art. 14 peut être saisie en partie sous l'angle non seulement du droit de présenter une défense pleine et entière, mais encore du droit à la divulgation complète de la preuve à laquelle il faut répondre avant de présenter sa défense, ces deux droits étant garantis par les art. 7 et 11 de la Charte.  En réalité, le lien étroit qui existe entre l'art. 14 et ces autres garanties de la Charte laisse entendre que le droit à l'assistance d'un interprète dans le contexte criminel devrait être considéré comme un « principe de justice fondamentale » au sens de l'art. 7 de la Charte.

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[114] Il va de soi que chacun jouit, en common law, du droit à un procès équitable, y compris le droit d'être informé de la preuve qui pèse contre lui, ainsi que le droit à une défense pleine et entière. Lorsque le défendeur ne comprend pas la procédure engagée contre lui, parce qu'il est incapable de comprendre la langue dans laquelle l'instance se déroule, ou parce qu'il est atteint de surdité, l'exercice effectif de ces droits peut fort bien imposer au tribunal une obligation corrélative de fournir une traduction appropriée. Mais le droit du défendeur de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d'y être compris est non pas un droit distinct, ni un droit linguistique, mais un aspect du droit à un procès équitable.

[115] Cependant, il devrait être tout à fait clair que ce droit à un procès équitable que reconnaît la common law, y compris le droit du défendeur de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d'y être compris, est un droit fondamental qui est profondément et fermement enraciné dans la structure même du système juridique canadien. C'est pourquoi certains aspects de ce droit sont enchâssés tout autant sous la forme de dispositions générales que sous celle de dispositions spécifiques dans la Charte, comme l'art. 7 relatif à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, et l'art. 14 portant sur l'assistance d'un interprète. Tandis que le Parlement ou la législature d'une province peut, conformément à l'art. 33 de la Charte, déclarer expressément qu'une loi ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'art. 2 ou des art. 7 à 15 de la Charte, il est presque inconcevable qu'ils supprimeraient complètement le droit fondamental lui‑même que reconnaît la common law, à supposer qu'ils pourraient le faire.

[116] Cela ne revient pas à placer les langues française et anglaise sur un pied d'égalité avec d'autres langues. Les langues française et anglaise sont non seulement placées sur un pied d'égalité, mais encore elles se voient conférer un statut privilégié par rapport à toutes les autres langues. Et cette égalité et ce statut privilégié sont tous les deux garantis par l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Sans la protection de cette disposition, il serait possible, par simple voie législative, d'accorder à l'une des deux langues officielles une certaine mesure de préférence comme on a tenté de le faire au chapitre III du titre premier de la Charte de la langue française, qui a été invalidé dans l'arrêt Blaikie no 1. L'unilinguisme français, l'unilinguisme anglais et, quant à cela, l'unilinguisme dans toute autre langue pourraient être aussi prescrits par simple voie législative. On peut donc constater que si l'art. 133 ne garantit qu'un minimum, ce minimum est loin d'être inconsistant.

[117] Ce serait une erreur que de rattacher les exigences de la justice naturelle aux droits linguistiques de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ou vice versa, ou de relier un genre de droit à un autre, sous le prétexte de renforcer l'un de ces droits ou les deux à la fois. Ces deux genres de droits sont différents sur le plan des concepts. Aussi, bien qu'ils jouissent d'une garantie constitutionnelle, les droits linguistiques comme ceux que protège l’art. 133 demeurent particuliers au Canada. Ils sont fondés sur un compromis politique plutôt que sur un principe et n'ont pas l'universalité, le caractère général et la fluidité des droits fondamentaux qui découlent des règles de la justice naturelle. Ils sont définis de manière plus précise et moins souple. Les lier, c'est risquer de les dénaturer tous les deux, plutôt que de les renforcer l'un et l'autre.

Yamba c. Canada (Minister of Justice), 2016 BCCA 219 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[22] La préoccupation de M. Yamba quant au fait que sa maîtrise limitée de l’anglais l’empêchera d’obtenir un procès équitable aux États‑Unis soulève la question de son droit de présenter une défense pleine et entière et fait intervenir les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte. Dans le contexte de l’extradition, ces principes reconnaissent la réalité selon laquelle il n’est pas injuste d’extrader une personne vers un État dont les procédures criminelles ne répondent pas aux exigences constitutionnelles du Canada. Dans de telles circonstances, la Cour suprême du Canada a conclu que la question adéquate à trancher « est de savoir si, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’extradition d’un fugitif en vue de son procès va à l’encontre des exigences fondamentales de la justice. » (Schmidt, à la page 523).

[23] Les exigences fondamentales de la justice incluent clairement le droit à un procès équitable. Afin de subir un procès équitable, un accusé doit comprendre ce qui se passe en cour. Dans l’arrêt R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, à la page 967, une affaire qui porte sur l’article 14 de la Charte, qui garantit le droit à l’assistance d’un interprète lors de toute instance, le juge en chef Lamer a déclaré ce qui suit :

Ce droit est un moyen d'assurer que les procédures soient équitables et conformes aux principes fondamentaux de justice naturelle.

[24] Le juge en chef Lamer a ensuite mentionné que l’assistance d’un interprète constitue une norme acceptée à l’échelle internationale pour faciliter le droit d’un accusé à un procès équitable. Après avoir fait référence au droit à l’assistance d’un interprète sans frais qui est garanti à un accusé, à la fois dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171 (alinéa 14(3)f)), et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 221 (alinéa 6(3)e)), le juge en chef a déclaré ce qui suit au sujet des États‑Unis (à la page 969) :

Bien que la Constitution des États-Unis soit dépourvue d'une disposition garantissant expressément le droit à l'assistance d'un interprète, les tribunaux américains ont conclu que ce droit existe implicitement en vertu du Cinquième amendement (le droit de ne pas être privé de liberté sans une procédure équitable), du Sixième amendement (le droit de l'accusé de confronter les témoins à charge et d'obtenir l'assistance d'un avocat) et du Quatorzième amendement (le droit de ne pas être privé de liberté par un État sans une procédure équitable), de même qu'en vertu des dispositions équivalentes que l'on trouve dans les Constitutions des États:  J. F. Rydstrom, « Right of Accused to Have Evidence or Court Proceedings Interpreted » (1971), 36 A.L.R.3d 276, Negron c. New York, 434 F.2d 386 (2nd Cir. 1970), et Valladares c. United States, 871 F.2d 1564 (11th Cir. 1989).

Voir également : R. c. Sidhu (2005), 2005 CanLII 42491 (CS Ont.), 203 C.C.C. (3d) 17 au paragraphe 276 (C.S.J. Ont.).

[25] À mon avis, il était raisonnable pour le ministre de conclure que l’assistance d’un interprète agréé répondrait aux préoccupations de M. Yamba relativement à l’équité du procès aux États‑Unis. Le recours à un interprète assurerait l’intégrité du processus de recherche des faits. Avec l’aide d’un interprète, M. Yamba sera capable de comprendre ce qui se passe en cour, de consulter un avocat et de lui donner des directives et, si M. Yamba choisit de le faire, de témoigner de manière utile.

R. c. Lapointe and Sicotte (1983), 9 C.C.C. (3d) 366 (CA ON) [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

[47] Rien de ce qui a été dit dans le présent jugement ne devrait être considéré comme un encouragement à la pratique suivie par la Police de la communauté urbaine de Toronto en l’espèce. Au contraire, la prise des déclarations des défendeurs en anglais sans exiger la présence d’un interprète a compromis sérieusement l’admissibilité des déclarations jugées importantes pour l’administration de la justice pénale. Dans chaque cas où des policiers interviennent auprès d’un suspect dont la langue maternelle est différente, tous les efforts doivent être faits afin d’obtenir les services d’un interprète qualifié. Idéalement, les policiers qui recueillent les déclarations devraient connaître la langue du suspect. Bien entendu, ce n’est pas toujours possible même au sein d’une société multiculturelle. Lorsqu’aucun policier parlant la langue du suspect n’est présent, il faut fournir l’assistance d’un interprète.

NOTA – Ce jugement a été entériné par la Cour suprême dans R. c. Lapointe et Sicotte, [1987] 1 R.C.S. 1253, 1987 CanLII 69 (CSC).

Cabral c. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 1040 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] Voici les points essentiels de la demande des demandeurs, tels qu’ils sont énoncés dans la déclaration modifiée :

a) Chaque demandeur a présenté une demande de résidence permanente en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , LC 2001, c 27 et de l’article 87.2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, dans la catégorie des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral) [CTMSF];

b) Même s’ils ont répondu à tous les autres critères exigés par la CTMSF pour l’obtention de la résidence permanente, chaque demandeur s’est vu refuser le statut de résident permanent parce qu’il ne répondait pas à l’exigence linguistique, ayant échoué au Système international de tests de la langue anglaise [IELTS] adopté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration;

c) Les demandeurs allèguent que l’IELTS est biaisé sur le plan culturel car il favorise l’« anglais britannique », plutôt que l’« anglais canadien » et requiert injustement une excellente connaissance de l’anglais;

d) Les demandeurs allèguent également que le ministre gère la CTMSF d’une manière qui favorise les ressortissants de pays anglophones et qui est discriminatoire envers les ressortissants qui, comme les demandeurs, proviennent de pays non anglophones;

e) Chaque demandeur, n’ayant pas répondu aux exigences prévues par l’IELTS, a demandé, conformément au paragraphe 87.2(4) du Règlement, que l’agent fasse une autre évaluation de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada;

f) Les demandeurs allèguent que l’agent a refusé d’examiner leurs demandes sur le fond en raison d’une directive ministérielle voulant qu’aucune demande de la CTMSF ne doit être examinée par un agent si l’exigence linguistique n’a pas été respectée;

g) Les demandeurs allèguent que la directive ministérielle est contraire au Règlement et est ultra vires;

h) Les demandeurs allèguent que la conduite des défendeurs constitue une violation de la loi, un méfait dans l’exercice d’une charge publique, un excès de compétence, un abus de procédure, de la mauvaise foi, et une atteinte aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11;

i) En raison du comportement fautif des défendeurs, les demandeurs ont subi des préjudices.

[…]

[89] À mon avis, les demandeurs n’ont pas démontré que l’IETLS est de quelque façon que ce soit « injuste » à leur endroit en raison de leur origine. Plus précisément, compte tenu des notes élevées obtenues par des  personnes provenant d’Italie, de Pologne et du Portugal, on ne peut pas dire que le test est discriminatoire envers les personnes provenant de pays non anglophones. Bien qu’il soit vrai que les candidats anglophones réussissent en plus grand nombre le test que les candidats non anglophones, cela n’est pas vraiment étonnant et, de surcroît, cela ne suffit pas pour établir qu’il existe un parti pris contre les candidats non anglophones.

R. c. Ibrahem, 2016 ONSC 3196 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[36] Monsieur Ibrahem est une personne dont la langue maternelle est autre que l’anglais, mais il est capable de communiquer en anglais et de comprendre cette langue. Lorsqu’il a bénéficié de l’assistance d’un interprète parlant sa langue maternelle, il n’était pas privé de ses droits de garder le silence ou de faire une déclaration volontaire.

[…]

[38] Monsieur Ibrahem n’a pas été privé du droit au silence garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il avait un état d’esprit conscient lorsqu’il a parlé avec les policiers. Il n’a subi aucune pression de la part des policiers et n’a pas été piégé par ceux‑ci.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[80] Les appelants ont fait valoir que les dispositions de la Charte de la langue française [CLF] portent également atteinte au droit à la liberté qui leur est garanti par l’article 7 de la Charte canadienne et par l’article premier de la Charte québécoise :

Charte canadienne

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Charte québécoise

1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.

[…]

[81] Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que la décision de faire des affaires dans la langue de son choix ne peut pas être qualifiée d’intrinsèquement et de fondamentalement personnelle et, par conséquent, protégée par le droit à la liberté.

[82] Comme l’a conclu le juge de première instance, le droit à la liberté garanti par les chartes québécoise et canadienne n’est pas synonyme d’absence de contrainte; il se limite à la protection de la sphère irréductible de l’autonomie personnelle où les individus peuvent faire des choix intrinsèquement privés sans ingérence de l’État.

[83] Le juge de première instance n’a commis aucune erreur lorsqu’il a conclu que les contraintes imposées par la CLF quant à la manière dont les appelants mènent leurs affaires ne peuvent pas être qualifiées d’intrinsèquement et de fondamentalement personnelles. De plus, ce droit protège les personnes et non les sociétés.

H.M.T.Q. c. Blackduck, 2014 NWTSC 58 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[4] La langue maternelle de M. Blackduck est le Tłı̨chǫ (appelé aussi « dogrib » pendant la présentation de la preuve lors du voir‑dire). Sa position selon laquelle sa déclaration ne devrait pas être admise en preuve est  fondée en grande partie sur le fait que lorsqu’elle a été prise, M. Blackduck ne bénéficiait pas de l’assistance d’un interprète. Il allègue que sa compréhension limitée de l’anglais et sa capacité limitée de s’exprimer dans cette langue rendent la déclaration inadmissible.

[…]

[83] J’admets que le sergent Landry, pour les raisons formulées lors de la présentation de ses éléments de preuve, croyait que M. Blackduck le comprenait. Cependant, cette croyance ne permettait pas d’établir que, en fait, M. Blackduck a compris tout ce qui a été dit ce jour‑là et, en particulier, qu’il a compris la mise en garde. La compréhension d’une langue dans certains types d’interactions n’est pas la même chose que la compréhension de ses droits, de concepts juridiques, et des conséquences potentielles de certaines décisions.

[…]

[88] L’évaluation du caractère volontaire est un exercice contextuel et fondé sur les faits. En l’espèce, la question est de savoir si M. Blackduck a compris qu’il avait le droit de garder le silence. Considérant que le caractère volontaire renvoie à la compréhension de ce qui est en jeu ainsi que des répercussions du fait de s’adresser ou non aux autorités au sujet des événements allégués, je ne suis pas convaincue que le caractère volontaire a été démontré selon la norme de preuve requise. Je ne suis pas convaincue hors de tout doute raisonnable que M. Blackduck a compris qu’il avait le droit de garder le silence et qu’il a renoncé à ce droit en étant pleinement conscient de ce qui était en jeu lorsqu’il s’est adressé au sergent Landry ce jour‑là. Je ne suis pas non plus convaincue qu’il a pleinement compris que ce qu’il disait au sergent Landry pouvait être utilisé lors d’une poursuite intentée contre lui.

[89] Je reconnais que les agents en cause dans la présente affaire ne croyaient pas qu’il y avait un problème quant au degré de compréhension de M. Blackduck de ce qu’ils lui disaient. Cependant, lorsque des policiers s’adressent à une personne dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, ils devraient faire preuve de prudence et solliciter l’assistance d’un interprète pour veiller à ce que les détenus aient une compréhension claire de leurs droits, avant de tenter d’obtenir une déclaration de leur part.

R. c. J. K., 2011 ONSC 800 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[57] En l’espèce, le critère juridique applicable consiste à savoir si la compréhension de l’anglais de l’accusé et sa capacité de communiquer dans cette langue étaient tellement insuffisantes qu’il lui était impossible de comprendre ce que disaient les policiers ou de faire des déclarations en anglais (paragraphe 44, Lapoint (sic), paragraphe 33, L.B.). Lors du voir‑dire, la Cour doit déterminer [traduction] « la capacité de l’accusé de comprendre la langue de la déclaration et de communiquer dans celle‑ci » (paragraphe 44, Lapoint (sic)). 

[58] Compte tenu des éléments de preuve du voir‑dire, comme je l’ai déjà indiqué, je n’ai aucune hésitation à conclure que J.K. connaissait suffisamment l’anglais pour comprendre le type de questions qui lui étaient posées et comprendre le type de réponses qu’il a données pendant l’interrogatoire enregistré sur bande vidéo. 

[59] L’avocat de la défense a fait valoir que J.K. aurait pu mieux communiquer s’il avait bénéficié des services d’un interprète. Je ne suis pas en désaccord avec l’argument selon lequel ses réponses aurait peut‑être été plus éloquantes ou détaillées. Cependant, il ne s’agit pas du critère applicable. Si la possibilité que l’accusé puisse mieux communiquer par l’entremise d’un interprète constituait le critère applicable, les policiers devraient veiller à ce qu’un interprète soit présent lors des interrogatoires dans tous les cas où l’anglais est la seconde langue de l’accusé ou dans toute autre situation où les compétences linguistiques de l’accusé sont déficiences, même si l’anglais est la langue maternelle de l’accusé. Qu’en est‑il des déclarations faites par l’accusé lors de son arrestation sur les lieux du crime ou dans la voiture de patrouille, ou des déclarations faites à des tierces personnes, etc.? La liste irait à l’infini. 

[60] En termes clairs, je ne prétends pas que les policiers n’ont pas à fournir les services d’un interprète lorsqu’il est évident qu’il existe une bonne raison de croire que la personne interrogée a vraiment de la difficulté à comprendre les questions qui lui sont posées ou qu’elle a vraiment de la difficulté à répondre en raison d’une mauvaise compréhension ou d’une mauvaise connaissance de la langue. Ne pas fournir les services d’un interprète dans de tels cas pourrait compromettre l’admissibilité des déclarations en preuve.  

HMTQ c. Pelletier, 2002 BCSC 561 (CanLII)

[NOTRE TRADUCTION]

Audience équitable

[46] Monsieur Pelletier fait valoir que si l’audience [relative à son admissibilité à la libération conditionnelle] n’est pas tenue en français, il sera privé du droit à une audience juste et équitable qui lui est garanti par l’article 7 de la Charte, lequel est ainsi libellé :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[47] Monsieur Pelletier soutient que la plupart des témoins qui comparaîtront, dont lui‑même, parlent français et que, par conséquent, il ne serait pas équitable de tenir une audience en anglais parce qu’il est inévitable que certains propos seront perdus dans la traduction du français à l’anglais.

[48] Je ne peux pas souscrire à cet argument. Bien qu’il ne fasse aucun doute que M. Pelletier a droit à une audience équitable, soit en vertu de l’article 7 de la Charte, soit en vertu de la common law, je ne peux pas convenir que le recours à des services d’interprète rendra l’audience inéquitable. Bien que pour des raisons pratiques il serait plus utile pour M. Pelletier que l’audience soit tenue en français, le fait qu’elle se déroulera en anglais n’a pas inévitablement pour conséquence que l’audience sera inéquitable. Des services d’interprète peuvent et seront fournis au besoin; il est courant dans tous les tribunaux que des services d’interprète soient retenus lors d’audiences. Une attention particulière est requise lorsqu’une audience requiert les services d’interprète, mais il arrive régulièrement que les tribunaux fonctionnent avec l’assistance d’interprètes.

[49] Souscrire aux arguments de M. Pelletier sur ce point reviendrait à accepter la position selon laquelle toute personne qui a besoin de l’assistance d’un interprète dans la province de la Colombie‑Britannique ne bénéficie d’une audience équitable. Compte tenu du nombre de personnes d’origines ethniques différentes en Colombie‑Britannique et des diverses langues qu’elles parlent, il serait impossible de trouver des juges et des jurés parlant couramment toutes ces langues.

[50] Il importe que l’article 14 de la Charte prévoit le recours à l’assistance d’un interprète. L’article 14 a pour objet de garantir le droit à une audience équitable. Dans l’arrêt Société des Acadiens, précité, le juge Beetz a énoncé ce qui suit à la page 577 :

Le droit qu'ont les parties en common law d'être entendues et comprises par un tribunal et leur droit de comprendre ce qui se passe dans le prétoire est non pas un droit linguistique mais plutôt un aspect du droit à un procès équitable. Ce droit est d'une portée à la fois plus large et plus universelle que celle des droits linguistiques. Tout le monde en jouit, y compris les personnes qui ne parlent ni ne comprennent aucune des deux langues officielles. Il relève de la catégorie de droits que la Charte qualifie de garanties juridiques et, en fait, est protégé, du moins en partie, par des dispositions comme les art. 7 et 14 de la Charte :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

La nature fondamentale de ce droit à une audience équitable issu de la common law a été soulignée dans l’arrêt MacDonald, dans les motifs de la majorité, aux pages 499 et 500 :

Cependant, il devrait être tout à fait clair que ce droit à un procès équitable que reconnaît la common law, y compris le droit du défendeur de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d'y être compris, est un droit fondamental qui est profondément et fermement enraciné dans la structure même du système juridique canadien. C'est pourquoi certains aspects de ce droit sont enchâssés tout autant sous la forme de dispositions générales que sous celle de dispositions spécifiques dans la Charte, comme l'art. 7 relatif à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, et l'art. 14 portant sur l'assistance d'un interprète.

Dans la décision R. c. Watts, Ex Parte Poulin, précitée, le juge Verchere a énoncé ce qui suit à la page 224 :

[traduction]

En statuant, comme je le fais, que le droit de cette province exige que les procès se tenant dans des cours provinciales aient lieu en anglais, je ne perds pas de vue l’inéquité alléguée de la cour envers un Canadien qui ne parle que le français. Cependant, à mon avis, lorsque les droits d’une personne accusée qui ne maîtrise pas la langue anglaise sont respectés et que les éléments de preuve présentés lors du procès lui sont traduits, comme il se doit (voir R. c. Lee Kim (1915), 11 Cr.App.R. 293), on ne peut tenir pour acquis que l’instance sera de ce fait équitable.

[52] Pour les motifs qui précèdent, je ne souscris pas à l’argument de M. Pelletier selon lequel une instance en anglais donnera lieu à une audience inéquitable.

R. c. Butler, 2002 NBQB 325 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[15] Il existe des différences fondamentales entre les concepts de garanties juridiques et de droits linguistiques. […]

[25] Même si j’ai conclu que les droits linguistiques de M. Butler qui sont garantis par le paragraphe 20(2) n’ont pas été violés, je suis néanmoins d’avis que la langue peut, comme c’est le cas en l’espèce, constituer un facteur important à prendre en compte pour déterminer si le fait que M. Butler n’a pas obtenu la divulgation de la preuve en anglais a porté atteinte à sa capacité de présenter une défense pleine et entière.

[…]

[28] La divulgation n’est pas un processus qui est extrinsèque à la présentation de la preuve de la poursuite. Même si elle a lieu avant le début du procès à proprement parler, elle est tellement inextricablement liée à la capacité de l’accusé de présenter une défense pleine et entière et, à mon avis, elle va de pair avec le droit à une audience équitable.

[…]

[35] Ces décisions étayent mon point de vue selon lequel il peut y avoir des cas où l’accusé pourrait établir que le défaut de divulgation de la preuve dans la langue officielle de son choix pourrait porter atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière.

[…]

[38] On peut facilement établir une distinction entre les faits en l’espèce et ceux de la décision Rodrigue. Tout d’abord, la décision Rodrigue a été instruite dans le Territoire du Yukon, par opposition au Nouveau‑Brunswick, qui est la seule province officiellement bilingue du Canada. La Charte prévoit un objectif constitutionnel de dualité linguistique pour cette province. En raison du caractère unique de la province, l’application d’une norme plus rigoureuse en matière de divulgation peut être requise. […]

[51] L’accusé a fait valoir qu’il avait subi un préjudice en raison de son incapacité à comprendre la preuve divulguée en français. À mon avis, sans autre élément de preuve démontrant les conséquences véritables sur sa capacité d’exercer les droits constitutionnels qui lui sont garantis, cette affirmation ne suffit pas à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi un préjudice réel. Il incombe à M. Butler de démontrer à tout le moins que la nature de la divulgation en l’espèce l’a vraiment empêché d’examiner les éléments de preuve et de prendre des décisions éclairées quant à sa défense.

[52] Après avoir pris en compte tous les faits en l’espèce, je conclus que le fait de refuser une demande de traduction pourrait, dans certains cas, constituer une atteinte aux droits garantis par la Charte. Néanmoins, dans la présente affaire, M. Butler ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait. Par conséquent, je conclus qu’il n’a pas établi qu’il y a eu violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

R. c. Ansary, 2001 BCSC 1333 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[64] En dépit du fait qu’il a participé à l’entrevue et même s’il n’y a eu aucune atteinte à son droit à l’assistance d’un avocat, les difficultés qu’éprouve M. Ansary en anglais mettent en doute le caractère équitable de l’interrogatoire mené par les policiers dans la présente affaire.

[65] Bien que M. Ansary n’ait jamais prétendu que son droit de garder le silence au sens habituel de ce droit a été entravé par la conduite des policiers au point de d’enfreindre l’article 7 de la Charte, il a continué de faire valoir son désir d’expliquer tout ce qui s’était passé. Il l’a fait en même temps qu’il a revendiqué son besoin d’avoir l’assistance d’un interprète.  

[66] L’article 14 de la Charte prévoit qu’une partie qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée pour la conduite des procédures a droit à l’assistance d’un interprète. Cependant, l’article n’étend pas précisément ce droit à l’étape préalable au procès dans les instances criminelles. Toutefois, à mon avis, le droit fondamental à un procès équitable qui est garanti par l’article 7 de la Charte requiert que les conséquences des difficultés linguistiques vécues par l’accusé soient prises en compte si le ministère public cherche à produire au procès des déclarations incriminatoires faites par l’accusé à l’étape de l’enquête.

[…]

[76] À mon avis, lorsque les policiers ont interrogé M. Ansary même si celui‑ci a demandé immédiatement et de façon continue l’assistance d’un interprète avant la première entrevue sans obtenir les services d’un interprète ou sans avoir été interrogé par un policier pouvant parler le pachto, ils ont pris le risque que les déclarations faites par M. Ansary par la suite soient déclarées inadmissibles. Bien que les policiers ne soient pas tenus de fournir l’assistance d’un interprète, leur détermination à procéder sans interprète soulève la question de l’équité de leur conduite au regard de l’équité du procès, ainsi que la question du risque que les éléments de preuve qu’ils ont recueillis soient entachés d’injustice.

[77] Bien que les témoignages des policiers disent le contraire, je suis convaincu que M. Ansary n’a pas entièrement compris toutes les questions qui lui étaient posées. Les transcriptions des deux entrevues me portent également à conclure que les policiers ont peut‑être mal compris ou mal interprété certaines réponses. Plus important encore, les policiers n’ont jamais donné à M. Ansary l’occasion de corriger tout manque de compréhension ou tout malentendu, ou de fournir une pleine explication en donnant la possibilité d’avoir une entrevue avec l’assistance d’un interprète, afin que M. Ansary puisse expliquer tout ce qui s’était passé comme il a toujours dit qu’il voulait le faire.  

[78] Je suis convaincu que la demande présentée par M. Ansary pour avoir recours à l’assistance d’un interprète pour l’aider à fournir une explication complète était sincère. Cette demande était directe et n’était pas fondée sur un motif illégitime. Je suis également convaincu que la volonté de M. Ansary de s’adresser aux policiers et, par conséquent, de renoncer à son droit de garder le silence doit être interprétée comme était conditionnelle à la possibilité de fournir une explication complète avec l’assistance d’un interprète.  

[79] Compte tenu de ces circonstances, je suis d’avis que le défaut des policiers de donner à M. Ansary l’occasion de fournir une explication complète avec l’assistance d’un interprète portait atteinte au droit de M. Ansarly de garder le silence, garanti par l’article 7. Par conséquent, les déclarations qu’il a faites avant et pendant la première et la seconde entrevues enregistrées sont inadmissibles. De même, l’entrevue connexe concernant le calendrier est inadmissible. Puisque l’équité du procès pourrait être touchée par l’admission d’éléments de preuve incriminants, ces déclarations ne peuvent être sauvegardées par l’application du paragraphe 24(2) de la Charte.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[pp. 35-36] Le droit est un droit à la divulgation de la preuve telle qu’elle existe, non pas un droit à avoir l’aide de la poursuite dans le sens de l’amélioration de la capacité de l’avocat de la défense, ou de l’accusé lui-même, d’apprécier et d’évaluer la signification ou le poids que l’on peut attacher à l’article de la défense, ou de l’accusé lui-même, d’apprécier et d’évaluer la signification ou le poids que l’on peut attacher à l’article de la preuve.

[pp. 38-39] Il se peut qu’il y ait des circonstances dans lesquelles la cour, avant le procès, décréterait que sans traduction d’un document d’une langue autre qu’une langue officielle dans une des langues officielles, ou d’une des langues officielles à l’autre langue officielle qui a été choisie par l’accusé comme la langue du procès, l’accusé ne pourra pas subir son procès avec la possibilité de présenter “une pleine réponse et défense” ou d’avoir un procès juste et équitable. Il faut attendre une autre cause pour préciser quelles seraient les circonstances où cela serait la décision de la cour. Dans les circonstances actuelles, l’accusé et son procureur admettent qu’ils ont tous les deux la capacité de comprendre l’anglais et ils n’allèguent pas que l’accusé subirait un préjudice si les déclarations et documents divulgués par la poursuite n’étaient pas divulgués avec une traduction en français avant le procès. La prétention de l’accusé est fondée exclusivement sur le principe réclamé que, ayant choisi le français comme la langue de son procès, il a le droit à la divulgation de ces éléments de preuve avec une traduction en français. J’ai rejeté cet argument.

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

R. c. R.T., 2016 QCCQ 689 (CanLII)

[2] Puisque l’accusé, la victime alléguée et trois témoins de la poursuite sont des personnes atteintes de surdité, toutes les procédures ont été interprétées du français à la langue des signes québécoise (ci-après LSQ) et de la LSQ au français, et ce, depuis le tout début de cette affaire.  Cette interprétation a été faite par des interprètes accrédités qui se sont relayés dans l’exécution de cette tâche tout au long des procédures.  Leur travail consistait essentiellement à interpréter l’ensemble des propos tenus lors du procès tant pour le bénéfice de l’accusé que celui des intervenants du système de justice, des témoins et de la victime alléguée. 

[3] Lors de la dixième journée d’audition, la défense a soulevé pour la première fois le fait que l’accusé semblait éprouver certaines difficultés de compréhension.  Ces problèmes faisaient apparemment suite au témoignage rendu par l’accusé dans le cadre d’un voir-dire tenu lors de la neuvième journée d’audition.  Avec le consentement des parties, le Tribunal a tenu une audition visant à bien cerner la nature des difficultés en question.  Au terme de cette audition, tenant compte de la preuve démontrant que l’accusé était en mesure de lire, le Tribunal a ordonné que toutes les audiences tenues jusqu’alors soient transcrites et a reporté la suite du procès pour que l’accusé puisse en prendre connaissance.  Le Tribunal a aussi indiqué à la défense qu’il serait sensible à toute demande visant à contre-interroger de nouveau certains témoins à la suite de cette lecture.

[…]

[26] En l’espèce, après avoir effectué une analyse détaillée de la preuve et des principes applicables, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu de déclarer un avortement de procès.  Dans le contexte particulier de la présente affaire, les difficultés de compréhension soulevées par l’accusé ne permettent pas de conclure à une atteinte à l’article 14 de la Charte non plus qu’à une violation du droit de l’accusé d’être présent à son procès.

[27] De l’ensemble de la preuve présentée, le Tribunal retient que l’accusé connaît le lexique de base de la LSQ et comprend bien le sens d’un discours familier.  Malgré le fait que son niveau soit plutôt bas, il est clair qu’il est tout de même fonctionnel dans cette langue. Au quotidien, la LSQ constitue la langue qu’il maîtrise le mieux pour communiquer, et ce, à tous les niveaux.  Selon la preuve, c’est dans cette langue qu’il a communiqué avec la plaignante et son fils pendant plusieurs années.  Et c’est aussi dans cette langue qu’il a témoigné lors des procédures judiciaires intentées contre lui et qu’il a répondu aux questions de manière simple, compréhensible et cohérente.

[28] Il va de soi que chaque individu jouit d’un vocabulaire qui lui est propre.  Il est également acquis que plusieurs facteurs peuvent influer sur l’étendue du vocabulaire particulier de chaque personne. À titre d’exemple, le niveau d’instruction et les capacités intellectuelles et cognitives d’un individu peuvent avoir une incidence sur la portée de son vocabulaire et sa capacité à en saisir les plus infimes subtilités.

[29] En l’espèce, bien que l’accusé semble éprouver certaines difficultés à comprendre un vocabulaire plus complexe, cela ne le rend pas pour autant inhabile, et ce, tant en LSQ qu’en français écrit.  Aux yeux du Tribunal, le fait qu’un accusé éprouve certaines difficultés à comprendre certains termes, concepts ou notions ne saurait ipso facto constituer une atteinte à son droit à l’assistance d’un interprète et/ou à son droit d’être présent à son procès.  Cela ne rend pas non plus le procès automatiquement inéquitable.  L’existence ou non d’une violation de l’un ou l’autre de ces droits dépendra toujours des circonstances propres à chaque affaire.

[30] Dans le cas qui nous concerne, le Tribunal réitère que le niveau de compréhension de l’accusé est fonctionnel et que la qualité de l’interprétation n’est pas en cause.  Le Tribunal retient que les difficultés de compréhension qui ont été soulevées par l’accusé pour la première fois lors de la dixième journée d’audition ont plutôt trait à certains éléments et concepts spécifiques.  Puisque la plaignante et trois autres témoins de la poursuite ont donné leur version en ayant recours à la LSQ, l’accusé a été en mesure de comprendre leurs témoignages respectifs sans interprète en les regardant directement.  Tenant compte du fait que les termes qu’ils ont utilisés étaient plutôt simples et familiers, il est manifeste que l’accusé a été en mesure de bien comprendre leurs propos.

[…]

[33] En l’espèce, tenant compte de toutes ces circonstances et des principes applicables, le Tribunal conclut que les droits de l’accusé n’ont pas été enfreints et qu’il n’y a pas lieu de déclarer un avortement de procès.

R. c. Maurice Frenette, 2007 NBCP 33 (CanLII)

[15] Par conséquent, je poursuis mon analyse en tenant pour acquis que l’omission de fournir une version traduite d’un ensemble de documents divulgués peut, dans certains cas, constituer une violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte, mais qu’elle ne constitue pas automatiquement une violation. La question qui se pose est alors la suivante : Dans quelles circonstances l’omission ou le refus de faire traduire la preuve violent-ils la Charte?

[…]

[25] Afin de bien situer la présente affaire dans son contexte, nous devons d’abord déterminer avec précision ce que l’accusé demande. En s’appuyant sur son droit à une défense pleine et entière protégé par la Constitution, il demande à la Cour d’ordonner au poursuivant de faire traduire du français à l’anglais l’ensemble de la preuve documentaire et des entrevues enregistrées au profit de l’avocate qu’il a choisie. La traduction n’est pas à son profit à lui. M. Frenette comprend parfaitement le français. Il peut lire facilement et comprendre parfaitement tous les documents divulgués. Il a été interviewé deux fois par un agent de police francophone et la discussion a eu lieu entièrement en français. La traduction n’est donc pas pour lui; c’est pour son avocate.

[26] Les tribunaux ont conclu que l’article 7 donne à quiconque est accusé d’avoir commis un acte criminel des garanties importantes au chapitre de la procédure et du fond. Toutefois, la personne qui invoque ce droit doit établir non seulement qu’il y a eu atteinte à son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne, mais aussi que la négation d’un droit garanti par l’article 7 est contraire aux principes de justice fondamentale. Les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 ne sont pas des « garanties distinctes »; ils ne peuvent être invoqués que lorsque la loi en question porte atteinte au « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne » : voir la décision du juge Lamer dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486 (C.S.C.). Le droit à la divulgation est l’un des principes essentiels du droit à la justice fondamentale : voir R. c. Stinchcombe, 1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 326. Les tribunaux ont vigoureusement protégé le droit de chacun à la justice fondamentale à l’égard de tous les aspects du processus en matière criminelle, notamment les techniques d’enquête policière, les procédures préalables au procès, les garanties au chapitre de la procédure, les moyens de défense et, bien entendu, le procès lui-même.

[27] M. Frenette a choisi de retenir les services d’une avocate unilingue anglophone pour le représenter. C’est son droit. Il n’était certainement pas obligé de retenir les services d’un avocat francophone simplement parce que cela aurait été plus pratique pour l’État, qui doit divulguer sa preuve à l’accusé. Mais aussi, pourquoi l’État serait-il obligé d’assumer les frais liés à la traduction de la preuve uniquement au profit de l’avocate choisie par l’accusé? 

[28] La situation de fait en l’espèce doit être distinguée de celle dans Butler, qui était tout à fait différente. M. Butler ne comprenait pas la langue dans laquelle la majorité de la preuve contre lui était rédigée. Il était personnellement désavantagé. Il ne pouvait pas comprendre la preuve que l’État entendait présenter contre lui, puisqu’il ne parlait pas la langue dans laquelle la preuve amassée contre lui était rédigée. Pourtant, même dans ces circonstances l’éminent juge a refusé d’ordonner la traduction de la preuve au motif qu’il n’y avait pas de preuve pour étayer la motion.

[29] En l’espèce, seule l’avocate de la défense ne comprend pas la preuve présentée contre l’accusé. Dans un tel cas, l’accusé a d’autres options. Il peut retenir les services d’un autre avocat, qui parle français, pour aider Me Mahoney. Il ne manque pas d’avocats bilingues dans la région. Il peut aider son avocate en traduisant les documents lui-même ou en résumant la preuve pour elle. Il peut engager les frais nécessaires pour faire traduire les documents essentiels. Il peut retenir les services d’un traducteur, ou de toute autre personne ayant une bonne maîtrise des deux langues, pour aider son avocate avant et pendant le procès. Il peut aussi retenir les services d’un avocat qui parle français et anglais pour assurer sa défense. Toutes ces options s’offrent à lui.

[30] L’accusé, ayant choisi que son procès se déroule en anglais, sait que la preuve documentaire qui sera présentée contre lui au procès relativement aux infractions qui sont du ressort exclusif de la Cour devra être traduite pour lui compte tenu de son droit à un procès dans la langue de son choix. Il sait également qu’un interprète traduira tous les témoignages au procès du français à l’anglais. Son avocate comprendra par conséquent la preuve présentée contre lui au procès. Il a également l’option de profiter d’une enquête préalable, s’il le désire, relativement aux infractions à l’égard desquelles il a le choix quant au mode de procès.

[31] Il est incontestable que Me Mahoney est désavantagée en l’espèce. Elle fait valoir qu’elle n’est pas en mesure d’assurer convenablement la défense de son client. Toutefois, ce désavantage n’a pas été créé par l’État; c’est son propre client qui en est l’artisan. L’État a respecté toutes ses obligations constitutionnelles de divulgation et n’a nullement porté atteinte à l’équité en matière de procédure ou de fond à laquelle M. Frenette a droit. Je ne vois pas comment on pourrait obliger l’État à corriger la décision de M. Frenette de retenir les services d’une avocate désavantagée en lui demandant d’éliminer, aux frais des contribuables, le désavantage. 

[32] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’omission du poursuivant de fournir la traduction des documents divulgués dans la langue officielle du choix de M. Frenette ne lui a pas causé de préjudice ou n’a pas nui à sa capacité de présenter une défense pleine et entière. Le requérant ne s’est par conséquent pas déchargé de son fardeau d’établir, sur la prépondérance de la preuve, l’existence d’une violation de la Charte.

Pien c. R., 2006 QCCQ 13382 (CanLII)

[1] Les requérants présentent une requête pour arrêt des procédures vu le défaut de divulguer la preuve en vertu des articles 7 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans un premier temps, on prétend que le ministère public n'a pas communiqué l'ensemble de la preuve relative à l'accusation. Deuxièmement, pour les accusés représentés par Me Louis Bigué, on reproche de ne pas avoir obtenu une copie de la communication de la preuve en langue anglaise. Enfin, malgré des demandes répétées, la poursuite refuse de remettre une copie de la communication de la preuve pour chacun des accusés se contentant d'en transmettre un exemplaire aux avocats en présence. En raison de chacun de ces manquements allégués, les requérants demandent l'arrêt des procédures.

[…]

La langue de la divulgation

[42] Cette partie de la requête ne touche que les accusés de la Première Nation de Long Point. La seule preuve repose sur le témoignage du chef Steeve Mathias. Il admet ne pas être aussi à l’aise en français qu’en anglais. Par contre, il témoigne avoir été en mesure de lire les documents même s'il a dû y consacrer davantage de temps. Son incompréhension repose davantage sur le libellé des chefs d’accusation que sur sa compréhension du contenu de la divulgation de la preuve.

[43] Aucune autre preuve n’a été faite concernant le degré de compréhension des autres accusés. Le Tribunal ne peut le présumer. Comme le droit à la divulgation de la preuve est un droit personnel, il ne peut pas non plus appliquer à l’ensemble des accusés le remède constitutionnel approprié pour l’un d’entre eux.

[44] Comme monsieur Mathias a pu lire et comprendre, à tout le moins en bonne partie, les documents divulgués, le Tribunal n’y voit aucun préjudice. Le Tribunal concourt à la position de la Cour d’appel de l’Ontario [dans Simard] et des tribunaux québécois [dans Cameron et Stadnick] selon laquelle il est suffisant de divulguer les renseignements dans l’état où ils sont. En l’absence de démonstration d’une totale incompréhension, il y a lieu de conclure que les droits à une défense pleine et entière et à un procès équitable ne sont pas enfreints.

Voir également :

Stockford c. R., 2009 QCCA 1573 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Singh, 2015 ONSC 7376 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Arjun, 2013 BCSC 2076 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Liew and Yu, 2012 ONSC 1826 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Alayadi, 2010 ABPC 79 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Cody, 2006 QCCS 3656 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]  

R. c. Larcher (19 septembre 2002) (CS ON), juge Lalonde [hyperlien non disponible]

R. c. Rose, 2002 CanLII 45358 (QC CS) [décision disponible en anglais seulement]

Stadnick c. La Reine, 2001 CanLII 39664 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement] 

Lavigne c. Quebec (Attorney General), 2000 CanLII 30033 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Cameron, [1999] Q.J. No. 6204 [hyperlien non disponible]

R. c. Hunt, 2007 QCCQ 1405 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Farooq, [1998] O.J. No. 1209 [hyperlien non disponible]

R. c. Breton (1995), 28 W.C.B (2nd) 525 (YK TC) [hyperlien non disponible]

R. c. Fiddler, 1994 CanLII 7396 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

 

10. Arrestation ou détention

10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :

a) d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention; 

b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit; 

c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations

R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, 1994 CanLII 64 (CSC)

[19] Vu ces circonstances, il est essentiel que le volet information du droit à l'assistance d'un avocat ait une portée large et que les policiers donnent les renseignements [Traduction] "promptement et d'une manière compréhensible": R. c. Dubois, [1990] R.J.Q. 681 (C.A.), (1990), 54 C.C.C. (3d) 166, aux pp. 697 et 196 respectivement. À moins d'être clairement et complètement informées de leurs droits dès le début, les personnes détenues ne sauraient faire des choix et prendre des décisions éclairées quant à savoir s'ils communiqueront avec un avocat et, en outre, s'ils exerceront d'autres droits, comme celui de garder le silence: Hebert. Qui plus est, étant donné la règle selon laquelle, en l'absence de circonstances particulières, notamment des problèmes de langues ou une déficience mentale notoire ou manifeste, indiquant que la personne détenue ne comprend peut-être pas la mise en garde prévue à l'al. 10b), les policiers ne sont pas tenus de s'assurer qu'elle la comprend bien; il importe que la mise en garde type faite aux personnes détenues soit aussi instructive et claire que possible: R. c. Baig, [1987] 2 R.C.S. 537, à la p. 540, et Evans, à la p. 891.

[…]

[39] Comme notre Cour l'a affirmé dans l'arrêt Evans (à la p. 892), les autorités de l'État ont, en vertu de l'al. 10b), l'obligation « de prendre des moyens raisonnables d'expliquer à l'accusé son droit à l'assistance d'un avocat ». Dans la plupart des cas, il sera suffisant de lire à l'accusé une mise en garde qui satisfait aux critères que j'ai mentionnés. Cependant, lorsque les circonstances révèlent qu'une personne détenue ne comprend pas la mise en garde habituelle, les autorités doivent prendre des mesures additionnelles pour s'assurer que cette personne saisit les droits que lui garantit l'al. 10b) et les moyens qui lui permettront de les exercer: Evans, à la p. 892, et Baig, à la p. 540. […]

[41] […] Comme je l'ai mentionné, notre Cour a reconnu la fonction essentielle du volet information de l'al. 10b). Compte tenu de l'importance de ce volet pour que les objectifs de l'al. 10b) soient atteints, on ne devrait reconnaître la validité d'une renonciation que dans les cas où il est évident que la personne détenue comprend pleinement les droits que lui garantit l'al. 10b) ainsi que les moyens qui lui sont offerts pour les exercer, et qu'elle invoque ces droits. En exigeant le respect de ces conditions, on s'assure que la personne détenue prendra une décision éclairée si elle renonce à son droit à l'assistance d'un avocat, après avoir renoncé à son droit d'être informée. Puisque les obligations d'informer que l'al. 10b) imposent aux autorités de l'État ne sont pas écrasantes, il n'est pas, à mon avis, déraisonnable d'insister pour que ces autorités dissipent toute incertitude susceptible d'exister relativement à la connaissance que la personne détenue a de ses droits, ce qui peut être accompli par une simple lecture de la mise en garde habituelle, comme elles sont tenues de le faire dans les cas où la personne détenue n'indique pas clairement et de façon noné quivoque son désir de renoncer à son droit d'être informée.

R. c. Kooktook et al, 2006 NUCA 3 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[126] Le juge de première instance a formulé un certain nombre d’observations dans lesquelles il se dit inquiet du fait que toutes les communications entre les agents des pêches et les intimés ont été échangées en anglais. Il était inquiet de savoir si les intimés avaient pleinement compris ce qui leur a été dit. Il a formulé les observations générales suivantes (au paragraphe 42) :

Au Nunavut, l’anglais est une langue seconde pour de nombreux Inuits. Environ 80 % des citoyens de ce territoire sont de descendance inuite. Les niveaux de connaissance et de compréhension de l’anglais varient grandement. Il ne faut pas présumer que tous ont une connaissance de base de l’anglais. La présente Cour reconnaît que de nombreux concepts juridiques ne peuvent pas être traduits directement de l’anglais à l’inuktitut ou à l’innuinaqtun.

Le juge de première instance a de nombreuses années d’expérience au sein des tribunaux du Nunavut, ce qui lui permet de faire cette déclaration.

[127] La langue constituait une préoccupation particulière concernant M. Tucktoo. M. Ashevak, l’agent de protection de la faune, a déclaré que M. Tucktoo a parfois besoin d’aide en anglais. Le fait que l’agent McCotter a expliqué à ce dernier ses droits légaux en langage de profane donne à penser que lui non plus n’était pas certain du niveau de compréhension de M. Tucktoo.

[128] Encore une fois, l’absence d’un dossier complet et précis pose problème. La Couronne n’a pas à prouver qu’une personne qui fait une déclaration comprend pleinement l’anglais (ou toute autre langue dans laquelle les mises en garde sont données et la déclaration recueillie). Cependant, lorsque certains éléments donnent à penser que la compréhension peut ne pas être adéquate, les autorités ne peuvent pas s’attendre à ce qu’une décision sur le caractère volontaire soit rendue sans fournir de preuves permettant au juge d’examiner toutes les circonstances de l’espèce. La connaissance de la langue est l’une de ces circonstances. Si le dossier n’est pas complet ou n’est pas fiable, la Couronne court alors le risque de ne pas réussir à s’acquitter du fardeau de la preuve. En l’espèce, les entrevues n’ont pas fait l’objet d’un enregistrement audio ou vidéo.

[129] Le juge de première instance a formulé d’autres observations dans ses motifs concernant cet aspect de l’affaire (au paragraphe 44) :

La prudence suggère qu’un enquêteur qui envisage d’obtenir la déclaration d’un Inuit accusé en anglais fasse une petite enquête pour déterminer le niveau de compréhension de l’anglais du citoyen, sa capacité à communiquer efficacement dans cette langue et son niveau d’alphabétisation en général, qui est établi en fonction de son niveau d’instruction. Réciter simplement les mises en garde de la police et les droits garantis par la Charte ne sera pas forcément suffisant pour déterminer le niveau de compréhension de l’anglais, en particulier compte tenu de la formulation alambiquée des mises en garde principales et secondaires normalement données par les policiers. Lorsque le niveau de connaissance ou de compréhension de l’anglais de l’accusé est faible, tous les efforts raisonnables doivent être déployés pour répondre aux besoins linguistiques manifestes du citoyen. Des services d’interprétation devraient être fournis, sur demande. Même si aucune demande en ce sens n’est faite, des services d’interprétation devraient être offerts s’il est évident que la personne éprouve des difficultés.

[130] À mon avis, ces observations sont bien fondées. Elles font écho aux préoccupations qu’expriment les juges des tribunaux du Nord depuis des décennies. Un exemple peut être tiré de l’affaire R. c. Haniliak, [1985] N.W.T.R. 352, dans laquelle le juge Marshall de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest a déclaré ce qui suit (à la page 354) :

Je pourrais formuler des observations générales, pour commencer, concernant l’obtention des déclarations dans le Nord, car je crois qu’il est très difficile pour les policiers de respecter la règle traditionnelle en ce qui a trait au caractère volontaire et de répondre actuellement aux exigences de la Charte. Les raisons qui expliquent ces difficultés sont nombreuses et je crois que certaines d’entre elles sont plus subtiles que d’autres. Tout d’abord, certaines personnes dans le Nord n’ont aucune expérience à l’égard de la justice pénale canadienne, des affaires qui concernent la police et des questions juridiques. En raison de leur culture, de leur exposition limitée à la loi, de leur éducation, de la séparation géographique et pour bien d’autres raisons, il me semble que beaucoup de gens des collectivités du Nord ont besoin que leurs droits leur soient expliqués de façon plus poussée, notamment ceux qui prévalent au moment de recueillir une déclaration, et qu’une mise en garde plus claire leur soit donnée lors de leur arrestation et de leur mise en détention.

Pour que la Charte canadienne des droits et libertés ait un sens pour les gens qui ont eu peu de contacts avec la police et les tribunaux, les explications fournies, dans des cas semblables, à des personnes qui n’ont pas d’expérience à cet égard devront être plus approfondies et être données avec une plus grande circonspection. Je constate qu’en l’espèce, l’agent n’a pas seulement lu la mise en garde et le script approprié, mais qu’il a également fourni une explication, ce qui, à mon avis, est souvent nécessaire.

R. c. Vanstaceghem, [1987] O.J. No. 509, 36 C.C.C. (3d) 142 (C.S. Ont. C.A.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[18] Toutefois, je ne suis pas convaincu que la seule question que la Cour d’appel en matière de poursuites sommaires doit trancher porte sur la crédibilité. La question cruciale, qui est une question de droit, consiste à déterminer si l’accusé a été informé de ses droits, aux termes de l’alinéa 10b) de la Charte, dans un langage explicite et compréhensible. Les circonstances étaient particulières. Comme l’agent savait que l’intimé était francophone et que de toute évidence, il ne comprenait pas bien l’anglais puisqu’il n’a pas compris sa demande lorsqu’il lui a ordonné de se soumettre à un alcootest, je suis d’avis que des circonstances particulières exigeaient ici que l’agent s’assure, à juste titre, que l’intimé comprenait bien les droits que lui confère la Constitution. R. c. Anderson (1984), 45 O.R. (2d) 225; 10 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.); R. c. Baig, [1985] O.J. No. 150; 9 O.A.C. 266.

[19] L’avocat nous a informés que la base des Forces canadiennes de Trenton est une base militaire bilingue et qu’elle compte des agents de la police militaire qui parlent les deux langues officielles du Canada. La preuve permet de conclure que les militaires ont accès à des conseils juridiques. Dans la mesure où l’agent qui a procédé à l’arrestation a été contraint de présenter à l’intimé la fiche de demande d’alcootest en français, avant que ce dernier eut même compris une simple demande, la seule conclusion qui peut raisonnablement être tirée est que l’intimé aurait dû être informé de ses droits constitutionnels dans sa propre langue, soit au moyen d’une fiche, par l’entremise d’un interprète ou en communiquant par téléphone avec un agent bilingue pour obtenir de l’aide. Dans les circonstances particulières de l’espèce, l’utilisation du terme « avocat » n’a manifestement pas amené l’intimé à penser qu’il avait droit aux services d’un avocat, autrement dit qu’il avait le droit « d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ».

[...]

[21] À mon avis, il n’était pas raisonnable de la part de l’agent qui a procédé à l’arrestation d’inférer que l’intimé comprenait ses droits constitutionnels et a sciemment choisi d’y renoncer, compte tenu des circonstances particulières de sa détention. Le juge provincial a tiré sa conclusion en s’appuyant sur le fait que l’agent était convaincu que l’intimé était en mesure de le comprendre, et cette conclusion ne peut être étayée sur la seule base de la crédibilité qui, de toute façon, est plutôt réduite en l’espèce. La question visant à déterminer si l’intimé a été correctement informé de ses droits constitutionnels n’a pas été examinée comme il se doit par le juge provincial. À mon avis, le savant juge de la Cour d’appel a eu raison de conclure que les droits de l’intimé, en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte, ont été violés.

R. c. Au Yeung, 2016 ABQB 313 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[47] L’important ici est que le caporal Frost a tenté d’expliquer au demandeur les droits qui lui sont garantis en vertu de l’article 10 de la Charte. En trois minutes, il lui a dit qu’un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) parlant le cantonais allait être présent, puis il y a eu une discussion entre le caporal Frost et le répartiteur de la GRC concernant ce membre de l’organisation. Pendant tout ce temps, le caporal Frost a tenté de garder le demandeur informé de ces procédures.

[...]

[49] La présente Cour estime que le caporal Frost n’a pas violé cet aspect des droits du demandeur énoncés à l’article 10 de la Charte. Certes, ni la Charte ni la Cour suprême du Canada n’a la prétention de vouloir que tous les agents de police connaissent l’ensemble des langues parlées au Canada. En plus d’essayer d’expliquer au demandeur, au mieux de ses capacités, les droits qui lui sont garantis par la Charte, le caporal Frost a immédiatement tenté d’obtenir les services de l’agent He, ce qu’il a fait dans les plus brefs délais possible, eu égard aux circonstances. La présente Cour estime que le caporal Frost, en prenant de telles mesures, s’est acquitté de son obligation d’informer le demandeur des motifs de son arrestation, ainsi que de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Quoi qu’il en soit, le caporal Frost a été en mesure d’obtenir les services de l’agent He, lequel devait lui servir d’interprète. L’agent He s’est entretenu avec le demandeur 12 minutes après que le caporal Frost l’eut arrêté et l’agent He a de nouveau informé ce dernier de ses droits en vertu de la Charte, en plus de reformuler la mise en garde.

[50] Le demandeur soutient que le caporal Frost ne s’est pas acquitté de sa responsabilité de l’informer pleinement de ses droits aux termes de l’alinéa 10b) de la Charte, puisqu’il ne lui a pas lu la totalité des droits figurant sur la carte expliquant les droits garantis par cette dernière. Là encore, cela revient à se demander si la reformulation du contenu de cette carte par le caporal Frost porte atteinte au droit du demandeur d’être représenté par un avocat. En gardant à l’esprit le fait que le caporal Frost ne parle pas le cantonais, la formulation complexe des droits énoncés sur cette carte porterait elle-même atteinte au droit que ce dernier tentait d’expliquer au demandeur. Le caporal Frost a expliqué à la présente Cour avoir cru que la meilleure façon d’aborder le demandeur était de lui expliquer les droits que lui confère la Charte, en utilisant un langage de profane plus simple. Il a admis qu’il ne s’agissait pas là d’une approche s’appuyant sur les « pratiques exemplaires », mais il a estimé, dans les circonstances, qu’il s’agissait de la meilleure façon de faire.

[51] La présente Cour estime que ce que le caporal Frost a fait était ce qu’il y avait de mieux à faire dans les circonstances et risquait de donner « sans délai » au demandeur une petite idée de ses droits. Cette tentative n’a pas porté atteinte au droit du demandeur d’être représenté par un avocat, puisque ce dernier a, en réalité, été informé de ce droit. L’agent He a ensuite pleinement expliqué ce droit au demandeur.

[52] En l’espèce, la première occasion raisonnable qu’a eue le demandeur d’exercer les droits énoncés à l’alinéa 10b) de la Charte s’est présentée lorsque le gendarme DeBow a conduit ce dernier auprès du détachement de la GRC. Le gendarme DeBow a alors escorté le demandeur jusqu’à une salle privée munie d’un téléphone, et ce dernier a eu la possibilité de communiquer avec un avocat et a, en fait, parlé à un avocat grâce à un interprète cantonais, dont les services lui ont été offerts par l’aide juridique.

[53] Les droits garantis au demandeur en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte n’ont pas été violés.

R. c. Singh, 2015 ONSC 7376 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] L’avocat de la défense soutient que les assertions et les déclarations doivent être exclues, puisqu’elles n’ont pas été faites de façon volontaire et que le défendeur n’a pas été correctement informé de son droit à un avocat, en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte. Le défendeur prétend qu’il a été contraint de faire cette déclaration et qu’il ne maîtrisait pas suffisamment bien l’anglais pour comprendre ses droits ni la mise en garde qui lui a été donnée par les policiers.

[...]

[5] Dans R. c. Bartle, 1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 RCS 173, le juge en chef Lamer a déclaré qu’« en l’absence de circonstances particulières, notamment des problèmes de langues ou une déficience mentale notoire ou manifeste, indiquant que la personne détenue ne comprend peut-être pas la mise en garde prévue à l’al. 10b), les policiers ne sont pas tenus de s’assurer qu’elle la comprend bien ». L’avocat de la défense soutient qu’en l’espèce, il existe des circonstances particulières, étant donné que le défendeur n’était pas en mesure de bien parler ou de bien comprendre l’anglais.

[6] Après avoir visionné la totalité de la vidéo montrant la déclaration que le défendeur a faite à la police et avoir examiné la transcription de cette déclaration produite par un sténographe judiciaire, je suis forcé d’opiner en ce sens. Une grande partie de ce que le défendeur a dit était incompréhensible. Pour être clair, le défendeur possède tout de même une certaine connaissance de l’anglais, et comme l’a souligné dans son témoignage un des agents qui l’a interrogé, une partie de la confusion apparente du défendeur peut venir du fait que ce dernier cherchait à répondre de manière évasive aux questions auxquelles il n’avait pas de bonnes réponses à donner. Toutefois, comme l’a indiqué la Cour d’appel dans R. c. Lapointe, [1983] OJ No 183, la maîtrise d’une langue n’est pas une affaire à prendre ou à laisser.

[7] Le défendeur vit au Canada depuis près de deux décennies et a travaillé comme chauffeur de taxi et comme camionneur. L’avocat de la Couronne soutient que ces métiers exigent une certaine connaissance de la langue. Je suis d’accord pour dire qu’une connaissance rudimentaire de l’anglais est probablement nécessaire pour obtenir un permis et conduire un véhicule de façon sécuritaire en Ontario. En outre, le défendeur a signé un affidavit à l’appui de la présente demande d’exclusion d’éléments de preuve, et cet affidavit, qui était en anglais, n’était pas accompagné d’une traduction ni d’un affidavit signé par un interprète indiquant qu’il en a expliqué le contenu au défendeur, dans sa langue maternelle, le pendjabi.

[...]

[12] Cependant, l’examen de la vidéo et de la transcription révèle une grande incompréhension. Il est évident, en voyant et en écoutant le défendeur, que ce dernier a commencé à parler sans avoir compris la signification de la mise en garde formulée aux termes de l’alinéa 10b) et qu’en aucun moment, tout au long de sa déclaration, il n’en a saisi le sens.

[...]

[16] Par conséquent, le défendeur n’a jamais confirmé qu’il s’est vu donner la mise en garde appropriée, en vertu de l’alinéa 10b), et il est possible d’affirmer, d’après son niveau d’incompréhension, qu’il n’a jamais rien compris de cette mise en garde. Les policiers ont peut-être dit ce qu’il fallait, mais leurs propos sont restés incompris. La déclaration du défendeur recueillie sur vidéo par les policiers a donc été faite de façon involontaire et est, de ce fait, inadmissible.

[17] Il en va de même des déclarations faites par le défendeur lors de son arrestation et avant d’être emmené au poste de police. À ce moment-là, il n’avait pas encore reçu la mise en garde en vertu de l’alinéa 10b) ou celle-ci ne lui avait pas encore été pleinement expliquée. L’agent Andrew Pak a déclaré qu’il a donné au défendeur une version paraphrasée de la mise en garde standard, étant donné qu’il avait laissé la version officielle dans son carnet dans le véhicule de reconnaissance; l’agent Gregory Manuel a affirmé qu’il a donné au défendeur une mise en garde informelle, mais qu’il ne lui a pas présenté la version officielle complète. De toute façon, rien n’indique que les agents ont pris le temps d’expliquer lentement et soigneusement la signification de la mise en garde au défendeur.

R. c. Mathieu, 2014 ONCS 6124 (CanLII)

[101] Les limites sur le plan linguistique sont étroitement associées à la communication et à la compréhension de ce droit de garder le silence. L’accusé a répondu trois fois « Mhmm » au cours de cet échange. On ne sait pas trop comment cet avertissement avait été compris, particulièrement lorsque 16 heures plus tôt, on avait déterminé que ces droits devaient être communiqués à l’accusé en français.

[102] Le droit de garder le silence conféré par l’article 7 s’harmonise étroitement avec le droit à l’assistance d’un avocat conféré par l’al. 10b).

[103] Que les mots employés pour faire part à l’accusé de son droit de garder le silence aient été suffisants ou non, le problème est aggravé par le fait que les mots utilisés pour communiquer ce droit et la confusion entourant la question de savoir si l’accusé souhaitait alors parler à son avocat viennent s’ajouter au fait que ce droit avait été communiqué à l’accusé en anglais et que ce même service de police avait conclu, 16 heures plus tôt, que les limites de l’accusé en anglais dictaient que ses droits lui soient communiqués en français. Le détective Laver savait qu’on avait tiré cette conclusion mais n’en a pas tenu compte. 

[104] Le détective Laver n’a fait aucun effort particulier pour expliquer la nature de ce droit de garder le silence ou de consulter un avocat et n’a pas obtenu une renonciation véritable à ce droit, alors qu’elle connaissait les limites d’ordre linguistique de l’accusé et qu’elle savait que celui-ci avait déclaré à deux reprises qu’il attendait l’arrivée de son avocat. 

[105] Ces deux détectives ont consacré une journée à cette enquête, ont parlé à la plaignante et au témoin oculaire, ont obtenu des renseignements des deux agents et étaient prêts à commencer l’interrogatoire. Ils étaient désireux de procéder sur-le-champ à l’interrogatoire et de ne pas retarder celui-ci, ce qui aurait été le cas s’ils avaient dû prendre des arrangements pour obtenir les services d’un interprète ou mettre au courant un policier francophone qui aurait été chargé de mener l’interrogatoire. Leur intérêt dans cette affaire, ou leur désir d’aller de l’avant sans attendre davantage, a empêché l’accusé d’obtenir une explication valable quant à son droit de consulter un avocat et de bien comprendre qu’il avait le droit de garder le silence.

R. c. Soares, 2013 ONSC 126 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[26] La déclaration enregistrée démontre que M. Soares a semblé comprendre une bonne partie de ce que lui a dit Mme Peters. Toutefois, tel qu’il a été indiqué précédemment, lorsque l’agente utilisait des expressions familières ou des métaphores, M. Soares hésitait. De façon plus fondamentale, dans le cadre d’un interrogatoire de police, la communication va au-delà de la simple compréhension; la personne accusée doit être en mesure de participer de manière significative et de s’exprimer efficacement, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Cela aurait dû soulever des inquiétudes à savoir si M. Soares avait réellement compris ou non ses droits lorsqu’il a consulté l’avocat de service. Pour prouver mon point, je fais de nouveau référence à la description qu’a donnée M. Soares des conseils qu’il a reçus de l’avocat de service – soit se montrer très prudent lorsqu’il s’adresse aux policiers. Bien que l’avocat de service n’ait pas été appelé à témoigner, cet aspect du témoignage de M. Soares m’amène à conclure que soit ce dernier n’a pas compris les conseils qui lui ont été donnés, soit il s’est vu offrir de très mauvais conseils par l’avocat avec lequel il s’est entretenu. Je pense (et j’espère) qu’il s’agit de la première des deux options.

[27] Dans ces circonstances, l’entrevue de M. Soares était inéquitable et la question de la langue aurait dû être abordée directement dans le contexte du droit d’être représenté par un avocat. Pour cette raison, j’estime qu’il y a eu violation de l’alinéa 10b).

R. c. Arjun, 2013 BCSC 2076 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[86] L’enquête la plus importante consiste apparemment à déterminer si la personne accusée a été en mesure d’obtenir des conseils juridiques valables et compréhensibles, en se fondant sur l’évaluation objective de la capacité de cette dernière à comprendre suffisamment bien l’anglais pour saisir les conseils ainsi donnés.

[...]

[90] La question est donc de savoir s’il existait des circonstances particulières en ce qui a trait à la capacité de Mme Arjun de comprendre l’anglais, de sorte que pour exercer son droit à un avocat, les policiers se devaient de prendre des mesures supplémentaires pour s’assurer qu’elle comprenait ses droits et qu’elle avait la possibilité de les exercer convenablement, soit en ayant recours aux services d’un interprète pour s’entretenir avec son avocat ou en consultant un avocat parlant l’hindi. J’estime que les policiers étaient tenus de prendre de telles mesures.

[...]

[98] En l’espèce, j’estime que les policiers auraient dû se rendre compte que Mme Arjun ne comprenait pas ses droits. J’en viens à la conclusion que comme elle a une compréhension limitée de l’anglais, l’accusée avait besoin d’un interprète pour comprendre suffisamment bien le droit à un avocat que lui garantit la Charte. Certains facteurs objectifs donnent à penser que les policiers auraient dû savoir que la connaissance de l’anglais de Mme Arjun n’était pas suffisamment bonne pour qu’elle comprenne son droit d’être représentée par un avocat ou les conseils qu’elle aurait obtenus en en consultant un. Ces facteurs comprennent son accent prononcé; les demandes qu’elle a faites, par l’entremise de son avocat et de son plein gré, pour obtenir les services d’un interprète; les différents moments où elle a déclaré qu’elle ne comprenait pas ses droits; le fait qu’elle était perplexe à savoir si elle avait parlé à un avocat et si oui, à quel moment elle l’avait fait. J’estime que Mme Arjun n’a pas été en mesure d’obtenir des conseils juridiques valables et compréhensibles sans les services d’un interprète pour s’entretenir avec son avocat ou encore d’un avocat parlant l’hindi. Par conséquent, je conclus qu’il y a eu violation des droits garantis à l’accusée en vertu de l’alinéa 10b).

R. c. Barros-DaSilva, [2011] O.J. No. 3794, 2011 ONSC 4342 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[23] La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si M. Barros-DaSilva a été informé de son droit à un avocat dans une langue qu’il comprenait et s’il s’est vu offrir la possibilité d’exercer ce droit convenablement.

[24] Il est bien établi en droit que lorsqu’il existe des « circonstances particulières », un agent de police est tenu de prendre d’autres mesures pour s’assurer de façon raisonnable que la personne accusée comprend son droit d’être représentée par un avocat, qui lui est garanti par la Constitution : R. c. Shmoel, [1998] O.J. No. 2233, au paragraphe 8; R. c. Colak, [2006] O.J. No. 4953.

[...]

[28] Il existe des « circonstances particulières » dans les cas où certains facteurs objectifs démontrent que la compréhension de l’anglais de la personne accusée peut être limitée pour diverses raisons, par exemple, parce qu’elle a récemment immigré au Canada depuis un pays non anglophone et qu’elle a de la difficulté à comprendre son droit d’être représentée par un avocat. Dans de telles circonstances, les policiers ont le fardeau supplémentaire de prendre des mesures efficaces pour s’assurer, d’une façon concrète et compréhensible, que l’accusé comprend effectivement ses droits. Les circonstances pertinentes comprennent des facteurs tels que l’âge, le niveau de scolarité et de connaissance, la langue et la santé mentale. [...]

[29] Bien qu’il n’y ait pas de liste exhaustive des situations où des « circonstances particulières » peuvent exister, le juge Gage décrit des situations dans lesquelles un agent devrait porter attention à la présence de telles circonstances. Voici quelques exemples de telles situations :

1. Le défaut de répondre aux questions portant sur le droit à un avocat, combiné à une déclaration de la personne qui affirme ne pas parler très bien l’anglais : R. c. Lukavecki, [1992] O.J. No. 2123;

2. La nécessité de parler lentement à un accusé qui parle « un peu » l’anglais : R. c. Ly, [1993] O.J. No. 268;

3. Un accusé qui répond par la négative à la question de savoir s’il comprend qu’il a droit à un avocat et le défaut, par la suite, de fournir des directives écrites ou verbales au sujet de ce droit dans la langue maternelle de l’accusé : R. c. Lim, [1993] O.J. No. 3241, par le juge Bigelow (C.J.O.);

4. Le défaut d’accéder à la demande d’un accusé qui souhaite obtenir les services d’un interprète, d’un agent ou d’un avocat qui parle sa langue maternelle : R. c. Ferreira, par le juge Wren (J.C.S.), datée du 6 décembre 1993;

5. Le fait de savoir que la langue de l’accusé n’est pas l’anglais, combiné à une indication d’incompréhension de la demande pour une analyse d’haleine ainsi qu’aux déclarations répétées de l’accusé qui affirme ne pas comprendre son droit à un avocat ou encore la signification ou la fonction de l’avocat de service : R. c. Shmoel, [1998] O.J. No. 2233.

[30] La croyance subjective des agents, qui pensent que les accusés comprennent pleinement leurs droits, ne permet pas de trancher la question des « circonstances particulières ». Même si un tribunal admet le témoignage de la police selon lequel les agents croyaient que les accusés comprenaient pleinement leurs droits tels qu’ils ont été expliqués en anglais, les conclusions de fait peuvent tout de même donner lieu à des « circonstances particulières ». Conclure qu’il n’existe pas de circonstances particulières en s’appuyant sur la croyance subjective d’un agent au sujet de la capacité de l’accusé à comprendre ses droits légaux est une erreur de droit justifiant l’annulation. R. c. Vanstaceghem, précité, à la page 6; R. c. Shmoel, [1998] O.J. No. 2233 (C.J.O.), au paragraphe 9; R. c. Lukavecki, [1992] O.J. No. 2123 (Div. gén. Ont.); R. c. Olivia Baca, [2009] O.J. No. 1926 (C.J.O.), au paragraphe 2; R. c. Peralta-Brito, [2008] O.J. No. 81 (C.J.O.).

[31] Le défaut de l’accusé d’affirmer qu’il a de la difficulté à communiquer (c.-à-d. l’accusé n’a pas expressément demandé l’aide d’un interprète ou d’un avocat de service dans une langue particulière) ne permet pas de trancher la question des « circonstances particulières ». R. c. Oliva Baca, précité, au paragraphe 25; R. c. Silva, précité, aux paragraphes 26 et 27; R. c. Peralta-Brito, précité.

[...]

[33] Je conclus que bien que le savant juge de première instance ait exposé une bonne partie de la preuve, il n’a pas procédé à l’analyse juridique nécessaire à l’égard de la question que devait trancher la Cour au sujet de cette requête, à savoir si la preuve démontrait ou non l’existence de « circonstances particulières » qui auraient exigé que les policiers prennent des mesures supplémentaires pour s’assurer que M. Barros DaSilva a été informé de son droit à un avocat, en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte, dans un langage explicite et compréhensible. Au lieu de cela, le juge a fondé sa décision sur la croyance subjective des agents, qui pensaient que l’appelant connaissait et comprenait l’anglais, alors qu’il existait une preuve objective de la présence de circonstances particulières, qui auraient dû alerter les agents et les amener à prendre d’autres mesures pour s’assurer que l’appelant comprenne bien ses droits. À mon sens, il s’agit là d’une erreur de droit.

[34] La preuve révèle clairement que lorsque les agents Skleryk et Shillington se sont entretenus avec M. Barros-DaSilva, il était particulièrement évident pour eux que M. Barros-DaSilva parlait avec un accent et que l’anglais n’était pas sa langue maternelle.

[...]

[46] En ce qui concerne l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte, j’estime que la décision de l’État de ne pas fournir à l’appelant les services d’un traducteur, d’un avocat ou d’un agent de police parlant le portugais a effectivement privé ce dernier de tous ses droits garantis par l’alinéa 10b), ainsi que de son droit à la protection contre l’auto-incrimination  et de son droit au silence. Par conséquent, l’incidence sur les droits de l’appelant garantis par la Charte est importante et favorise donc l’exclusion.

R. c. Therrien, 2006 BCSC 1739 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[36] Les versions française et anglaise de ce que le caporal Gobeil a dit à M. Therrien étaient conformes aux exigences constitutionnelles prévues à l’alinéa 10b) de la Charte. La version française contenait encore plus d’information que la version anglaise, soit que la police pourrait lui fournir ou lui fournirait une liste d’avocats en Colombie-Britannique et ailleurs avec qui il pourrait communiquer sans frais pour obtenir gratuitement des conseils juridiques. M. Therrien a clairement précisé qu’il comprenait les deux versions. En effet, il a déclaré que le terme « ailleurs » faisait référence au Québec ou incluait ce dernier. Le fait que plus tard, il ne se souvenait pas que le caporal Gobeil lui ait offert les services d’un avocat francophone de l’aide juridique ne signifie pas que la police a violé les droits qui lui sont garantis par l’alinéa 10b).

[37] Quoi qu’il en soit, la police n’était pas tenue de l’informer de ses droits en français puisqu’il est clair, d’après le témoignage du caporal Gobeil et l’enregistrement sur bande de leur échange, que M. Therrien comprenait et parlait l’anglais. M. Therrien a tenté de se sauver lorsque le caporal Gobeil l’a informé qu’ils avaient un mandat d’arrestation contre lui sous deux chefs d’accusation pour meurtre au premier degré; M. Therrien a donc compris ce que le caporal Gobeil a dit. Je rejette le témoignage de M. Therrien selon lequel il a seulement réagi au fait que les menottes étaient serrées. Cette explication n’a pas été portée à l’attention du caporal Gobeil lors du contre-interrogatoire, et l’enregistrement audio de l’arrestation démontre qu’une seule des menottes avait été mise à M. Therrien lorsqu’il a tenté de se sauver.

[...]

[40] M. Therrien a confirmé avoir compris tous les renseignements qui lui ont été communiqués dans les deux langues. Le caporal Gobeil a également demandé à plusieurs reprises à M. Therrien s’il avait des questions au sujet de ses droits, ce à quoi il a invariablement répondu par la négative. J’ai perçu des signes d’impatience dans sa voix quand il s’est vu demander à maintes reprises s’il comprenait. Les policiers ont fait preuve d’une grande prudence en lui expliquant également ses droits en français, même si en vertu de la Constitution, ils n’étaient pas tenus de le faire.

R. c. Michaud, [1986] O.J. No. 1631, 45 M.V.R. 243 (Ont. Dist. Ct.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[27] Il est possible que la police n’ait pas à prendre de mesures extrêmes afin de respecter les droits d’un accusé en vertu de l’article 10 de la Charte. Toutefois, pour se conformer aux exigences prévues dans cet article, il est nécessaire que toute personne accusée soit clairement informée de ses droits. L’accusé doit comprendre ce qui lui est dit, de même que les options qui s’offrent à lui afin d’être en mesure de décider d’exercer ou non les droits qui lui sont garantis par la Charte.

[28] Il n’est pas suffisant pour un policier, lors de l’arrestation ou de la mise en détention d’une personne, de lui réciter simplement les droits qui lui sont garantis par l’article 10 de la Charte. Tel qu’il est énoncé à l’alinéa 10b), l’accusé ou le détenu doit être informé de ses droits. Cela signifie que ce dernier doit comprendre ce que l’agent de police lui dit. Autrement, il ne pourra pas décider de façon éclairée d’exercer les droits qui lui sont garantis ou encore d’y renoncer.

[29] Si les droits sont lus en anglais seulement et que la connaissance que l’accusé ou le détenu a de l’anglais ne lui permet pas de bien comprendre la situation, il s’agit alors là de « circonstances particulières », qui mettent en garde l’agent et qui l’obligent à agir raisonnablement, compte tenu des circonstances.

NOTA – Ces paragraphes ont été entérinés par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Vanstaceghem, [1987] O.J. No. 509, 36 C.C.C. (3d) 142 (CA ON).

R. c. Irving, 2016 QCCQ 2697 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[29] En vertu de l’alinéa 10b) de la Charte, chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’être informé de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Ce droit a été établi, dans cette disposition, comme une obligation constitutionnelle des agents de la paix, qui interagissent avec les personnes arrêtées ou détenues.

[30] L’obligation d’informer l’intéressé ne peut pas être contraignante au point qu’il soit nécessaire de prouver que la personne à qui l’information a été communiquée l’a très bien comprise. Il est impossible de savoir avec certitude ce qu’une autre personne comprend, même si les explications données sont très claires. En outre, il semble concevable que l’intéressé bloque la réception de l’information, en criant ou en se bouchant les oreilles, par exemple, ou encore en tombant dans un état psychotique, qui lui fait perdre contact avec la réalité.

[31] Cependant, il est tout aussi inacceptable de prétendre que les obligations constitutionnelles peuvent être respectées simplement en lisant machinalement une formule, sans égard pour la personne à qui elle s’adresse. À mon avis, pour qu’un droit soit valable, il est essentiel qu’il soit communiqué de manière à ce que la personne qui transmet le message soit assurée, dans une mesure raisonnable, que ce dernier a bien été reçu.

[32] Je crois qu’une pratique qui a cours, laquelle n’est pas essentielle, mais peut être très utile, consiste à demander à l’intéressé de répéter ce qui a été dit dans ses propres mots.

[33] Au fond, la question de la langue est celle qu’il me faut trancher en l’espèce. À ce titre, il me semble pour le moins raisonnable de lire les droits de l’accusé dans sa langue, en particulier si celle-ci est l’une des deux langues officielles du pays et que les policiers peuvent facilement s’exprimer dans la langue de la personne mise en état d’arrestation.

Ashevak c. R., 2015 QCCQ 9636 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[9] Après avoir analysé la déclaration de l’accusé, qui affirme ne pas très bien comprendre l’anglais, la Cour reconnaît le fait que M. Ashevak est un Inuit âgé de 47 ans, dont la langue maternelle est l’inuktitut; il parle l’inuktitut à la maison, il n’avait pas à parler anglais lorsqu’il travaillait et dans une collectivité comme Salluit, un Inuit n’a généralement pas besoin, au quotidien, de parler anglais, à moins que son travail ne l’exige.

[...]

[12] La Cour est convaincue que la compréhension de l’anglais de l’accusé ne lui a pas permis de comprendre adéquatement ses droits et d’être pleinement conscient de ce qu’une renonciation supposait.

[13] Par conséquent, l’agent de police avait l’obligation de lui offrir des services de traduction – qui étaient accessibles selon la version des faits de l’agent – ou de le questionner de façon plus poussée pour s’assurer qu’il comprenait clairement ses droits et les conséquences possibles s’il y renonçait, en particulier dans la mesure où l’Inuit auquel il avait affaire n’avait jamais eu de démêlés avec la police auparavant.

R. c. Bassi, 2015 ONCJ 340 [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[42] L’avocat de la Couronne a fait valoir que je devrais conclure qu’il n’y avait pas de circonstances particulières, puisque selon ses observations, les échanges que M. Bassi a eus avec les agents, lorsque ceux ci sont examinés dans leur ensemble, démontrent qu’il a compris la teneur des communications entretenues avec eux. Je reconnais que M. Bassi pouvait s’exprimer raisonnablement bien en anglais. Cependant, la jurisprudence reconnaît qu’une personne arrêtée et mise en détention est placée dans une situation de vulnérabilité et se trouve souvent, comme c’est le cas en espèce, en terrain inconnu. La jurisprudence reconnaît également que des notions complexes entrent en jeu pour comprendre les circonstances auxquelles fait face une personne en état d’arrestation, de même que les conseils juridiques prodigués; ainsi, une personne capable de se débrouiller en anglais dans la vie de tous les jours peut ne pas avoir une connaissance suffisante de l’anglais pour comprendre les complexités des questions d’ordre juridique. Compte tenu des circonstances, en particulier des commentaires expressément formulés par M. Bassi dans la salle de prélèvement des échantillons d’haleine concernant son manque de compréhension et le fait que l’anglais n’est pas sa langue maternelle, je reconnais qu’il avait de la difficulté à comprendre l’avocat de service qui s’exprimait en anglais et qu’il existait des circonstances particulières.

[43] L’avocat de la Couronne a également soutenu que je devrais conclure que l’existence de circonstances particulières n’a pas été prouvée, étant donné que les agents de police Drexler et Simmonds ont tous deux affirmé que selon eux, M. Bassi parlait parfaitement bien l’anglais. Je rejette cet argument. Ce dernier ne concorde pas avec l’analyse effectuée dans la jurisprudence. La jurisprudence reconnaît qu’il n’est pas de la responsabilité des agents de police de juger du niveau de compréhension de l’anglais du défendeur ou de la bonne foi de ses déclarations lorsqu’il affirme ne pas comprendre certaines choses. La loi est claire à ce sujet, et il en va ainsi depuis de nombreuses années. Je me dois d’appliquer un critère objectif, en me fondant sur toutes les circonstances de l’espèce.

[...]

[49] Les agents Drexler et Simmonds ont tous deux indiqué dans leur témoignage que M. Bassi n’a jamais demandé à rencontrer un avocat de service parlant le pendjabi ou à obtenir les services d’un interprète pour appeler son avocat. Ils ont affirmé que si M. Bassi l’avait demandé, ils auraient accédé à sa demande. Ces propos démontrent que les agents ne comprennent pas bien leurs obligations découlant de la Charte en ce qui a trait aux questions d’ordre linguistique. La jurisprudence reconnaît qu’une personne en état d’arrestation, en particulier quelqu’un comme M. Bassi qui n’a jamais été arrêté auparavant, peut ne pas être au fait de l’existence d’un avocat de service dans une langue autre que l’anglais ou d’un service d’interprétation simultanée par téléphone à utiliser lors des communications avec un avocat. En présence d’une preuve objective de l’existence de circonstances particulières liées à la langue, les policiers ont l’obligation de prendre des mesures, notamment d’offrir l’assistance d’un avocat de service qui parle la langue maternelle du détenu ou encore les services d’un interprète pour s’entretenir avec un avocat. Il n’est pas de la responsabilité du détenu d’être au fait de ces services et de demander à en bénéficier. Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 48 ci-dessus, les commentaires de l’agent Simmonds selon lesquels les seules options possibles pour une deuxième consultation avec un avocat étaient d’avoir recours à un avocat du secteur privé, si M. Bassi en connaissait un (ce qui n’était pas le cas), ou de s’entretenir de nouveau avec l’avocat de service (anglophone), ont laissé à tort l’impression que M. Bassi n’avait pas d’autres options.

[50] Après que M. Bassi eut exprimé ses préoccupations concernant la langue, l’agent Simmonds, plutôt que d’offrir à ce dernier les services d’un interprète ou d’un avocat de service parlant le pendjabi, a demandé à M. Bassi s’il avait des questions qu’il aimerait poser à l’avocat de service plutôt qu’à lui. Pris dans le contexte de l’alinéa 10b), cet échange est troublant pour deux raisons.

[51] Premièrement, en ce qui concerne la langue, il ne fait pas suite aux problèmes qu’a clairement soulevés M. Bassi quant à sa compréhension de l’anglais. L’agent Simmonds n’allait pas répondre aux questions de M. Bassi en pendjabi.

[52] Deuxièmement, et plus fondamentalement encore, cet échange porte atteinte au rôle de l’avocat, en ce sens que l’agent cherche à savoir ce que le détenu souhaite demander à son avocat pour ensuite décider s’il est approprié de poser cette question à l’avocat ou à la police. Au lieu d’offrir à M. Bassi l’assistance d’un avocat de service parlant le pendjabi ou les services d’un interprète pour s’entretenir avec son avocat, l’agent Simmonds a décidé de s’interposer afin de déterminer quelles questions il était approprié de la part de M. Bassi d’aborder avec son avocat.

[53] J’admets que dans un sens, il peut y avoir un chevauchement partiel entre les conseils juridiques prodigués par un avocat et l’obligation d’un agent d’informer l’intéressé des motifs de son arrestation ou de sa détention, en vertu de l’alinéa 10a) de la Charte. Ceux-ci sont différents sur le plan fonctionnel, mais ils peuvent tous deux porter sur les éléments constitutifs de l’infraction reprochée. Cependant, il me semble que lorsqu’un agent entame une discussion avec un détenu au sujet des points que ce dernier souhaite aborder avec son avocat, il s’engage sur un terrain glissant et inapproprié. Ce dont une personne souhaite discuter avec son avocat est exactement ce que vise à protéger le secret professionnel de l’avocat et le concept plus général de la confidentialité de la relation avocat-client : Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 21, aux pages 833 à 837; Descôteaux et autre c. Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860, aux pages 870 à 875; R. c. McClure, 2001 CSC 14 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 445, aux paragraphes 17 à 37.

[54] Je trouve des éléments supplémentaires pour étayer ma conclusion selon laquelle les policiers n’ont pas respecté les droits de M. Bassi, en vertu de l’alinéa 10b), en ce qui concerne la langue, dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Sinclair, 2010 CSC 35 (CanLII), [2010] 2 R.C.S. 310. L’arrêt Sinclair ne porte pas expressément sur les droits linguistiques. Cependant, il traite du droit de communiquer de nouveau avec un avocat en présence d’une preuve objective que le détenu peut ne pas avoir compris les conseils initiaux donnés aux termes de l’alinéa 10b). La juge en chef McLachlin et la juge Charron, s’exprimant au nom de la majorité, ont soutenu, aux pages 338 et 339 de l’arrêt Sinclair, que l’obligation d’offrir la possibilité de consulter de nouveau un avocat existe en présence de circonstances objectives indiquant que le détenu peut ne pas avoir compris les conseils reçus initialement en vertu de l’alinéa 10b). Bien que l’agent Simmonds fût conscient que M. Bassi avait déjà parlé à un avocat, il savait également que cette consultation s’était déroulée en anglais. M. Bassi a clairement indiqué à l’agent Simmonds que l’anglais n’était pas sa langue maternelle, que certaines choses dites en anglais lui échappaient parfois et qu’il n’avait compris qu’environ 90 % de ce que l’avocat de service lui a dit; il s’agit là de circonstances objectives qui entraînaient l’obligation d’autoriser une deuxième consultation avec un avocat. En outre, cette obligation s’accompagnait, en l’espèce, du devoir d’offrir l’assistance d’un avocat de service parlant le pendjabi ou encore les services d’un interprète pendjabi lors de la consultation avec un avocat.

[...]

[72] Les répercussions à long terme sur la considération dont jouit l’administration de la justice m’amènent à conclure, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, qu’il est préférable d’exclure les éléments de preuve dans ce cas-ci. Comme je l’ai indiqué précédemment, j’ai décelé un certain nombre de facteurs aggravants qui font que la violation commise est particulièrement grave. Bien que la preuve que constitue l’échantillon d’haleine soit fiable et porte à peine atteinte à l’intégrité physique, les répercussions d’une violation des obligations prévues à l’alinéa 10b) concernant la langue sont importantes pour le défendeur. Les personnes qui sont arrêtées et détenues sont vulnérables et leur refuser le droit de s’entretenir avec un avocat dans leur langue maternelle a des répercussions importantes pour eux. Le droit dans ce domaine est bien établi, et il en va ainsi depuis de nombreuses années. Les policiers doivent respecter le fait qu’il n’est pas de leur devoir d’évaluer le bien-fondé des déclarations d’un détenu en ce qui concerne la langue. Au sein d’une administration diversifiée comme celle de la région de Peel, l’administration de la justice est déconsidérée lorsque les policiers ne connaissent pas bien leurs obligations pourtant bien établies en ce qui a trait à la langue et à l’alinéa 10b), en particulier lorsque les ressources nécessaires pour faire respecter ces droits sont facilement accessibles dans la région. La Cour ne peut pas fermer les yeux sur ce genre de comportement : R. c. Au-Yeung, 2010 ONSC 2292 (CanLII), aux paragraphes 67 à 69. J’estime que pour assurer la considération portée à long terme à l’administration de la justice, il convient d’exclure, en l’espèce, la preuve que constituent les résultats de l’échantillon d’haleine.

R. c. Stabile, 2010 QCCQ 10118 (CanLII)

[46] Remettre une carte bilingue à une personne arrêtée ou détenue pour qu’elle en prenne connaissance par elle-même n’est pas un moyen acceptable permettant de s’assurer qu’elle est en mesure de bien comprendre la portée de son droit.

[47] La procédure appropriée aurait été de solliciter l’aide d’un autre agent « peacekeeper », s’exprimant convenablement en français, pour l’informer de ses droits. À cette étape, si personne ne pouvait intervenir efficacement, il fallait requérir les services d’un interprète toujours disponible en cas d’arrestation ou de détention d’une personne de langue étrangère.

[48] À noter qu’il n’est pas question ici d’exiger que les « peacekeepers » de Kahnawake soient tous bilingues. En cas de nécessité, il leur faut toutefois recourir à des mesures appropriées telles demander à un confrère possédant une connaissance suffisante de la langue française de procéder à la lecture des droits constitutionnels et d’en vérifier la compréhension ou encore communiquer avec le bureau des interprètes pour s’assurer que le détenu soit bien informé des motifs de son arrestation ou de sa détention, de la possibilité d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et qu’il comprenne bien la portée de ses droits garantis par la Charte.

R. c. Kwitkowski, 2009 QCCQ 1221 (CanLII)

[9] Deux devoirs incombent selon la jurisprudence aux agents de la paix : un premier devoir d'information des droits et mise en garde à l'accusé (« informational duty ») et un second devoir positif de mise en œuvre (« implementional duties ») des conditions permettant d'exercer les droits reconnus par la loi. (R. c. Dubois, 1990 CanLII 3298 (QC CA), [1990] R.J.Q. 681).

[10] Ce premier devoir d'information est satisfait validement par les efforts et la patience des agents de la paix afin que l'accusé comprenne ses droits. L'accusé aura parfaitement compris son droit de consulter un avocat.

[11] Le second devoir positif de mise en œuvre par la force policière des droits conférés ("implementational" duties) incombe aux agents de la paix.  Pour qu'un accusé connaisse la nature et l'étendue de ses droits alors que l'aisance linguistique est manifestement ou apparemment en cause et qu'apparaît le scepticisme d'un accusé quant à sa capacité de pouvoir communiquer efficacement avec un avocat dans l'une des deux langues officielles du Canada, les agents de la paix ont cette obligation de mettre en œuvre ces moyens qui permettent à un accusé de communiquer efficacement avec un avocat pour qu'il comprenne bien la nature et l'étendue de ses droits.

[…]

[18] Aussi, lorsque des préoccupations de compréhension de la langue de consultation sont au cœur des circonstances révélées par une preuve, les devoirs d'information par les agents de la paix devraient recevoir une interprétation rigoureuse. Le défaut de communiquer la disponibilité des services de consultations juridiques concurremment avec ces services afférents et indispensables d'interprète qui existent pour ceux qui ne maîtrisent pas une des langues officielles ou qui manifestent à cet égard la crainte de ne pouvoir efficacement prendre conseil auprès d'un avocat compromet la validité d'une renonciation [(Regina v. Lim (No. 3) (1990), 1 C.R.R. (2d) 148 (Ont. C.A.) défaut de fournir les services d'un interprète dans le cas d'une difficulté évidente à parler l'une des langues officielles].

[…]

[42] Même un justiciable rompu aux droits que seraient les siens, aurait néanmoins droit aux mêmes informations et mise en œuvre des pleins droits d'un accusé si peu habile dans la seule langue officielle qu'il parle au pays. Le niveau de compréhension du français par l'accusé bien illustré par les nombreux témoignages entendus commandait que soit (sic) offert à l'accusé les services d'un interprète pour qu'il communique efficacement avec son avocat. Ce n'est pas qu'il ne voulait pas simplement un avocat. Il ne voulait pas d'un « avocat français ».

[43] Les droits des accusés qui naissent des garanties juridiques conférées à l'article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés ont comme corollaires des devoirs imposés aux agents de la paix sur l'étendue des conditions mises à la disposition des accusés pour l'exercice efficace du droit de consulter un avocat.

[44] Ainsi, une renonciation à l'exercice de cette garantie juridique sera suffisante et respectueuse des droits constitutionnels d'un justiciable lorsqu'il aura connaissance  des moyens qui sont et doivent être mis à sa disposition pour faire une décision éclairée, pour qu'une renonciation lui soit opposable (Regina v. Parks (1988), 33 C.C.R. 1 (Ont. H.C.), juge Watt).

[45] Il est vrai que le préjudice subi par l'accusé n'aurait pas changé l'obligation de l'accusé de fournir des échantillons d'haleine. Il n'y a pas eu de déclaration dont il est allégué qu'elle ait été faite en violation de son droit de demeurer silencieux.

[46] Pourtant, il s'agit d'un droit sacro-saint que celui de mettre à la disposition d'un accusé les services de conseils juridiques et d'interprète qui rendent utile l'exercice de ce droit fondamental, notamment en ces matières complexes pour un citoyen que sont les accusations de facultés affaiblies et d'alcoolémie supérieure au taux prescrit par la loi. Une obligation de retarder de soumettre l'accusé au test d'alcoolémie s'imposait tant que les moyens de consulter un avocat avec l'aide d'un interprète n'avaient pas été offerts et, dans l'affirmative, exercé et les tests d'alcoolémie d'autant retardés (R. v. Prosper, 1994 CanLII 65 (CSC), [1994] 3 S.C.R. 236).

[47] Le défaut d'y donner suite dans l'esprit de la Charte donne droit au remède qui a été accordé de façon habituelle, soit l'exclusion de la preuve qui suit la violation de ce droit et de la preuve dérivée afférente.

[48] Objectivement, ce droit d'accès à un avocat dont on comprend les conseils demeure primordial dans notre droit. Les officiers de la paix ont ce devoir à l'occasion d'une arrestation de s'assurer que l'accusé bénéficie pleinement d'un droit duquel il ne saurait être arbitrairement ou erronément en droit et fait privé.

R. c. Mario Régis Mazerolle, 2008 NBCP 31 (CanLII)

[28] En ce qui concerne l’article 10(b) de la Charte, il faut noter dans les instances où un individu qui conduit un véhicule à moteur, détenu par un agent de la paix qui soupçonne la présence d’alcool dans son organisme et qui anticipe lui faire lecture de l’ordre sous l’article 254(2) du Code criminel, choisit une langue autre que celle utilisée par l’agent de la paix, ce dernier ne peut pas lui faire lecture de son droit à l’avocat.  Il ne parle pas la langue choisie et ne peut pas s’attendre qu’il va se faire comprendre.  L’agent Arbeau ne pouvait donc pas lui aviser de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat en attendant l’arrivée de l’agent Goodfellow.  Le droit à l’avocat devait donc être suspendu en attente de l’arrivée d’un agent de la paix qui parlait la langue choisie par le détenu.  Après l’arrivée de l’agent Goodfellow celui-ci à mon avis a procédé immédiatement à l’ordre obligeant M. Mazerolle de fournir un échantillon d’haleine en vertu du paragraphe 254(2) du Code criminel.  Il n’y a pas eu de délai déraisonnable. 

R. c. Peralta-Brito, 2008 ONCJ 4 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[44] Après avoir examiné le dossier d’instruction dans son ensemble, je conclus qu’il existait des « circonstances particulières » en l’espèce, qui obligeaient l’agent qui a procédé à l’arrestation à prendre des mesures raisonnables pour s’assurer que l’accusé comprenait pleinement son droit à un avocat et prenait sciemment la décision d’y renoncer, jusqu’à ce qu’il ait fourni des échantillons de son haleine à un technicien qualifié. Bien que l’accusé eût semblé comprendre l’anglais, comme l’ont démontré ses réponses et ses réactions appropriées aux questions et aux directives de l’agent qui a procédé à son arrestation, son « fort » accent espagnol et le fait qu’il verbalisait peu auraient dû alerter l’agent et l’amener à déduire que l’anglais n’était pas la langue maternelle de l’accusé et que ce dernier pourrait donc avoir de la difficulté à comprendre son droit à l’assistance d’un avocat.

[45] Nonobstant le fait que l’accusé a expressément confirmé qu’il comprenait ses droits en vertu de l’alinéa 10b) et qu’il a par la suite renoncé à son droit de consulter un avocat avant de subir l’épreuve de dépistage, le principe établi dans Vanstaceghem, une décision qui lie la présente Cour, exige que les policiers, dans les cas où il existe des « circonstances particulières », prennent des mesures raisonnables pour s’assurer, d’un point de vue objectif, que les droits constitutionnels de l’accusé ont été bien compris. L’accusé n’a pas le devoir de demander l’aide d’un interprète; il incombe plutôt à la police de s’assurer que l’accusé a compris son droit à l’assistance d’un avocat. D’un point de vue objectif, il est possible de s’en assurer en expliquant à l’accusé son droit à l’assistance d’un avocat dans sa langue maternelle, soit de vive voix ou par écrit, ou en le mettant en contact avec un interprète ou un avocat de service qui maîtrise sa langue maternelle.

[46] Bien que, dans ce cas particulier, les agents aient agi de bonne foi dans tous leurs échanges avec le demandeur et aient eu des raisons de croire que l’accusé avait une bonne connaissance pratique de l’anglais, comme l’ont démontré son comportement réceptif et ses réponses verbales généralement appropriées, leur défaut de prendre des mesures pour s’assurer ou confirmer, d’un point de vue objectif, que l’accusé comprenait ses droits, d’une manière explicite et compréhensible, constitue une violation des droits de l’accusé en vertu de l’alinéa 10b). Bien que chaque cas repose sur les faits qui lui sont propres, je suis convaincu que l’accusé a démontré que ses droits, en vertu de l’alinéa 10b), ont été violés, selon la prépondérance des probabilités.

[47] J’en arrive à cette conclusion en dépit des sérieuses réserves que j’émets concernant la véracité de certains aspects du témoignage livré par l’accusé, dans le cadre de la présente demande, notamment lorsqu’il prétend avoir une connaissance limitée de l’anglais. Je suis également conscient du fait que la dénonciation ou le document d’accusation en l’espèce indique que l’accusé, qui n’était pas représenté lorsque la date de l’instruction a été mise au rôle dans cette affaire, a précisé qu’il n’avait pas besoin de l’aide d’un interprète lors de ce procès. La transcription des débats lors de la comparution visant à fixer la date de l’instruction, le 4 mai 2006, confirme l’entrée faite par le greffier concernant l’information relative à cette date, dans laquelle il est indiqué que l’accusé a expressément confirmé qu’il ne voulait pas l’aide d’un interprète lors du procès. Tel qu’il a été mentionné, M. Peralta-Brito a reçu l’aide d’un interprète hispanophone tout au long de la présente procédure.

[48] Malgré mes réserves, je reste convaincu que le demandeur a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’a pas réellement compris son droit à l’assistance d’un avocat et tout ce que ce droit implique. Le fait que l’accusé a demandé à parler à un avocat après qu’il eut subi l’épreuve de dépistage peut être interprété comme une confirmation de cette analyse. Les échanges verbaux de l’accusé avec l’agent qui a procédé à son arrestation et sa déclaration selon laquelle cet agent a commis « une erreur », en ne lui fournissant pas l’assistance d’un avocat dès son arrivée au poste de police, peuvent servir à démontrer que le demandeur a mal compris la teneur du droit à un avocat. Cette mauvaise compréhension peut avoir contribué au fait que l’accusé a renoncé initialement, soit avant que les échantillons d’haleine ne soient prélevés, au droit de s’entretenir avec un avocat.

Conséquences de la violation de la Charte

[49] Je conclus que le droit à un avocat conféré à M. Peralta-Brito en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés a été violé, compte tenu des préoccupations linguistiques mentionnées et de l’absence de tout examen objectif, qui aurait permis aux agents de s’assurer que l’accusé possédait une compréhension suffisante de l’anglais. Je suis incapable de conclure que l’accusé comprenait pleinement son droit à l’assistance d’un avocat lorsqu’il y a renoncé au départ. En conséquence de cette violation de la Charte, la preuve que constituent les épreuves de dépistage a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui même.

[...]

[51] Une personne mise en détention par la police doit être informée de son droit à l’assistance d’un avocat de manière explicite. D’après les faits en l’espèce, l’évaluation subjective effectuée par l’agent en ce qui a trait à la connaissance de l’anglais de la personne détenue ne constitue pas un fondement factuel suffisant pour conclure que l’accusé a été informé de ses droits de manière explicite ou compréhensible. La violation de ce droit fondamental est grave, et par conséquent, je conclus que l’admission en preuve du certificat d’analyse déconsidérerait l’administration de la justice.

Voir également :

R. c. Girard, 1993 CanLII 3159 (NS CA) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Ibrahem, 2016 ONSC 3196 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Ibrahim, 2016 ONSC 485 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Dumont, 2014 ONSC 4133 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

H.M.T.Q. c. Blackduck, 2014 NWTSC 58 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Doan and Nguyen, 2012 ONSC 3776 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Chen and Ye, 2012 ONSC 2832 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Lee, 2012 BCSC 1548 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Chodzba, 2009 CanLII 46659 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Poon and Wong, 2006 BCSC 869 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Wroblewski, 2002 CanLII 36530 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Kanuma, 2002 BCSC 355 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Cho, 1998 CanLII 3774 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Albert, 2015 ABPC 155 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Singh, 2015 ABPC 62 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Iyadurai, 2015 ONCJ 806 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Kim, 2014 ONCJ 106 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Melo, 2012 ONCJ 765 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Haidari, 2012 ONCJ 290 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Liagon, 2012 ABPC 56 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Tran, 2011 ONCJ 75 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Xhango, 2010 ONCJ 503 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Oliva Baca, 2009 ONCJ 194 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Losier, 2009 NBCP 43 (CanLII)

R. c. Quach, 2007 ONCJ 645 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. A.M., 2007 MBQB 205 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Liard, 2006 ONCJ 64 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Silva, 2005 ONCJ 2 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Berezin, 2005 ONCJ 137 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rose, 2003 CanLII 32 (NL PC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Ly, [1993] O.J. No. 268 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Lim, [1993] O.J. No 3241 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Saini, [1992] B.C.J. No. 945, Vancouver Registry No. CC911319 (BC SC) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Lukavecki, [1992] O.J. No. 2123 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Shmoel, [1998] O.J. No. 2233 (Ont. C.J. – Prov. Div.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Tanguay (1984), 27 M.V.R. 1 (Co.Ct. Ont.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions traitant de l’art. 10 de la Charte canadienne et des enjeux de compréhension linguistique.

 

11. Affaires criminelles et pénales

11. Tout inculpé a le droit :

a)  d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche; 

b)  d'être jugé dans un délai raisonnable; 

c)  de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche; 

d)  d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

[…] 

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations – Paragraphe 11a)

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[105] Cela m'amène à l'autre méthode qu'on nous a invités à adopter et qui nous ferait considérer l'art. 133 comme renforçant la conception qu'a l'appelant de ses droits linguistiques, en prêtant à l'article ou en y rattachant des exigences de justice naturelle et d'équité en matière de procédure. À cet égard, l'appelant s'est référé dans son mémoire à l'al. 11a) de la Charte canadienne des droits et libertés :

11. Tout inculpé a le droit :

a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche;

D'après lui, les exigences de cette disposition [TRADUCTION] "servent à compléter les garanties prévues à l'art. 133". Et il ajoute :

[TRADUCTION]  De plus les exigences en matière de droits linguistiques prévues par l'art. 133 de notre Constitution et par l'al. 11a) de notre Charte des droits et libertés sont renforcées et explicitées dans :

 R. c. Côté (l977), 1977 CanLII 1 (CSC), 33 C.C.C. (2d) 353, le juge de Grandpré :

"... la règle par excellence quant au caractère suffisant d'une dénonciation consiste à se demander si l'accusé a été raisonnablement informé de l'infraction qu'on lui impute, de manière à avoir la possibilité d'opposer une défense pleine et entière et à subir un procès équitable." [Extrait du sommaire.]

[…]

[118] Avant de délaisser ce sujet cependant, je souhaite écarter toute idée, s'il en est, que le droit de l'appelant à un procès équitable, par opposition à ses droits linguistiques, pourrait en quelque sorte avoir été violé selon les faits de l'espèce et qu'il pourrait avoir droit à une libération ou à un nouveau procès sur tout autre fondement que l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[119] Si j'ai bien compris, telle n'était pas la position de l'appelant. Du début à la fin de ces procédures, son argumentation a porté uniquement sur son interprétation de l'art. 133. C'est ce qu'a dit le juge Bourassa. Dans son avis d'appel à la Cour supérieure, qui a été déposé après l'entrée en vigueur de la Charte, l'appelant n'a invoqué ni la Charte ni aucun principe de justice naturelle ou d'équité en matière de procédure; la seule disposition sur laquelle il s'est expressément appuyé a été l'art. 133. Il a fait la même chose dans sa demande d'autorisation d'appel et dans son avis d'appel à la Cour d'appel. Dans ses motifs de jugement, à la p. 999, le juge Meyer a fait allusion à la Charte, soit de son propre chef, soit parce qu'il en a été question au cours du débat, pour conclure, à juste titre selon moi : 

[TRADUCTION]  ... ma décision serait la même, que la nouvelle Charte des droits soit applicable ou non. À mon sens, la seule question pertinente a trait au sens qu'il faut donner à l'art. 133 et à son applicabilité en l'espèce.

[120] Les premières et seules plaidoiries de l'appelant qui mentionnent brièvement la Charte et les exigences de la justice naturelle sont sa demande d'autorisation de pourvoi à cette Cour et son mémoire. Tous deux vont dans le même sens et j'ai déjà cité la partie principale de son mémoire à cet égard : la Charte et les exigences de la justice naturelle ne sont invoquées par l'appelant que pour renforcer son argument essentiel relativement à l'art. 133. Il est révélateur aussi que la question constitutionnelle que l'appelant a soumise au juge Ritchie, qui l'a acceptée, ne porte que sur l'art. 133 et non sur la Charte. En résumé, le seul but poursuivi par l'appelant, si je comprends bien, a été, dès le départ et tout au long de l'instance, de faire valoir ses droits linguistiques de Québécois anglophone, tels qu'il les conçoit, et non pas le droit à un procès équitable que tous possèdent également.

[121] Mais même si j'avais mal compris l'appelant, je serais quand même d'avis que, compte tenu des faits et des plaidoiries en l'espèce, nous n'avons pas à nous intéresser à la Charte, ni à la question de savoir si l'appelant s'est vu refuser un procès équitable ou s'il avait droit à un procès en anglais, s'il ne l'a pas eu.

[122] Rien en l'espèce n'indique dans quelle(s) langue(s) le procès et le procès de novo se sont déroulés, si ce n'est que l'appelant a défendu sa cause en anglais devant le juge Bourassa. À aucun moment, l'appelant n'a allégué qu'il ne comprenait pas l'inculpation ou la preuve qui pesait contre lui; d'après ce qu'il a dit, il a obtenu une traduction de la sommation. Rien n'indique qu'il a demandé à la cour une traduction et nous n'avons pas à décider s'il y aurait eu droit.

R. c. Simard, [1995] O.J. No. 4975, 27 O.R. (3d) 97 (C.A. Ont.)

[42] Je suis d'avis que l'obligation du substitut du procureur général de fournir, sur demande du prévenu, une traduction écrite existe quelle que soit la complexité de la dénonciation.  De même que l'accusé, dans une procédure par acte d'accusation, est celui qui décide s'il a besoin de l'assistance d'un interprète (R. c. Tran, précité), seuls le prévenu ou son avocat, dans une poursuite sommaire, sont en mesure de décider s'il est nécessaire d'obtenir une dénonciation traduite dans la langue officielle du procès, afin de les informer adéquatement de l'infraction précise reprochée : art. 11a) de la Charte.  Tout en respectant la distinction qui doit être maintenue entre les droits linguistiques et les principes de justice fondamentale (MacDonald, précité), je répète qu'il incombe à eux seuls de décider si une traduction écrite est nécessaire pour comprendre l'étendue et la portée de la dénonciation afin de préparer une pleine et entière défense. Voilà, à mon sens, ce qui est requis pour assurer au prévenu un procès équitable dans sa langue officielle.

Annotations – Paragraphe 11b)

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[110] L’appelant soutient que les nombreuses atteintes aux droits linguistiques de l’appelant constituaient une violation non seulement des articles 530 et 530.1 du Code criminel, mais aussi de l’art. 7 et de l’al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon l’appelant, un arrêt des procédures en vertu de l’article 24(1) de la Charte ou de la common law constituerait une réparation efficace de la violation de ses droits. Le ministère public, pour sa part, soutient qu’il n’y a eu aucune violation de droits et que, si le tribunal devait tirer la conclusion contraire, la réparation appropriée serait la continuation des procédures, assortie d’une ordonnance d’un procès unilingue en français.

[111] À mon avis, étant donné le nombre et l’importance des atteintes aux droits de l’appelant, il est essentiel qu’une réparation efficace soit imposée. Rappelons que les droits linguistiques ne sont pas des droits procéduraux mais bien des droits substantiels. Une réparation appropriée doit remédier à la situation dans la mesure du possible, mais aussi assurer que le ministère public soit tenu responsable des manquements à ses obligations.

[…]

[116] L’appelant cherche aussi à invoquer l’al. 11b) de la Charte et demande qu’un arrêt des procédures soit accordé en raison des retards intolérables subis par l’appelant du fait qu’il a dû entreprendre les présentes démarches pour que ses droits linguistiques soient respectés.

[117] Cette question est soulevée pour la première fois par l’appelant devant cette cour. Le ministère public se trouve donc privé de la possibilité de déposer des éléments de preuve pertinents. Le dossier est dépourvu des transcriptions des diverses comparutions précédant l’enquête. Il ne comporte pas non plus d’autres éléments de preuve qui permettraient d’appliquer les facteurs pertinents à la détermination du caractère raisonnable des délais, autres que ceux subis à cause de la demande en certiorari, dont les renonciations aux délais, les raisons des délais, ou le préjudice subi par l’appelant.

[118] À mon avis, le dossier qui nous est présenté ne nous permet pas de faire l’analyse qui s’impose. La question des délais et celle de savoir si l’al. 11b) peut être invoqué pour obtenir un arrêt des procédures comme réparation devront faire l’objet d’une demande en première instance si l’appelant désire y donner suite.

[119] Cependant, rien dans les présents motifs ne devrait donner à penser que l’appelant n’est pas libre de formuler une telle demande, appuyée par la preuve nécessaire, y compris les délais causés par le non-respect de ses droits linguistiques.

Bossé c. R., 2015 NBBR 177 (CanLII)

[26] La juge du procès a attribué ce que j’ai appelé le « délai de traduction » aux actes de l’accusé, bien que le procureur du ministère public, dans son mémoire, ait admis que ce délai de huit mois était imputable au ministère public. En fait, cela n’a même pas été discuté dans les observations orales, et aucune question n’a été posée sur cet élément du retard. La juge du procès n’était pas liée par cet aveu du ministère public. Mais la Cour aurait pu poser des questions à l’un ou l’autre des avocats. Elle ne l’a pas fait.

[27] De toute façon, je conclus que la juge du procès a commis une erreur de droit quand elle a imputé ce retard à l’accusé. Il faut affirmer que ce retard a été causé par le ministère public. Le procureur du ministère public l’a avoué avec raison à l’audience sur la motion, bien que le nouveau procureur du ministère public en appel ne souscrive pas à cette assertion.

[28] Il était bien connu, dès le moment du dépôt de la dénonciation, que le procès serait tenu en anglais. La divulgation a été faite rapidement, et les parties ont déclaré qu’il y avait des milliers de documents, peut-être environ 5 000. Ce n’est que moins de deux semaines avant le procès que l’accusé a été avisé des documents qu’on avait l’intention de déposer en preuve, lorsque son avocat a reçu un courriel auquel était annexée une lettre ou une liste des documents. Six relieurs à feuilles mobiles sont arrivés le lendemain ou peu après. Mais lorsqu’il a reçu le courriel, l’un des avocats de l’accusé, moins d’une heure plus tard, a envoyé sa réponse, et, comme les deux avocats l’ont confirmé à la Cour, Me Matchim a écrit, non pas textuellement peut-être, mais selon le résumé qu’en a donné le procureur du ministère public commis au dossier (transcription, 6, 9 et 19 novembre 2012, p. 89) : [TRADUCTION] « Je suppose que vous aurez la traduction de tous vos… des documents français en anglais. C’est ce qu’il a dit. » Il faut remarquer que le procureur du ministère public a seulement vu le courriel le matin de la date de procès fixée intialement. Les avocats ont expliqué que le premier courriel provenait de l’adjoint du procureur et que, quand l’avocat de la défense a envoyé sa réponse, celle-ci est retournée à l’adjoint. Cependant, le procureur du ministère public a admis que même s’il l’avait vue avant, il aurait été trop tard pour obtenir une traduction des documents, et sa conviction était en fait qu’une traduction n’était pas nécessaire.

[29] La juge du procès a considéré cette réponse par courriel du 25 ou du 27 octobre comme une demande de traduction. Elle a dit ensuite que la demande ou la motion faite par l’accusé le 5 novembre 2012, date où le procès était censé commencer, a rendu nécessaire l’ajournement de huit mois qui s’est ensuivi. Avec égards, je ne suis pas d’accord. Ce qui a causé cet ajournement, c’est le fait que même si le procès devait être tenu en anglais, le ministère public a oublié son obligation de s’assurer que la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, serait traduite. En réalité, le procureur du ministère public a été surpris que la question surgisse le 5 novembre, et il était convaincu que le ministère public n’avait pas l’obligation de fournir la traduction des documents. Juridiquement, cette obligation était de rigueur dès le premier jour, le 30 avril 2012, et si le ministère public avait discuté la question avec la défense plus tôt, il aurait pu s’en occuper dès le début. Alors, il a fallu faire une demande d’ajournement, mais le juge et même le procureur du ministère public ont mentionné le fait que cela pourrait déclencher une motion fondée sur l’al. 11b), et c’est ce qui est arrivé.

[30] Lorsque l’accusé a choisi de subir son procès en anglais, il n’avait pas l’obligation additionnelle de rappeler au ministère public qu’il voulait tout son procès en anglais, y compris tout document à déposer en preuve et pas seulement les témoignages de vive voix ou les observations et les questions des avocats. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, dans l’arrêt R. c. Boudreau (1990), 107 R.N.B. (2e) 298, 1990 CanLII 4056 (NB CA), a affirmé que les documents déposés en preuve devraient être traduits dans la langue du procès.

[31] Le juge qui a fixé les dates initiales du procès avait ordonné que les contestations fondées sur la Charte soient formulées avant le 10 septembre 2012. La juge saisie du procès et de la motion a dit : [TRADUCTION] « Cette demande ou motion de l’accusé aurait dû être déposée au plus tard le 10 septembre 2012, comme les parties en avaient convenu au départ le 18 juin 2012 et comme la Cour l’a confirmé le 25 juin 2012, ou du moins, le poursuivant aurait dû en être saisi beaucoup plus tôt, puisque la divulgation a eu lieu le 1er mai 2012. » Ici encore, je conclus que ce n’est pas l’accusé qui avait la charge de s’assurer que le ministère public ferait son travail. Je conclus aussi que sa demande d’avoir un procès en anglais et son attente d’avoir les documents déposés en preuve dans cette langue n’étaient pas l’équivalent d’une contestation fondée sur la Charte. En fait, le 10 septembre 2012, le ministère public ne l’avait même pas avisé des documents, le cas échéant, qui seraient déposés en preuve.

[32] En conséquence, je suis d’avis que le délai de huit mois causé par la demande d’ajournement du ministère public en novembre 2012 ne doit pas être imputé à l’accusé, mais plutôt au ministère public.

R. c. Tran, 2011 ONCJ 75 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[117] Le procès de M. Tran a dû être ajourné pour une période de trois mois, soit du 23 avril au 27 juillet 2010 en raison du défaut du ministère du Procureur général de fournir les services d’un interprète, portant ainsi atteinte au droit de M. Tran à l’assistance d’un interprète prévu à l’article 14 de la Charte, et entraînant un délai additionnel, ce qui contrevient au droit de M. Tran d’être jugé dans un délai raisonnable prévu à l’alinéa 11b). À mon avis, cela laisse entrevoir un manque d’attention systématique à l’égard des droits linguistiques en Ontario et accentue les répercussions sur les intérêts de M. Tran protégés par la Charte.

Voir également :

R. c. Papatie, 2008 QCCA 1135 (CanLII)

Annotations – Paragraphe 11c)

R. c. Singh, 2015 ONSC 7376 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] L’avocat de la défense fait valoir que les déclarations doivent être exclues parce qu’elles n’étaient pas volontaires, et que le défendeur n’a pas été avisé adéquatement de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat qui est prévu à l’alinéa 10b) de la Charte. Le défendeur allègue avoir subi de la pression pour faire une déclaration, et il soutient que sa maîtrise de l’anglais était insuffisante pour lui permettre de comprendre ses droits ou pour comprendre l’avis qui lui a été donné par les policiers.

[4] En règle générale, une personne accusée ne peut pas être contrainte à témoigner contre elle‑même; par conséquent, seules les déclarations volontaires fournies aux policiers sont admissibles en preuve : article 7 et alinéa 11c) de la Charte. Toutes les déclarations faites aux policiers par un prévenu mis en détention qui n’a pas encore été informé de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat sont considérées comme fournies involontairement et sont habituellement écartées des éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte : R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 RCS 353, aux paragraphes 58 et 98. Après avoir été informé du droit au silence et du droit de consulter un avocat, un prévenu peut choisir de répondre volontairement aux questions qui lui sont posées et ces déclarations seraient donc admissibles.

[…]

[21] Néanmoins, compte tenu des difficultés linguistiques du défendeur, il est évident qu’il n’a pas obtenu le type de mise en garde lui permettant de comprendre ses droits. Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada à l’arrêt R. c. Hebert, 1990 CanLII 118 (CSC), [1990] 2 RCS 151, « le fait que l’accusé ait pu ne pas avoir pris conscience qu’il avait le droit de garder le silence (par exemple, lorsqu’il n’a pas reçu la mise en garde habituelle) […] [est] pertinent pour déterminer le caractère volontaire de la déclaration ».

[22] Compte tenu des circonstances, les déclarations faites par le défendeur lors de son arrestation, ainsi que la déclaration qu’il a faite au poste de police plusieurs heures plus tard, étaient dépourvues de caractère volontaire. Par conséquent, ces déclarations sont inadmissibles.

Annotations – Paragraphe 11d)

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

[38] L'interprétation large de l'art. 14 peut également se justifier par la Charte elle‑même.  Notre Cour a déjà indiqué que les dispositions de la Charte doivent s'interpréter non pas isolément, mais plutôt l'une en fonction de l'autre: voir, par ex., R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588, les juges Wilson et La Forest, Dubois c. La Reine, 1985 CanLII 10 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 350, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), et Law Society of Upper Canada c. Skapinker, 1984 CanLII 3 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 357.  Notre Cour a déjà fait observer que l'art. 7 de la Charte est une expression générale des garanties juridiques contenues aux art. 8 à 14 de la CharteRenvoi:  Motor Vehicle Act de la C.‑B., 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), à la p. 502.  Il n'est donc pas surprenant que l'art. 14 soit étroitement lié à l'art. 7 et aux autres « garanties juridiques » offertes par la Charte.  En fait, je dirais que le droit à l'assistance d'un interprète garanti par l'art. 14 est un moyen d'assurer que les procédures criminelles respectent la garantie constitutionnelle d'un procès public et équitable prévue à l'al. 11d) de la Charte.  En même temps, la force de l'art. 14 peut être saisie en partie sous l'angle non seulement du droit de présenter une défense pleine et entière, mais encore du droit à la divulgation complète de la preuve à laquelle il faut répondre avant de présenter sa défense, ces deux droits étant garantis par les art. 7 et 11 de la Charte.  En réalité, le lien étroit qui existe entre l'art. 14 et ces autres garanties de la Charte laisse entendre que le droit à l'assistance d'un interprète dans le contexte criminel devrait être considéré comme un « principe de justice fondamentale » au sens de l'art. 7 de la Charte.

[…]

[83] Comme le droit à l'assistance d'un interprète est non seulement une garantie constitutionnelle fondamentale en soi, mais également un moyen important d'assurer la tenue d'un procès complet, équitable et public, garantie séparément par l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte, il s'ensuit qu'il sera plus difficile de renoncer aux droits garantis par l'art. 14 de la Charte que cela peut avoir été le cas antérieurement sous le régime de la common law et de textes législatifs comme le Code criminel et la Déclaration canadienne des droits.  En fait, il y aura des cas où, dans l'intérêt public général, il sera tout simplement impossible de renoncer à ce droit.  On a déjà reconnu cela en common law, dans les deux arrêts anciens Kwok Leung et Lee Kun, précités, où les tribunaux ont imposé des restrictions précises quant à la possibilité de renoncer validement et effectivement au droit à un interprète, peu importe que l'accusé soit ou non représenté par un avocat. […]

R. c. J. K., 2011 ONSC 800 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[52] Cependant, l’argument de la défense est beaucoup plus subtil que la simple affirmation qu’il y a eu atteinte à l’article 7 de la Charte. L’argument soulevé est le suivant :

[…] 

ii. La poursuite de l’interrogatoire sans interprète a porté atteinte au droit au silence (article 7 de la Charte), au droit à un procès équitable (alinéa 11d) de la Charte), ainsi qu’au droit de J.K. à l’assistance d’un interprète dans toute procédure (article 14 de la Charte). La défense allègue que la réparation appropriée est l’exclusion de la déclaration enregistrée sur bande vidéo, conformément au paragraphe 24(2) de la Charte.

[…]

[57] En l’espèce, le critère juridique consiste à savoir si la compréhension de l’anglais de l’accusé et sa capacité de communiquer dans cette langue étaient tellement insuffisantes qu’il lui était impossible de comprendre ce que disaient les policiers ou de faire des déclarations en anglais (paragraphe 44, Lapoint (sic), paragraphe 33, L.B.). Lors du voir‑dire, la Cour doit déterminer [traduction] « la capacité de l’accusé de comprendre la langue de la déclaration et de communiquer dans celle‑ci » (paragraphe 44, Lapoint (sic)). 

[58] Compte tenu des éléments de preuve du voir‑dire, comme je l’ai indiqué plus haut, je n’ai aucune hésitation à conclure que J.K. connaissait suffisamment l’anglais pour comprendre le type de questions qui lui étaient posées et comprendre le type de réponses qu’il a données pendant l’interrogatoire enregistré sur bande vidéo. 

[59] L’avocat de la défense a fait valoir que J.K. aurait pu mieux communiquer s’il avait bénéficié des services d’un interprète. Je souscris à l’argument selon lequel ses réponses aurait peut‑être été plus éloquantes ou détaillées. Cependant, ce n’est pas le critère applicable. Si la possibilité que l’accusé puisse mieux communiquer par l’entremise d’un interprète constituait le critère applicable, les policiers devraient veiller à ce qu’un interprète soit présent lors des interrogatoires dans tous les cas où l’anglais est la seconde langue de l’accusé ou dans toute autre situation où les compétences linguistiques de l’accusé sont déficiences, même si l’anglais est la langue maternelle de l’accusé. Qu’en est‑il des déclarations faites par l’accusé lors de son arrestation sur les lieux du crime ou dans la voiture de patrouille, ou des déclarations faites à des tierces personnes, etc.? La liste irait à l’infini.

[60] En termes clairs, je ne prétends pas que les policiers n’ont pas à fournir les services d’un interprète lorsqu’il est évident qu’il existe une bonne raison de croire que la personne interrogée a vraiment de la difficulté à comprendre les questions qui lui sont posées ou qu’elle a vraiment de la difficulté à répondre en raison d’une mauvaise compréhension ou d’une mauvaise connaissance de la langue. Ne pas fournir les services d’un interprète dans de tels cas pourrait compromettre l’admissibilité des déclarations en preuve.  

R. c. Maurice Frenette, 2007 NBCP 33 (CanLII)

[15] Par conséquent, je poursuis mon analyse en tenant pour acquis que l’omission de fournir une version traduite d’un ensemble de documents divulgués peut, dans certains cas, constituer une violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte, mais qu’elle ne constitue pas automatiquement une violation. La question qui se pose est alors la suivante : Dans quelles circonstances l’omission ou le refus de faire traduire la preuve violent-ils la Charte?

[…]

[29] En l’espèce, seule l’avocate de la défense ne comprend pas la preuve présentée contre l’accusé. Dans un tel cas, l’accusé a d’autres options. Il peut retenir les services d’un autre avocat, qui parle français, pour aider Me Mahoney. Il ne manque pas d’avocats bilingues dans la région. Il peut aider son avocate en traduisant les documents lui-même ou en résumant la preuve pour elle. Il peut engager les frais nécessaires pour faire traduire les documents essentiels. Il peut retenir les services d’un traducteur, ou de toute autre personne ayant une bonne maîtrise des deux langues, pour aider son avocate avant et pendant le procès. Il peut aussi retenir les services d’un avocat qui parle français et anglais pour assurer sa défense. Toutes ces options s’offrent à lui. 

[30] L’accusé, ayant choisi que son procès se déroule en anglais, sait que la preuve documentaire qui sera présentée contre lui au procès relativement aux infractions qui sont du ressort exclusif de la Cour devra être traduite pour lui compte tenu de son droit à un procès dans la langue de son choix. Il sait également qu’un interprète traduira tous les témoignages au procès du français à l’anglais. Son avocate comprendra par conséquent la preuve présentée contre lui au procès. Il a également l’option de profiter d’une enquête préalable, s’il le désire, relativement aux infractions à l’égard desquelles il a le choix quant au mode de procès.

[31] Il est incontestable que Me Mahoney est désavantagée en l’espèce. Elle fait valoir qu’elle n’est pas en mesure d’assurer convenablement la défense de son client. Toutefois, ce désavantage n’a pas été créé par l’État; c’est son propre client qui en est l’artisan. L’État a respecté toutes ses obligations constitutionnelles de divulgation et n’a nullement porté atteinte à l’équité en matière de procédure ou de fond à laquelle M. Frenette a droit. Je ne vois pas comment on pourrait obliger l’État à corriger la décision de M. Frenette de retenir les services d’une avocate désavantagée en lui demandant d’éliminer, aux frais des contribuables, le désavantage.

[32] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’omission du poursuivant de fournir la traduction des documents divulgués dans la langue officielle du choix de M. Frenette ne lui a pas causé de préjudice ou n’a pas nui à sa capacité de présenter une défense pleine et entière. Le requérant ne s’est par conséquent pas déchargé de son fardeau d’établir, sur la prépondérance de la preuve, l’existence d’une violation de la Charte.

[33] Je conclus en outre que le requérant n’a pas établi que la réparation fondée sur la Charte qu’il a sollicitée reposait sur des faits ou sur de la preuve. Dans son affidavit, il a précisé combien coûterait éventuellement la traduction de la preuve en question, mais il n’a pas établi qu’il n’a pas les moyens financiers ou les ressources financières pour obtenir la traduction des documents divulgués. Je ne dispose d’aucune preuve concernant l’absence de moyens financiers pour obtenir la traduction. En outre, il n’y a aucune preuve concernant l’incapacité du requérant de payer un deuxième avocat, qui parlerait français, ou un traducteur, s’il choisissait de se prévaloir de cette aide.  M. Frenette ne s’est tout simplement pas déchargé du fardeau de la preuve qui lui incombait.

R. c. Butler, 2002 NBQB 325 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] Il [l’accusé] a présenté une requête en arrêt des procédures en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés au motif que le paragraphe 20(2), l’article 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés. Il allègue qu’il y a eu atteinte à ses droits parce que le procureur de la Couronne a refusé de traduire du français à l’anglais les renseignements divulgués dans la présente affaire.

[…]

[25] Même si j’ai conclu que les droits linguistiques de M. Butler garantis par le paragraphe 20(2) n’ont pas été violés, je suis néanmoins d’avis que la langue peut constituer et, en l’espèce, constitue un facteur important à prendre en compte pour déterminer si la capacité de M. Butler de présenter une défense pleine et entière a été violée en raison du fait qu’il n’a pas pu obtenir une divulgation en anglais.

[…]

[28] La divulgation n’est pas un processus extrinsèque au déroulement de la présentation de la preuve de la poursuite. Même si la divulgation a lieu avant le début du procès à proprement parler, elle est inextricablement liée à la capacité de l’accusé de présenter une défense pleine et, à mon avis, elle va de pair avec le droit à une audience équitable.

[…]

[45] En bref, sa position [celle de l’accusé] est que, à titre d’anglophone unilingue qui a présenté  une demande officielle de divulgation en anglais, il dispose du droit absolu de recevoir la divulgation dans cette langue. En raison de cette prémisse extrêmement large, je suis d’avis qu’il incombe à l’accusé d’établir que le refus de lui fournir une divulgation de la preuve traduite a causé un préjudice réel à sa capacité de présenter une défense pleine et entière. Il s’agit de la norme établie par la juge L’Heureux‑Dubé, dans l’arrêt R. c. O'Connor (1995), 103 C.C.C. (3d) 1 (C.S.C.), au paragraphe [74].

[46] L’objectif de la divulgation est la communication et elle consiste à informer l’accusé des renseignements détenus par le ministère public et, par conséquent, de la preuve à réfuter. Ces renseignements permettent également à la défense de décider de la stratégie qu’elle adoptera au procès.

[47] Je souscris à l’argument selon lequel M. Butler ne saisissait pas la substance de ce qui lui était communiqué. Sa demande de traduction a été rejetée.

[48] En l’espèce toutefois, aucun élément de preuve n’a été présenté relativement aux compétences de son conseiller juridique en français, ce qui constitue un autre point important à prendre en compte.

[49] De plus, l’enquête préliminaire, à la suite de laquelle l’accusé a été cité à procès s’est déroulée en anglais. L’enquête préliminaire n’est pas un substitut au processus de divulgation. Cependant, elle donne à l’accusé une possibilité restreinte de connaître la preuve qu’il doit réfuter au procès.

[50] L’accusé n’a également pas réussi à démontrer qu’il n’a pas les ressources financières nécessaires pour obtenir la traduction de la preuve divulguée. À cet égard, je souscris aux commentaires du juge MacDonald dans la décision R c. Rodrigue, précitée, à la page 479 :

Il est fort peu probable qu’une cour favorise la prétention d’un accusé qu’il a droit à une assistance juridique ou scientifique ou à un service de traduction si l’accusé lui-même a les moyens de financer ces genres d’aide.

[51] L’accusé a affirmé qu’il a subi un préjudice en raison de son incapacité de comprendre la divulgation de la preuve qui lui a été fournie en français. Cette affirmation, sans éléments de preuve supplémentaires quant à la conséquence réelle sur sa capacité d’exercer ses droits constitutionnels ne suffit pas, à mon avis, à prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il a subi un préjudice réel. Il incombe à M. Butler de démontrer à tout le moins que la nature de la divulgation en l’espèce, l’a vraiment empêché d’évaluer les éléments de preuve et de prendre des décisions éclairées quant à sa défense.

[52] Après avoir pris en compte l’ensemble des faits en l’espèce, j’ai conclu que le refus de fournir une traduction peut, dans certains cas, porter atteinte à des droits garantis par la Charte. Néanmoins, dans la présente affaire, M. Butler ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait. Par conséquent,  je conclus qu’il n’a pas prouvé qu’il y a eu violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[p. 36] Est-ce que le droit de présenter une défense pleine et entière comprend le droit à l’aide de l’état pour produire une traduction dans la langue officielle choisie par l’accusé pour son procès, d’une déclaration ou d’aucun autre document qui dans sa forme originale est dans l’autre langue officielle?

[p. 37] L’étendue du droit à présenter une défense pleine et entière, et du droit constitutionnel à un procès équitable (selon l’art. 11(d) de la Charte canadienne des droits et libertés), a été exploré le plus souvent dans le contexte de la portée du droit à l’assistance juridique. Est-ce que l’accusé a un droit absolu à un avocat au dépens de l’état? La réponse de la Cour d’appel de l’Ontario, dans R. v. Rowbotham (1988), 1988 CanLII 147 (ON CA), 63 C.R. (3d) 113 à la p. 173 est que l’art. 11(d) et l’art. 7 de la Charte qui garantissent un procès équitable d’après les principes de justice fondamentale, exigent que l’état fournisse un avocat à l’accusé au dépens de l’état si l’accusé désire un avocat mais ne peut pas le payer, et si l’assistance d’un avocat est essentielle à un procès équitable. Donc, le droit n’est pas absolu. Est-ce que l’accusé a le droit à l’avocat de son choix au dépens de l’état? Les cours ont dit qu’il n’y a pas un tel droit absolu : Panacui v. Legal Aid Society of Alberta [1988) 1987 CanLII 148 (AB QB), 1 W.W.R. 60 40 C.C.C. (3d) 459 (Cour du banc de la reine de l’Alberta); R. v. Robinson (1990) 1989 ABCA 267 (CanLII), 70 Alta L.R. (2d) 31 à la p. 70 (Cour d’appel de l’Alberta).

[pp. 37-38] La réponse des cours a été de nier l’existence d’un tel droit absolu; la cour accordera le droit à l’assistance d’un avocat au dépens de l’état si les circonstances l’exigent, telles la gravité du crime allégué et la complexité des questions de preuve ou de droit que soulève le cas. Peut-être à cause de la générosité des forces policières et des procureurs de la Couronne, la portée du droit à l’aide scientifique n’a pas été explorée. Au point où on peut énoncer des principes généraux à partir de ces bases, je dirais que le droit de la « common law ») reproduit dans l’art. 650(3) du Code criminel à “une pleine réponse et défense” et le droit constitutionnel à un procès juste et équitable, ne comprennent pas de règles absolues à l’égard de l’étendue de l’obligation de l’état. Cette étendue dépend des circonstances du cas : des circonstances du procès et de la préparation pour le procès; des circonstances dans lesquelles se trouve l’accusé y compris ses propres ressources financières. Il est fort peu probable qu’une cour favorise la prétention d’un accusé qu’il a droit à une assistance juridique ou scientifique ou à un service de traduction si l’accusé lui-même a les moyens de financer ces genres d’aide.

[pp. 38-39] Il se peut qu’il y ait des circonstances dans lesquelles la cour, avant le procès, décréterait que sans traduction d’un document d’une langue autre qu’une langue officielle dans une des langues officielles, ou d’une des langues officielles à l’autre langue officielle qui a été choisie par l’accusé comme la langue du procès, l’accusé ne pourra pas subir son procès avec la possibilité de présenter “une pleine réponse et défense” ou d’avoir un procès juste et équitable. Il faut attendre une autre cause pour préciser quelles seraient les circonstances où cela serait la décision de la cour. Dans les circonstances actuelles, l’accusé et son procureur admettent qu’ils ont tous les deux la capacité de comprendre l’anglais et ils n’allèguent pas que l’accusé subirait un préjudice si les déclarations et documents divulgués par la poursuite n’étaient pas divulgués avec une traduction en français avant le procès. La prétention de l’accusé est fondée exclusivement sur le principe réclamé que, ayant choisi le français comme la langue de son procès, il a le droit à la divulgation de ces éléments de preuve avec une traduction en français. J’ai rejeté cet argument. Il ne reste aucune autre circonstance qui invoquerait la sympathie de la cour pour reconnaître dans l’espèce que le droit de préparer et de présenter une défense pleine et entière serait entravé si la poursuite ne divulguait pas les renseignements dans la langue française. Il se peut que dans d’autres circonstances un accusé réussisse à persuader la cour que, sans une telle traduction, la préparation pour le procès serait tellement difficile, étant donné les ressources privées de l’accusé, qu’elle serait inefficace au point que, au procès lui-même, l’accusé ne pourrait pas présenter une défense pleine et entière. […]

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

Voir également :

H.M.T.Q. v. Blackduck, 2014 NWTSC 58 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Larcher (19 septembre 2002), Ontario (C.S.Ont.), juge Lalonde [hyperlien non disponible]

R. c. Fiddler, 1994 CanLII 7396 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

 

14. Interprète

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : MAI 2017]

Annotations

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[41] Une autre considération importante dans l’interprétation des «meilleurs intérêts de la justice» tient au fait que les droits linguistiques sont totalement distincts de l’équité du procès. […] Le droit à une défense pleine et entière est lié aux aptitudes linguistiques uniquement en ce que l’accusé doit être en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre.  Toutefois, ce droit est déjà garanti par l’art. 14 de la Charte, une disposition qui prévoit le droit à l’assistance d’un interprète.  Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues.  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts.  Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais. […]

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

[1] Dans le présent pourvoi, notre Cour est pour la première fois appelée à se pencher sur l'art. 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à l'assistance d'un interprète. Aussi mes motifs de jugement sont-ils un peu plus longs qu'ils ne le seraient normalement. Il est question en l'espèce d'une instance criminelle où celui qui revendique le droit en cause était un accusé qui ne parlait pas et ne comprenait pas l'anglais, la langue dans laquelle l'instance se déroulait. À la suite de l'audition de la présente affaire, le pourvoi a été accueilli à l'unanimité à l'audience et un nouveau procès a été ordonné, avec motifs à suivre.

[…]

IV. Analyse

[9] C'est la première fois que le droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14 de la Charte, est directement soulevé devant notre Cour. L'article 14 est ainsi rédigé :

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

Le paragraphe 650(1) du Code criminel, qui prévoit qu'un accusé « doit être présent au tribunal pendant tout son procès », et le par. 650(3), qui confère à l'accusé le droit de « présenter [...] une pleine réponse et défense », sont également en cause dans le présent pourvoi. Toutefois, ces dispositions du Code criminel jouent un rôle secondaire par rapport à celui de l'art. 14 de la Charte. Non seulement l'art. 14 prévoit-il expressément le droit à l'assistance d'un interprète, mais il fait également partie, de par son statut constitutionnel, de la loi suprême et primordiale du pays. L'article 14 de la Charte a également une portée plus large que l'art. 650 du Code. Ce dernier s'applique principalement aux procédures intentées par voie de mise en accusation. Les règles qui régissent la comparution et la présence d'un accusé relativement à des infractions punissables par voie de procédure sommaire sont quelque peu différentes et moins strictes: voir les par. 800(2) et 800(3), l'al. 803(2)a), mais également l'art. 795 du Code. L'article 14 de la Charte confère toutefois à tous les accusés, indépendamment de la gravité de l'infraction reprochée et de sa classification, un droit constitutionnellement garanti à l'assistance d'un interprète lorsque l'accusé ne comprend pas ou ne parle pas la langue du prétoire.

[10] Élever le droit à l'assistance d'un interprète au rang de norme constitutionnelle est un pas important qui exige à tout le moins que les règles et les principes applicables aux interprètes, qui ont été conçus sous le régime de la common law et de diverses lois, soient reconsidérés et, si nécessaire, adaptés afin de correspondre aux préceptes de la nouvelle ère de la Charte. En même temps, il n'y a pas de doute que la jurisprudence abondante qui existe déjà sur la question des interprètes, dont celle qui est fondée sur l'art. 650 du Code, jouera un rôle important dans la détermination de la portée du droit garanti par l'art. 14 de la Charte.

[11] J'aimerais avant tout préciser que l'analyse qui suit de l'art. 14 de la Charte porte spécifiquement sur le droit d'un accusé dans le cadre de procédures criminelles et ne doit pas être considérée comme ayant nécessairement une application plus générale. En d'autres termes, je ne me prononcerai pas pour le moment sur la possibilité qu'il soit nécessaire d'établir et d'appliquer des règles différentes à d'autres situations qui tombent à bon droit sous le coup de l'art. 14 de la Charte — par exemple, lorsque les procédures en question sont de nature civile ou administrative.

[12] En l'espèce, notre Cour doit entreprendre la délimitation des paramètres du droit à l'assistance d'un interprète, lequel droit est formulé en des termes très généraux à l'art. 14 de la Charte. Pour déterminer la portée d'un droit garanti par la Charte, les propos du juge Dickson (plus tard Juge en chef), qui s'exprimait au nom de la Cour sur l'art. 8 de la Charte, dans Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, aux pp. 156 et 157, constituent un point de départ utile :

La Charte canadienne des droits et libertés est un document qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu'elle enchâsse . . .

. . . la façon appropriée d'aborder l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés est de considérer le but qu'elle vise [. . .] [ce qui rend] d'abord nécessaire de préciser le but fondamental de [l'article de la Charte] [. . .]: en d'autres termes, il faut d'abord délimiter la nature des droits qu'il vise à protéger.

Dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a précisé la façon dont les intérêts qui sont destinés à être protégés par un droit garanti par la Charte doivent être déterminés :

À mon avis, il faut faire cette analyse et l'objet du droit ou de la liberté en question doit être déterminé en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte elle-même, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s'il y a lieu, en fonction du sens et de l'objet des autres libertés et droits particuliers qui s'y rattachent selon le texte de la Charte. Comme on le souligne dans l'arrêt Southam, l'interprétation doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l'objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte. En même temps, il importe de ne pas aller au delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n'a pas été adoptée en l'absence de tout contexte et que, par conséquent, comme l'illustre l'arrêt de notre Cour Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, elle doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés.

[…]

[35] Il est clair que le droit à l'assistance d'un interprète qu'a l'accusé qui ne peut communiquer ni être compris pour des raisons linguistiques repose sur l'idée fondamentale que personne ne devrait avoir à subir un procès kafkaïen qui risque d'entraîner une perte de liberté. L'accusé a le droit de savoir exactement et de façon concomitante ce qui se produit pendant les procédures qui décideront de son sort. C'est une question d'équité fondamentale. Même si, objectivement, un procès est un modèle d'équité, si l'accusé qui souffre d'un handicap linguistique ne bénéficie pas d'une interprétation intégrale et concomitante des procédures, il est incapable d'en juger par lui-même. La légitimité même du système de justice aux yeux de ceux qui y sont soumis repose sur leur capacité de comprendre et de communiquer dans la langue dans laquelle les procédures se déroulent.

(iii) Lien avec les autres dispositions de la Charte

[36] L'interprétation large de l'art. 14 peut également se justifier par la Charte elle-même. Notre Cour a déjà indiqué que les dispositions de la Charte doivent s'interpréter non pas isolément, mais plutôt l'une en fonction de l'autre: voir, par ex., R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, les juges Wilson et La Forest, Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), et Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357. Notre Cour a déjà fait observer que l'art. 7 de la Charte est une expression générale des garanties juridiques contenues aux art. 8 à 14 de la Charte: Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), à la p. 502. Il n'est donc pas surprenant que l'art. 14 soit étroitement lié à l'art. 7 et aux autres « garanties juridiques » offertes par la Charte. En fait, je dirais que le droit à l'assistance d'un interprète garanti par l'art. 14 est un moyen d'assurer que les procédures criminelles respectent la garantie constitutionnelle d'un procès public et équitable prévue à l'al. 11d) de la Charte. En même temps, la force de l'art. 14 peut être saisie en partie sous l'angle non seulement du droit de présenter une défense pleine et entière, mais encore du droit à la divulgation complète de la preuve à laquelle il faut répondre avant de présenter sa défense, ces deux droits étant garantis par les art. 7 et 11 de la Charte. En réalité, le lien étroit qui existe entre l'art. 14 et ces autres garanties de la Charte laisse entendre que le droit à l'assistance d'un interprète dans le contexte criminel devraitê tre considéré comme un « principe de justice fondamentale » au sens de l'art. 7 de la Charte.

[…]

(iv) Conclusions sur les objectifs auxquels répond l'art. 14

[38] Le droit d'un accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue des procédures d'obtenir l'assistance d'un interprète répond à plusieurs objectifs importants. D'abord et avant tout, il garantit que la personne accusée d'une infraction criminelle entend la preuve qui pèse contre elle et a pleinement l'occasion d'y répondre. Ensuite, le droit est étroitement lié à nos notions fondamentales de justice, dont l'apparence d'équité. En tant que tel, le droit à l'assistance d'un interprète touche l'intégrité même de l'administration de la justice criminelle au Canada. Enfin, le droit est intimement lié à notre prétention d'être une société multiculturelle, exprimée en partie à l’art. 27 de la Charte. L'importance des intérêts qui sont protégés par le droit à l'assistance d'un interprète favorise une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé du droit garanti à l’art. 14 de la Charte, ainsi qu'une application de ce droit qui soit fondée sur des principes. 

[…]

[47] Pour déterminer si l'art. 14 de la Charte a effectivement été violé, il faut d'abord évaluer le besoin de recourir à l'assistance d'un interprète. Autrement dit, celui qui invoque le droit en question doit démontrer qu'il satisfait (ou satisfaisait) aux conditions requises pour pouvoir l'invoquer. L'article 14 de la Charte prévoit clairement que, pour bénéficier de ce droit, il faut que l'accusé « ne comprenne [...] pas ou ne parle [...] pas la langue employée ».

[48] Bien que le droit à l'assistance d'un interprète ne soit ni automatique ni absolu, il va sans dire, compte tenu particulièrement du fait que ce droit est élevé au rang de norme constitutionnelle, que les tribunaux devraient être généreux et avoir l'esprit ouvert lorsqu'ils évaluent le besoin d'un accusé de recourir à l'assistance d'un interprète. En général, les tribunaux devraient désigner un interprète dans l'un ou l'autre des cas suivants :

(1) il devient évident pour le juge que l'accusé a, pour des raisons linguistiques, de la difficulté à s'exprimer ou à comprendre les procédures et qu'un interprète serait utile; ou

(2) l'accusé (ou son avocat) requiert les services d'un interprète et le juge est d'avis que cette requête est justifiée.

Il importe de signaler que ni le texte de l'art. 14 de la Charte ni le fondement historico-juridique du droit ne contraint les tribunaux à informer tous les accusés qui comparaissent devant eux de l'existence du droit à l'assistance d'un interprète. De même, les tribunaux ne sont pas tenus d'examiner systématiquement la capacité de tout accusé de comprendre la langue des procédures. En même temps, rien n'oblige absolument l'accusé à faire valoir ou à invoquer formellement le droit en cause pour en jouir. Il en est ainsi du fait que les tribunaux ont la responsabilité indépendante d'assurer l'équité de leurs procédures et leur conformité avec les principes de justice naturelle et, par conséquent, de protéger le droit de l'accusé à l'assistance d'un interprète, peu importe qu'il ait vraimenté té revendiqué formellement.

[49] Tout comme il devrait tenir une audience sur la capacité mentale d'un accusé, s'il appert que celui-ci peut ne pas être en mesure de participer pleinement à sa propre défense, ou refuser d'accepter un plaidoyer de culpabilité s'il n'est pas convaincu que l'accusé comprend la nature de l'accusation et réalise ce qu'il fait, le tribunal devrait également vérifier de son propre chef le besoin de l'accusé de recourir aux services d'un interprète lorsqu'il paraît éprouver des difficultés linguistiques. Comme je l'ai déjà laissé entendre, l'élément dominant est la compréhension. L'omission de vérifier en présence d'une indication positive que l'accusé ne comprend peut-être pas ou peut ne pasê tre compris pour des raisons liées à la langue, et de désigner un interprète lorsque cela peut se révéler utile, pourrait constituer une erreur judiciaire et entraîner une ordonnance enjoignant de tenir un nouveau procès.

[50] Toutefois, l'avocat de la défense doit garder à l'esprit qu'il sera toujours plus sûr de demander un interprète lorsque c'est nécessaire, plutôt que de s'en remettre au tribunal pour qu'il en désigne un de son propre chef. De fait, à titre d'officiers de justice, le substitut du procureur général et l'avocat de la défense sont tous les deux tenus d'attirer l'attention du tribunal sur le besoin de recourir à un interprète lorsqu'ils s'aperçoivent qu'un tel besoin existe. Bien que les tribunaux doivent se montrer sensibles aux signes qui indiquent qu'un accusé peut peut-être éprouver des difficultés linguistiques, on n'attend pas et on ne saurait attendre d'eux qu'ils lisent dans les pensées. Lorsqu'aucun indice extérieur ne laisse entrevoir une incompréhension de la part de l'accusé et que celui-ci ou son avocat (dans le cas où il est représenté) n'a pas invoqué le droit en question, cela peut jouer contre l'accusé si ce dernier, après avoir gardé le silence pendant tout le procès, soulève la question de l'interprétation pour la première fois en appel. C'est ce qui ressort des affaires R. c. Tsang (1985), 27 C.C.C. (3d) 365 (C.A.C.-B.), et R. c. Tabrizi, [1992] O.J. No. 1383 (C. Ont. (Div. gén.)).

[…]

[52] Je soulignerais que les tribunaux doivent, comme de nombreux l'ont fait dans le passé, aborder la question du besoin d'un interprète avec sensibilité et compréhension, d'autant plus que le droit à l'assistance d'un interprète est maintenant consacré dans la Constitution. Comme Steele le précise dans son article intitulé « Court Interpreters in Canadian Criminal Law », loc. cit., aux pp. 226 et 227 :

[TRADUCTION] ... la capacité linguistique procède des circonstances. Par exemple, un allophone [une personne qui ne connaît pas la langue des procédures] pourrait trouver facile de comprendre son avocat, du fait particulièrement qu'il a pu, à l'extérieur de la salle d'audience, chasser tout malentendu, mais non de s'opposer aux avocats, au juge ou à un témoin. De la même façon, il pourrait être en mesure de comprendre son avocat dans le calme relatif du cabinet de ce dernier, mais pas dans l'atmosphère stressante de la salle d'audience.

[En outre,] parler, lire et comprendre oralement sont des compétences différentes. La partie qui est en mesure de témoigner couramment peut être incapable de lire une preuve documentaire. De même, le témoin qui est capable de suivre les instructions ou de comprendre une question peut être incapable d'y répondre parfaitement.

Voilà pourquoi notamment, Steele préconise l'application d'[Traduction] « une norme peu élevée d'évaluation du besoin » (p. 227), en vertu de laquelle les services d'un interprète seraient accordés à moins que le tribunal ne soit convaincu que le requérant est capable de comprendre les procédures autant que si celles-ci se déroulaient dans la langue dans laquelle il a la plus grande facilité.

[53] Dans la même veine, le juge Lacourcière de la Cour d'appel de l'Ontario a fourni certains conseils judicieux relativement à l'évaluation du besoin d'un interprète. Dans R. c. Petrovic (1984), 13 C.C.C. (3d) 416 (C.A. Ont.), il écrit, à la p. 423 :

[TRADUCTION] Tous étaient d'accord au procès pour dire que les services d'un interprète serbo-croate étaient requis, et l'appelant a inscrit son plaidoyer par l'entremise d'un interprète. Bien que la Déclaration des droits et la Charte canadienne des droits et libertés mentionnent toutes deux le droit à l'assistance d'un interprète dans toutes les procédures où le témoin ne comprend pas ou ne parle pas la langue dans laquelle l'instance se déroule, il n'incombe pas au tribunal de première instance et encore moins au tribunal d'appel de vérifier en profondeur la capacité de la partie ou du témoin de comprendre ou de parler la langue des procédures judiciaires. Une personne peut être en mesure de communiquer dans une langue pour des fins générales tout en ne possédant pas une compréhension ou une facilité de s'exprimer suffisante pour faire face à un procès et à ses conséquences inquiétantes sans l'assistance d'un interprète compétent. Même si cette personne baragouine le français ou l'anglais et comprend des communications simples, le droit garanti constitutionnellement par l'art. 14 de la Charte ne disparaît pas. [Je souligne.]

Je souscrirais également au point de vue adopté par le juge Lacourcière, à la p. 423 de l'arrêt Petrovic, et réitéré par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique à la p. 371 de l'arrêt Tsang, précité, voulant qu'une fois invoqué le droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14 de la Charte, ne devrait être refusé que si une [Traduction] « preuve solide et convaincante » établit que la demande de l'accusé visant à obtenir les services d'un interprète est faite non pas de bonne foi mais plutôt pour un motif détourné. Dans l'arrêt Roy c. Hackett, précité, où il était question d'interprétation lors d'une audience d'arbitrage, le juge Lacourcière souligne, à la p. 427, que, pour en arriverà une décision relativement à la bonne foi d'un témoin ou d'une partie qui demande les services d'un interprète, le juge ou le président d'un tribunal

[TRADUCTION] ... doit tenir compte du désir légitime de tout témoin de s'exprimer dans la langue qu'il connaît le mieux, normalement sa langue maternelle ... [et] éviter d'imputer un motif caché au témoin qui demande un interprète, même si ce témoin connaît jusqu'à un certain point la langue utilisée et pourrait, d'une façon générale, comprendre les procédures.

Ce commentaire témoigne de la sensibilité dont il faut faire preuve en évaluant le besoin d'un accusé de recourir aux services d'un interprète, et du fait que les tribunaux ne doivent pas trop s'empresser de tirer des conclusions défavorables lorsque celui qui invoque le droit a une certaine facilité dans la langue du prétoire.

(ii) Norme d'interprétation garantie

[54] Pour déterminer si l'accusé a été privé de son droit constitutionnel à l'assistance d'un interprète, il faut, en deuxième lieu, examiner s'il y a eu manquement ou dérogation à ce qui est considéré comme une « bonne » interprétation. Si l'accuséé tablit qu'il avait besoin de l'assistance d'un interprète, mais qu'on la lui a refusé, l'atteinte au droit sera évidente en soi (à condition, évidemment, que l'accusé établisse que le refus a été signifié à un moment où l'affaire progressait). Si toutefois, comme en l'espèce, un interprète a été désigné et que c'est la qualité de son interprétation qui est mise en cause, il devient plus difficile de déterminer si le droit en question a été violé. Il est alors nécessaire d'examiner la portée du droit garanti par l'art. 14 de la Charte et de commencer à définir ce qui constitue, dans les procédures criminelles, une norme d'interprétation appropriée.

[55] Bien que la norme d'interprétation soit élevée dans le contexte de l'art. 14, il ne devrait pas s'agir d'une norme de perfection. À mon avis, il est possible de la formuler à l'aide d'un certain nombre de critères destinés à assurer que les personnes aux prises avec des problèmes linguistiques comprennent et soient comprises tout autant que si elles connaissaient la langue employée dans les procédures. Ces critères sont notamment la continuité, la fidélité, l'impartialité, la compétence et la concomitance. J'examinerai chacun de ces éléments à tour de rôle.

I. Continuité

[56] Dans l'analyse de ce qui constitue une interprétation convenable, les tribunaux et les commentateurs ont généralement considéré la continuité comme un élément nécessaire. Aussi, les interruptions dans l'interprétation et les résumés des procédures ne sont généralement pas vus d'un bon œil.

[…]

[58] Je conclus donc que l'art. 14 de la Charte exige que l'interprétation des procédures soit continue. Les pauses et les interruptions ne doivent être ni encouragées ni permises.

II. Fidélité

[59] Il est évident en soi que l'interprétation doit être fidèle. Comme Steele le laisse entendre, aux pp. 240 et 241 de son article, loc. cit. :

[TRADUCTION] ... l'interprétation doit, autant que possible, reprendre chaque mot et chaque idée; l'interprète ne doit pas « nettoyer » le témoignage pour lui donner une forme, une grammaire ou une syntaxe qu'il ne possède pas; l'interprète ne devrait faire aucun commentaire sur le témoignage et il ne devrait s'exprimer qu'à la première personne, en disant, par exemple, « je suis allé à l'école » plutôt que « il dit qu'il est allé à l'école ».

C'est également en raison de ce besoin de fidélité qu'il est très peu probable que les résumés satisferontà la norme générale d'interprétation requise dans le contexte de l'art. 14 de la Charte. En fait, dans l'affaire américaine Negron, précitée, le juge Kaufman conclut, aux pp. 389 et 390, que les résumés fournis au défendeur par l'interprète de la poursuite étaient insuffisants pour la raison suivante :

[TRADUCTION] Quelque astucieux qu'aient pu être les résumés de [l'interprète], ils ne pouvaient permettre à Negron de comprendre la nature exacte du témoignage contre lui au moment, dans le procès, où l'État a choisi de le présenter.

[60] Il est cependant important de garder à l'esprit que l'interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s'exerce rarement dans des circonstances idéales. Par conséquent, il ne serait ni réaliste ni raisonnable d'exiger que même une norme d'interprétation garantie par la Constitution en soit une de perfection. Comme Steele l'explique,à la p. 242 :

[TRADUCTION] Même la meilleure interprétation n'est pas « parfaite », car l'interprète ne peut jamais donner au témoignage la même nuance ou le même sens que les propos originaux. Pour cette raison, les tribunaux ont prévenu qu'il ne convient pas d'examiner au microscope le témoignage interprété pour voir s'il comporte des incohérences. Il faut accorder le bénéfice du doute au témoin.

À cet égard, il peut être utile de signaler la distinction conceptuelle entre l'« interprétation », qui vise principalement la langue parlée, et la « traduction », qui vise principalement la langue écrite. Compte tenu du fait que l'interprétation comporte un processus de médiation entre deux personnes qui doit se produire sur-le-champ, avec peu de possibilité de réfléchir, il s'ensuit que la norme d'interprétation tendra à être inférieure à ce qu'elle pourraitê tre dans le cas de la traduction qui a pour départ un texte écrit, où le temps de réaction est en général plus long et où il est possible de mieux conci lier les différences conceptuelles qui existent parfois entre deux langues et de mieux en tenir compte.

III. Impartialité

[61] Il va sans dire également que l'interprétation, en particulier dans un contexte criminel, devrait être objective et impartiale : voir, par ex., Unterreiner, infra, Tabrizi, précité, et Morel, loc. cit., aux pp. 594 à 596. Comme le laisse entendre Steele, aux pp. 238 et 239 :

[TRADUCTION] Certaines personnes ne peuvent servir d'interprète parce qu'on craint qu'elles ne soient partiales. De toute évidence, une partie au litige ne pourra servir d'interprète, ni d'ailleurs un parent ou un ami d'une partie, le juge ou une personne étroitement liée aux événements à l'origine de l'accusation criminelle. Ces règles peuvent être assouplies dans le cas de procédures non accusatoires.

Bien que je sois d'accord avec Steele pour dire qu'un interprète devrait être impartial, j'assouplirais davantage ces règles, particulièrement en ce qui concerne des questions préliminaires comme la mise en liberté sous caution ou l'ajournement dans des régions éloignées de notre pays, où la réalité pratique de la géographie canadienne, conjuguée à l'urgence de certains cas, ferait de sorte que les intérêts de la justice seraient mieux servis.

IV. Compétence

[62] Pour satisfaire à la norme de protection garantie par l'art. 14 de la Charte, l'interprétation doit être d'assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue. Cela signifie à tout le moins que l'accusé a droit à un interprète compétent. Bien que, comme le souligne Steele à la p. 238, il n'y ait eu jusqu'ici aucune norme généralement acceptée d'évaluation de la compétence, l'interprète doit au moins prêter le serment de l'interprète avant d'interpréter les procédures: voir, par ex., R. c. L.L., [1986] O.J. No. 1954 (C. dist. Ont.), et Petrovic, précité, à la p. 423. S'il y a une bonne raison de douter de la compétence d'un interprète, le tribunal sera bien avisé d'examiner ses titres de compétence.

[…]

V. Concomitance

[64] Pour déterminer la norme appropriée en la matière, il faut également considérer le moment où l'interprétation a eu lieu. Pour satisfaire à la norme de protection garantie par l'art. 14 de la Charte, l'interprétation et la procédure en question doiventê tre concomitantes. Ici, il peut être utile de garder à l'esprit la distinction entre « consécutive » (après que les mots ont été prononcés) et « simultanée » (au moment même où les mots sont prononcés). S'il est généralement préférable que l'interprétation soit consécutive plutôt que simultanée, il importe d'abord et avant tout qu'elle soit concomitante. Bien que je n'aie pas à trancher la question, je tendrais à souscrire à l'avis que Steele exprime aux pp. 248 et 249 de son article, voulant que même si l'interprétation consécutive double en fait le temps nécessaire au déroulement des procédures, elle comporte de nombreux avantages par rapport à l'interprétation simultanée. Cette dernière est une tâche complexe et exigeante pour laquelle les interprètes judiciaires, contrairement aux interprètes de conférence, sont rarement formés. En outre, elle requiert du matériel sonore coûteux dont nos salles d'audience sont rarement munies. De plus, pour atteindre son efficacité maximale, l'interprétation simultanée doit s'effectuer dans un environnement où les facteurs de distraction pour l'interprète et son auditoire sont réduits au minimum, ce qui n'est pas toujours le cas dans nos salles d'audience animées. L'interprétation consécutive a, par ailleurs, l'avantage de permettre à l'accusé de réagir au moment opportun, comme au moment de soulever des objections. Elle permet également d'évaluer plus facilement sur-le-champ la fidélité de l'interprétation, ce qui est plus difficile lorsqu'une personne doit écouter la langue de départ et sa traduction en même temps, comme c'est le cas lorsque l'interprétation est simultanée.

[65]  Tous ces facteurs portent à croire que l'interprétation consécutive représente une meilleure solution que l'interprétation simultanée. Je reconnais cependant qu'il peut en être autrement en raison des différents besoins des personnes visées par l'art. 14 de la Charte, comme celles qui ont un problème auditif, et de la possibilité que des progrès technologiques soient réalisés dans les méthodes d'interprétation. Il importe par-dessus tout que l'interprétation et les propos interprétés soient concomitants.

VI. Résumé

[66] Somme toute, l'objectif de favoriser la compréhension des procédures, qui sous-tend le droit à l'assistance d'un interprète, est plus susceptible d'être atteint si la norme d'interprétation, dans le contexte de l'art. 14 de la Charte, est définie comme en étant une de continuité, de fidélité, d'impartialité, de compétence et de concomitance. Compte tenu de l'importance fondamentale des intérêts protégés par le droit à l'assistance d'un interprète, la norme d'interprétation garantie par la Constitution doit être élevée, et les dérogations admissibles à cette norme limitées. Pour déterminer s'il y a eu dérogation suffisante à la norme pour satisfaire au second volet de l'examen fondé sur l'art. 14, il faut garder à l'esprit le principe qui sous-tend le droit en question, celui de la compréhension linguistique. En d'autres termes, il faudrait toujours se demander s'il se peut que l'accusé n'ait pas compris une partie des procédures en raison des difficultés qu'il éprouve avec la langue du prétoire.

(iii) La dérogation est-elle survenue pendant que l'affaire progressait?

[67] Il importe de souligner que ce ne sont pas toutes les dérogations à la norme d'interprétation garantie qui violeront l'art. 14 de la Charte. Celui qui revendique le droit en cause doit établir quelque chose de plus, à savoir, d'une part, que la lacune dans l'interprétation avait trait aux procédures elles-mêmes et qu'elle a de ce fait touché aux intérêts vitaux de l'accusé, et, d'autre part, qu'elle ne concernait pas simplement quelque question accessoire ou extrinsèque comme une question administrative relative au calendrier. Pour distinguer entre la restriction du droit qui est si minime qu'elle ne viole pas l'art. 14, et une restriction plus importante qui viole effectivement l'art. 14, j'estime utile d'emprunter les propos et le raisonnement sous-jacent qui ont été formulés dans le contexte du droit d'être présent au sens de l'art. 650 du Code criminel, selon lesquels les distractions qui se produisent pendant que l'affaire « se déroule » ou « progresse », ou lorsque les « intérêts vitaux » de l'accusé sont en cause, sont réputées survenir pendant le « procès » et violer l'art. 650. Il va sans dire que, contrairement à l'art. 650 du Code qui requiert la présence de l'accusé pendant tout son« procès », l'art. 14 de la Charte utilise le terme général « procédures ». Néanmoins, j'estime que la jurisprudence relative à la disposition du Code aide à déterminer le genre de circonstances dans lesquelles l'interprétation doit respecter les normes constitutionnelles, compte tenu particulièrement des définitions générales fondées sur l'objet visé que les tribunaux ont, dans l'ensemble, données au terme « procès » utilisé à l'art. 650 du Code.

[…]

[70] En adoptant, pour les fins de l'art. 14 de la Charte la phrase « faire progresser l'affaire » et le raisonnement sous-jacent que l'on trouve dans Meunier et qui a été clarifié dans la jurisprudence relative à l'art. 650 du Code, je ne laisse pas entendre que cette phrase a un sens magique ou fixe. En fait, je souscrirais aux observations de la Cour d'appel de l'Ontario, dans R. c. Grimba (1980), 56 C.C.C. (2d) 570 (C.A. Ont.), où on a jugé que l'art. 650 (alors l'art. 577) du Code avait été violé lorsqu'on avait fait sortir l'accusé, à deux reprises, de la salle d'audience pendant son réinterrogatoire, alors que des plaidoiries avaient lieu et que des décisions étaient prises au sujet de l'admissibilité d'une preuve. En ce qui concerne la phrase « faire progresser l'affaire », le juge Zuber affirme, au nom de la Cour d'appel, à la p. 574 :

[TRADUCTION] Je ne puis croire qu'on ait voulu que cette phrase soit définitive. Elle constitue une façon de formuler la question essentielle de savoir si oui ou non le procès continuait. Il importe peu de savoir si la continuation incluait la présentation d'éléments de preuve, des plaidoiries, des décisions sur des questions de preuve, l'exposé au jury, etc. [Je souligne.]

Je compte simplement préciser que, si l'absence d'interprétation ou une lacune dans celle-ci porte sur une question purement administrative ou logistique qui ne touche pas aux intérêts vitaux de l'accusé, comme le fait de prévoir un ajournement ou d'y consentir, l'art. 14 de la Charte ne sera pas violé. En fait, dire qu'il s'agit d'une violation banaliserait le droit à l'assistance d'un interprète garanti par la Constitution.

[…]

(iv) Préjudice

[72]  J'aimerais faire un dernier commentaire sur la question de savoir ce que doit établir la partie qui allègue une violation de l'art. 14 de la Charte. À mon avis, il est primordial qu'au moment de déterminer si les droits garantis à l'accusé par l'art. 14 ont effectivement été violés, les tribunaux ne se lancent pas dans des conjectures quant à savoir si l'absence d'interprétation ou une lacune dans celle-ci au cours d'une instance donnée, a influé sur l'issue de l'affaire. Il est dangereux en soi de critiquer après coup la stratégie de la défense dans une affaire donnée ou de jauger l'utilité d'une bonne interprétation. Il est impossible de savoir avec certitude ce qui se serait produit si l'accusé avait bénéficié d'une interprétation intégrale et concomitante des procédures en question. Par exemple, on ne peut jamais réellement savoir ce qu'aurait pu provoquer dans l'esprit de l'accusé l'interprétation à laquelle il avait droit en vertu de l'art. 14 de la Charte.

[73] L'article 14 garantit expressément le droit à l'assistance d'un interprète lorsque certaines conditions préalables sont remplies. Nulle part ne prévoit-il ni ne donne-t-il à entendre que, pour pouvoir conclure que le droit a été violé, il faut effectuer une évaluation après coup de l'atteinte au droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière. En outre, le droit garanti à l'art. 14 de la Charte appartient non seulement aux accusés, mais aussi aux parties à des actions civiles et à des procédures administratives, de même qu'aux témoins. Si le droit à l'assistance d'un interprète était fondé exclusivement sur le droit de présenter une défense pleine et entière et sur la nécessité d'éviter toute atteinte à ce droit, il n'y aurait aucune raison de garantir séparément ce droit aux parties à des procédures non criminelles et aux témoins.

[74] L'article 14 garantit sans réserve le droit à l'assistance d'un interprète. Par conséquent, il serait erroné de se demander, pour déterminer si le droit a été violé, si l'accusé a vraiment subi un préjudice lorsqu'on lui a refusé l'exercice de ses droits garantis par l'art. 14. La Charte proclame en fait que le refus de fournir une bonne interprétation pendant que l'affaire progresse est préjudiciable en soi et viole l'art. 14. Le véritable préjudice qui résulte est une question qui doit être examinée et réglée en fonction du par. 24(1) de la Charte, lorsqu'il s'agit de concevoir une réparation convenable et juste pour la violation en question. En d'autres termes, le « préjudice » réside exclusivement dans le fait de se voir refuser l'exercice d'un droit auquel on a droit.

(v) Renonciation

[75] Comme le droit à l'assistance d'un interprète est non seulement une garantie constitutionnelle fondamentale en soi, mais également un moyen important d'assurer la tenue d'un procès complet équitable et public, garantie séparément par l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte, il s'ensuit qu'il sera plus difficile de renoncer aux droits garantis par l'art. 14 de la Charte que cela peut avoir été le cas antérieurement sous le régime de la common law et de textes législatifs comme le Code criminel et la Déclaration canadienne des droits. En fait, il y aura des cas où, dans l'intérêt public général, il sera tout simplement impossible de renoncer à ce droit.

[…]

[76] Lorsqu'il est possible de renoncer au droit à l'assistance d'un interprète, le seuil est très élevé. Dans Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a précisé, au nom de la Cour, que, pour être valide, la renonciation à un droit procédural d'origine législative doit être claire et sans équivoque et doit être faite en pleine connaissance des droits que la procédure vise à protéger et de l'effet de la renonciation sur ces droits. Cette norme relative à une renonciation valide a subséquemment été adoptée dans le contexte de la Charte, plus précisément à l'égard de l'al. 10b) qui garantit le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat en cas d'arrestation ou de détention: voir, par ex., R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869, le juge McLachlin, aux pp. 892 à 894. Dans le cas précis de la renonciation au droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14, j'ajouterais aux garanties existantes la condition suivante. L'accusé doit renoncer personnellement, si nécessaire à la suite d'une vérification du tribunal, par l'entremise d'un interprète, que l'accusé comprend véritablement ce qu'il fait, à moins que l'avocat de l'accusé ne connaisse la langue de ce dernier ou n'ait communiqué avec l'accusé par l'intermédiaire d'un interprète avant de se présenter devant le tribunal, et qu'il convainque ce dernier que la nature du droit et l'effet de la renonciation sur ce droit ont été expliqués à l'accusé.

[…]

(vi) Résumé des conclusions

[78] La portée du droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14 de la Charte, peut être énoncée dans les termes généraux suivants. La norme d'interprétation garantie par la Constitution n'en est pas une de perfection; il s'agit cependant d'une norme de continuité, de fidélité, d'impartialité, de compétence et de concomitance. L'accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue des procédures, que ce soit le français ou l'anglais, a droit, à toute étape des procédures où l'affaire progresse, à des services d'interprétation satisfaisant à cette norme fondamentale. Pour établir l'existence d'une violation de l'art. 14, la personne qui invoque le droit qu'il confère doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que non seulement elle avait besoin de cette assistance, mais que les services d'interprétation obtenus ne satisfaisaient pas à la norme fondamentale garantie, et ce, pendant que l'affaire progressait. À moins que le ministère public ne soit en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu renonciation valide et effective à ce droit, qui explique l'absence d'interprétation ou la lacune dans celle-ci, on aura établi une violation du droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14 de la Charte. Bien qu'il soit interdit, dans certains cas, de renoncer au droit à l'assistance d'un interprète pour des raisons d'ordre public, lorsque la renonciation est possible, le ministère public doit non seulement établir qu'elle était claire et sans équivoque et faite par quelqu'un qui connaissait et comprenait ce droit, mais encore qu'elle a été faite personnellement par l'accusé ou avec l'assurance de l'avocat de la défense que le droit et l'effet de la renonciation sur celui-ci ont été expliqués à l'accusé dans une langue qu'il connaît parfaitement.

[…]

[80]  Il s'agit en l'espèce de savoir si, pendant le procès, il y a eu violation des droits que l'art. 14 de la Charte garantissait à l'appelant. Plus précisément, le droit de l'appelant à l'assistance d'un interprète a-t-il été violé lorsque l'interprète a témoigné pour la défense et que, plutôt que de donner ses réponses en anglais et en vietnamien, il n'a offert que des résumés en vietnamien de son témoignage et n'a fourni aucune interprétation dans le cas d'un bref échange avec le juge du procès? Pour répondre à cette question, le cadre analytique conçu plus haut doit être appliqué aux faits de la présente affaire.

[…]

[82]  Puisque je suis convaincu que l'appelant ne comprenait pas et ne parlait pas l'anglais, la langue des procédures, et qu'il avait donc besoin de l'assistance d'un interprète pendant tout son procès, comme l'a conclu le juge du procès, la première étape de l'analyse consistera à déterminer s'il y a effectivement eu dérogation à la norme générale d'interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente, que garantit l'art. 14 de la Charte. À mon avis, il ne fait aucun doute que l'interprétation des procédures au cours desquelles M. Nguyen a servi de témoin était loin d'être ce qu'elle aurait dû être.

[83]  Premièrement, l'appelant n'a pas obtenu une interprétation continue de toute la preuve produite à son procès. Au contraire, les questions posées à M. Nguyen et ses réponses ont été élaguées et condensées en deux résumés d'une phrase. En outre, rien dans le dossier ne porte à croire que l'échange entre l'interprète et le juge a été traduit, même sous la forme d'un résumé. En d'autres termes, l'exigence de continuité n'a pas été respectée.

[84] Deuxièmement, l'interprétation fournie à l'appelant n'était pas fidèle. Non seulement était-elle totalement absente dans le cas de l'échange avec le juge, mais encore les résumés en une phrase qui ont été effectués n'ont pas transmis tout ce qui avait été dit. En outre, la premier résumé était incorrect du fait qu'il faisait état de quelque chose qui, en réalité, n'avait pas été dit, en ce sens que M. Nguyen a raconté à l'appelant qu'il avait témoigné que son [Traduction] « visage n'a[vait] pas changé du tout ». Or, nulle part dans le témoignage même de M. Nguyen le visage de l'appelant n'est-il mentionné.

[85] Troisièmement, bien qu'il n'y ait aucune raison de douter de l'impartialité ou de l'objectivité réelle de l'interprétation fournie par M. Nguyen, la pratique qui consiste à se servir d'un interprète à la fois comme témoin et interprète devrait être évitée, sauf dans des circonstances exceptionnelles (par ex., lorsque personne d'autre ne peut témoigner sur le point en question). Dans le rare cas où il devient nécessaire de faire jouer ce double rôle, il incombe à la cour de préciser que l'interprète n'agit plus à titre d'officier de justice et de désigner un autre interprète pour le reste des procédures. Autrement, permettre que l'interprète agisse également à titre de témoin risque de susciter une crainte raisonnable de partialité, sans compter les difficultés pratiques et logistiques que peut poser l'interprétation fournie.

[86] Enfin, le moment où l'interprétation a été fournie n'était pas satisfaisant. Elle aurait dû coïncider avec les questions posées et les réponses données. De fait, au départ, tant le juge du procès que l'avocate de la défense ont demandé à l'interprète de donner ses réponses en anglais et en vietnamien. Pourtant, ces directives ont été ignorées par M. Nguyen qui n'a pas fourni une interprétation consécutive.

[87] En résumé, l'assistance d'un interprète fournie à l'appelant au moment où l'interprète était à la barre des témoins était manifestement insuffisante. À tout le moins, elle n'était ni continue, ni fidèle, ni concomitante. Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'elle ne respectait pas la norme générale d'interprétation garantie par l'art. 14 de la Charte. Il s'agit ensuite de savoir si les lacunes dans l'interprétation sont survenues pendant que l'affaire progressait. Bien que la Cour d'appel ait eu raison d'affirmer que l'assistance accordée à l'appelant ne respectait pas la [Traduction] « norme idéale », j'estime qu'elle a eu tort de ne pas reconnaître que cette lacune était importante et qu'elle a violé les droits de l'appelant garantis par l'art. 14 de la Charte.

[88]  Les lacunes dans l'interprétation n'étaient ni banales ni négligeables. En fait, elles sont survenues à un moment où les intérêts vitaux de l'appelant étaient manifestement en jeu et, par conséquent, où l'affaire progressait. Les problèmes d'interprétation sont survenus au cours de la déposition d'un témoin. Il est évident qu'un accusé a le droit de confronter tous les témoins et d'être réellement présent pendant la production de la preuve, qu'elle lui soit favorable ou non. En outre, le témoignage de M. Nguyen couvrait un sujet d'importance considérable pour l'appelant, soit la question de l'identification sur laquelle toute sa défense reposait. Les détails du témoignage de M. Nguyen concernant le poids de l'appelant étaient cruciaux. En ne recevant que des résumés en une phrase du témoignage, l'appelant n'a pas été informé du tort qui avait été fait au témoignage de M. Nguyen lors du contre-interrogatoire et pendant l'échange qu'il a eu avec le juge du procès. Les questions que le juge du procès a posées à l'interprète et les réponses qu'il a obtenues ont permis de découvrir que l'interprète n'a connu l'appelant que deux mois après l'agression alléguée. En d'autres termes, le témoignage de l'interprète n'était pas probant relativement au poids de l'accusé à l'époque de l'infraction. Par ailleurs, le premier résumé en une phrase que l'appelant a obtenu était trompeur. En disant à l'appelant qu'il avait témoigné que son visage n'avait pas changé du tout, alors qu'en fait il n'avait rien dit de tel, l'interprète a pu donner à l'appelant l'impression que son témoignage répondrait aux préoccupations relatives à la fluctuation de son poids (puisque l'identification par la plaignante reposait sur une séance d'identification au moyen de photos).

[89] Comme il n'était pas informé pleinement et promptement des propos qui étaient véritablement tenus, l'appelant n'était pas en mesure de demander à son avocate de réinterroger l'interprète ou d'appeler un autre témoin qui aurait pu témoigner sur son poids à l'époque de l'infraction alléguée. Si, par exemple, un autre témoin avait été appelé et jugé crédible, son témoignage aurait pu soulever le doute raisonnable nécessaire pour qu'il y ait acquittement. L'incertitude liée à la question de savoir ce qui aurait pu se produire si l'accusé avait bénéficié de la qualité d'interprétation à laquelle il avait droit en vertu de l'art. 14 de la Charte démontre que les tribunaux ne doivent pas se lancer dans des conjectures sur l'utilité ou l'inutilité d'une bonne interprétation. Ce qui importe, c'est que l'appelant avait besoin de l'assistance d'un interprète et qu'on lui a refusé, à un moment où l'affaire progressait manifestement, le degré d'assistanceà laquelle il avait droit et dont il est présumé avoir eu besoin pour comprendre les procédures.

[90] En toute déférence, je ne puis tout simplement convenir avec la Cour d'appel que, parce que la valeur probante du témoignage qui n'a pas été bien interprété s'est finalement révélée faible, l'appelant n'a pas été privé de son droit d'être présent ou de présenter une défense pleine et entière. Le témoignage concernant le poids de l'appelant était pertinent quant à la question fondamentale de l'affaire, celle de l'identification. Dans ses motifs de jugement, le juge du procès a analysé assez longuement la question du poids de l'appelant à l'époque où l'infraction aurait été commise, pour finalement se fonder sur la preuve d'identification du policier et de la plaignante. Si la défense avait présenté une preuve crédible que l'accusé n'était pas « gras » à l'époque de l'agression, cette preuve aurait pu susciter un doute raisonnable dans l'esprit du juge du procès. En disant a posteriori que les mauvais services d'interprétation dont a bénéficié l'appelant n'ont rien changé à l'issue de l'affaire, la Cour d'appel s'est, à mon avis, lancée dans le genre de critique après coup et de conjectures qui, ai-je indiqué, ne convient pas pour déterminer si l'art. 14 de la Charte a été violé. Peu importe que le témoignage de l'interprète ait influé ou non sur le droit de l'appelant de présenter une défense pleine et entière, ce que nous ne pouvons pas savoir avec certitude, l'appelant avait, en vertu de l'art. 14, le droit d'entendre intégralement et de façon concomitante ce qui était dit sur son poids.

[…]

[95] Pour finir, je conclus que l'appelant avait besoin d'un interprète, que l'interprétation qui lui a été fournie ne satisfaisait pas à la norme requise par l'art. 14 de la Charte et que la lacune dans l'interprétation qui a été fournie est survenue à une étape des procédures où l'affaire progressait manifestement. En outre, le ministère public ne m'a pas convaincu que l'appelant a validement et effectivement renoncé à son droit en l'espèce.

R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, 1988 CanLII 107 (CSC)

[56] D'abord en ce qui a trait à la langue des tribunaux, il est établi dans l'arrêt Société des Acadiens, précité, que, bien qu'une personne ait constitutionnellement le droit de s'exprimer en français devant un tribunal au Nouveau-Brunswick aux termes du par. 19(2) de la Charte, elle n'a pas le droit d'être comprise dans cette langue. Le juge et tous les officiers de justice peuvent utiliser à leur gré le français ou l'anglais dans les communications verbales et écrites; voir également l'arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, précité, aux pp. 483 et 497. Selon mon interprétation des motifs du juge Beetz dans Société des Acadiens, l'appelant n'a pas le droit à un traducteur, à l'exception de ce qui est nécessaire pour avoir un procès équitable en common law ou en vertu des art. 7 et 14 de la Charte (p. 577). Le droit d'être compris n'est pas un droit linguistique, mais un droit qui découle des exigences de l'application régulière de la loi. Le juge Beetz, dans l'arrêt Société des Acadiens, prend soin d'employer le terme "pouvoir" pour décrire les droits linguistiques accordés à une personne. Il dit, à la p. 574: "Ils appartiennent à l'orateur, au rédacteur ou à l'auteur des actes de procédure d'un tribunal, et ils confèrent à l'orateur ou au rédacteur le pouvoir, consacré dans la Constitution, de parler ou d'écrire dans la langue officielle de leur choix" (je souligne). À la page 575, il compare ce pouvoir avec les dispositions linguistiques qui prescrivent le droit de communiquer (art. 20 de la Charte) ou d'être entendu (par. 13(1) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, L.R.N.-B. 1973, chap. O-1).

[57] Appliquant ces principes à la présente affaire, il me semble que le juge du procès pourrait, sous réserve de ce que je vais dire plus loin au sujet des procès-verbaux, instruire l'instance en anglais. Il n'y a aucun élément de preuve qui indique que l'appelant avait besoin des services d'un traducteur pour comprendre les procédures, de sorte qu'il était possible de tenir un procès équitable sans offrir une traduction de l'anglais au français. Quoi qu'il en soit, ce que l'appelant a cherché à faire au cours de toutes ces procédures, c'est de faire valoir ses droits linguistiques et non le droit à un procès équitable.

[58] Toutefois, l'avocat du Mouvement de la liberté de choix a soutenu qu'on porte atteinte au principe de l'égalité dans l'usage de la langue en ayant recours aux services d'un traducteur pour se faire comprendre par le juge du procès. Il a souligné qu'une telle traduction place la personne dont les paroles doivent être traduites dans une position beaucoup moins favorable que celle qui peut être comprise directement. Toutefois, il me semble que cet argument a également été rejeté par cette Cour à la majorité dans l'arrêt Société des Acadiens. Voici ce que le juge Beetz a affirmé sur ce point, à la p. 580 :

Je ne crois pas que ma façon d'interpréter le par. 19(2) de la Charte enfreint la disposition de l'art. 16 en matière d'égalité. L'une ou l'autre langue officielle peut être employée par n'importe quelle personne devant tout tribunal du Nouveau-Brunswick ou dans toutes les affaires devant un tel tribunal et dans tous les actes de procédure qui en découlent. La garantie d'égalité des langues n'est toutefois pas une garantie que la langue officielle utilisée sera comprise par la personne à qui s'adresse la plaidoirie ou la pièce de procédure.

Cependant, avant d'en finir avec cette question d'égalité, je tiens à faire remarquer que si on devait conclure que le droit d'être compris dans la langue officielle employée devant un tribunal constitue un droit linguistique régi par la disposition en matière d'égalité de l'art. 16, on ferait un grand pas vers l'adoption d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être satisfait que par des tribunaux bilingues. Pareille exigence aurait des conséquences d'une portée incalculable et constituerait en outre un moyen étonnamment détourné et implicite de modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives à la magistrature.

Le juge Beetz, à la p. 574 de cet arrêt, et aussi aux pp. 500 et 501 de l'arrêt MacDonald, précité, a pris soin d'indiquer que le droit à l'application régulière de la loi, qui constitue la préoccupation essentielle de l'intervenant, ne devrait pas être lié aux droits linguistiques en raison de leur différence sur le plan des concepts; les lier comporterait le risque de les dénaturer tous les deux plutôt que de les renforcer l'un et l'autre.

[59] Toutefois, il y a une question concernant la traduction qui n'a pas été soulevée dans l'arrêt Société des Acadiens, mais qui est soulevée en l'espèce. Dans l'arrêt Société des Acadiens, la question était de savoir si le juge avait compris l'appelant (on a conclu que c'était le cas). Toutefois, le juge Beetz a remis à une autre occasion les questions relatives aux moyens raisonnables nécessaires pour assurer que les membres des tribunaux comprennent les procédures. De plus, il n'a pas traité de la question, qui a un certain rapport avec les questions que je viens tout juste de mentionner, de savoir si, lorsque les procédures doivent en vertu de la loi être consignées, la personne qui utilise l'une ou l'autre langue officielle a droit à ce que ses observations soient consignées dans cette langue. Cette question n'a pas non plus été soulevée dans les arrêts MacDonald, précité, ou Bilodeau c. Procureur général du Manitoba, [1986] 1 R.C.S. 449. Ces arrêts portaient essentiellement sur la question de savoir si des actes de procédure validement rédigés dans une seule des langues officielles devaient être traduits dans l'autre [page276] langue. Toutefois, comme je l'ai déjà mentionné, cette question est soulevée en l'espèce en ce qui a trait à la fois à l'inscription du plaidoyer et au témoignage de l'appelant.

[60] À mon avis, le droit ou le pouvoir de l'appelant d'utiliser le français serait gravement diminué si ses propos étaient consignés dans une autre langue. En effet, l'utilisation qu'il fait de la langue s'applique au-delà de la tribune devant laquelle il comparaît alors. Par exemple, les procédures peuvent être poursuivies en Cour d'appel où les juges peuvent, à bon droit, vouloir se référer aux termes exacts utilisés par une personne au procès, des termes que cette personne a le droit d'utiliser. En l'absence de mesures législatives valides exigeant que les déclarations de l'appelant soient consignées dans une seule langue, et aucune n'a été portée à notre attention, il me semble que l'appelant a le droit de faire consigner ces déclarations en français. Il va sans dire que sa situation est différente de celle d'une personne qui utilise une langue autre que le français ou l'anglais et dont le droit à la traduction découle uniquement des exigences de l'application régulière de la loi.

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[110] Supposons qu'une personne accusée d'une infraction criminelle, au moyen d'un acte rédigé soit en français soit en anglais, ne comprend pas la langue de l'inculpation. Il va sans dire qu'on ne saurait demander à cette personne de plaider et d'être jugée relativement à l'inculpation dans ces circonstances. Ce qui va se passer en pratique, comme en droit, c'est que le juge va demander à un interprète assermenté de traduire l'inculpation dans une langue que la personne accusée peut comprendre. Mais il en est ainsi peu importe que l'accusé ne parle que l'allemand ou le cantonais et cela n'a rien à voir avec ce que représente l'art. 133 [de la Loi constitutionnelle de 1867]. Ce sont d'autres textes législatifs qui pourvoient à cet objet différent, comme par exemple ceux se rapportant aux interprètes, de même que d'autres principes de droit, dont certains sont maintenant enchâssés dans les dispositions de textes constitutionnels ou quasi constitutionnels distincts, tels l'al. 2g) de la Déclaration canadienne des droits et l'art. 14 de la Charte, qui se rapportent aussi aux interprètes. Voir par exemple: Procureur général de l’Ontario c. Reale, 1974 CanLII 23 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 624; Unterreiner v. The Queen (1980), 51 C.C.C. (2d) 373 (C. de comté Ont.); Sadjade c. La Reine, 1983 CanLII 163 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 361.

Société des Acadiens c. Association of Parents, 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

[60] Le droit qu'ont les parties en common law d'être entendues et comprises par un tribunal et leur droit de comprendre ce qui se passe dans le prétoire est non pas un droit linguistique mais plutôt un aspect du droit à un procès équitable. Ce droit est d'une portée à la fois plus large et plus universelle que celle des droits linguistiques. Tout le monde en jouit, y compris les personnes qui ne parlent ni ne comprennent aucune des deux langues officielles. Il relève de la catégorie de droits que la Charte qualifie de garanties juridiques et, en fait, est protégé, du moins en partie, par des dispositions comme les art. 7 et 14 de la Charte : […]

Thibeault J.R.N.J. (Captain), R. c., 2014 CM 3022 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[11] J’interprète la situation en me fondant sur la Loi sur les langues officielles, loi fédérale qui s’applique au tribunal, qui est une cour martiale, car je crois savoir que la cour martiale est un tribunal fédéral, soit une cour fédérale dans la mesure où elle a été établie au titre d’une loi fédérale. Ainsi, les dispositions de la Loi sur les langues officielles et, de fait, la Constitution s’appliquerait à la cour martiale, surtout les articles 19, 14 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[12] J’ai examiné soigneusement divers scénarios applicables à la présente affaire.

a) Tout d’abord, dans le contexte d’un procès bilingue, le juge et le procureur de la poursuite seraient en mesure de s’exprimer dans l’une ou l’autre des deux langues officielles, étant donné qu’ils sont bilingues, et les témoins pourraient faire des dépositions dans leur propre langue, sans avoir besoin d’un interprète. L’avocat de la défense serait unilingue anglophone, les témoins témoigneraient en anglais, et, si l’accusé présentait un témoignage, il le ferait en français.

b) Se pose ensuite la question de la nécessité de recourir aux services d’un interprète, non pas pour assister l’accusé qui témoignera en français, mais plutôt pour permettre à l’avocat de la défense de comprendre le témoignage de son propre client. Cette situation se rapporte à l’interprétation de l’article 14 de la Charte. Cette disposition s’appliquetelle au cas dun avocat de la défense ayant besoin dun interprète afin de pouvoir représenter laccusé? Je me fonde principalement sur la décision rendue par le juge Godin dans l’affaire Cormier c. Fournier le 23 mai 1986 (1986 CanLII 92 [BR NB]), à la page 6. « L’article 14 ne s’applique pas à l’avocat. » La protection prévue à l’article 14 est principalement destinée à l’accusé et ne peut pas être étendue à l’avocat qui le représente. Ainsi, si j’ordonne la tenue d’un procès bilingue dans les circonstances, à mon avis, il sera impossible de fournir un interprète à l’avocat de la défense, Me Brown.

c) Si nous tenions un procès en français, comme cela a été le cas du procès initial, le juge pourrait parler et comprendre cette langue, tout comme le procureur de la poursuite, mais l’avocat de la défense ne serait pas en mesure de la comprendre ni de la parler; les témoins présenteraient leurs dépositions en anglais, et un interprète serait fourni, conformément à l’article 14 de la Charte; l’accusé pourrait témoigner dans sa propre langue, c’est à dire le français. Là encore, le problème tiendrait à l’obligation de fournir un interprète à l’avocat de la défense. La cour réagirait probablement comme dans le contexte d’un procès bilingue, soit que l’avocat, un officier de justice, comme la personne défendant l’accusé, n’aurait pas droit à un interprète.

d) Ainsi, j’aborde maintenant la troisième possibilité, qui correspond à l’affaire dont je suis saisi. J’estime que, dans le système de justice militaire, lorsqu’une accusation est portée, l’accusé doit indiquer dans quelle langue il voudrait que le procès ait lieu devant tout tribunal militaire. En l’espèce, le capitaine Thibeault a indiqué que la langue de son choix pour subir son procès est l’anglais. Par conséquent, dans le cas qui nous occupe, la tenue d’un procès en anglais signifierait là encore que le juge et les deux avocats peuvent parler et comprendre l’anglais, tout comme les témoins. Toutefois, l’accusé se retrouverait dans une position différente. La question est de savoir, au regard de l’affaire dont je suis saisi, si les services d’un interprète peuvent être fournis à l’accusé, alors qu’il est présumé qu’il comprend et parle la langue dans laquelle se déroule l’instance. En l’espèce, je dois conclure qu’il n’est pas présumé que l’accusé comprend ou parle l’anglais, qui est la langue du procès.

[13] J’adopte une approche pratique à l’égard de cette question. Je dois faire en sorte que, tout au long du déroulement de l’instance, l’accusé bénéficie d’un procès équitable ainsi que d’une défense pleine et entière en vertu de son droit garanti par l’article 7 de la Charte, et il s’agit de ma principale préoccupation. Pour comprendre la signification de ce droit, j’ai examiné l’arrêt R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, de la Cour suprême du Canada qui, même s’il repose sur des faits différents (dans l’affaire Tran, l’accusé ne pouvait parler ni le français ni l’anglais), donne à la cour des indications permettant de trouver une solution au cas qui l’occupe. L’accusé a choisi de subir son procès en anglais, et ce, pour plusieurs motifs. Premièrement, les témoignages, sauf celui de l’accusé, sont présentés en anglais. Deuxièmement, l’accusé a choisi d’être représenté par un avocat de la défense unilingue anglophone, ce qui soulève la question du choix de l’avocat. Ces droits (l’équité du procès et le choix de l’avocat) sont établis à l’article 7 de la Charte. Pour simplifier la compréhension de cette situation unique, on pourrait résumer ainsi les aspects préoccupants : l’accusé parle français, mais sa capacité de comprendre et de parler l’anglais est limitée. Je suppose que son choix d’avocat s’explique par la langue dans laquelle les témoignages sont présentés. Enfin, l’accusé souhaite témoigner en français, alors qu’il est représenté par un avocat anglophone.

[14] Les droits prévus à l’article 7 de la Charte et interprétés dans l’arrêt Tran ont un rôle à jouer en l’espèce. Le droit à l’assistance d’un interprète se rapporte à la notion de l’équité du procès et renvoie au droit de l’accusé de disposer des services d’un interprète. En l’occurrence, si je conclus qu’aux fins du procès en anglais, l’accusé a droit à un interprète quand il témoigne, dans ces circonstances particulières, j’estime qu’il ne se verra pas accorder davantage de droits que les autres parties, du fait qu’il s’agit, compte tenu du contexte très précis du cas qui nous occupe, d’un nouveau procès fondé sur les réserves exprimées par la Cour d’appel de la cour martiale quant à la capacité de l’accusé de témoigner.

[15] Il m’apparaît donc logique que le capitaine Thibeault choisisse de subir son procès en anglais, qu’il soit représenté par un avocat qui parle et qui comprend l’anglais et que les témoignages soient présentés dans cette même langue. Il a le droit, le cas échéant, de s’exprimer en français, mais il témoignera au moyen d’un interprète, de sorte que les éléments de preuve que la cour entendra et examinera seront fournis par l’intermédiaire d’un interprète. La cour peut à tout moment remettre en question la qualité de l’interprétation. Par conséquent, je pourrais éventuellement exprimer des réserves à cet égard.

[16] Cela dit, j’estime que les services d’un interprète d’expérience, dûment qualifié, auront pour effet de dissiper tout doute à ce sujet. Plus précisément, le témoignage de l’accusé sera présenté en français et traduit en anglais. Le juge des faits devra par la suite examiner ce témoignage, tel qu’il sera traduit en anglais. Je crois comprendre qu’après avoir examiné de nombreuses possibilités avec son avocat, l’accusé serait à l’aise avec ce processus. Je suis d’avis que Me Brown a été pleinement informé par son client de la langue du procès et de sa volonté de procéder de cette manière, à savoir que le juge des faits entendra et examinera son témoignage traduit.

[17] Le procès se déroulera en anglais, soit la langue choisie par l’accusé, ce qui donnera effet au droit de l’accusé à une défense pleine et entière, y compris au droit d’être représenté par l’avocat de son choix. En outre, cette démarche aura pour effet de répondre à l’une des préoccupations que j’ai soulevées, quant au fait qu’afin de pouvoir donner un témoignage suffisant, le cas échéant, l’accusé doit bien comprendre les dépositions des autres témoins.

[18] Je tiens à ce que l’accusé bénéficie de l’assistance d’un interprète, qui pourrait non seulement traduire son propre témoignage, mais aussi, par souci d’équité, s’asseoir à côté de lui pour lui traduire, au besoin, les déclarations des témoins. Je crois comprendre qu’il n’y a que de deux témoins en l’espèce, ce qui fait en sorte que l’instruction ne sera pas longue à cet égard. J’estime qu’en matière d’équité, la présence d’un interprète aux côtés du capitaine Thibeault pendant le déroulement du procès dissipera mes préoccupations quant à la capacité de celui-ci de bien comprendre ce qui se passe au cours de l’instance. De plus, le capitaine Thibeault bénéficiera des services d’un interprète lors de son témoignage, le cas échéant.

[19] En choisissant de traiter de la question de la langue de cette manière, j’ai répondu à la question de l’équité du procès et du droit de l’accusé d’être représenté par l’avocat de son choix et de choisir la langue du procès. J’estime donc que l’accusé n’aura pas davantage de droits que d’autres. Cela ne veut pas dire que, dans d’autres circonstances, j’arriverais à la même conclusion.

[20] Par conséquent, la demande de procès bilingue sera rejetée. La présente instance se déroulera en anglais, à la demande du capitaine Thibeault. L’accusé bénéficiera des services d’un interprète tout au long de l’instance, dès le commencement de l’instruction. L’interprète sera présent aux côtés du capitaine Thibeault, pour fournir ses services à la demande de celui-ci. Il n’y aura pas d’interprétation simultanée en raison des frais élevés, comme l’a souligné l’avocat de la défense. Le capitaine Thibeault comprendra pleinement ce qui se passe au cours de l’instance, et l’interprète lui fournira à tout moment une interprétation sur demande. Le déroulement de l’instance sera particulier en quelque sorte. Le capitaine Thibeault pourra m’interrompre pour demander à l’interprète de traduire ce qui a été dit. Ce sera à moi de gérer convenablement le déroulement de l’instance, mais le capitaine Thibeault pourra m’interrompre à tout moment afin de pouvoir comprendre pleinement ce qui a été dit.

[21] Étant donné que l’interprète est un officier de justice, j’ai l’intention de suivre la procédure habituelle et de lui demander de prêter serment ou de faire une déclaration solennelle avant de commencer l’instruction. Les compétences et l’expérience de l’interprète seront authentifiées, ce qui permettra une interprétation officielle si le capitaine Thibeault décide de témoigner au procès. À mon avis, c’est la meilleure façon de bénéficier d’un procès équitable dans la présente affaire et de répondre en même temps aux préoccupations soulevées par le capitaine Thibeault quant à la langue du procès. Voilà ma décision. Les responsables de l’administration de la cour se chargeront de ces exigences opérationnelles. […]

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

[56] Que faut-il retenir de ces enseignements [dans les jugements Tran, Shyshkin, Dow et Roy Martin] ? Les décisions précitées s'entendent pour dire que l'interprétation consécutive comporte plus d'avantages que l'interprétation simultanée. Elle permet en outre à l'accusé ou à son avocat de réagir plus rapidement et de déceler plus facilement, le cas échéant, les lacunes de l'interprétation. Elle constitue enfin, pour le moment du moins, la seule méthode permettant d'enregistrer la traduction et de la retranscrire.

[57] L'objectif poursuivi par l'alinéa 530.1g) C.cr. est d'assurer aux parties l'enregistrement complet des débats ainsi que leur interprétation. Les arrêts Dow et Martin, sous l'éclairage des conditions qui prévalent dans les différents palais de justice du Québec, affirment que l'interprétation consécutive est maintenant devenue une méthode incontournable. Quoiqu'en toute circonstance préférable à toute autre forme d'interprétation, l'interprétation consécutive est de toute façon jugée inévitable dans tous les cas où le tribunal n'est pas en mesure de garantir à l'accusé autrement que par cette méthode le respect intégral de l'alinéa 530.1g) C.cr.

[58] Le dossier ne fait pas voir que le juge s’est véritablement penché sur la question de l'opportunité de la méthode d'interprétation et de ses conséquences. En ordonnant l'interprétation simultanée au lieu de l'interprétation consécutive, le juge devait s'assurer qu'en tout temps le dossier comporterait la totalité de l'enregistrement de l'interprétation, ce qui ne s'est pas réalisé. Il s'agit ici d'une erreur qui, comme on le verra plus loin, a irrémédiablement porté atteinte aux droits linguistiques de l'appelant.

Dow c. R., 2009 QCCA 478 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[53] Sous réserve de la question de la renonciation, l’absence totale d’interprétation donne nécessairement lieu à la prise en compte de l’article 14 de la Charte canadienne et de l’arrêt R. c. Tran de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, il a été déterminé, entre autres, que l’omission de fournir à l’accusé une traduction complète de l’anglais au vietnamien des procédures dans le cadre d’un procès présidé par un juge seul a porté atteinte à ses droits prévus à l’article 14 de la Charte canadienne, et la tenue d’un nouveau procès a été ordonnée.

[…]

[78] J’ajouterais également qu’il est généralement reconnu que, au moment de faire respecter la garantie linguistique offerte à l’accusé, il est préférable d’utiliser l’interprétation consécutive plutôt que l’interprétation simultanée, puisque c’est le seul moyen d’obtenir une transcription dans les deux langues […]

[…]

[86] Dans le cas de M. Dow, le dossier dont la Cour est saisie ne contient tout simplement aucun élément permettant d’étayer une conclusion selon laquelle la norme élevée mentionnée par le juge en chef Lamer, qui doit être respectée pour qu’une renonciation de ses droits prévus à l’article 530.1 du Code criminel et à l’article 14 de la Charte canadienne soit valide a été satisfaite par ses réponses affirmatives aux deux questions posées par le juge de première instance que j’ai mentionnées aux paragraphes [81] et [83]. De plus, ces réponses ne justifient pas l’absence d’interprétation devant le jury dans les trois cas décrits au paragraphe [52] ci-dessus.

[87] Cela est d’autant plus vrai ici du fait que le procureur de la Couronne n’a jamais laissé entendre, dans son mémoire ou lors de sa plaidoirie, qu’il existait une raison valable de demander à M. Dow de renoncer à l’un ou l’autre de ses droits. Quelle que puisse avoir été cette raison, elle n’avait rien à voir avec quelque souci que l’on aurait eu pour M. Dow. Il faut donc nécessairement en conclure que la demande a été faite à M. Dow pour accommoder personnellement le juge de première instance et l’avocat, ce qui est à mille lieues de ce que l’on peut concevoir comme étant une raison valable. En termes simples, le juge de première instance n’aurait jamais dû faire une telle demande à M. Dow.

[88] En outre, dans de telles circonstances, le juge de première instance exerce une influence considérable sur un accusé tel que M. Dow du simple fait du contraste entre leurs situations respectives, qui tient au rôle exercé par le juge et à la position précaire de l’accusé dont la liberté est en jeu. On ne s’étonne donc pas que quelqu’un comme M. Dow ait répondu par l’affirmative aux deux questions du juge de première instance.

[89] Quoi qu’il en soit, en l’espèce, le juge de première instance et le procureur de la Couronne se sont mépris sur la raison de la présence de l’interprète au procès d’un accusé anglophone. L’interprète n’est appelé à intervenir que lorsqu’un ou plusieurs témoins francophones témoigneront au procès. Son véritable rôle se limite à traduire, de l’anglais au français, les questions adressées par les avocats aux témoins francophones puis, du français à l’anglais, les réponses de ces derniers. La présence de l’interprète est au bénéfice des témoins francophones, de l’accusé et du jury, et non à celui du juge de première instance et du procureur de la Couronne, lesquels doivent se comporter comme s’il n’y avait aucun interprète dans la salle d’audience. C’est la seule conclusion que l’on puisse tirer du fait que l’alinéa 530.1f) du Code criminel ne fasse pas mention du juge de première instance ni du procureur de la Couronne.

[…]

[95] En ce qui concerne la conduite de l’avocate de la défense, qui équivaudrait à une approbation de ce qui s’est passé, deux commentaires sont justifiés.

[96] Premièrement, comme je l’ai déjà mentionné, cette avocate a reconnu avec franchise qu’elle ne connaissait pas l’étendue des garanties linguistiques dont jouissait M. Dow, plus particulièrement au titre de l’article 530.1 du Code criminel. Le fait qu’elle parlait français en sachant qu’aucune interprétation consécutive n’aurait lieu et qu’elle n’y avait donc aucune possibilité de transcription de l’interprétation en anglais en témoigne. Ainsi, elle n’aurait pas pu renoncer sciemment aux droits de son client par sa conduite. Je suis également persuadé que, si elle avait été au courant de ces droits, elle aurait insisté pour qu’ils soient respectés, tout comme l’a fait l’avocat de la défense dans l’arrêt Potvin.

[97] Deuxièmement, compte tenu de la nature intrinsèquement personnelle des droits linguistiques, il faudrait une certaine indication du fait que l’avocate a agi comme elle l’a fait et que M. Dow connaissait et comprenait pleinement les conséquences de cette conduite. Le dossier dont la Cour est saisie ne contient absolument aucune indication à cet égard.

IV CONCLUSION

[98] À la lumière de l’omission de respecter pleinement les droits de M. Dow, conformément à la jurisprudence d’appel applicable qui interprète l’article 530.1 du Code criminel et l’article 14 de la Charte canadienne, les dispositions réparatrices de l’alinéa 686(1)b) du Code criminel ne peuvent être appliquées.

[99] Malgré l’inapplicabilité de cet alinéa, peut-il néanmoins être affirmé que les droits de M. Dow ont été suffisamment respectés, au point que la Cour ne devrait pas intervenir? Après tout, l’omission de se conformer à certains aspects de l’article 530.1 du Code criminel et de l’article 14 de la Charte canadienne a eu lieu la plupart du temps en l’absence du jury. Une interprétation simultanée a été offerte à M. Dow lorsque des voir-dire, des arguments juridiques et des jugements interlocutoires ont eu lieu en français dans ce contexte.

[100] À mon avis, rien ne justifie de ne pas intervenir quand il est question de l’objectif des garanties linguistiques. Comme l’indique clairement la jurisprudence de cette Cour, de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour suprême du Canada, cet objectif est l’égalité réelle des membres de la majorité linguistique et de ceux de la minorité linguistique dans chaque province et territoire du Canada. De plus, l’omission de respecter les droits découlant de l’applicabilité de l’article 530 du Code criminel constitue « un tort important et non une irrégularité de procédure ».

[101] En l’espèce, l’égalité réelle signifie au moins qu’il faut affecter au procès d’un accusé qui est membre d’une des minorités linguistiques du Canada, dans une province ou un territoire du Canada, un juge de première instance et un procureur qui sont non seulement capables, mais aussi prêts à parler la langue de l’accusé pendant toute la durée du procès, comme si l’accusé était membre de la majorité linguistique de cette province ou de ce territoire. Cela signifie également qu’aucun juge de première instance de quelque province ou territoire canadien que ce soit ne doit chercher à obtenir de l’accusé qu’il renonce à ses droits ou acquiesce à une supposée renonciation de ses droits parce que cela est plus pratique pour les autres personnes qui participent au procès.

[102] Le procès de M. Dow n’avait rien du modèle d’égalité réelle requis, à un point tel que cela n’avait rien d’insignifiant.

[103] Dans de telles circonstances, la Cour aurait tort de fermer les yeux sur ce qui est arrivé à M. Dow et de se contenter d’exprimer l’espoir qu’aucun autre accusé ne subira la même chose. Il avait droit à un procès entièrement conforme à ses droits linguistiques, et c’est le genre de procès qu’il devrait maintenant avoir.

R. c. Rybak, 2008 ONCA 354 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[67] La garantie prévue à l’art. 14 sert à plusieurs fins importantes. Elle assure à une personne accusée d’un acte criminel qu’elle entendra la preuve qui pèse contre elle, et cette garantie est assortie de la pleine possibilité de répondre à ces arguments. Le droit touche l’intégrité même de l’administration de la justice au pays et est étroitement lié à nos notions fondamentales de justice, dont l’apparence d’équité. Dans le même ordre d’idées, le droit dénote une affinité pour notre prétention de multiculturalisme, partiellement démontrée par l’art. 27 de la Charte (R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, [1994] A.C.S. no 16, 92 C.C.C. (3e) 218, p. 977-978 R.C.S., p. 240 C.C.C.).

Le principe qui sous-tend la garantie

[68] Les intérêts protégés par le droit à l’assistance d’un interprète garanti par l’art. 14 sont au service du principe sous-jacent de la compréhension linguistique (Tran, p. 977-978 R.C.S., p. 240 C.C.C.).

[69] Comme la présence physique et intellectuelle, la compréhension linguistique est un aspect de l’exigence prévue au par. 650(1) du Code criminel selon laquelle un accusé, autre qu’une organisation, doit « être présent au tribunal pendant tout son procès », sauf dans certaines situations exceptionnelles prévues au par. 650(2), aucune desquelles ne s’applique en l’espèce (R. c. Reale, 1973 CanLII 55 (ON CA), [1973] 3 O.R. 905, [1973] O.J. no 2111, 13 C.C.C. (2e) 345 (C.A.), p. 914 O.R., p. 354 C.C.C., confirmé dans 1974 CanLII 23 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 624, [1974] A.C.S. no 118, 22 C.C.C. (2e) 571).

[70] Le principe de la compréhension linguistique se reflète dans le libellé catégorique de l’art. 14 de la Charte et fait partie intégrante de l’exigence relative à la présence prévue au par. 650(1) du Code criminel. Dans ces circonstances, il ne devrait pas vraiment être surprenant que le degré de compréhension protégé par l’art. 14 soit, par nécessité, élevé (Tran, p. 977-978 R.C.S., p. 240 C.C.C.).

[71] Essentiellement, la garantie prévue à l’art. 14 fait en sorte qu’une partie a la même possibilité de base de comprendre et d’être comprise que si elle maîtrisait la langue des procédures. Cela dit, le principe de la compréhension linguistique ne doit pas être élevé au point où les personnes qui parlent ou comprennent difficilement la langue des procédures reçoivent ou paraissent recevoir des avantages injustes par rapport à celles qui parlent couramment la langue du tribunal. Au bout du compte, le but du droit à l’assistance d’un interprète est de mettre toutes les parties sur un pied d’égalité, pas d’accorder à certaines personnes davantage de droits qu’à d’autres (Tran, p. 978-979 R.C.S., p. 241 C.C.C.).

[…]

[81] Dans l’arrêt Tran, la Cour a désigné plusieurs critères comme étant inclusifs, mais pas exclusifs : la continuité, la fidélité, l’impartialité, la compétence et la concomitance (Tran, p. 985-986 R.C.S., p. 246 C.C.C.).

[82] Le critère de continuité garantit que l’interprétation est continue, sans pause, et qu’il ne s’agit pas de simples résumés de la preuve ou d’autres aspects des procédures. Le critère de fidélité ne requiert pas la perfection. L’interprétation suppose l’application d’une norme moins élevée que la traduction. Le critère d’impartialité garantit que l’interprétation est fournie de façon objective et sans parti pris (Tran, p. 985-988 R.C.S., p. 246-48 C.C.C.).

[83] Le critère de la compétence exige que l’interprétation soit d’assez bonne qualité pour faire en sorte que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue. Il n’existe à ce jour aucune norme généralement acceptée pour l’évaluation de la compétence, mais les interprètes doivent prêter serment ou faire une déclaration solennelle avant de commencer toute interprétation des procédures. On ordonne la tenue d’un examen des titres de compétence s’il y a des motifs légitimes de douter de la compétence d’un interprète (Tran, p. 987-990 R.C.S., p. 248-49 C.C.C.).

[84] La compétence et l’agrément ne vont pas nécessairement de pair. Comme aucune norme généralement acceptée ne permet d’évaluer la compétence d’un interprète, ni la présence ni l’absence d’agrément ne peut être considérée comme permettant de trancher la question de la compétence (Tran, p. 987-990 R.C.S., p. 248 249 C.C.C. Voir aussi : State v. Pham, 879 P.2d 321, 75 Wn. App. 626 à 326 (1994), p. 326 P.2d; R. v. Ungvari, [2003] E.W.J. no 4217, [2003] E.W.C.A. Crim. 2346 (C.A. (Crim. Div.)), au para 23; et Martins v. Texas, 2001 Tex. App. LEXIS 5096, 52 S.W.3d 459 (2001), p. 473-474 S.W.3e).

[85] L’interprétation et la procédure en question doivent être concomitantes. La méthode de prédilection pour obtenir une concomitance consiste à offrir une interprétation consécutive plutôt que simultanée.

[86] Les dérogations à la norme procédurale d’interprétation ne violent pas toutes l’art. 14. Certaines le font, d’autres pas. Une partie qui allègue une violation de l’art. 14 doit établir que la lacune dans l’interprétation avait trait aux procédures elles-mêmes et qu’elle a de fait touché aux intérêts vitaux de l’accusé, et qu’elle ne concernait pas simplement quelques question accessoire ou extrinsèque, comme une question relative au calendrier ou quelque chose de semblable (Tran, p. 990-991 R.C.S., p. 250 C.C.C.).

[…]

[94] Il incombe à l’appelant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’assistance d’un interprète fournie en l’espèce n’atteignait pas le seuil garanti par la Constitution.

[95] Même si le juge de première instance a expressément invité l’appelant à l’avertir de toute difficulté rencontrée par rapport à l’interprète ou à l’interprétation, le dossier d’instruction ne comporte absolument rien qui laisserait entrevoir de l’incompétence ou d’autres lacunes au chapitre de l’interprétation. Au contraire, quand la question de l’interprète a été soulevée pour la première fois durant les motions préalables au procès, l’appelant a appuyé la désignation de Mme Zywulko à titre d’interprète et a demandé au juge de première instance de lui assurer qu’elle allait rester tout au long du procès. Sa demande a été honorée.

[96] L’imposition d’un fardeau à une partie qui fait valoir une atteinte aux droits constitutionnels dans le but d’obtenir un redressement particulier (en l’espèce, un nouveau procès) s’assortit de l’obligation de s’acquitter du fardeau au moyen d’une certaine forme de preuve. La preuve de l’atteinte aux droits est une condition qui précède le droit à une réparation. Autrement dit, la réparation est obtenue non pas à la suite de la demande, mais seulement une fois la preuve montrée.

[97] La preuve de l’appelant consiste en de nouveaux éléments de preuve repris d’une autre procédure ultérieure. Elle montre que l’interprète fournie en l’espèce n’était pas agréée par le ministère du Procureur général (elle avait échoué deux fois à l’examen d’agrément et s’était retirée la troisième fois). Le coordonnateur des interprètes l’avait présentée, sciemment ou sans le savoir, comme étant agréée. Elle avait servi d’interprète devant les tribunaux de la région de Peel pendant une décennie. Selon un interprète agréé, Mme Zywulko comptait parmi les meilleurs interprètes disponibles, avec ou sans agrément.

[98] Dans les nouveaux éléments de preuve documentaire de l’appelant, il manque un lien entre les lacunes systémiques et relatives à l’agrément établies dans les documents présentés et l’assistance fournie par l’interprète en l’espèce : il n’y a aucun affidavit ou autre élément de preuve provenant de l’appelant ou de l’avocat au procès à ce sujet, et on ne trouve absolument rien dans le dossier d’instruction à cet égard. Rien ne vient appuyer cette allégation d’atteinte aux droits constitutionnels, ce qui serait nécessaire (Pham, para. 5 6; et Mohammadi c. R., [2006] Q.J. no 6809, 2006 QCCA, para 36).

[99] L’appelant insiste pour faire appliquer une règle de la ligne de démarcation très nette qui découle essentiellement de la croyance selon laquelle, lorsqu’un besoin est démontré à cet égard, l’offre de l’assistance d’un interprète pour la prestation d’une interprétation continue, fidèle, impartiale, compétente et concomitante est le seul moyen de s’assurer que les personnes qui ne connaissent pas suffisamment la langue ont la même possibilité que celles qui maîtrisent la langue du tribunal. Cette règle rendrait la procédure suivie en l’espèce lacunaire, d’un point de vue constitutionnel.

[100] À mon humble avis, l’arrêt Tran nous enseigne que l’interprétation offerte doit être suffisante pour garantir que la personne qui ne connaît pas suffisamment la langue a la même occasion que celle qui la maîtrise de comprendre les procédures et d’être comprise dans le cadre de celles ci. Certaines personnes ont besoin de plus d’aide que d’autres, comme dans l’arrêt Tran, pour atteindre le degré de compréhension requis. L’arrêt Tran reconnaît les écarts permissibles par rapport à sa règle générale, qui n’est pas implacable (Tran, p. 990-991 R.C.S., p. 250 C.C.C.). En l’espèce, certains mots ont posé des difficultés à l’appelant. Une méthode d’interprétation lui a été offerte, et il l’a acceptée, laquelle a compensé sa connaissance insuffisante de la langue. Il n’a formulé aucune plainte au sujet de tout élément inadéquat de l’interprétation au procès et n’a présenté dans le cadre de l’appel aucun élément de preuve indiquant une quelconque lacune.

R. c. Koaha, 2008 NUCA 1 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[15] Comme je l’ai déjà déclaré, la question n’est pas de savoir si M. Koaha avait besoin de l’assistance d’un interprète. La transcription de l’audience montre qu’au début de son témoignage, il a affirmé qu’il avait besoin que les questions de son avocat soient traduites. À partir de ce moment là, l’interprète du tribunal a commencé à assister M. Koaha. Les questions, posées en anglais par l’avocat de ce dernier, ont été traduites en inuinnaqtun par l’interprète. Les réponses formulées en inuinnaqtun par M. Koaha ont été traduites en anglais.

[16] M. Koaha fait valoir que la transcription de l’audience de détermination de la peine et celle de son contre interrogatoire sur son affidavit montrent que l’interprétation était lacunaire en l’espèce et qu’elle ne répondait pas aux normes établies par la Charte […]

[26] Le fait que M. Koaha n’a rien dit au sujet de ses difficultés liées à l’interprétation n’est pas un facteur déterminant, mais il doit être pris en compte dans l’évaluation de son allégation selon laquelle ses droits ont été enfreints, d’autant plus que la raison pour laquelle il n’a rien dit à ce moment là demeure inconnue.

[27] Dans l’arrêt R. c. Tran (précité, au para 50), la Cour suprême a commenté cette question, quoique dans un contexte légèrement différent. Dans son analyse au sujet de la façon dont les tribunaux devraient aborder l’évaluation des besoins aux fins de l’application de l’art. 14, la Cour a affirmé ce qui suit :

Bien que les tribunaux doivent se montrer sensibles aux signes qui indiquent qu'un accusé peut peut-être éprouver des difficultés linguistiques, on n'attend pas et on ne saurait attendre d'eux qu'ils lisent dans les pensées. Lorsqu'aucun indice extérieur ne laisse entrevoir une incompréhension de la part de l'accusé et que celui-ci ou son avocat (dans le cas où il est représenté) n'a pas invoqué le droit en question, cela peut jouer contre l'accusé si ce dernier, après avoir gardé le silence pendant tout le procès, soulève la question de l'interprétation pour la première fois en appel.

[28] À mon avis, ces commentaires sont également pertinents par rapport à l’évaluation de l’allégation d’une personne selon laquelle les services d’interprétation qui lui ont été fournis étaient inadéquats. Si le problème n’est pas soulevé au moment des procédures, il s’agit d’un facteur qui pourrait militer contre une conclusion selon laquelle un droit a effectivement été enfreint.

[29] Il est vrai que M. Koaha n’était pas en position de savoir, au moment des procédures, si ses réponses étaient traduites adéquatement en anglais. Toutefois, il était certainement bien placé pour savoir s’il comprenait les questions que lui traduisait l’interprète, de la même manière qu’il pouvait le dire s’il n’arrivait pas à comprendre les questions qui lui étaient posées en anglais.

[30] Je reconnais que, comme les procédures n’ont pas fait l’objet d’un enregistrement audio, un examen indépendant du travail de l’interprète durant l’audience de détermination de la peine en question ne peut être effectué. Il est impossible pour M. Koaha d’entendre de nouveau ses réponses en inuinnaqtun et de vérifier par l’entremise d’un autre interprète si ces réponses ont été traduites adéquatement en anglais. Il lui est également impossible de vérifier si les questions posées en anglais par son avocat ont été bien traduites en inuinnaqtun.

[31] Il fait peu de doutes que l’enregistrement d’office de ces types de procédures constituerait une pratique préférable. Ce n’est peut être pas toujours possible pour des raisons d’ordre logistique, mais, chaque fois qu’une question liée à l’interprétation est soulevée en appel, le fait de disposer d’un dossier complet des procédures et de l’interprétation serait évidemment très utile. Si, au vu du dossier, il semblait y avoir des lacunes liées à l’interprétation, l’absence d’un dossier plus complet des procédures pourrait ne laisser d’autre choix au tribunal d’instance supérieure que de conclure qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Charte. Toutefois, dans les circonstances de l’affaire, je ne suis pas convaincu que le dossier d’instruction soulève le type de préoccupations qui rendent l’absence d’un enregistrement audio fatale.

[32] Enfin, j’aborde l’argument formulé par M. Koaha selon lequel ses droits prévus à l’article 14 ont été enfreints parce que l’interprète qui l’assistait n’était pas assermenté. M. Koaha fait valoir que ce fait, à lui seul, est un facteur permettant de trancher l’appel. Ses arguments sont fondés sur le paragraphe 62 de l’arrêt R. c. Tran (précité) :

Pour satisfaire à la norme de protection garantie par l'art. 14 de la Charte, l'interprétation doit être d'assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue.  Cela signifie à tout le moins que l'accusé a droit à un interprète compétent.  Bien que, comme le souligne Steele à la p. 238, il n'y ait eu jusqu'ici aucune norme généralement acceptée d'évaluation de la compétence, l'interprète doit au moins prêter le serment de l'interprète avant d'interpréter les procédures. S'il y a une bonne raison de douter de la compétence d'un interprète, le tribunal sera bien avisé d'examiner ses titres de compétence. [Citations omises]

[33] Ce passage laisse entendre que l’assermentation de l’interprète est une condition préalable à la conclusion selon laquelle les services offerts répondaient à la norme de protection garantie à l’article 14. Cependant, je ne suis pas persuadé que cet énoncé général devrait être interprété comme s’il créait une exigence absolue que l’interprète soit assermenté, dans tous les cas, et sans égard au contexte.

[34] Les interprètes sont utilisés régulièrement durant les divers circuits de la Cour de justice du Nunavut. Ils offrent une interprétation simultanée aux membres du public qui assistent aux audiences. Ils fournissent également, au besoin, des services d’interprétation à l’intention des accusés ou des témoins qui ont besoin d’assistance. La prestation de services d’interprétation durant les séances des tribunaux est la norme, pas l’exception. Ces interprètes ne sont pas étrangers aux tribunaux. Au contraire, ils sont pleinement intégrés dans leurs travaux quotidiens.

[35] Cette réalité saute aux yeux, d’après le dossier du cas qui nous occupe : quand M. Koaha a affirmé qu’il avait besoin d’un interprète, il n’a pas été nécessaire d’ajourner la séance afin de s’organiser pour que l’interprète se présente ou même pour que ce dernier installe l’équipement d’interprétation. L’interprète a immédiatement commencé à assister M. Koaha, et les procédures se sont poursuivies sans heurt, pratiquement sans interruption. Cela en dit fort long sur l’importante intégration du travail des interprètes dans les activités quotidiennes de la Cour de justice du Nunavut.

[36] Cela ne veut pas dire que la qualité du travail des interprètes ne peut pas être contestée au Nunavut ni que les normes servant à évaluer la qualité de l’interprétation devraient être moins élevées ici que dans toute autre juridiction. Les gens du Nunavut ont droit à la même norme de qualité d’interprétation garantie par la Constitution que n’importe qui d’autre au Canada. Toutefois, il convient de tenir compte des différences liées au contexte au moment d’évaluer si l’omission d’assermenter l’interprète, à elle seule, peut servir ou non de fondement à une conclusion selon laquelle une violation des droits prévus à l’article 14 a été établie.

[37] Cela dit, compte tenu de la fermeté du libellé de l’arrêt R. c. Tran au sujet de l’importance de l’assermentation des interprètes, il serait souhaitable que cette pratique soit mise en œuvre dans le cas de toutes les procédures où des interprètes sont utilisés, surtout s’ils assistent des témoins, des accusés ou des parties prenant part à des procédures non pénales.

[38] En conclusion, compte tenu des circonstances de l’affaire, je conclus que M. Koaha n’a pas établi que l’interprétation ne correspondait pas aux normes garanties par l’article 14 de la Charte. Dès qu’il a demandé l’assistance d’un interprète, cette aide lui a été fournie. Il n’a soulevé aucun problème au sujet de sa capacité de comprendre les questions, ou des procédures en général, à partir de ce moment-là. Le dossier d’instruction montre qu’il a répondu à un certain nombre de questions de façon réfléchie et cohérente. Les affirmations figurant dans son affidavit, selon lesquelles [TRADUCTION] « il pensait avoir compris certaines des questions » et a tenté d’y répondre, qu’[TRADUCTION] « il semble maintenant qu’il pourrait avoir fait des déductions au moment de formuler certaines des réponses » et qu’[TRADUCTION] « il pourrait ne pas avoir compris certaines des questions », ne sont pas tout simplement suffisantes, à la lumière du dossier d’instruction, pour établir une violation de ses droits prévus à l’article 14, selon la prépondérance des probabilités.

R. c. Potvin, 2004 CanLII 73250 (CA ON)

[32] S’il suffisait que le juge et le poursuivant comprennent le français sans toutefois qu’il soit nécessaire qu’ils l’utilisent pendant l’instance, il y aurait peu de distinction entre, d’une part, le droit à un procès unilingue dans la langue officielle de son choix et, d’autre part, le droit à l’assistance d’un interprète déjà prévu à l’art. 14 de la Charte. Le droit à l’assistance d’un interprète assure que l’accusé soit en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre et que, par ce fait, son procès soit équitable : voir R. c. Beaulac au para. 41. Mais, tel que noté par la Cour Suprême dans Beaulac aux paras. 25 et 41, « [les droits linguistiques] se distinguent des principes de justice fondamentale….  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts. Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais. »

[33] L’interprétation plus restrictive qui est proposée par l’intimée assurerait peut-être bien que l’accusé se fasse comprendre par le poursuivant, le juge et le jury dans sa langue originale sans l’intermédiaire de la traduction. Mais, dans le contexte d’égalité linguistique, il me semble tout aussi important que l’accusé aussi puisse comprendre les paroles du juge et du poursuivant dans la langue originale employée par eux au cours de l’instance. C’est sûr que l’exigence que le juge et le procureur de la Couronne, non seulement comprennent le français, mais qu’ils l’utilisent, peut occasionner des inconvénients dans certains milieux, mais ce fait n’est pas pertinent. […]

Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 R.C.F. 85, 2001 CAF 191 (CanLII)

[5] La principale question soulevée dans le présent appel revient à se demander si le critère qui s'applique [devant la section du statut du réfugié] en ce qui concerne la renonciation au droit prévu à l'article 14, soit le droit à l'assistance d'un interprète, est celui qui a été énoncé dans l'arrêt R. c. Tran, précité, ou s'il convient d'appliquer un autre critère. […]

[17] Ces avis ont été exprimés dans le contexte du droit criminel, mais je ne puis voir pourquoi ils ne devraient pas également s'appliquer en l'espèce. Il importe de se rappeler que la section du statut [de réfugié] n'est qu'une composante du plus gros tribunal administratif au Canada. Depuis qu'elle a été créée, en 1989, la section du statut a vu sa charge de travail augmenter de façon exponentielle au point qu'en 1999-2000, elle faisait face à environ 31 000 nouvelles revendications, phénomène qui n'est apparemment pas limité au Canada. Si la plainte tardive que l'appelant a présentée au sujet de la qualité de l'interprétation était accueillie, il deviendrait encore plus difficile pour la section du statut d'accomplir les tâches importantes qui lui sont confiées lorsqu'il s'agit d'entendre les revendications et de rendre une décision en temps opportun. La section du statut doit chaque année régler un nombre croissant de revendications qui, dans bien des cas, sont présentées par des individus dont la langue maternelle n'est ni l'une ni l'autre des langues officielles du Canada. L'intérêt de l'individu en cause et celui du public exigent certainement que la revendication soit traitée le plus tôt possible. Or, il n'est pas dans l'intérêt de l'individu ni du public de retarder inutilement le processus de reconnaissance du statut de réfugié, à condition que des garanties acceptables soient fournies afin d'empêcher la violation du droit prévu à l'article 14.

[18] Comme le juge Pelletier l'a fait remarquer, si l'argument invoqué par l'appelant est exact, l'intéressé qui a des problèmes en ce qui concerne la qualité de l'interprétation fournie à l'audience ne pourrait rien faire pendant toute la durée de l'audience, mais il pourrait néanmoins contester avec succès la décision à une date ultérieure. De fait, lorsque l'intéressé décide de ne rien faire même si la qualité de l'interprétation le préoccupe, la section du statut n'est pas en mesure de savoir que l'interprétation comporte des lacunes à certains égards. L'intéressé est toujours celui qui est le mieux placé pour savoir si l'interprétation est exacte et pour faire savoir à la section du statut, au cours de l'audience, que la question de l'exactitude le préoccupe, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l'empêchent de le faire.

[19] Comme je l'ai dit, compte tenu du problème qu'il avait eu à la première séance de la section du statut, l'appelant semble avoir été parfaitement au courant du droit qu'il avait d'obtenir l'assistance d'un interprète compétent. Lorsque sa conduite, au cours de la troisième séance et pendant un certain temps par la suite, est appréciée compte tenu du fait qu'il avait sans aucun doute connaissance de son droit, il est difficile d'interpréter cette conduite comme étant autre chose qu'une indication claire que la qualité de l'interprétation satisfaisait l'appelant lors de l'audience elle-même. Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n'a pas commis d'erreur en statuant que l'appelant avait renoncé au droit qu'il possédait en vertu de l'article 14 de la Charte du fait qu'il ne s'était pas opposé à la qualité de l'interprétation dès qu'il avait eu la possibilité de le faire au cours de l'audition de sa revendication.

R. c. Johal, 2001 BCCA 436 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[15] Comme dans le cas de toute atteinte à un droit prévu dans la Charte, au titre de l’art. 14, il incombe à l’accusé d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ses droits ont été enfreints. Dans le cas de l’art. 14, la première exigence à laquelle l’accusé doit satisfaire est de prouver qu’il avait besoin de l’assistance d’un interprète. Il s’agit de l’exigence qui est en cause dans le présent appel.

[…]

[18] Dans l’arrêt Tran, la Cour a conclu qu’il faudrait toujours se demander « s’il se peut que l’accusé n’ait pas compris une partie des procédures en raison des difficultés qu’il éprouve avec la langue du prétoire » (p. 250). De plus, le droit à l’assistance d’un interprète ne devrait pas être refusé, sauf si « une [TRADUCTION] "preuve solide et convaincante" établit que la demande de l’accusé visant à obtenir les services d’un interprète est faite non pas de bonne foi, mais plutôt pour un motif détourné » (p. 245). En l’espèce, rien n’indique que la demande de M. Johal n’a pas été faite de bonne foi.

[19] Enfin, pour déterminer si les droits prévus à l’art. 14 de la Charte d’un accusé ont été violés, le tribunal ne devrait pas formuler d’hypothèse quant au fait que l’absence d’interprétation ou toute lacune à ce chapitre dans une situation particulière a changé en quoi que ce soit le résultat de l’affaire. Autrement dit, il n’est pas nécessaire que l’accusé établisse qu’il y a eu préjudice afin de prouver qu’il y a eu atteinte à ses droits prévus à l’art. 14 […]

[20] Compte tenu des principes juridiques que j’ai mentionnés, j’aborde maintenant les circonstances donnant lieu à l’allégation de M. Johal selon laquelle il y a eu atteinte à ses droits prévus à l’art. 14 au cours du procès. À cet égard, il importe de souligner le fait que la Couronne n’allègue pas que M. Johal a renoncé à son droit à un interprète. La vraie question à trancher en l’espèce consiste plutôt à déterminer si M. Johal répondait à l’exigence relative au « besoin ».

[…]

[28] J’estime qu’il n’est ni nécessaire ni utile d’examiner les nombreux renvois à la transcription mentionnés par l’avocat de M. Johal. Je me contenterais de dire que la lecture du témoignage de M. Johal dans son ensemble indique qu’il éprouvait certaines difficultés à comprendre les questions qui lui étaient posées et à communiquer ses réponses. Même si certaines de ces difficultés pourraient être issues de la manière dont les questions avaient été formulées, je n’estime pas qu’il soit utile d’avancer des hypothèses à cet égard, parce que la question cruciale est de déterminer non pas si le tribunal ou l’avocat pouvait comprendre M. Johal, mais plutôt si ce dernier pouvait comprendre les questions qui lui étaient posées durant son témoignage et y répondre.

[29] Comme il a été souligné plus tôt, le juge de première instance avait été averti dès le début du procès de la possibilité que M. Johal puisse avoir besoin de l’assistance d’un interprète. Dans le passage cité au para 23 des présents motifs, M. Johal a clairement indiqué qu’il avait besoin de l’assistance d’un interprète, pour comprendre les questions qui lui étaient posées et pour s’assurer qu’il était en mesure de communiquer ses réponses avec exactitude. Rien ne laisse entendre ni ne permet de conclure que sa demande d’assistance était motivée par d’autres fins, par exemple, gagner du temps ou lui permettre d’inventer une réponse.

[30] À mon avis, il ressort clairement de la conclusion de l’extrait cité au para 25 des présents motifs que l’avocat de M. Johal a dissuadé ce dernier de donner suite à sa demande d’assistance, apparemment parce que l’avocat pensait que M. Johal s’était bien débrouillé sans interprète jusqu’à ce stade de la procédure. En toute déférence, une fois que M. Johal a offert une explication raisonnable concernant sa demande d’interprète, comme rien ne donnait à penser qu’il avait des intentions cachées, le fait que M. Johal a déterminé qu’il avait besoin de l’assistance d’un interprète aurait dû l’emporter. C’était à M. Johal de déterminer la nature et la portée de son besoin d’assistance, pas à son avocat. Même si ce dernier et le tribunal ont indiqué à M. Johal qu’il pouvait poursuivre sa demande d’assistance s’il avait besoin d’un interprète dans l’avenir, je suis convaincue que le signal clair qui lui a été envoyé était que l’avocat et le tribunal préféraient tous les deux qu’il poursuive sans l’assistance d’un interprète.

[31] En conséquence, je suis convaincue que M. Johal a clairement montré et communiqué son besoin à l’égard de l’assistance d’un interprète et que l’assistance demandée lui a effectivement été refusée, ce qui contrevient à l’art. 14 de la Charte. Par conséquent, j’accueille l’appel, et j’ordonne la tenue d’un nouveau procès.

Cross c. Teasdale, 1998 CanLII 13063 (CA QC)

[37] J'accepte la proposition du Procureur général du Canada à l'effet que l'art. 530.1 [du Code criminel] impose, dans un cas comme celui sous étude, l'obligation au Procureur général du Québec de choisir un substitut qui est capable et qui accepte de conduire les procédures dans la langue officielle de l'accusé. Cependant je ne retiens pas la proposition des appelants à l'effet que l'équité du procès l'exige. L'art. 14 de la Charte, qui donne droit à l'assistance d'un interprète lorsque la partie ne peut suivre les procédures parce qu'elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée, y pourvoit, comme le juge Beetz l'affirme dans l'arrêt Macdonald, au nom de la Cour à la majorité, aux p. 499 et 500.

R. c. Simard, 1995 CanLII 1422 (ON CA)

[38] Selon moi, la dénonciation en l'espèce était conforme aux exigences des articles 530, 530.1 et au par. 841(3) du Code criminel qui représentent une progression législative vers l'égalité des langues officielles. J'ai déjà mentionné que les dispositions linguistiques de la Charte, en particulier l'art. 15 et les art. 16 à 22, n'ont aucune application en l'espèce. Cependant, la composante linguistique des garanties juridiques enchâssées dans la Charte aux art. 7 et 14 et à l'al. 11a) représente un aspect du droit à un procès équitable. Les dimensions linguistiques de ces garanties ont-elles été respectées en l'espèce par l'interprétation orale de la dénonciation? Il n'y a rien dans le mémoire qui indique que l'appelant ou son avocat ait demandé une traduction écrite de la dénonciation, laquelle lui aurait assurément été fournie par le poursuivant.

[45] Rien de moins ne suffirait pour assurer la compréhension de la dénonciation qui déclenche le procès même. Avant la progression des langues officielles à un statut égalitaire, l'art. 14 était jugé suffisant pour garantir aux accusés et aux prévenus un procès juste et équitable. La protection constitutionnelle de l'art. 14 est maintenant renforcée en ce qui a trait à la traduction d'une dénonciation dans la langue officielle du procès. L'inconvénient et la dépense sont minimes, puisque le document en question doit être interprété oralement, de toute façon, lors de l'interpellation. Cette conclusion n'est pas incompatible ou en désaccord avec les arrêts Rodrigue et Breton, précités, qui ne concernaient pas un acte introductif d'instance, et où la traduction écrite des pièces de la divulgation aurait entraîné un fardeau énorme.

R. c. Butcher, 1990 CanLII 2909 (CA QC)

[12] Si l’appelant a quelque raison de se plaindre, c’est sur l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés qu’il doit prendre appui. La disposition qu’il renferme et qui découle du principe du droit à un « procès juste et équitable » (art. 11d) de la Charte) se lit comme suit :

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète.

[13] « Avoir droit à » veut dire pouvoir exiger que, « être en droit d’obtenir ». À mon avis, on ne peut attribuer à cette expression un sens autre que celui qui résulte logiquement des mots que le législateur a utilisés pour traduire sa pensée. Il me semble que s’il avait voulu leur donner une portée plus considérable et faire de la présence de l’interprète une exigence absolue en toutes circonstances où une partie au procès ne comprend pas la langue utilisée, il se serait servi d’un texte beaucoup plus impératif comme, par exemple, « doit être assistée d’un interprète ».

[14] Lorsqu’un droit est accordé par un texte de loi, il confère à son bénéficiaire, à son choix, la faculté de s’en prévaloir ou de ne pas l’exercer. Il peut même par sa conduite ou par son attitude être présumé y avoir renoncé.

[15] Étant donné que la règle de l’article 14 de la Charte est intimement liée à la notion de procès juste et équitable et que le juge qui le préside doit prendre les moyens requis pour qu’il le soit, je suis d’avis que, dans une circonstance où il serait évident ou éminemment probable que la partie impliquée ne comprend pas le langage utilisé, il serait de son devoir ou bien d’ordonner proprio motu qu’un interprète vienne à son aide et lui rende intelligible ce qui se dit ou, à tout le moins, qu’il attire son attention sur son droit d’en exiger un.

[…]

[17] Je conclus donc dès maintenant qu’à part cette circonstance spécifique où il apparaît clairement que l’accusé ne comprend pas la langue utilisée, il lui incombe de prendre lui-même l’initiative d’alerter la Cour sur ce fait et de requérir les moyens de lui venir en aide. S’il ne le fait pas, il doit être considéré comme ayant choisi de ne pas exercer son droit ou, dans un cas approprié, d’avoir renoncé à l’exercer.

[…]

[22] Dans l’affaire qui nous est soumise, la preuve révèle ce qui suit :

— même si toutes les conversations entre lui et son procureur se sont déroulées en anglais, l’appelant ne lui a, en aucune circonstance, indiqué qu’il ne comprenait pas le français ni ne lui a donné mandat de ne s’exprimer qu’en anglais durant le procès;

— en aucun temps n’a-t-il dévoilé au juge son ignorance totale de la langue;

— dans les occasions successives où la langue française a été utilisée, il n’est jamais intervenu pour élever une protestation quelconque ou pour réclamer qu’on lui traduise ce qui se disait;

— c’est le procureur de l’appelant qui s’est, pour la première fois au cours du procès, exprimé en français. En l’absence d’objection de sa part, le juge a eu toute raison de présumer que son client comprenait ce qu’il disait;

— l’appelant ne peut prétendre que cette utilisation d’une langue pour lui étrangère lui a causé préjudice en cette occasion puisque l’objection faite par son procureur a été maintenue par le juge et qu’il lui a été permis de s’expliquer sur un événement antérieur à celui qui faisait l’objet de l’accusation;

— immédiatement après le prononcé du jugement et de la sentence, l’appelant n’a aucunement soulevé le moyen qu’il invoque aujourd’hui, tel qu’en témoigne son procureur (interrogatoire sur affidavit, m.a. p. 74): […]

[25] Avant de conclure, je me permets le bref commentaire suivant. Dans le Québec où s’est instruit le procès et en particulier dans une ville cosmopolite comme l’est sa métropole, à une époque où de connaissance judiciaire le bilinguisme se répand de plus en plus, on ne peut exiger d’un juge qu’il se fonde uniquement sur la consonance d’un nom de famille pour décréter que celui qui le porte ne comprend qu’une langue. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Johnson ou Ryan qu’on est forcément unilingue anglais (l’histoire contemporaire prouve le contraire), comme le nom « Butcher » pourrait tout aussi bien être une déformation de « Boucher ». L’article 14 de la Charte ne doit pas être conçu comme s’appliquant in abstracto et sans tenir compte de la réalité qui existe dans le milieu où il doit être utilisé.

[26] Dans les circonstances du cas qui nous est soumis, j’estime donc que, par son attitude et ses agissements, l’appelant a démontré à tout le moins qu’il n’entendait pas exercer le droit auquel il avait accès et qu’il ne peut aujourd’hui et après coup invoquer son abstention pour obtenir le remède qu’il sollicite. Je rejetterais donc son pourvoi.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[37] Par souci de clarté, il pourrait également convenir de souligner qu’il incombe au gouvernement, pas au titre de l’art. 110 [de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest], mais en vertu du droit de l’accusé à une audience équitable, de s’assurer que ce dernier comprend ce qui se passe durant l’audience et qu’il est compris par toutes les personnes qui doivent le comprendre afin que l’audience soit équitable. Il est possible d’y arriver par des moyens comme une interprétation exacte et efficace du français à l’anglais et, au besoin, de l’anglais au français. Toutefois, il ne faudrait pas penser que le droit à une audience équitable dont jouit l’accusé qui, aux termes de l’art. 110, choisit d’utiliser le français, est plus grand que celui d’un accusé dont la langue serait, disons, l’ukrainien; la portée du droit à une audience équitable et l’obligation qu’il impose à l’État sont les mêmes pour tous les accusés, quelle que soit leur langue.

Roy c. Hackett (C.A.), 1987 CanLII 4309 (CA ON)

[33] À mon sens, la partie adverse a le droit de mettre à l'épreuve le bien fondé d'une demande à l'assistance d'un interprète par voie de contre-interrogatoire. Je suis d'avis cependant que l'on doit procéder à ce contre-interrogatoire au moment de l'objection. A ce moment, dans le cadre d'un voir dire, celui qui a soulève l'objection peut faire entendre des témoins sur la compétence linguistique du sujet sans enfreindre la règle de preuve qui défend de contredire les réponses de la personne contre-interrogée sur des questions incidentes. L'avantage du voir dire est qu'il se déroule en marge de la procédure principale. Si le juge décide d'accorder au témoin - ou à la partie qui en fait la demande - l'assistance d'un interprète, la décision est définitive, du moins en première instance, et celui qui a soulève l'objection ne peut revenir sur la question de compétence pour attaquer la crédibilité de celui qui a fait la demande en premier lieu : voir R. c. Burke (1858), 8 Cox C.C. 44 (C.C.A.) a la p. 55.

[34] Dans l'instance qui nous occupe, où toute la procédure, incluant le témoignage de l'intime, s'est déroulée en français à l'exception du témoin anglophone, on ne peut soutenir que la demande à l'assistance d'un interprète était faite dans le but d'obtenir l'avantage de considérer sa réponse pendant que l'interprète traduisait - inutilement - la question, ou dans le but de faire échouer ou de rendre plus difficile le contre- interrogatoire.

[35] En général, le juge ou le président du tribunal doit décider de la bonne foi du témoin ou de la personne qui demande un interprète avant d'accorder sa demande. Pour arriver à sa décision, cependant, il doit tenir compte du légitime désir de tout témoin de s'exprimer dans la langue qu'il possède le mieux, généralement sa langue maternelle. Il doit donc éviter d'imputer un motif ultérieur au témoin qui demande un interprète, même si le témoin a une certaine familiarité avec la langue employée et pourrait, d'une manière générale, suivre les procédures. Le juge doit, assurément, accorder une portée large et généreuse à l'interprétation de l'art. 14. Cela ne veut pas dire que le droit à l'interprète est un droit absolu et que le contre-interrogatoire portant sur la compétence linguistique de la personne qui demande cette assistance devient automatiquement oppressif et vexatoire au point de rendre illusoire l'exercice de ce droit.

[36] En l'espèce, devant le tribunal d'arbitrage, le droit à un interprète a été reconnu et accorde sans objection de la partie adverse et sans enquête préalable de la part du tribunal. Il ne s'agit pas d'un refus, comme dans R. c. Sadjade (1983), 1983 CanLII 163 (CSC), 7 C.C.C. (3d) 95 (C.S.C.) et R. c. Reale, supra. La question de compétence aurait dû être soulevée au moment de la demande d'un interprète. Le contre-interrogatoire n'aurait pas pu, à ce stade de la procédure, être jugé oppressif et vexatoire: les questions posées par la suite portaient sur l'expérience d'Yvon Roy qui aurait travaillé 14 mois à Winnipeg comme opérateur responsable d'employés anglophones et sur sa capacité de rédiger des documents techniques et administratifs en langue anglaise. Mais ce contre-interrogatoire n'a effectivement eu lieu que quelques mois plus tard. Maître Richard pour l'intime prétend que le contre-interrogatoire subséquent représente une restriction indirecte du droit garanti par la Charte et le rendrait illusoire. Ce qui aurait pour conséquence, d'après lui, de "geler" ou de "paralyser" l'exercice du droit garanti ("chilling effect").

R. c. Thim, 2015 BCSC 1677 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[10] D’autres droits prévus dans la Charte sont pertinents par rapport à la définition et à l’application de l’art. 14, notamment les droits suivants : art. 7 (vie, liberté et sécurité), art. 15 (égalité) et art. 27 (maintien du patrimoine culturel) (p. 967). En ce qui concerne l’art. 27, la préservation et l’amélioration de la société multiculturelle du Canada dépend du fait que les minorités linguistiques jouissent d’un accès véritable et concret à la justice (p. 966-967). Il faut interpréter l’article 14 en se fondant sur l’objet visé et l’appliquer en fonction de principes afin de rendre exécutoire cette garantie constitutionnelle (p. 977).

[11] L’établissement d’un manquement à l’art. 14 requiert la preuve de trois éléments (p. 979-980) : a) l’accusé avait besoin de l’assistance d’un interprète; b) les services d’interprétation fournis à l’accusé ne satisfaisaient pas à la norme garantie par la Constitution; et c) la lacune alléguée dans l’interprétation est survenue au cours des procédures, au moment où un intérêt vital de l’accusé était en cause. Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui invoque la violation. La norme de preuve est la prépondérance des probabilités. Si les trois premières conditions sont remplies, il incombe ensuite à la Couronne de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu renonciation valide et effective au droit (p. 980).

[12] En ce qui concerne le premier élément, il n’est pas difficile normalement d’établir l’existence d’un besoin (p. 979). Les juges ont la responsabilité indépendante d’assurer que ceux qui ne connaissent pas bien la langue du prétoire comprennent la procédure (p. 979). Le droit à l’assistance d’un interprète n’est ni automatique ni absolu, mais, compte tenu du fait que ce droit est élevé au rang de norme constitutionnelle, les tribunaux devraient être généreux et avoir l’esprit ouvert lorsqu’ils évaluent le besoin d’un accusé de recourir à l’assistance d’un interprète et aborder la question avec sensibilité et compréhension (p. 980 et 983).

[13] Pour ce qui est du deuxième élément, à supposer qu’il ne s’agit pas d’un cas où on a complètement refusé les services d’un interprète, la norme d’interprétation garantie par la Constitution en est une de continuité, de fidélité, d’impartialité, de compétence et de concomitance. La norme est élevée, mais pas jusqu’à la perfection (p. 979). Ces critères visent à aider les tribunaux à s’assurer que les personnes qui ont besoin de l’assistance d’un interprète comprennent et sont comprises tout autant que si elles connaissaient la langue employée dans les procédures (p. 985).

[14] En ce qui a trait au troisième élément, l’art. 14 s’étend à tous les aspects essentiels des procédures (p. 992). Le droit à l’assistance d’un interprète s’applique à toute partie des procédures qui ont des conséquences sur les droits procéduraux et substantiels des parties (p. 994). Toutefois, l’art. 14 ne s’étend pas aux aspects purement administratifs ou logistiques qui n’ont pas d’effet préjudiciable sur les procédures (p. 993).

[15] Les interprètes doivent prêter le serment de l’interprète avant de commencer à interpréter les procédures, mesure de protection conçue pour aider à assurer la compétence : Tran, p. 988; R. c. Nguyen, 2005 BCCA 221 (CanLII), au para 18; R. c. Titchener, 2013 BCCA 64 (CanLII), au para 25. En outre, s’il y a une bonne raison de douter de la compétence d’un interprète, le tribunal doit examiner les titres de compétence de ce dernier (Tran, p. 988).

[…]

[19] En résumé, le droit d’un accusé à l’assistance d’un interprète est fondamental et profondément et fermement ancré. Il est requis aux fins d’un procès équitable. Il protège la dignité de l’accusé et la légitimité du système de justice pénale. Il joue un rôle important pour ce qui est de préserver et d’améliorer la prétention du Canada d’être une société multiculturelle. Les services d’interprétation fournis à l’accusé n’ont pas besoin d’être parfaits, mais ils doivent être de grande qualité.

[…]

[62] J’estime qu’il y a un refus constant du droit conféré à l’accusé par l’art. 14 de la Charte, comme en font foi divers événements qui sont survenus dans le passé. Quand la demande d’ajournement de la Couronne a été refusée, le procès devait se poursuivre. Aucun interprète n’était présent. L’accusé n’a pas pu être convoqué devant le tribunal. Cela constitue une atteinte continue au droit prévu à l’art. 14. De surcroît, compte tenu de la genèse de l’affaire, si elle était encore ajournée, je pense qu’il serait plus probable que le contraire que d’autres violations du droit conféré à l’accusé par l’art. 14 seraient commises.

[63] J’estime également qu’il est probable que les violations soient systémiques. L’accusé soutient (et la Couronne l’admet) que la série d’omissions en l’espèce sont probablement fonction d’une lacune systémique. Je ne peux pas donner de meilleure explication concernant cette constatation, et je n’ai pas besoin de le faire. Je ne dispose pas d’un ensemble d’éléments de preuve qui me permettent de déterminer la cause précise des omissions répétées d’offrir des services d’interprétation appropriés à l’accusé et de savoir, par exemple, s’il s’agit d’une question d’insuffisance budgétaire, d’une lacune au chapitre des politiques, de problèmes liés à l’obtention des services du personnel nécessaire ou à la formation du personnel ou d’une combinaison de ces éléments. Je n’ai pas besoin d’en dire plus. Aux fins de la décision concernant l’application de cet article, il suffit que le tribunal soit en mesure de conclure que les atteintes au droit prévu à l’art. 14 sont continues et systémiques.

[64] Les fins importantes servies par ce droit ont été énoncées dans l’arrêt Tran, à la page 977 :

1. D'abord et avant tout, il garantit que l’accusé entend la preuve qui pèse contre lui et a pleinement l'occasion d'y répondre.

2. Le droit est étroitement lié à nos notions fondamentales de justice, dont l'apparence d'équité; ainsi, il touche l'intégrité même de l'administration de la justice criminelle au Canada.

3. Le droit est intimement lié à notre prétention d'être une société multiculturelle, exprimée en partie à l'art. 27 de la Charte.

[65] Il est très évident pour tout observateur que l’administration de l’affaire a été tout sauf ordonnée. Toutefois, la plupart des observateurs doivent recevoir un autre message clair : les tribunaux n’ont pas pris au sérieux l’exigence constitutionnelle de fournir à l’accusé l’assistance d’un interprète. Il est certainement important pour la Cour à ce moment-ci de se dissocier de manière efficace de cette perception pernicieuse. (En déclarant ainsi mon opinion, je reconnais que les personnes assez rares qui connaissent bien le partage des pouvoirs prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 pourraient recevoir le message plus nuancé selon lequel des représentants du procureur général de la Colombie-Britannique – contrairement aux juges qui président – n’ont pas pris cette exigence constitutionnelle au sérieux.)

R. c. Odones, 2012 QCCS 7080 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[45] La Cour statue que l’arrêt R. c. Tran (précité) n’étend pas la signification habituelle du terme « procédures » aux interrogatoires policiers. Les critères décrits dans Tran permettant d’assurer le respect de l’article 14 de la Charte sont limités aux procès ou aux instances judiciaires.

[46] Les interrogatoires policiers ne comportent aucun volet judiciaire; l’interrogatoire de l’accusé Odones ne fait pas exception.

[47] L’acceptation de l’argument de l’accusé selon lequel l’interrogatoire d’un suspect par des policiers est une « procédure », ce qui déclencherait l’application de l’article 14, aurait des conséquences considérables qui s’entendraient au-delà d’une salle d’interrogatoire dans un poste de police.

[48] Imaginez une situation où des policiers, dans la rue, s’adressent à un suspect ou à une personne qui en deviendra un plus tard, ou bien une situation où des policiers arrêtent un suspect et tiennent une conversation dans le véhicule de police. Cette interaction constituerait-elle une « procédure » au sens de l’article 14? Est ce que toute discussion devrait être mise en attente, notamment dans des circonstances urgentes? Les critères établis dans l’arrêt Tran devraient-ils s’appliquer si un interprète était présent?

[49] La Cour est d’avis que l’administration de la justice est mieux servie si, dans les situations où des problèmes linguistiques surviennent et où un interprète est appelé, l’interprète prête assistance et fournit ses services, au besoin ou sur demande. La confiance du public en l’administration de la justice pénale serait maintenue si le poids de toute déclaration faite par un accusé dans ces situations devait être évalué par le juge des faits.

[50] Il vaut mieux pour la protection du public qu’on n’impose pas de lourdes procédures conçues pour les salles d’audience aux discussions qui ont lieu en première ligne, dans la rue, dans des situations où les droits d’une personne sont déjà protégés par une multitude de garanties constitutionnelles.

[51] Un examen de la jurisprudence mentionnée et une simple lecture de l’article 14 indiquent clairement que cette disposition s’applique aux procédures comportant un volet judiciaire. Dans ce contexte, l’existence du droit à l’assistance d’un interprète dans le cadre de toutes « procédures » et des règles établies dans l’arrêt Tran permet de s’assurer que l’accusé comprend ce qui se passe durant l’audience et qu’il est compris par le tribunal; voir MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, p. 499-500.

[…]

[53] La Cour est d’avis que l’interrogatoire d’un suspect par un enquêteur de police, qu’il ait lieu dans la rue, dans un véhicule de police ou dans une station de police, ne constitue pas une « procédure » est n’est pas visé aux fins de l’article 14.

R. c. Dutt, 2011 ONSC 3329 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[52] Il est bien connu que l’interprétation judiciaire, de la langue source vers la langue cible, n’est pratiquement jamais parfaite, et ce, pour de nombreuses raisons, notamment les difficultés inhérentes au transfert linguistique et la perspective toujours présente de l’erreur humaine naturelle liée à la compréhension et à la concentration. Par conséquent, une personne qui ne parle pas l’une des langues officielles du Canada est généralement désavantagée d’une certaine manière du point de vue de la compréhension linguistique, plus ou moins, quand elle participe à une instance judiciaire, même si elle bénéficie de l’assistance d’un interprète compétent requise par l’art. 14 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[53] Il est donc fondamentalement crucial que les tribunaux qui souhaitent éviter toute erreur judiciaire n’aggravent pas les désavantages existants en procédant autrement qu’en ayant recours à des interprètes judiciaires pleinement qualifiés qui sont compétents, reposés et qui n’ont aucune distraction pendant leur travail.

[54] Nos tribunaux comprennent que le droit prévu à l’art. 14 de la Charte garantissant l’assistance d’un interprète compétent à l’accusé dans le cadre de procédures criminelles n’exige pas en soi le recours à un interprète certifié ou agréé : R. c. Rybak (2008), 2008 ONCA 354 (CanLII), 233 C.C.C. (3e) 58 (Ont. C.A.), au para 84 (autorisation d’appel refusée, [2008] C.S.C.R. no 311 (QL)); R. c. R. (A.L.) (1999), 1999 CanLII 5081 (MB CA), 141 C.C.C. (3e) 151 (Man. C.A.), p. 156 (révisé selon des critères différents, [2001] 11 W.W.R. 413 (C.S.C.)). Par conséquent, les termes « qualifié » ou « compétent » ne sont pas nécessairement synonymes des termes « certifié » ou « agréé ». Cela dit, comme la salle d’audience n’est pas un laboratoire de linguistique et qu’un juge de première instance unilingue n’est pas qualifié pour faire passer des tests de compétence linguistique ou d’interprétation, et sans qu’il se contente simplement d’admettre la compétence autoproclamée d’un interprète, il lui faut nécessairement compter sur une certaine norme de compétence objective. Naturellement, la position par défaut du tribunal est donc souvent de se fier de façon importante, quoique non-exclusivement, à ce qu’il espère être l’agrément externe digne de confiance d’un interprète.

[55] En règle générale, un tribunal de première instance procède à un voir-dire pour établir les compétences de tout interprète judiciaire présenté par le ministère du Procureur général, même si la personne en question est présentée comme certifiée ou agréée. Dans son rôle quasi judiciaire de poursuite dans des affaires pénales, la Division du droit criminel de ce ministère reconnaît l’importance de cette étape procédurale : le Practice Memorandum #1 du 23 avril 2010 de la Division intitulé « Competency and Accreditation of Court Interpreters » est en partie ainsi libellé :

[TRADUCTION]

[...] dans toutes les instances où un interprète est requis, le procureur de la Couronne devrait demander à l’officier de justice qui préside l’audience s’il juge qu’il est nécessaire que le tribunal mène une enquête visant à déterminer si un interprète est compétent pour interpréter l’instance, sans égard au fait que l’interprète est agréé ou non.

[56] Le tribunal étudie la nature de l’agrément et en particulier s’il est fondé sur des épreuves objectivement valides servant à évaluer les compétences linguistiques et d’interprétation. En outre, le tribunal tient compte de l’expérience de l’interprète en ce qui a trait à des facteurs comme les modes d’interprétation requis, la durée prévue de la procédure, la nature technique du sujet, toute question de dialecte et, dans certains cas, les résultats de l’examen de certification de l’interprète. Concernant le dernier élément, et en guise d’exemple, un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire afin de procéder à une interprétation consécutive si, à l’examen du CCV [Collège communautaire de Vancouver], l’interprète pleinement agréé a obtenu une note de 71 % seulement au volet de l’examen relatif à l’interprétation simultanée.

[57] De plus, au-delà de la question de l’étiquette ministérielle d’interprète « pleinement agréé », qui pourrait être attribuée à une personne qui n’a pas obtenu jusqu’à 30 % de la note possible pour chacun des trois modes d’interprétation, les éléments de preuve dans le voir-dire révèlent que le tribunal doit tenir compte d’autres questions.

[…]

[114] L’omission de fournir deux interprètes judiciaires qualifiés parlant l’hindi/anglais, l’arrivée tardive d’un interprète à l’audience, les négociations de couloir au sujet de la rémunération d’un interprète et le fait que le tribunal et les parties se sont vu fournir des renseignements incomplets sur certains aspects des enquêtes sur la compétence des interprètes sont tous des éléments qui ont influé sur l’achèvement en temps opportun du procès. Nous pouvons assurément faire bien mieux, 29 ans après la création du droit prévu à l’art. 14 de la Charte, et 17 ans après que l’arrêt Tran ait été rendu.

[115] Même s’il ne faudrait pas sous-estimer les difficultés et les défis liés au respect de l’art. 14 de la Charte par le gouvernement, il est évident que la transition de la province vers un système d’interprétation judiciaire de calibre mondial durera longtemps et sera marquée par un débat concernant la validité objective de certaines approches adoptées à l’égard de l’agrément sous le régime du « nouveau modèle ».

[116] La réduction systémique de la compréhension linguistique des accusés au criminel dans le cadre de procédures en première instance ne peut pas être tolérée dans une démocratie civilisée. Toutes les personnes qui comprennent le droit prévu à l’art. 14 de la Charte croient qu’il est essentiel que les accusés ne parlant pas l’anglais qui subissent un procès criminel ne soient pas considérés comme des citoyens sans importance constitutionnelle devant se satisfaire de l’assistance d’un interprète d’une qualité limitée à ce qui est disponible au lieu d’une qualité conforme aux normes minimales exigées dans la Charte.

McCullock Finney c. Canada (Attorney General), 2009 QCCS 4646 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[88] Dans l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick (précité), la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’un plaideur avait le droit d’intenter un procès civil devant un juge qui peut comprendre les observations faites dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada. Ce droit a été qualifié de droit fondamental, et non de simple droit linguistique. Toutefois, en l’espèce, la situation est différente : seul le coût des services de traduction ou d’interprétation est en litige, pas la question de savoir si ces services devraient être accessibles au plaignant. Ils le sont, et personne ne conteste ce fait.

[89] L’accès à la justice est une chose. La question des coûts que suppose l’accès au système judiciaire en est une autre. Dans une situation non criminelle ou pénale, aucun principe ni aucune règle juridiques ne permettraient à la Cour d’imposer à un ordre de gouvernement l’obligation d’assumer les coûts liés aux services de traduction ou d’interprétation en tant que principe général.

[90] Cette situation n’est pas unique au Québec. Dans l’arrêt Marshall c. Gorge Vale Golf Club, il a été statué que la Cour suprême de la Colombie Britannique n’avait aucun pouvoir lui permettant d’ordonner au gouvernement provincial de fournir des services de transcription gratuits à un plaideur sourd dans une affaire civile. Le droit à l’assistance d’un interprète prévu à l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés n’a pas créé d’obligation pour la Couronne de payer pour les services d’un interprète. […]

R. c. Sidhu, 2005 CanLII 42491 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[277] L’équité fondamentale et l’égalité de l’accès aux tribunaux pour les personnes appartenant à une minorité linguistique exigent une interprétation qui tient compte du but visé par le droit prévu à l’art. 14 de la Charte. « Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues » : La Reine c. Beaulac (1999), 1999 CanLII 684 (CSC), 134 C.C.C. (3e) 481 (C.S.C.), au para. 41. Alors que l’objectif « du droit à l'assistance d'un interprète est d'accorder à tous des chances égales et non pas d'accorder à certaines personnes plus de droits qu'à d'autres », une « société multiculturelle ne peut être préservée et favorisée que si ceux qui s'expriment en d'autres langues que le français et l'anglais ont » pleinement accès au système judiciaire : La Reine c. Tran (précité, aux p. 239-241).

[278] Le droit prévu à l’art. 14 de la Charte est complémenté par le mandat constitutionnel de fournir plus que de vaines paroles relativement à l’art. 27, « selon lequel toute interprétation de la Charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens » : La Reine c. Tran (précité, p. 239-240). Aux États Unis, il a été observé que : « dans ce pays où de nombreuses langues sont parlées, l’insensibilité au handicap linguistique invalidant d’un nouvel arrivant sur son sol est particulièrement inappropriée » United States v. Si (précité, p. 1042); United States v. Negron (précité, p. 390).

[279] La garantie constitutionnelle de l’assistance d’un interprète suppose l’application d’un certain nombre de facteurs importants qui sont inhérents à un accès véritable et concret à la justice :

(1) Le refus de l’assistance d’un interprète prive essentiellement le défendeur de son droit constitutionnel prévu dans la loi et la common law d’être présent à tous les égards à son procès, de comprendre la question à trancher et d’y répondre ainsi que de comprendre toutes les procédures qui auront une incidence sur ses intérêts vitaux :

[TRADUCTION]

[…] du fait qu'il a été privé de l'assistance d'un interprète pendant l'exposé du juge du procès, l'accusé n'était pas présent pendant cette partie des procédures […] Nous estimons qu'il n'était pas plus présent que s'il avait été inconscient à la suite d'un infarctus ou d'un accident cérébrovasculaire, et qu'on lui a effectivement refusé toute présence utile tout comme s'il avait été expulsé de la salle d'audience pendant cette partie des procédures.

(R. c. Petrovic (1984), 1984 CanLII 2003 (ON CA), 13 C.C.C. (3e) 416 (Ont. C.A.), p. 424.)

Voir aussi : La Reine c. Tran (précité, p. 229-230, 236 et 239-240).

(2) Pour qu’une audition soit équitable, la partie qui éprouve des difficultés avec la langue des procédures doit non seulement comprendre les procédures, mais aussi être comprise : Tran c. La Reine (précité, p. 229).

(3) L’exclusion de l’accusé, en tout ou en partie, d’une procédure criminelle en raison d’une non-conformité avec la pleine protection prévue à l’art. 14 de la Charte compromet l’apparence d’équité des procédures et laisse à l’accusé un sentiment justifiable d’injustice et de respect réduit à l’égard de l’administration de la justice : La Reine c. Tran (précité, p. 236 237 et 240).

(4) Un accusé privé d’une interprétation répondant aux normes établies nécessaires à la tenue d’un procès équitable « peu[t] difficilement être considérés comme étant sur un pied d’égalité ou dans une position égale relativement à l’application du droit pénal par rapport aux autres personnes qui sont soumises à son processus » : R. c. Reale (1974), 1973 CanLII 55 (ON CA), 13 C.C.C. (2e) 345 (Ont. C.A.), p. 348-349 (conf. par (1974), 1974 CanLII 23 (CSC), 22 C.C.C. (2e) 571 (C.S.C.), p. 572-573).

(5) Le refus de l’assistance d’un interprète compétent affecte « l’intégrité du processus de recherche des faits et la puissance du système accusatoire » : United States v. Negron (précité, p. 389).

(6) L’assistance d’un interprète rend le défendeur « suffisamment en mesure de consulter son avocat avec un degré raisonnable de compréhension rationnelle » : United States v. Cirrincione, 780 F.2d 620, 633 (7th Cir. 1985); United States v. Johnson, 248 F.3d 655, 661 (7th Cir. 2001); La Reine c. Tran (précité, p. 261).

(7) Le respect de l’article 14 de la Charte donne la capacité de « témoigner d’une manière nuancée touchant l’“équité” même du procès » : R. c. Cheba, [1993] S.J. no 17 (QL) (C.A.), au para 3.

(c) La norme d’interprétation judiciaire garantie par la Constitution

[280] L’article 14 de la Charte « garantit sans réserve le droit à l'assistance d'un interprète » : La Reine c. Tran (précité, p. 254). La Constitution elle-même ne décrit pas la norme minimale qu’elle garantit relativement à l’assistance d’un interprète. L’« équité fondamentale » exige que l’objectif soit la compréhension linguistique des procédures. Le degré de compréhension sera « nécessairement élevé » et, comme il est mentionné dans Tran, à la p. 240, devra s’efforcer de fournir au bénéficiaire de l’assistance le degré de compréhension dont il jouirait s’il pouvait comprendre et parler l’une des langues officielles du pays.

[281] La norme « fondamentale » exige que l’interprétation réponde à un degré acceptable à des critères de continuité, de fidélité, d’impartialité, de compétence et de concomitance; une « lacune » ou un écart important lié à l’une ou l’autre de ces caractéristiques dans le cadre des procédures faisant progresser l’affaire ou mettant en cause « un intérêt vital » de l’accusé constitue une menace d’atteinte au droit prévu à l’art. 14 de la Charte, sans égard au préjudice subi : La Reine c. Tran (précité, p. 242 et 253-254).

[282] Les critères énoncés dans l’arrêt Tran peuvent être résumés ainsi :

(1) Selon le critère de continuité, les pauses et les interruptions « ne doivent être ni encouragées ni permises » (p. 246-247).

(2) Le critère de fidélité exige que « l'interprétation […], autant que possible, repren[ne] chaque mot et chaque idée » et ne soit pas un simple résumé. Comme l’interprétation linguistique est « fondamentalement une activité humaine » et qu’il arrive occasionnellement que des obstacles nuisent au transfert exact du sens d’une langue à une autre, l’interprète doit tout de même s’efforcer d’être fidèle. Les résumés ou les condensés ne sont pas acceptables (p. 247-248 et 259).

(3) Le critère d’impartialité exige que « l'interprétation, en particulier dans un contexte criminel, [soit] objective et impartiale » (p. 248).

(4) Il y a un « droit à un interprète compétent », même s’il n’existe « aucune norme généralement acceptée d'évaluation de la compétence ». L’assermentation de l’interprète et l’examen par le tribunal de ses titres de compétence facilitent le respect de cet aspect du droit prévu à l’art. 14 de la Charte (p. 248-249).

(5) Il est essentiel que l’interprétation soit concomitante. « [M]ême si l'interprétation consécutive double en fait le temps nécessaire au déroulement des procédures, elle comporte de nombreux avantages par rapport à l'interprétation simultanée » (p. 249 250).

[…]

[291] L’élément essentiel est de savoir si les lacunes au chapitre de l’assistance d’un interprète qualifié « ont rendu le procès fondamentalement inéquitable » : United States v. Bell (précité), p. 463; United States v. Sanchez, 928 F.2d 1450, 1455 (6th Cir. 1991); United States v. Tapia, 631 F.2d 1207, 1210 (5th Cir. 1980).

[…]

[298] Aucun droit à un interprète agréé n’est prévu dans la Constitution; toutefois, il existe un droit à l’assistance d’un interprète compétent. Par conséquent, la question essentielle consiste à déterminer non pas si l’interprète judiciaire a reçu une « formation officielle », mais si l’interprète est « qualifié » pour exercer avec compétence les fonctions consistant à fournir une interprétation continue, fidèle, impartiale, et concomitante : R. c. R. (A.L.), (précité), p. 155-156. Si un interprète agréé est présenté au tribunal, il est présumé être qualifié et avoir respecté les normes externes établies objectivement d’un processus d’agrément censé être valide.

[…]

[309] Dans son article intitulé « Language Bias In The Criminal Justice System » (précité) p. 368-369, 376, et 380-382, David J. Heller fait valoir les arguments suivants principalement en ce qui concerne les tribunaux de l’Ontario :

[TRADUCTION]

(1) Les interprètes agréés sont soumis à des épreuves minimes, et il n’y a, dans les faits, aucune exigence en matière de formation. Il existe un besoin d’un plus grand nombre de formations et de formations plus spécialisées. Les compressions budgétaires ont eu une incidence sur la formation : « La plupart des interprètes ont déclaré que, en majeure partie, ils avaient appris leur profession “en cours d’emploi”. »

(2) La plupart des avocats agissent en croyant que les interprètes fournis par les tribunaux sont compétents.

(3) Il n’existe aucune mise à l’épreuve systémique de la compétence des interprètes judiciaires.

(4) L’examen d’agrément des interprètes de l’Ontario, qui n’est pas défini par des normes législatives, est une épreuve courte et simpliste.

(5) Parfois, le ministère du Procureur général de l’Ontario a recours à des interprètes non agréés : « La compétence des interprètes varie grandement. »

(6) Les « tribunaux ne disposent d’aucun moyen systémique de reconnaître une interprétation médiocre ».

[…]

[333] Il ne fait aucun doute que la région de Peel et les autres régions de l’Ontario comptent des interprètes dévoués et hautement compétents. Malheureusement, compte tenu de la confiance réduite à l'égard du processus d’agrément et du recours répandu et non déclaré à des interprètes judiciaires non agréés dans cette province, lequel est maintenant documenté, il est devenu difficile de déterminer qui sont ces professionnels.

[334] L’indifférence irresponsable de la Division des services aux tribunaux à l’égard du droit prévu à l’art. 14 de la Charte a donné lieu à l’annulation du procès dans l’affaire Sidhu. Il est statistiquement inévitable qu’il existe des cas d’erreurs judiciaires qui n’ont pas encore été découverts.

[335] En ce qui concerne les conclusions procédurales découlant du dossier dans le présent appel :

[…]

(10) Occasionnellement, le droit prévu à l’art. 14 de la Charte ne peut être respecté que par le recours aux services de deux interprètes judiciaires (para 264 et 266-267, ci-dessus).

(11) Un plaideur qui se représente seul ne peut pas renoncer à la protection de l’art. 14 de la Charte. Un défendeur représenté par un avocat peut renoncer expressément à ce droit. Le tribunal conserve un pouvoir discrétionnaire prépondérant de rejeter la renonciation (para 349 359, ci-desous).

[…]

[352] Un accusé qui se représente lui-même ne peut pas renoncer à son droit prévu à l’art. 14 de la Charte; s’il est représenté par un avocat, le droit doit être respecté, à moins que l’avocat « n'exprime la volonté de ne pas se prévaloir de ces services et que le juge soit d'avis que l'accusé comprend essentiellement la nature de la preuve qui sera produite contre lui » (souligné dans l’original) : La Reine c. Tran (précité), p. 230.

[353] Le seuil à atteindre pour pouvoir renoncer au droit prévu à l’art. 14 de la Charte « est très élevé » et s’assortit d’une enquête judiciaire, interprétée pour l’accusé, incluant le respect des critères suivants pour s’assurer que l’accusé « a personnellement compris la portée de son droit à l'assistance d'un interprète et ce à quoi il renonçait » :

(1) une pleine connaissance des droits que la garantie d’assistance d’un interprète vise à protéger;

(2) l’effet ou les conséquences qu’aurait la renonciation sur ces droits;

(3) une renonciation claire et sans équivoque demandée personnellement par l’accusé.

(La Reine c. Tran (précité), p. 255-256 et 263). Le tribunal conserve en tout temps le pouvoir discrétionnaire de rejeter une renonciation, même si les éléments constitutifs d’une renonciation valide sont présents.

[354] Le seuil à atteindre afin de pouvoir renoncer au droit prévu à l’art. 14 de la Charte « est très élevé », et l’avocat du défendeur « ne peut pas y renoncer pour son client » s’il est seul à en faire la demande : R. c. Johal (précité), au para 26; United States v. Osuna, 189 F.3d 1289, 1294 (10th Cir. 1999); United States v. Tapia (précité), p. 1209. Le tribunal a lui-même l’obligation de veiller à ce qu’« aucune injustice ne soit commise » par un accusé qui a l’intention d’abandonner la pleine protection conférée par l’art. 14 de la Charte dans le simple but de gagner du temps ou d’éviter un inconvénient, ou bien qu’il prévoit « l’exerce[r] avec insouciance » : La Reine c. Tran (précité), p. 231.

[355] Même s’il est attendu qu’en tant qu’officier de justice, l’avocat de la défense discutera adéquatement avec son client du besoin de recourir à un interprète, de la norme minimale prévue par la Constitution et de la nécessité de le faire savoir si cette norme n’est pas atteinte, le tribunal en tant que tel n’est pas obligé de donner à l’accusé des directives concernant ces éléments :

Il importe de signaler que ni le texte de l'art. 14 de la Charte ni le fondement historicojuridique du droit ne contraint les tribunaux à informer tous les accusés qui comparaissent devant eux de l'existence du droit à l'assistance d'un interprète.  De même, les tribunaux ne sont pas tenus d'examiner systématiquement la capacité de tout accusé de comprendre la langue des procédures.  En même temps, rien n'oblige absolument l'accusé à faire valoir ou à invoquer formellement le droit en cause pour en jouir.  Il en est ainsi du fait que les tribunaux ont la responsabilité indépendante d'assurer l'équité de leurs procédures et leur conformité avec les principes de justice naturelle et, par conséquent, de protéger le droit de l'accusé à l'assistance d'un interprète, peu importe qu'il ait vraiment été revendiqué formellement.

(La Reine c. Tran (précité) p. 243)

[356] Les cas flagrants où l’interprète résume les paroles prononcées, est embrouillé ou hésite sont faciles à repérer. Les lacunes subtiles, les interprétations inexactes et les mots manquants, même s’ils sont peu nombreux à passer sous le radar, risquent d’entraîner une condamnation injustifiée. Il faut faire attention avant d’affirmer qu’un défendeur assisté d’un interprète devrait avoir détecté les lacunes au chapitre des compétences d’un interprète et s’en être plaint. Si le défendeur ne parle pas anglais, il est incapable de déterminer si l’interprétation dans sa langue maternelle est le reflet véritable de ce que les anglophones disent dans la salle d’audience. Des interprétations grossières ou déconcertantes dans la langue du défendeur pourraient, parfois, être perçues comme tenant à des difficultés survenant naturellement dans le transfert linguistique, plutôt que comme dénotant des erreurs ou des lacunes au chapitre du rendement. Si la déclaration d’un témoin est présentée dans une troisième langue (ni en anglais ni dans la langue de l’accusé), encore une fois, le défendeur n’a aucun point de repère pour évaluer la qualité de l’interprétation.

[357] L’expérience montre qu’à Brampton, où les avocats parlent l’anglais/le pendjabi, et dans de très nombreuses affaires américaines publiées, où les avocats parlaient anglais/espagnol, c’est souvent l’avocat bilingue, pas l’accusé, qui découvre les lacunes au chapitre de l’interprétation.

[358] Une personne qui ne parle pas anglais pourrait bien avoir vécu la différence linguistique comme « une source de division » suscitant « une réaction de la part des autres », y compris « des réactions de distanciation et d’aliénation […] découlant trop souvent […] d’une hostilité raciale » : Hernandez c. Ne York, 500 U.S. 352, 371 (1991). Un accusé ayant fait cette expérience, qui a l’impression d’avoir beaucoup de chance de bénéficier dans la salle d’audience d’une personne pour le soutenir qui parle sa langue dans quelque mesure que ce soit, sera souvent réticent à revendiquer que le système judiciaire respecte ses droits linguistiques personnels.

[359] La Couronne assume le fardeau d’établir « qu'il y a eu renonciation valide et effective au droit, ce qui explique la lacune dans l'interprétation ou l'absence d'interprétation qui a été démontrée » : La Reine c. Tran (précité) p. 242.

R. c. Ansary, 2001 BCSC 1333 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[66] L’article 14 de la Charte prévoit que la partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète. Toutefois, l’article n’étend pas précisément ce droit à l’étape préalable au procès des procédures criminelles. À mon avis, cependant, le droit fondamental à un procès équitable protégé par l’art. 7 de la Charte exige que l’incidence de toute difficulté linguistique à laquelle un accusé fait face soit prise en compte si l’État cherche à présenter au procès des éléments de preuve prenant la forme de déclarations incriminantes faites par l’accusé à l’étape de l’enquête.

[…]

[70] À l’étape de l’enquête d’une procédure criminelle, le rôle des policiers est bien sûr entièrement différent de celui du tribunal dans le cadre de procédures judiciaires, et, dans cette mesure, les questions au titre de l’art. 14 de la Charte ne seront abordées que si on cherche plus tard à présenter dans le cadre de procédures criminelles des déclarations faites ou des actes commis par un accusé. Il en découle que les policiers, au moment d’exercer leur responsabilité de déterminer la capacité d’un témoin ou d’un accusé de comprendre la langue de l’enquête, doivent tenir compte du fait qu’une déclaration de culpabilité ou d’innocence n’est pas encore en jeu.

[71] Il me semble que l’interprétation large et axée sur l’objectif de l’art. 14 prévue par l’arrêt Tran (précité) exige la prise en compte de l’étape de l’enquête durant laquelle des difficultés surviennent sur le plan des communications. À mon avis, à mesure que le péril auquel la personne fait face augmente, l’obligation des policiers de s’assurer que les communications sont comprises augmente également, s’il est prévu que des éléments de preuve qu’on a obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même seront présentés au procès.

[…]

[81] En l’espèce, en plus de l’iniquité qui découle du fait que l’accusé n’a pas obtenu la possibilité de donner une explication complète en bénéficiant de l’assistance d’un interprète, il y a aussi le fait qu’à bien des égards, les conversations enregistrées sont pratiquement inintelligibles en raison des difficultés linguistiques éprouvées par M. Ansary.

[82] Ainsi, c’est l’interprétation par les agents de police de ce qu’ils croyaient que M. Ansary leur avait dit lorsqu’ils ont reformulé ses réponses qui devient la déclaration la plus intelligible. Toutefois, la question à trancher demeure celle de savoir si les agents ont pleinement compris M. Ansary et s’ils ont reformulé adéquatement ses propos. Si les enregistrements étaient admis en preuve, le jury, au lieu de participer à une recherche de la vérité, serait inévitablement amené à déterminer si M. Ansary a vraiment compris la question, si les policiers ont vraiment compris ses réponses et si M. Ansary avait réellement « besoin » d’un interprète.

[83] Il s’agit précisément du type d’enquête qu’un juge ne devrait pas entreprendre au moment de déterminer si un accusé a « besoin » d’un interprète à son procès, au titre de l’art. 14 de la Charte : voir Tran (précité) et Johal (précité). Il serait anormal qu’en tant que juge des faits, en l’espèce, le jury soit invité à participer à cette enquête, dans une situation où j’ai déterminé que l’accusé a besoin de l’assistance d’un interprète à son procès et y a droit. Au mieux, le jury serait détourné de sa tâche, et, au pire, l’accusé subirait un préjudice grave causé par ses difficultés linguistiques.

[84] Je suis également convaincu que l’aveu concernant tout geste posé par M. Ansary devant le juge de paix constituerait une atteinte non seulement à ses droits prévus à l’art. 7 de la Charte, mais aussi à son droit à l’assistance d’un interprète dans le cadre de procédures judiciaires prévu à l’art. 14. Dans l’arrêt R. c. Huy Duc Tran, [1999] B.C.J. no 2208, 1999 BCCA 535 (CanLII), le juge Finch (alors juge d’appel) a déterminé qu’une procédure devant un juge de paix est une procédure judiciaire. Ainsi, l’art. 14 de la Charte est directement applicable, et les policiers ou le juge de paix auraient dû donner suite aux demandes faites par M. Ansary afin d’obtenir l’assistance d’un interprète. Les éléments de preuve ne peuvent pas être sauvegardés par le par. 24(2), puisque leur admission aurait une incidence néfaste sur l’équité du procès et déprécierait l’administration de la justice.

Wyllie c. Wyllie, 1987 CanLII 2877 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] Les décisions rendues avant l’entrée en vigueur de la Charte donnent à penser que, dans le cadre de procédures civiles, il ne convient pas qu’une telle ordonnance soit rendue : voir Hartley et autres c. Fuld et autres, [1965] 1 W.L.R. 1336; Brochu c. Tanguay (1982), 1982 CanLII 2344 (SK QB), 20 Sask. R. 119, 29 R.F.L. (2e) 462. L’article 14 s’applique à une partie à toute procédure. Il n’est pas possible d’interpréter ce libellé de manière à limiter l’application de l’article aux procédures criminelles; en effet, les termes « partie » et « procédure » indiquent l’intention qu’il soit appliqué aux procédures civiles. Toutefois, aucune affaire n’a été citée dans laquelle il a été ainsi appliqué.

[4] L’article 14 n’est pas une déclaration claire et sans ambiguïté selon laquelle, dans les circonstances appropriées, un plaideur dans une affaire civile a droit à une ordonnance contraignant la Cour à payer les honoraires de l’interprète. Une interprétation possible serait qu’il codifie simplement le droit d’une personne sourde à l’assistance d’un interprète au procès, droit qu’il semble inconcevable qu’un tribunal ait pu un jour refuser. Voir Re Roy et autres et Hackett et autres (1985), 31 A.C.W.S. (2e) 279, affaire dans laquelle cette approche a été adoptée.

[…]

[8] La question qui se pose ensuite est : la promulgation de la Charte, et plus particulièrement de l’art. 14, a-t-elle créé le droit pour un plaideur dans une instance civile de faire payer les honoraires de son interprète par la Couronne?

[9] Je suis d’avis qu’au titre de l’art. 14 de la Charte, un plaideur dans une instance civile a « droit à l’assistance d’un interprète ». Je suis également d’avis que le plaideur ayant besoin des services d’un interprète a pour responsabilité initiale de payer les honoraires de cet interprète; par conséquent, je refuse l’ordonnance demandée par le plaignant.

[10] La question qui demeure sans réponse consiste à déterminer si, dans une instance civile, le tribunal ou la Couronne a l’obligation de payer les honoraires d’un interprète, une fois que le tribunal est convaincu que le plaideur ayant besoin d’un interprète est incapable de payer les honoraires nécessaires. Le libellé de l’art. 14 est clair et sans équivoque, et il se pourrait bien qu’un tribunal rende une telle ordonnance fondée sur l’indigence.

Labrie c. Machineries Kraft du Québec inc., [1983] J.Q. no 464, [1984] C.S. 263 (CS QC) [hyperlien non disponible]

[112] Comme cet article [l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés] s'applique dans toutes les procédures, y compris les procédures civiles, le Tribunal a acquiescé à la demande de la partie.

[113] Qui cependant doit supporter les frais de l'interprète, la partie perdante ou la partie qui a requis les services de l'interprète, en l'occurrence, le demandeur?

[114] L'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés ne dispose pas des coûts.

[…]

[130] Dans la présente affaire, le défendeur avait le droit de s'exprimer en anglais, selon l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le demandeur avait le droit de comprendre son témoignage, selon l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le procureur du demandeur se devait donc de poser la question en français pour que le demandeur comprenne. Le rôle de l'interprète devenait essentiel pour traduire la question en anglais au témoin, qui avait droit de comprendre cette question avant d'y répondre. La traduction de sa réponse, donnée en anglais, devait ensuite être traduite pour tenir compte du droit du demandeur. Le rôle de l'interprète fut donc essentiel à chaque étape.

[131] L'article 305 C.P. [Code de procédure civile du Québec] ne distingue pas en ce qui a trait à la langue dans laquelle sont requis les frais de l'interprète. Il n'y a donc pas de raison de le réserver aux cas où la langue n'est pas une des langues officielles du Tribunal.

[132] Mais il y a plus. Deux droit constitutionnels de caractère égal sont en présence, celui de la partie demanderesse et celui du témoin de la défenderesse. Il n'y a pas d'autre choix : les frais de l'interprète suivent le sort de la cause.

[133] Il appartient au juge dans chaque cas de décider de la nécessité de l’interprète, comme l’a établi la Cour d’Appel dans l’affaire Ferncraft citée plus haut.  Que ces frais suivent le sort de la cause devrait prévenir les abus possibles, puisque chaque partie a intérêt à minimiser les frais d’une cause, n’étant jamais certaine de l’issue du débat.

[134] Ce jugement ne doit s'interpréter comme étant particulier au Québec à cause de l'article 305 C.P. En l'absence d'une législation spécifique ou d'une directive gouvernementale déclarant que les frais sont absorbés par le pouvoir public la présence de deux droits linguistiques constitutionnels et égaux ne peut amener d'autre conséquence que celle suivant laquelle les frais de l'interprète suivent le sort de la cause.

R. c. Ashini, 2015 CanLII 3045 (NL PC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[182] Elle [l’avocate de l’accusé] a également mentionné le fait, et il s’agit d’un fait, que le tribunal est souvent incapable de fournir un interprète autochtone aux fins des procédures judiciaires visant des délinquants sous garde. Cela entraîne des retards dans la tenue de telles procédures en établissement. Je souligne que cette situation est particulièrement vraie en ce qui concerne les interprètes maîtrisant l’innu aimun. Le tribunal ne peut souvent pas du tout fournir d’interprète maîtrisant cette langue et, très souvent, est incapable de fournir un interprète qui connaît moindrement le dialecte des Innus de Mushuau de Natuashish, quand l’accusé vient de cette collectivité. Bien entendu, la présence d’un interprète ne garantit pas nécessairement sa compétence. Le tribunal a pris très peu de mesures pour assurer la formation, la supervision et l’évaluation des interprètes, sans compter l’interaction appropriée entre les interprètes, les avocats, les greffiers et les juges. Il s’agit d’atteintes claires au droit d’un citoyen à l’assistance d’un interprète (l’art. 14 de la Charte) établi dans l’arrêt R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, dans la décision R. c. Sidhu, [2005] CanLII 42491 (ONSC) et dans d’autres affaires.

Voir également :

Yamba c. Canada (Minister of Justice), 2016 BCCA 219 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rottiers, 1995 CanLII 4003 (SK CA)

Hatzidoyannakis c. R., 2005 QCCA 326 (CanLII)

R. c. Tsang, 1985 CanLII 667 (C.A. B.C.) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Petrovic (1984), 1984 CanLII 2003 (ON CA) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Adeagbo, 2016 CanLII 89402 (NL SCTD) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Dutt, 2011 ONSC 5358 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Yoon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 193 (CanLII)

Sherpa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 267 (CanLII)

Iantbelidze c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2002 CFPI 932 (CanLII)

R. c. Xu, 2000 ABQB 982 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Le, [2000] O.J. No. 246 (C.S.J. Ont.) [hyperlien non disponible]

R. c. Chagnon, [1995] J.Q. no. 2242 (C.S. Qué) [hyperlien non disponible]

R. c. Valencia, 1998 CanLII 14761 (ON SC) [décision disponible en anglais seulement]

Garcia c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1993] A.C.F. no 1451, 70 F.T.R. 211 (CF PI) [hyperlien non disponible]

R. c. R.T., 2016 QCCQ 689 (CanLII)

R. c. Hunlin, [1994] B.C.J. No. 1733 (CP CB) [hyperlien non disponible]

Ictensev c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1988] O.J. No. 1842, 43 C.R.R. 147 (CS ON) [hyperlien non disponible]

R. c. K.M., 2016 ONSC 5638 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Douglas and Bryan, 2014 ONSC 2573 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Canada (Attorney General) on behalf of the United States of America c. Muhammad‘Isa, 2012 ABQB 641 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Dunsford, 2010 SKQB 164 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 861 (CanLII)

Caron c. Alberta (Human Rights and Citizenship Commission), 2007 ABQB 525 (CanLII)

Caron c. Alberta (Human Rights and Citizenship Commission), 2007 ABQB 200 (CanLII)

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions traitant de l’art. 14 de la Charte canadienne et des enjeux de compréhension linguistique.

 

Droits à l’égalité (article 15)

15. (1) Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (2) Programmes de promotion sociale

15. (2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : MAI 2017]

Annotations

Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238, 2005 CSC 15 (CanLII)

[1] Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à apprécier le droit constitutionnel à l’enseignement dans la langue de la minorité en fonction du droit à l’égalité. Les appelants prétendent que la Charte de la langue française, L.R.Q., ch. C-11, qui n’offre l’accès à l’école anglaise au Québec qu’aux enfants ayant reçu ou recevant un enseignement en anglais au Canada ou à ceux dont les parents ont fait leurs études primaires en anglais au Canada, établit une distinction entre les enfants qui satisfont à ces conditions et la majorité des enfants francophones du Québec, qui n’y satisfont pas. Les appelants font valoir qu’il résulte de cette distinction une atteinte au droit à l’égalité garanti par les art. 10 et 12 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C-12.  De soutenir les appelants, l’égalité exige que tous les enfants du Québec aient accès à l’école publique anglaise.

[2] S’il était retenu, cet argument des appelants aurait pour effet pratique de retrancher de la Constitution le compromis soigneusement formulé à l’art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui est inacceptable.  Comme notre Cour l’a affirmé à de nombreuses occasions, il n’existe aucune hiérarchie des dispositions constitutionnelles, et les garanties d’égalité ne peuvent donc pas servir à invalider d’autres droits conférés expressément par la Constitution.  Toutes les parties de la Constitution doivent être interprétées globalement.  On ne saurait donc affirmer que, par la mise en œuvre de l’art. 23, le législateur québécois a violé le par. 15(1) de la Charte canadienne ou les art. 10 et 12 de la Charte québécoise.  Le pourvoi doit donc être rejeté.

[…]

[10] La situation des appelants n’est pas différente de celle de la majorité des résidents du Québec qui reçoivent ou ont reçu leur enseignement en français aux niveaux primaire et secondaire.  Ils prétendent néanmoins que les catégories de titulaires de droits établies par la Charte de la langue française sont discriminatoires et devraient être modifiées pour leur permettre de faire instruire leurs enfants en anglais au Québec.  En tant que membres de la majorité francophone au Québec, ils tentent de se prévaloir du droit à l’égalité pour bénéficier d’un droit qui n’est garanti au Québec qu’à la minorité anglophone.

[…]

[12] Le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne n’énonce pas expressément la langue comme motif de distinction illicite.  Cependant, nous souscrivons aux observations suivantes de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Reference re Use of French in Criminal Proceedings in Saskatchewan (1987), 1987 CanLII 204 (SK CA), 36 C.C.C. (3d) 353, p. 373 :

[traduction] À notre avis, la présence dans la Charte des dispositions relatives à la langue des art. 16 à 20, ou la suppression du mot ‘langue’ dans une version antérieure du par. 15(1), n’ont pas non plus nécessairement pour effet d’exclure de la portée de l’art. 15 la forme de distinction en cause.

Dans Québec (Procureure générale) c. Entreprises W.F.H. Ltée, [2000] R.J.Q. 1222, p. 1250, la Cour supérieure du Québec a conclu que la « langu[e] maternell[e] » était un motif de distinction analogue.  Il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse de ce point en l’espèce, parce que la question principale n’est pas le contenu des droits à l’égalité garantis par la Charte canadienne.  Toutefois, à supposer que les appelants puissent soutenir que le par. 15(1) de la Charte canadienne s’applique à eux, la question au cœur du présent pourvoi est le rapport entre les droits à l’égalité que garantissent tant la Charte canadienne que la Charte québécoise et les garanties positives concernant la langue qui sont accordées aux minorités par la Constitution du Canada et la Charte de la langue française.

[…]

[16] Les appelants dénaturent l’objet de l’art. 73 de la Charte de la langue française lorsqu’ils font valoir que [traduction] « [l’]objet et l’effet déclarés des dispositions de la CLF consistent en premier lieu à distinguer des catégories entières d’enfants relativement à l’admissibilité à un service public, et ensuite à les exclure » (mémoire des appelants, par. 48 (souligné dans l’original)).  L’article 73 n’a pas pour objet d’« exclure », mais plutôt de mettre en œuvre l’obligation constitutionnelle positive qui incombe à toutes les provinces d’offrir à leur minorité linguistique l’enseignement dans la langue de cette minorité.  C’est sous cet angle qu’il convient d’examiner le présent pourvoi.

[…]

C. Le droit à l’égalité n’est pas opposable à l’art. 23 de la Charte canadienne

[21] […] Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’art. 23 pourrait aussi être considéré non pas comme une « exception » aux garanties d’égalité, mais comme leur concrétisation dans le cas des minorités linguistiques, pour leur offrir un enseignement adapté à leur situation et à leurs besoins particuliers et équivalent à l’enseignement offert à la majorité (Arsenault-Cameron, par. 31).

[22] En l’espèce, les appelants tentent précisément de faire ce que l’arrêt Mahe a déclaré illégal, soit de recourir aux droits à l’égalité pour modifier les catégories de titulaires de droits visés à l’art. 23.  Cette tentative a été rejetée dans l’arrêt Mahe, bien que dans des circonstances différentes, et elle devrait de nouveau être rejetée en l’espèce.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 (CanLII)

[20] L’article 23 établit un code complet des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, code qui confère un statut spécial aux communautés linguistiques minoritaires anglophones ou francophones.  Dans l’arrêt Mahe, p. 369, la Cour a reconnu que ce statut spécial créerait des inégalités entre groupes linguistiques.  Voir également l’arrêt Adler c. Ontario, 1996 CanLII 148 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 609, par. 32.  En particulier, les anglophones du Québec et les francophones des territoires et des autres provinces jouiraient de droits refusés à d’autres groupes linguistiques.  L’article 23 a été qualifié d’exception aux art. 15 et 27 de la Charte canadienne; il est plutôt un exemple des moyens de réaliser l’égalité réelle dans le contexte particulier des communautés linguistiques minoritaires. […]

Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, 1997 CanLII 327 (CSC)

[54] Notre Cour a souligné que le par. 15(1) vise deux objectifs distincts mais connexes.  Premièrement, il exprime un engagement -- profondément enraciné dans notre culture sociale, politique et juridique -- envers l’égalité et la dignité de tous les êtres humains.  Comme le faisait observer le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews, à la p. 171, favoriser l’objet du par. 15(1) « emporte favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération ».  Deuxièmement, ce paragraphe concrétise le désir de remédier à la discrimination dont « sont victimes les groupes de personnes défavorisées sur les plans social, politique ou juridique dans notre société » ou de les protéger contre toute forme de discrimination; voir R. c. Turpin, 1989 CanLII 98 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1296, à la p. 1333 (le juge Wilson); voir aussi Beverley McLachlin, « The Evolution of Equality » (1996), 54 Advocate 559, à la p. 564. Quoique notre Cour ait confirmé qu’il n’était pas nécessaire de démontrer l’appartenance à un groupe traditionnellement défavorisé pour établir l’existence d’une atteinte au par. 15(1), le fait qu’un texte de loi établisse une distinction fondée sur ce motif constitue un indice important de discrimination: voir Miron c. Trudel, 1995 CanLII 97 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 418, au par. 15 (le juge Gonthier), et aux par. 148 et 149 (le juge McLachlin), et Egan c. Canada, 1995 CanLII 98 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 513, aux par. 59 à 61 (le juge L’HeureuxDubé).

[…]

[57] Les personnes atteintes de surdité n’échappent pas à cette situation difficile générale.  Même si bon nombre d’entre elles rejettent l’idée que la surdité est une déficience et se disent membres d’une communauté distincte, possédant son langage et sa culture propres, cela ne justifie pas leur exclusion forcée des possibilités et services conçus pour les entendants et disponibles à ces derniers.  Pour bien des entendants, la perception dominante qu’ils ont de la surdité est celle du silence.  Cette perception a perpétué l’ignorance des besoins des personnes atteintes de surdité et a résulté en une société qui est en majeure partie organisée comme si tous pouvaient entendre; voir, de façon générale, Oliver Sacks, Des yeux pour entendre: voyage au pays des sourds (1990).  Il n’est donc pas étonnant que le désavantage que subissent les personnes atteintes de surdité découle dans une large mesure d’obstacles à la communication avec les entendants.

[…]

[60] La seule question à trancher en l’espèce est donc de savoir si les appelants ont droit au « même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination » aux termes du par. 15(1) de la Charte.  À première vue, le régime d’assurance‑maladie de la Colombie‑Britannique s’applique d’une manière égale aux entendants et aux personnes atteintes de surdité.  Il ne fait pas de « distinction » explicite fondée sur la déficience en accordant un traitement différent aux personnes atteintes de surdité.  Tant ces dernières que les entendants ont le droit de recevoir certains services médicaux gratuitement.  Les appelants prétendent néanmoins que l’absence de financement pour les services d’interprètes gestuels les empêche de bénéficier du régime établi par la loi dans la même mesure que les entendants.  Autrement dit, ils invoquent la discrimination découlant d’« effets préjudiciables ».

[61] Notre Cour a statué de façon constante que le par. 15(1) de la Charte protège contre ce type de discrimination.  Dans Andrews, précité, le juge McIntyre a conclu que des lois apparemment neutres pouvaient être discriminatoires.  « Il faut cependant reconnaître dès le départ », a‑t‑il fait remarquer, à la p. 164, « . . . que toute différence de traitement entre des individus dans la loi ne produira pas forcément une inégalité et, aussi, qu’un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités »; voir aussi Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 347.  Le paragraphe 15(1), a statué la Cour, vise à assurer une certaine égalité matérielle et non simplement formelle.

[62] Comme corollaire de ce principe, notre Cour a aussi conclu que l’existence d’un but ou d’une intention discriminatoire n’était pas une condition nécessaire à l’existence d’une atteinte au par. 15(1); voir Andrews, aux pp. 173 et 174, et Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), 1993 CanLII 75 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 519, aux pp. 544 à 549 (le juge en chef Lamer); voir aussi Commission ontarienne des droits de la personne c. SimpsonsSears Ltd., 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 547.  Il n’est pas nécessaire qu’une distinction établie par la loi soit motivée par le désir de défavoriser un individu ou un groupe pour constituer une atteinte au par. 15(1).  Il suffit que l’effet de la loi prive une personne de l’égalité de protection ou de bénéfice de la loi.  Comme l’a dit le juge McIntyre dans Andrews, à la p. 165, « [p]our s’approcher de l’idéal d’une égalité complète et entière devant la loi et dans la loi [. . .], la principale considération doit être l’effet de la loi sur l’individu ou le groupe concerné ».  En cela, notre Cour a emprunté une voie différente de celle de la Cour suprême des États-Unis, qui exige la preuve d’une intention discriminatoire pour fonder une violation de l’égalité de protection garantie par le Quatorzième amendement à la Constitution; voir Washington, Mayor of Washington, D.C. c. Davis, 426 U.S. 229 (1976), Village of Arlington Heights c. Metropolitan Housing Development Corp., 429 U.S. 252 (1977), et Personnel Administrator of Massachusetts c. Feeney, 442 U.S. 256 (1979).

[…]

[71] S’il y a des situations où les personnes atteintes de surdité ne peuvent pas communiquer efficacement avec leur médecin sans interprète, comment peut-on affirmer qu’ils reçoivent des soins médicaux de même qualité que les entendants?  Pour les entendants, les communications ne constituent pas un service distinct.  Ces derniers disposent en tout temps d’un moyen de communication efficace et gratuit, qui fait partie de tous les services de santé qu’ils reçoivent.  Pour recevoir des soins de même qualité, les personnes atteintes de surdité doivent supporter le fardeau du coût du moyen de communication avec les professionnels de la santé, malgré le fait que le système soit censé enlever toute importance à la capacité de payer.  Lorsqu’elle est nécessaire à l’efficacité des communications, l’interprétation gestuelle ne devrait donc pas être considérée comme un service « connexe ».  Au contraire, elle est le moyen qui permet aux personnes atteintes de surdité de recevoir la même qualité de soins médicaux que les entendants.

[…]

[80] Je suis donc d’avis que le fait pour la commission des services médicaux et les hôpitaux de ne pas fournir de services d’interprétation gestuelle lorsque ces services sont nécessaires pour permettre des communications efficaces constitue une violation à première vue des droits garantis aux personnes atteintes de surdité par le par. 15(1).  Cette omission prive ces personnes de l’égalité de bénéfice de la loi et crée de la discrimination à leur endroit par comparaison avec les entendants.

[…]

[88] Toutefois, les intimés soutiennent qu’il n’est pas possible de faire de distinction utile entre la situation des personnes atteintes de surdité et celle des autres personnes qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles.  Si on les oblige à fournir des interprètes aux premières, d’affirmer les intimés, ils devront aussi en fournir aux secondes, ce qui augmentera de façon marquée le coût du programme et nuira sérieusement à la viabilité financière du régime de soins de santé.  Dans ce contexte, disentils, le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure qu’ils portaient le moins possible atteinte aux droits des personnes atteintes de surdité.

[89] À mon sens, cet argument relève entièrement de la spéculation.  Il n’est aucunement évident que les personnes atteintes de surdité et celles qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles sont dans une situation analogue, que ce soit sur le plan du statut constitutionnel ou de l’accès pratique à des soins de santé adéquats.  Du point de vue du patient, il n’y a pas vraiment de différence entre le langage gestuel et le langage parlé s’il lui est impossible de communiquer avec le médecin.  Toutefois, du point de vue des obligations de l’État, il peut très bien exister une différence.  En l’espèce, les seules dispositions constitutionnelles pertinentes sont le par. 15(1) et l’article premier de la Charte.  Par contraste, dans une affaire concernant la prestation de services d’interprètes médicaux pour des entendants, l’analyse serait plus compliquée.  En pareil cas, il serait nécessaire d’étudier l’interaction entre le par. 15(1) et les autres dispositions de la Constitution, en particulier celles touchant les obligations des gouvernements en matière linguistique.  De plus, les intimés n’ont produit aucun élément de preuve sur le champ d’application éventuel ou le coût d’un programme d’interprétation médicale pour les entendants.  Il est possible que la nature et l’étendue des mesures d’accommodement raisonnables requises pour les entendants en vertu de l’article premier diffèrent de celles requises dans le cas des personnes atteintes de surdité.  Par conséquent, toute action relative à la prestation d’un tel programme, qu’elle soit fondée sur l’origine nationale ou la langue en tant que motif analogue, serait examinée selon des paramètres constitutionnels nettement différents de ceux applicables à une action fondée sur la déficience.

Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, 1993 CanLII 119 (CSC)

Question (c)(i) : Les articles 23 et 15 de la Charte accordent-ils un droit de gestion ou de contrôle se rattachant aux droits prévus à l'article 23 concernant l'instruction en langue française et les établissements d'enseignement de la minorité linguistique?

[30] Cette question a été tranchée en grande partie dans l'arrêt Mahe. L'intimé admet que la décision rendue par la Cour d'appel à la majorité est maintenant inapplicable et il demande une ordonnance accueillant le pourvoi sans dépens. Le principal point demeurant en litige est de savoir avec quelle précision notre Cour devrait fixer les paramètres de la gestion et du contrôle de l'instruction et des établissements requis en vertu de l'art. 23 de la Charte.

[31] En ce qui concerne les autres droits garantis par la Charte, notre Cour, dans l'arrêt Mahe, a examiné l'argument selon lequel l'art. 23 devrait s'interpréter en fonction des art. 15 et 27 et a conclu (à la p. 369) :

En effet, l'art. 23 établit un code complet régissant les droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Il est assorti de réserves et d'une méthode d'évaluation qui lui sont propres. De toute évidence, l'art. 23 renferme une notion d'égalité entre les groupes linguistiques des deux langues officielles du Canada. À part cela, toutefois, cet article constitue d'abord et avant tout une exception aux dispositions des art. 15 et 27 en ce qu'il accorde à ces groupes, anglophone et francophone, un statut spécial par rapport à tous les autres groupes linguistiques au Canada.

Je ne vois aucun motif de nous écarter de cette position. Il s'ensuit donc que la conclusion du juge en chef Monnin relativement à l'application des art. 15 et 23 est, avec égards, incorrecte.

Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, 1990 CanLII 133 (CSC)

[45] […] Bien qu'il soit souvent utile de tenir compte de l'interrelation de divers articles de la Charte, je ne crois pas, aux fins de l'interprétation de l'art. 23, qu'on ait avantage à se référer à l'art. 15 ou à l'art. 27 dans le présent contexte. En effet, l'art. 23 établit un code complet régissant les droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Il est assorti de réserves et d'une méthode d'évaluation qui lui sont propres. De toute évidence, l'art. 23 renferme une notion d'égalité entre les groupes linguistiques des deux langues officielles du Canada. À part cela, toutefois, cet article constitue d'abord et avant tout une exception aux dispositions des art. 15 et 27 en ce qu'il accorde à ces groupes, anglophone et francophone, un statut spécial par rapport à tous les autres groupes linguistiques au Canada. Comme le fait observer le procureur général de l'Ontario, il serait déplacé d'invoquer un principe d'égalité destiné à s'appliquer universellement à « tous » pour interpréter une disposition qui accorde des droits particuliers à un groupe déterminé.

Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, 1988 CanLII 20 (CSC)

[36] Il nous reste à déterminer si l'art. 57 est contraire à l'art. 15 et à l'article premier de la Charte canadienne. L'article 15 de la Charte canadienne a été invoqué par l'appelante seulement devant cette Cour, bien que le procureur général du Québec ait accepté que des questions constitutionnelles soient énoncées et que l'art. 15 soit en cause. Néanmoins, nous ne bénéficions pas de motifs de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure qui interprètent l'application de l'art. 15 à l'art. 57. Cette Cour n'a pas encore rendu de jugement interprétant le sens de l'art. 15. Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'examiner la question de savoir si l'art. 57 porte atteinte, à première vue, à l'art. 15. Nous avons déjà conclu qu'il portait atteinte à première vue à l'al. 2b). La seule question restant à trancher est de savoir si l'application de l'article premier serait différente s'il y avait une violation prima facie de l'art. 15 en l'espèce. Plus précisément, la question devient celle de savoir si le critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, et énoncé de nouveau par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 713, entraînerait un résultat différent en l'espèce si la violation prima facie dont il est question constituait une atteinte aux droits que garantit l'art. 15. Nous avons déjà décidé que l'exigence de l'usage concurrent du français a un lien rationnel avec la préoccupation urgente et réelle de l'Assemblée nationale d'assurer que le visage linguistique du Québec reflète la prédominance du français. Cette exigence porte-t-elle atteinte le moins possible au droit à l'égalité devant la loi et au droit à l'égalité de bénéfice et de protection égale de la loi, indépendamment de toute discrimination? Est-elle conçue de manière à ne pas empiéter sur ce droit au point que la réduction des droits l'emporte sur l'objectif législatif? En veillant à ce que les non-francophones puissent rédiger des formulaires de demandes d'emploi, des bons de commandes, des factures, des reçus et des quittances dans la langue de leur choix, de pair avec le français, l'art. 57 interprété conjointement avec l'art. 89, crée, tout au plus, une atteinte minimale aux droits à l'égalité. Bien que, comme l'appelante l'a soutenu, l'exigence de l'usage concurrent du français puisse créer un fardeau additionnel pour les marchands et les commerçants non francophones, il n'y a rien qui porte atteinte à leur capacité d'utiliser également une autre langue. Par conséquent, notre conclusion concernant l'application de l'article premier demeure même si, à première vue, la violation en cause de la Charte canadienne est une violation de l'art. 15.

[37] Puisque, à notre avis, il n'a pas été porté atteinte aux garanties d'égalité énoncées à l'art. 15 de la Charte canadienne et à l'art. 10 de la Charte québécoise, il n'est pas nécessaire de déterminer en l'espèce si les personnes morales bénéficient directement de leur protection. Il n'est pas nécessaire non plus de décider si la compagnie appelante était autorisée à contester l'art. 57 au motif qu'il était incompatible avec l'art. 15 de la Charte canadienne.

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[31] La « langue » n’est pas un motif de discrimination en vertu du paragraphe 15(1). Le paragraphe 15(1) pourrait seulement s’appliquer si la « langue » était un motif de discrimination analogue. La Cour suprême a décrit l’approche permettant de déterminer si un prétendu motif de discrimination est « analogue », notamment dans Egan c. Canada, 1995 CanLII 98 (CSC), [1995] 2 RCS 513; Law, précité; et M. c. H., précité, au paragraphe 63.

[32] Ni dans la décision en appel, ni dans Deveau, la cour d’appel en matière de poursuites sommaires n’a déterminé si la « langue » est un motif analogue au sens du paragraphe 15(1).

[33] Les tribunaux d’appel ont mainte fois affirmé que la « langue » n’est pas un motif analogue au sens du paragraphe 15(1). La raison en est que les articles 16 à 23 de la Charte traitent précisément des droits linguistiques. Si la « langue » était aussi visée de manière générale par le paragraphe 15(1), alors la portée des dispositions protectrices prévue aux articles 16 à 23 aurait peu de sens. Voir : Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 2001 CanLII 21164 (ON CA), 208 D.L.R. (4th) 577 (OCA) aux paragraphes 621-622; MacDonnell c. Fédération de Franco-Colombiens (1986), 1986 CanLII 927 (BC CA), 31 D.L.R. (4th) 296 (BCCA); R. c. Paquette (1987), 1987 ABCA 228 (CanLII), 46 D.L.R. (4th) 81 (ACA); Ringuette c. Canada (Procureur général) (1987), 53 Nfld. & P.E.I.R. 126 (LSS); R. c. Simard, (1995) 27 O.R. (3rd) 116 (CAO) aux paragraphes 126 et 131; R. c. Crête, (1994) 64 O.A.C. 399 (OCS); Seaway Trust c. Kilderkin Investments Limited (1986), 1986 CanLII 2580 (ON SC), 29 D.L.R. (4th) 456 (OHCJ); R. c. Rodrigue (1994), 1994 CanLII 5249 (YK SC), 91 C.C.C. (3rd) 455 (YSC) aux pages 472 à 474, appel rejeté pour des motifs de compétence, (1995), 95 C.C.C. (3rd) 129 (YTCA), demande de pourvoi refusée par la Cour suprême du Canada, [1995] 3 S.C.R. vii.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[4] L'appelante a été déclarée coupable d'avoir enfreint l'art. 58 de la Charte de la langue française du Québec, L.R.Q., chap. C-11, qui exige la nette prédominance du français dans l'affichage commercial bilingue, et condamnée à payer l'amende minimale prévue par l'art. 205 de la même loi.  Elle demande à la Cour de déclarer ces articles invalides et inopérants, au motif que l'art. 58 enfreint son droit à la liberté d'expression garanti par les art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés  et par l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., chap. C-12, ainsi que son droit à l'égalité garanti par l'art. 15 de la Charte canadienne et par l'art. 10 de la Charte québécoise.

[…]

[91] Ses réponses me paraissent exactes. Il est clair que l'art. 58 [de la Charte de la langue française]  impose une différence de traitement entre un francophone et une personne de langue maternelle différente.  En effet, un francophone peut se contenter de faire sa publicité exclusivement dans sa langue maternelle, alors qu'une personne d'une autre langue doit ajouter au texte dans sa langue une version française nettement prédominante.  Cependant, l'arrêt Law établit clairement qu'une différence de traitement n'est pas nécessairement synonyme de discrimination prohibée.  Tel qu'établi par le par. 83 de l'arrêt Law, la première question que se posera le tribunal dans chaque affaire sera de savoir si une atteinte à la dignité humaine a été démontrée, compte tenu des contextes historique, social, politique et juridique dans lesquels l'allégation est formulée.

[92] Il est reconnu dans Ford, à la p. 778, que la politique linguistique sous-tendant la Charte de la langue française poursuit un objectif important et légitime.  Cet objectif est décrit au préambule : assurer la qualité et le rayonnement de la langue française.  À la p. 777 de Ford, la Cour suprême affirme que les documents mis en preuve établissent amplement l'importance de l'objectif législatif de la Charte de la langue française et le fait qu'elle est destinée à répondre à un besoin urgent et réel.

[93] Le commerçant non francophone est libre de donner la forme et le contenu qu'il veut à sa publicité.  Il lui est seulement enjoint d'y ajouter une version française nettement prédominante.  Comme le juge de la Cour supérieure, je ne vois aucune atteinte à sa dignité et aucune discrimination.

Westmount (ville de) c. Québec (Procureur général), 2001 CanLII 13655 (CA QC)

[149] Il est loin d'être certain que l'on puisse recourir à l'article 15 de la Charte canadienne pour soutenir la protection des droits linguistiques prévus par la Constitution.  Comme nous l'avons déjà signalé, les droits linguistiques ne sauraient être confondus avec les garanties fondamentales de la Charte.  La Cour suprême a d'ailleurs clairement indiqué qu'il n'était pas approprié de recourir aux articles 15 et 27 pour déterminer l'étendue des droits linguistiques.

[150] Par le biais de l'article 15, une partie de la minorité anglophone de Montréal revendique le droit de contrôler un gouvernement local, doté d'un ensemble de pouvoirs et de compétences que le législateur ne pourrait modifier sans son consentement.  Ces droits seraient conférés aux communautés locales qui se distinguent par leur langue, leur culture et leur religion.  Ce faisant, comme le souligne l'intimé dans sa plaidoirie, les appelants réclament un droit collectif qui imposerait une obligation positive à l'État alors que la protection accordée par l'article 15 est essentiellement de nature individuelle.

[151] Néanmoins, même en acceptant d'examiner la question sous l'angle proposé par les appelants, leurs prétentions doivent, là encore, être rejetées.

[…]

[161] De toute façon, il n'est même pas nécessaire de disposer de cette question puisque, même si les appelants pouvaient satisfaire au premier critère élaboré dans l'arrêt Law, ils ne peuvent manifestement pas le faire quant au deuxième (soit la distinction fondée sur un motif analogue).  Or, si les trois critères de cet arrêt sont distincts, ils restent néanmoins cumulatifs.

[162] Les appelants ont tort de prétendre que la différence de traitement alléguée découle de la langue, alors qu'en réalité, elle découle tout simplement de leur lieu de résidence, motif qui n'est pas analogue au sens de l'article 15.

[…]

[169] Force est donc de conclure que la différence de traitement plaidée par les appelants n'est pas fondée sur un motif énuméré ou analogue de l'article 15 de la Charte canadienne et donc qu'il n'y a aucune atteinte au droit à l'égalité prévu par cet article.

Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), 2001 CanLII 21164 (ON CA)

[96] Montfort a porté en appel incident le rejet, par la Cour divisionnaire, de son argument selon lequel les directives de la Commission violent son droit à l’égalité protégé par l’art. 15 de la Charte.  Cet argument n’a pas été présenté oralement à l’audition, mais il fait l’objet d’un développement complet dans le mémoire de Montfort.  À notre avis, la Cour divisionnaire a correctement statué en rejetant cet argument au motif, énoncé à la p. 79, que « l’article 15 de la Charte ne peut être utilisé comme porte de sortie pour améliorer les droits linguistiques au-delà de ce qui est prévu dans d’autres dispositions de la Charte ».  Même en admettant, sans en décider, que les intimés satisfont par ailleurs au critère relatif à une violation de l’art. 15, nous convenons avec la Cour divisionnaire que, à la lumière des dispositions très précises et détaillées des art. 16 à 23 de la Charte concernant le statut spécial du français et de l’anglais, toute différence de traitement envers les francophones qui résulterait des directives de la Commission ne serait pas fondée sur un motif énuméré ou analogue.  Comme le déclare la Cour divisionnaire à la p. 80 : « L’article 15 en soi ne peut donc pas être invoqué pour ajouter des droits linguistiques que la Charte n’a pas déjà accordé expressément ». 

[…]

[101] Il a été statué dans d’autres contextes que lorsque la Constitution accorde des droits spéciaux à des groupes spéciaux, ces garanties spécifiques doivent être respectées, et d’autres droits prévus par la Charte ne peuvent servir à étendre ou à restreindre les droits ainsi accordés.  Dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, précité, le juge Wilson écrit aux pp. 1196 et 1197 que même si le traitement spécial accordé à la minorité religieuse par l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867  « s’accorde mal avec le concept de l’égalité enchâssé dans la Charte », l’art. 15 ne peut servir ni à rendre inopérants les droits spécifiques du groupe protégé, ni à étendre ces droits à d’autres groupes religieux.  Cette position a été confirmée dans Adler c. Ontario, 1996 CanLII 148 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 609, où la Cour suprême rejette la réclamation d’un financement pour les services de santé d’écoles confessionnelles non visées par l’art. 93, fondé sur le droit à la liberté de religion prévu à l’al. 2a) et le droit à l’égalité prévu à l’art. 15.

[102] Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter l’appel incident de Montfort quant à la conclusion du jugement de première instance concernant l’art. 15.

Gingras c. Canada, [1994] 2 R.C.F. 734, 1994 CanLII 3475 (CAF)

[60] En ce qui a trait à l’allégation de discrimination, elle est si ténue qu’elle ne mérite pas qu’on s’y arrête.  L’intimé n’a pas dit de quelle sorte de discrimination il s’agissait et il n’a présenté aucune preuve autre que des statistiques superficielles et non étayées.  S’agirait-il de discrimination fondée sur la langue, que la demande devrait vraisemblablement être rejetée, la langue n’étant pas l’un des motifs décrits à l’article 15; il m’apparaît en effet peu probable qu’une personne puisse, par le biais d’une soi-disant discrimination fondée sur l’usage de l’une des deux langues officielles, obtenir davantage en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte que ce à quoi elle a droit en vertu des garanties linguistiques définies aux articles 16 à 22.  Et si discrimination il y avait, ce ne serait pas une discrimination fondée sur la langue, ni même à la rigueur sur l’origine nationale ou ethnique, mais une discrimination fondée sur le fait que des employés bilingues exercent des fonctions administratives, et d’autres, des fonctions de nature policière.  Il n’y a pas là, à prime abord, matière à intervention en vertu de la Charte.  Quoi qu’il en soit, l’absence de preuves sérieuses de discrimination est telle que le recours fondé sur la Charte est en l’espèce manifestement frivole. 

[61] L'intimé, en sa qualité d'ancien membre de la GRC, avait droit à ce que la prime [au bilinguisme] lui fût versée par le SCRS du 16 juillet 1984 au 5 mars 1985, mais pas au-delà.

R. c. Crete (1994), 64 O.A.C. 399, [1993] O.J. No. 1525 (CA ON) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] L’appelant s’est limité à présenter des arguments portant sur le paragraphe 15(1) de la Charte et affirme qu’il a été l’objet de discrimination en recevant un avis rédigé en anglais qu’il n’était pas en mesure de lire car il est francophone. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une question de langue; l’argument repose sur le fait que les avis de cette nature doivent pouvoir être lus et compris par tous les destinataires. Les personnes analphabètes, ou unilingues peu importe la multitude de langues en usage ici, outre l’anglais, doivent faire davantage de démarches que les anglophones lorsqu’ils reçoivent un document de cette nature. Toutefois, cette différence est loin de la discrimination envisagée à l’article 15 : Andrews c. Law Society of B.C. (1989), 56 D.L.R. (4) 1. Tous les documents du gouvernement seront inévitablement illisibles par certains groupes de personnes. Ce serait banaliser l’article 15 que de déclarer que tous ces documents sont discriminatoires et de forcer l’appelant à avoir recours à l’article premier en vue de tout justifier sauf ceux qui ont un effet à l’égard des unilingues francophones.

Headley c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), [1987] 2 C.F. 235 (C.A.) [hyperlien non disponible]

[14] Les faits sont simples. L'employeur a annoncé un concours interne pour le poste de "commis à la réception et aux entrevues, niveau CR-4" au Centre d'immigration du Canada de Toronto Ouest. La requérante a été éliminée à la présélection pour son manque de connaissance suffisante d'au moins l'une des six langues (le vietnamien, le chinois, le polonais, le portugais, l'italien ou l'espagnol) dont l'employeur avait exigé la pratique dans l'énoncé des qualités requises pour ce poste.

[15] On ne conteste pas que, dans son évaluation même des candidats, le comité de sélection a pleinement respecté le principe du mérite prévu à l'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32] ("la Loi") et que la requérante ne se plaint pas du traitement accordé aux autres candidats. L'allégation selon laquelle elle n'a pas été traitée avec égalité se rapporte essentiellement aux deux autres titulaires qui occupent un poste de commis à la réception et aux entrevues, de niveau CR-4, au Centre d'immigration du Canada de Toronto Ouest et dont aucun n'est tenu de posséder une bonne connaissance de l'une quelconque des six langues susmentionnées. De fait, l'un parle allemand en plus de l'anglais; l'autre, qui occupe un poste désigné bilingue impératif, parle vietnamien et chinois en plus de l'anglais et du français. Cependant, le Comité a établi que l'on n'avait exigé de ces deux titulaires que la pratique de l'anglais dans le premier cas, et celle des deux langues officielles dans le second.

[…]

[17] La requérante soutient qu'elle a été privée du droit à l'égalité et du droit à la même protection et au même bénéfice de la loi que lui garantit l'article 15 puisque, dans sa demande d'emploi pour le poste de niveau CR-4, on lui a imposé une exigence linguistique à laquelle n'ont pas été assujettis et ne le sont toujours pas les deux titulaires actuels du poste en cause.

[…]

[24] Plus précisément, je conclus que la limite interne que représente la "discrimination" doit exister dans tous les cas, mais le législateur a déjà établi que les distinctions défavorables fondées sur les motifs énumérés constituent de la discrimination, alors que le plaignant doit prouver qu'elle existe dans les autres cas. Dans tous les cas, cependant, la discrimination ne doit pas être négligeable. Ainsi donc, bien que ce ne soit pas le cas au niveau conceptuel, cette analyse ressemble à la distinction établie par les tribunaux américains entre le contrôle strict et le contrôle minimal. Je crois que, au Canada, la distinction ne vient pas des tribunaux mais de la Constitution elle-même.

[25] La Constitution elle-même, je crois, impose cette distinction entre les motifs qui sont énumérés et ceux qui ne le sont pas. Le fait notamment que le législateur ait énoncé comme motifs de discrimination les principales réalités naturelles et immuables propres aux êtres humains--la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion (qui n'est pas tout à fait, il est vrai, une réalité naturelle et immuable), et le sexe--peut seulement signifier, à mon sens, qu'il appartient aux gouvernements de justifier les distinctions défavorables importantes fondées sur ces catégories en invoquant l'article 1, plutôt qu'aux plaignants de prouver qu'il y a contravention de l'article 15. En somme, certains motifs de distinction sont, par présomption, si défavorables qu'ils sont considérés comme discriminatoires en soi.

[26] Dans la présente affaire, la requérante a présenté au début une théorie de la langue et de l'ethnie qui était fondée sur le sang et aurait assimilé l'exigence linguistique préférentielle en question à un traitement préférentiel accordé aux groupes nationaux ou ethniques qui parlent habituellement les six langues concernées. Il n'a pas été fait état de ce moyen mal inspiré pendant la plaidoirie.

[27] La requérante a donc dû prouver qu'il y avait eu discrimination fondée sur la langue, sans pouvoir recourir à un motif de discrimination énuméré. Elle n'a pas réussi à apporter la preuve qui lui incombait. Le droit de la direction d'établir les qualités requises pour les postes de la Fonction publique est considéré comme "inhérent", du moins depuis la décision rendue par le juge en chef Jackett de cette Cour dans l'affaire Bauer c. Le comité d'appel de la Fonction publique, [1973] C.F. 626 (C.A.), à la page 630. […]

[…]

[30] Si le critère de la discrimination repose en l'espèce sur le fondement rationnel de l'exigence linguistique imposée par la direction, ainsi que le soutient la requérante elle-même, qui invoque aussi la jurisprudence américaine (quoiqu'elle ait bien pu se fonder sur le critère énoncé par le juge McIntyre dans l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, à la page 406), ce critère a été respecté, comme le démontre la décision du Comité.

Ringuette c. Canada (Attorney General), 1987 CanLII 3953 (NL CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[pp. 520-521] En ce qui a trait à la province de Terre-Neuve, vu les conclusions de fait du juge de première instance, que nous avons déjà évoquées, on ne peut certainement pas sérieusement affirmer que le défaut d’avoir proclamé l’entrée en vigueur de la partie X1V.1 [du Code criminel] à Terre-Neuve constitue une violation ou une abrogation des droits constitutionnels de l'appelant(e) en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, et en particulier de l’article 15 de cette Loi.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[71] Le procureur général a affirmé (i) que le paragraphe 15(1) porte seulement sur les distinctions ou les classifications fondées sur les motifs énumérés (la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques), dont chacun concerne des caractéristiques personnelles non pertinentes au regard du droit, ou sur d’autres motifs tellement semblables qu’ils doivent être visés par le concept de « discrimination » du paragraphe; (ii) que la distinction entre un francophone accusé en Saskatchewan et son homologue dans les provinces où la Partie XVI.I du Code [criminel] est en vigueur est fondée sur la « langue officielle » ou le « lieu de la procédure », dont aucun ne constitue un motif énuméré (la « langue » est un motif expressément exclu), et aucun n’est lié aux motifs énumérés puisqu’aucun ne concerne une caractéristique personnelle non pertinente; et (iii) que ces raisons à elles-seules suffisent à affirmer que la situation exposée dans la question va au-delà de la portée de l’article 15.

[72] À notre humble avis, cet argument est sans fondement. Pour commencer, la liste des motifs de discrimination présentée au paragraphe 15(1) n’est pas exhaustive; le libellé est très clair en ce sens. Nous ne pensons pas non plus que la règle d’interprétation ejusdem generis est appropriée en l’espèce. Ce principe et d’autres semblables ont évolué dans le contexte de l’interprétation des lois, dont le but est de découvrir l’intention du législateur. L’interprétation de la Charte est une question tout à fait différente : Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 S.C.R. 145 aux pages 156 et 157, [1984] 6 W.W.R. 577 (sub nom. Directeur des enquêtes et recherches de la direction des enquêtes sur les coalitions c. Southam Inc.), 33 Alta. L.R. (2d) 193, 41 C.R. (3d) 97, 27 B.L.R. 297, 14 C.C.C. (3d) 97, 11 D.L.R. (4th) 641, 9 C.R.R. 355, 2 C.P.R. (3d) 1, 84 D.T.C. 6467, 55 A.R. 291, 55 N.R. 241; R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité. Par conséquent, ces outils d’interprétation (qui ne sont que ça et n’imposent pas de conclusions à tirer) n’ont pas la même valeur en ce qui concerne l’interprétation de la Charte puisqu’ils s’appliquent uniquement à l’interprétation des lois. En outre, comme il a été énoncé dans l’arrêt Big M Drug Mart, l’interprétation des dispositions de la Charte doit être libérale plutôt que formaliste.

[73] Cela ne signifie par que l’énumération de certains motifs et l’absence d’autres sont totalement inutiles – le fondement d’une distinction peut très bien permettre de déterminer si la distinction peut être justifiée et faciliter cette détermination, mais il s’agit d’une tout autre question – nous sommes toutefois d’avis que le paragraphe 15(1) ne doit pas être interprété de la manière étroite proposée.

[74] Il est donc sans importance que « langue officielle » ou « lieu de la procédure » (en supposant qu’aucun de ces éléments n’est le fondement de la distinction en cause) ne figure pas dans les motifs énumérés, ni que les motifs énumérés puissent avoir un genre ou un caractère commun que ne possède pas une « langue officielle » ou un « lieu de procédure ». À notre avis, la présence dans la Charte des dispositions relatives à la langue des articles 16 à 20, ou la suppression du mot « langue » dans une version antérieure du paragraphe 15(1), n’ont pas non plus nécessairement pour effet d’exclure de la portée de l’article 15 la forme de distinction en cause.

[...]

[109] En supposant, aux fins de l’examen de la question en cause, que la nature, la portée et l’aspect de la forme d’égalité devant la loi qui nous intéresse nous commandent de déterminer si les mesures dénoncées offrent un traitement analogue, la réponse se doit d’être négative. Un francophone accusé en Saskatchewan n’a pas le droit, selon les lois fédérales, contrairement à son homologue au Manitoba ou en Ontario par exemple, d’être jugé dans sa propre langue officielle; on ne peut donc pas dire que ces mesures permettent de traiter de façon analogue les individus qui se trouvent dans une situation analogue.

[110] Nous n’aurions pas non plus à trancher l’affaire [c’est-à-dire lorsque l’énoncé introductif du paragraphe 15(1) ne prévoit pas, en combinaison avec l’article 1 et le paragraphe 24(1), de recours et de droits individuels] si un accusé francophone en Saskatchewan jouissait des mêmes protections ou avantages que son homologue ailleurs au pays. Bien que ces concepts englobent sans nul doute davantage, nous sommes d’avis que l’un ou l’autre des concepts d’égalité au regard des protections et des avantages prévus par la loi est suffisamment vaste dans ce cas pour englober la condition en cause.

[111] Par conséquent, la situation exposée dans la question comporte une forme d’inégalité visée au paragraphe 15(1), et la non-proclamation en Saskatchewan a certes pour effet d’annuler ou d’entraver l’exercice du droit constitutionnel à l’égalité devant la loi par une personne francophone accusée en Saskatchewan.

[112] Nous n’avons donc aucune difficulté à conclure qu’il y a, dans les circonstances, violation des droits prévus au paragraphe 15(1) d’un francophone en Saskatchewan, et que ce dernier a droit, à moins que l’article 1 fournisse une justification pour cette situation, de s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir une réparation convenable et juste aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte.

McDonnell c. Fed. des Franco-Colombiens, 1986 CanLII 927 (BC CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[7] En faisant référence à « la Loi », il désigne la loi adoptée par le Parlement britannique en 1731 qui exige que toutes les instances judiciaires se déroulent en anglais. Les tribunaux ont statué que cette loi était en vigueur en Colombie-Britannique, mais je n’ai pas l’intention d’aborder la question puisque les arguments qui s’y rapportent concernent également le paragraphe 4(2) [des Règles de la Cour suprême de la Colombie Britannique]. Il soutient également que le juge en chambre a commis une erreur en concluant que le paragraphe 4(2) a généralement le même objet que les règles (à savoir la résolution équitable sur le fond de chaque instance, de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse), parce que le paragraphe a un objet beaucoup plus étroit, à savoir la compréhensibilité et la commodité pour les juges, les avocats et les plaideurs. Il soutient que le fait de permettre à une personne dont la langue maternelle est le français de déposer les actes de procédure en français servirait cet objet au lieu d’y nuire. Il fait valoir qu’invoquer les critères de discrimination énoncés par ce tribunal dans Andrews c. Law Society et énoncés par le juge Macfarlane dans Rebic c. Collver Prov. J. (1986), 1986 CanLII 1052 (BC CA), 2 B.C.L.R. (2d) 364, [1986] 4 W.W.R. 401 (C.A.), R. 4(2) est clairement discriminatoire et ne peut être justifié en vertu de l’article 1 de la Charte.

[8] Par ailleurs, l’avocat représentant le procureur général, s’appuyant sur le principe de l’interprétation des lois voulant que la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre, soutient que les articles 16 à 22 épuisent la question des droits linguistiques; que rien dans ces articles n’empêche la Colombie Britannique d’adopter le paragraphe 4(2) des Règles; et que, par conséquent, la Fédération ne peut invoquer l’article 15. Il prétend également que les jugements majoritaires de la Cour suprême dans les arrêts MacDonald et Société des Acadiens réfutent clairement les arguments et les prétentions du procureur de la partie adverse.

[9] De manière générale, je suis d’accord avec les observations du procureur général. [...]

[10] J’aborde tout d’abord le rôle de l’article 15, intitulé « Droits à l’égalité ». Il garantit le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, et précise plusieurs formes de discrimination. Tout en affirmant que certaines formes de discrimination ne sont pas exhaustives, ce tribunal a souligné dans Andrews c. Law Society qu’un tribunal doit interpréter l’article 15 en lien avec les autres articles de la Charte et a mis en garde contre la décision d’accorder la primauté à l’article 15. En rendant le jugement du tribunal, la juge McLachlin a déclaré à la page 50 :

Aucun article ne doit être considéré comme primordial ou englobant toutes les autres dispositions. Toutefois, cela pourrait arriver avec l’article 15 s’il était interprété comme étant violé à la suite de distinction ou de discrimination. L’article 15, comme le 14e Amendement à la Constitution des États-Unis, éclipserait les autres dispositions de la Charte et deviendrait la question centrale de presque toutes les contestations fondées sur la Charte. Les lois qui ne violent pas d’autres libertés ou droits fondamentaux seront presque toujours (si l’on se fie à l’expérience des États-Unis) présumées violer l’article 15 parce que la législature a procédé à une classification ou ne l’a pas fait. Même si la législation ne viole pas d’autres dispositions, il faudra toujours forcer le barrage des articles 15 et 1. À mon avis, cela ne peut avoir été l’intention des auteurs de la Charte.

[...]

[18] L’article 15 offre une garantie contre la discrimination et constitue une garantie juridique. Même s’il est possible que l’article 15 s’étende à la discrimination fondée essentiellement sur la langue, nous ne sommes pas certains qu’il couvre le concept de « langue officielle ». Compte tenu des dispositions contenues aux articles 16 à 22 de la Charte et des autres articles concernant les langues, et à la lumière des arrêts rendus à la majorité dans les affaires MacDonald et Société des Acadiens, je ne crois pas que le concept de « langue officielle » relève de l’article 15.

[19] En raison de cette conclusion, il est inutile d’examiner l’article 15. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

Sojourner c. Conseil de la justice administrative, 2016 QCCS 3743 (CanLII)

[10] Autre particularité de l'audience, celle-ci a procédé dans les deux langues, la Régisseure s'adressant à Madame Sojourner en anglais et au représentant du propriétaire en français. Il faut noter qu'en aucun temps pendant l'audience, Madame Sojourner n'a indiqué qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait ni n'a requis la présence d'un interprète ou une traduction de ce qui avait été dit en français. Il n'a pas non plus été référé à sa race ou à son orientation sexuelle.

[…]

[56] La notion de discrimination qui se retrouve à l'art. 15 de la Charte canadienne, également invoqué par Madame Sojourner, dans la mesure où elle serait ici applicable, requiert également la preuve d'une atteinte de nature à créer un désavantage par la perpétuation d'un préjugé ou l'application de stéréotypes.

[57] […] Les éléments en lien avec la langue devraient également faire l'objet d'une analyse. Si le Comité était convaincu, par exemple, que les propos tenus dans les deux langues ont permis à tous de comprendre l'essentiel de ce qui se passait même sans traduction systématique du français à l'anglais et de l'anglais au français, il pourrait s'agir là d'un élément pertinent. Si les autres arguments présentés ne reposaient sur aucun fait, du moins aucun fait objectif, il aurait été bienvenu de l'indiquer.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[65] Les appelants ont également affirmé que la loi empiète sur leur droit à l’égalité en violation de l’article 15 de la Charte canadienne et de l’article 10 de la Charte québécoise :

3.1 Le jugement de la Cour du Québec

[66] Le juge de première instance a résumé l’analyse de la Cour suprême du Canada concernant l’égalité des droits dans les arrêts Ford et Devine.

[67] Dans Ford, la Cour suprême, ayant décidé que la loi constituait une violation de la liberté d’expression, n’a pas abordé la question de l’égalité.

[68] En revanche, dans Devine, ayant conclu que la loi constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression, la Cour suprême a abordé la question de l’égalité. Elle a conclu que l’analyse de l’article 1 était également applicable à l’article 15 de la Charte canadienne, c’est-à-dire que si la loi était une limite raisonnable à la liberté d’expression, elle est également une limite raisonnable aux dispositions relatives à l’égalité. En ce qui concerne l’article 10 de la Charte québécoise, la Cour suprême a décidé que le droit à l’égalité devait être lié à un autre droit ou liberté, dans ce cas, la liberté d’expression. Étant donné que la Cour suprême avait déjà conclu que la restriction du droit à la liberté d’expression était justifiable, elle a tiré la même conclusion à l’égard du droit à l’égalité.

[69] En l’espèce, après avoir appliqué le même principe et conclu que la violation de la liberté d’expression était justifiable en vertu de l’article premier de la Charte canadienne et des articles 3 et 9.1 de la Charte québécoise, le juge de première instance a rejeté la contestation fondée sur l’égalité.

[70] Néanmoins, le juge Mascia a poursuivi en examinant la possible violation des droits à l’égalité, tout comme l’a fait la Cour d’appel dans Entreprises W.H.F.

[71] Le jugement Entreprises W.H.F. a été rendu en 2001 au moyen de l’analyse des droits à l’égalité énoncée par la Cour suprême dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration).

[72] En l’espèce, le juge de première instance a analysé les évolutions jurisprudentielles sur les droits à l’égalité depuis 2001 et les a appliquées à la preuve entendue. Plus précisément, il a utilisé le critère élaboré plus tard dans R. c. Kapp :

• La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

• La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

[73] Le juge de première instance a répondu à la première question par l’affirmative : la langue n’est pas un motif de discrimination énuméré à l’article 15 de la Charte canadienne, mais elle peut être considérée comme un motif analogue, surtout qu’elle figure parmi les motifs énumérés à l’article 10 de la Charte québécoise.

[74] Le juge de première instance a répondu à la deuxième question par la négative. Il a conclu que la loi ne violait pas les droits à l’égalité parce que la distinction n’a pas créé de désavantage en perpétuant des préjudices et des stéréotypes :

[257] […] Rien dans l’objectif déclaré de la loi – la protection et la promotion de la langue française – n’a pour effet de perpétuer un désavantage ou un stéréotype. En faisant la promotion du français au moyen de dispositions sur l’affichage, la loi ne favorise pas le préjudice ou une image négative de la communauté anglophone. Le commerçant anglophone est autorisé à faire de la publicité dans sa propre langue; la seule contrainte ou obligation imposée par la loi est d’inclure dans son enseigne commerciale une version en français nettement prédominante – ou, lorsqu’il est question de catalogues, de brochures et de dépliants commerciaux (article 52 [de la Charte de la langue française]), il doit produire une version en français à tout le moins équivalente à celle en anglais. Ce fardeau supplémentaire ne perpétue pas un stéréotype dégradant.

[75] Le juge de première instance a estimé que la preuve ne justifiait pas un changement par rapport au précédent dans Entreprises W.H.F., même en appliquant la plus récente jurisprudence.

3.2 Le motif d’appel

[76] Les appelants sont en désaccord avec le juge de première instance parce qu’ils estiment que la Charte de la langue française porte atteinte à leur dignité humaine en leur demandant d’utiliser le français de manière juxtaposée ou nettement prédominante dans la publicité, l’emballage et les autres publications. Si la population francophone peut faire de la publicité en français seulement, la population anglophone devrait être autorisée à faire de la publicité uniquement en anglais.

[77] La Cour n’a relevé aucune erreur dans l’analyse exhaustive réalisée par le juge de première instance du droit et de l’application des principes de droit aux faits en cause. Rien dans la Charte de la langue française, que l’on analyse l’objet ou l’effet des dispositions, ne porte atteinte à la dignité humaine de la population anglophone. Quoi qu’il en soit, même s’il y avait une violation des droits à l’égalité, elle serait justifiée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne, comme il a été décidé dans la discussion sur la liberté d’expression.

[78] En ce qui concerne la violation de la Charte québécoise, le droit à l’égalité doit être lié à un autre droit ou liberté, en l’espèce la liberté d’expression, et la Cour a déjà conclu que la restriction imposée dans la Charte de la langue française constitue une limite justifiable à la liberté d’expression.

[79] Ce motif d’appel est rejeté.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Voir également le jugement de première instance : Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII).

R. c. Ejigu, 2016 BCSC 1487 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[179] Toutefois, je suis bien plus troublé par la preuve concernant l’effet des difficultés linguistiques et culturelles découlant de l’origine ethnique de Mme Ejigu en tant que membre d’une minorité culturelle sur sa capacité à satisfaire son fardeau de la preuve qui lui est imposée aux termes des paragraphes 16(2) et (3) du Code criminel pour présenter une défense de NRCTM [non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux].

[180] La preuve des trois psychiatres dont j’ai parlée soulève de graves préoccupations sur la capacité d’un psychiatre qui ne parle pas l’amharique à comprendre pleinement l’état mental de Mme Ejigu au moment de l’homicide de Mme Hagos, en raison des problèmes linguistiques et culturels que chacun d’eux a relevés.

[181] Toutefois, la question n’est pas de savoir s’il est plus difficile pour Mme Ejigu que les autres personnes accusées d’une infraction criminelle grave de surmonter ces difficultés pour satisfaire le lourd fardeau de la preuve permettant de présenter une défense de NRCTM.

[182] La question est de savoir si la lourde charge de la preuve a un effet disproportionné sur elle en tant que membre d’une minorité ethnique qui doit interagir avec les premiers intervenants, les professionnels de la santé, les avocats et la Cour par l’entremise d’un interprète.

[183] Les questions soulevées par Mme Ejigu ne sont pas rares dans une société multiculturelle. Les tribunaux au Canada sont régulièrement confrontés aux défis liés à l’évaluation d’une preuve qui ne peut être reçue que par l’entremise d’un interprète.

[184] Il peut souvent être difficile pour l’avocat ou le tribunal de comprendre pleinement les différences culturelles, lesquels risquent de ne pas en tenir compte du fait qu’ils ne sont pas nécessairement dans une position pour cerner l’importance de ces différences culturelles dans l’évaluation de la preuve.

[185] Le fait que les différences linguistiques et culturelles peuvent nuire à la capacité d’un justiciable de présenter sa cause dans une instance civile ou d’établir le fondement d’une défense lors d’instances criminelles engendre en soi la nécessité de procéder à un examen au regard du paragraphe 15(1) de la Charte.

[186] Il y a violation présumée du paragraphe 15(1) de la Charte uniquement lorsqu’une disposition législative a un effet disproportionné sur un requérant (ou un accusé dans le contexte du droit criminel) du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue.

[187] À mon avis, il est évident que la difficulté subie par un justiciable pour surmonter les obstacles linguistiques et culturels généralisés va s’accroître avec le fardeau de la preuve qu’il doit satisfaire pour avoir gain de cause.

[188] Cette difficulté croissante ne découle toutefois pas des effets disproportionnés subis par Mme Ejigu en tant que membre d’un groupe ethnique et linguistique distinct.

[189] Mme Ejigu ou d’autres personnes dans cette situation qui partagent les mêmes caractéristiques peuvent, en raison de leurs limites linguistiques et différences culturelles, être désavantagées pour rencontrer le fardeau de la preuve prescrit par la loi.

[190] Le fait qu’un tel désavantage peut s’accentuer avec un lourd fardeau, comme c’est le cas des dispositions relatives à la NRCTM, ne survient pas parce que la loi cible directement ou indirectement ces personnes en tant que membres d’un groupe énuméré ou analogue protégé par la Charte en aggravant leur fardeau en tant que membres d’un tel groupe. Cette situation survient en raison de l’augmentation du fardeau sur les accusés qui cherchent à présenter une défense de NRCTM.

[...]

[194] Bien que les difficultés linguistiques et les particularités culturelles de Mme Ejigu puissent accroître davantage le fardeau de la preuve en vertu de l’article 16 du Code comparativement à un autre accusé, je suis convaincu que cette difficulté accrue ne place pas cette situation personnelle en violation des droits prévus au paragraphe 15(1) de la Charte.

[195] Si le tribunal en décidait autrement, il remettrait en question l’équité de pratiquement tous les procès criminels au Canada où l’accusé fait face à des limites linguistiques ou des particularités culturelles.

[196] Les arguments de Mme Ejigu concernant la violation présumée de ses droits garantis au paragraphe 15(1) de la Charte, laquelle découle des obstacles linguistiques et culturels qu’elle doit surmonter pour rencontrer le fardeau de la preuve qui lui incombe aux termes de l’article 16 du Code, ne tiennent pas non plus, car la preuve à l’appui de ces arguments n’établit pas de manière suffisante une telle violation.

[...]

[206] En résumé, je crois que bien que la charge qui incombe à Mme Ejigu puisse être difficile à satisfaire, ni le paragraphe 15(1) de la Charte ni les principes fondamentaux de l’équité du procès soutiennent l’octroi d’un remède constitutionnel en raison des difficultés linguistiques et des particularités culturelles qui lui sont propres.

Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[990] Il a été très peu question des raisons pour lesquelles les allégations fondées sur l’article 15 sont rarement justifiées. Il semble que le fait qu’une norme plus élevée soit imposée aux gouvernements n’explique pas la rareté des cas où le droit à l’égalité a été justifié aux termes de l’article premier. Au contraire, ces cas se sont avérés particulièrement difficiles à justifier d’après les faits en cause en raison des intérêts humains fondamentaux qui sont concernés et des intérêts concurrents en jeu.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Lavigne c. Quebec (Attorney General), 2000 CanLII 30033 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[27] Le requérant soutient également que la décision administrative de l’intimé de ne pas assigner un avocat parlant anglais est discriminatoire en application de l’article 10 de la Charte québécoise et de l’article 15 de la Charte canadienne. Sa requête ne précise pas les droits qui pourraient être lésés par cette décision, mais d’après les plaidoiries de M. Lavigne, nous concluons qu’il croit être victime de discrimination en raison de la langue dans l’exercice de sa liberté d’expression.

 

[...]

 

[31] En outre, si l’article 15 de la Charte canadienne s’applique en l’espèce, une conclusion que rejette la Cour, il faudrait effectuer l’analyse proposée par la Cour suprême dans Law et répondre aux questions suivantes :

La loi a-t-elle pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement?

La différence de traitement est-elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

La loi en question a-t-elle un objet ou un effet discriminatoires sur la dignité fondamentale de la personne?

[32] Il est impossible de conclure que le français et l’anglais ont un statut différent. Leur égalité est garantie par article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et la Cour a déjà conclu que ces droits linguistiques ont été respectés en se fondant notamment sur les paroles de l’honorable Jean Beetz dans Société des Acadiens :

La garantie d’égalité des langues n’est toutefois pas une garantie que la langue officielle utilisée sera comprise par la personne à qui s’adresse la plaidoirie ou la pièce de procédure.

[33] Une personne parlant une langue autre qu’une des langues officielles du Canada ne peut valablement soutenir devant les tribunaux qu’elle est victime de discrimination parce qu’elle ne peut s’exprimer dans sa propre langue. L’article 15 de la Charte canadienne n’élargit pas les droits linguistiques reconnus dans l’article 133.

[34] M. Lavigne ferait-il l’objet d’une différence de traitement sous le régime de la loi parce que les services d’un interprète sont nécessaires pour assurer la protection de ses droits linguistiques? La Cour suprême a répondu à cette question par la négative dans Mercure en se fondant sur l’opinion de la majorité dans Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[36] […] À mon avis, le fait que le requérant ne puisse pas obtenir une version française de la preuve divulguée ne constitue pas une violation de l'art. 15: en effet, l'art. 15 ne saurait servir de fondement à un droit linguistique judiciaire en faveur de l'usage de l'une ou l'autre des deux langues officielles, tout particulièrement lorsque l'on considère le contenu spécifique et limité de l'art. 19 de la Charte qui s'adresse précisément aux droits dont jouissent les langues officielles dans l'arène judiciaire. […]

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

Commission des Ecoles Fransaskoises Inc. et al. c. Saskatchewan, 1988 CanLII 5128 (SK QB) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[45] Un dernier argument invoqué au nom des demandeurs émane du paragraphe 15(1) de la Charte. Il est dit qu’il y a violation des dispositions relatives à l’égalité de ce paragraphe parce que les enfants des parents titulaires des droits visés à l’article 23 ne reçoivent pas les mêmes services éducatifs offerts à la majorité. À mon avis, le paragraphe 15(1) n’a pas d’application pratique dans le contexte de la présente instance. La question en l’espèce est de savoir si les parents titulaires des droits visés à l’article 23 résidant en Saskatchewan bénéficient pleinement de l’ensemble des droits garantis. Dans l’affirmative, aucune question relative au paragraphe 15(1) ne se pose. Dans la négative, les réparations découleraient d’une violation de l’article 23 et non du paragraphe 15(1).

Cockburn c. YMCAs Across Southwestern Ontario, 2017 HRTO 267 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] Le Tribunal a conclu que l’intimé n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard du demandeur, qui est sourd, lorsqu’il a refusé de lui fournir un interprète en langage gestuel américain à ses frais pour une réunion entre le demandeur et le coordinateur du bien-être du YMCA. La réunion avait pour but de discuter d’un plan d’exercice modifié pour le demandeur à la suite d’une chirurgie à l’épaule.

[...]

[21] Dans l’affaire Eldridge, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si l’absence de financement de la part du gouvernement de la Colombie-Britannique pour fournir des interprètes gestuels aux personnes malentendantes recevant des soins médicaux violait le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a conclu que lorsque l’interprétation gestuelle était nécessaire pour assurer une communication efficace afin d’accéder aux services de soins de santé, le refus de financer ces services constituait une violation de la Charte.

[22] Le demandeur soutient que les efforts qu’il a déployés pour rencontrer le coordonnateur du bien-être de l’intimé afin de discuter d’un plan d’exercice modifié revenaient à accéder à des services de santé.

[23] La décision dans Eldridge concerne l’application de la Charte à une entité gouvernementale et le droit des personnes malentendantes à un interprète lorsqu’elles accèdent à des services fournis par cette entité. Je ne crois pas que cette décision soutient la thèse voulant que des droits et des obligations similaires prévus par la Charte s’appliquent aux organisations privées comme le YMCA.

[24] En outre, il est important de souligner que la décision dans Eldridge ne garantit pas un droit absolu aux services d’interprétation gestuelle. Comme indiqué au paragraphe 82 de cette décision, la Cour a affirmé :

Cela ne veut pas dire que l’interprétation gestuelle doit être fournie dans tous les cas où un patient reçoit des soins de santé.  La norme des « communications efficaces » est une norme souple, qui tient compte de facteurs tels que la complexité et l’importance de l’information à communiquer, le contexte dans lequel les communications auront lieu et le nombre de participants; voir 28 C.F.R. § 35.160 (1997).  Toutefois, dans le cas des personnes atteintes de surdité dont la capacité de lire et d’écrire est limitée, il est probablement juste de supposer que l’interprétation gestuelle sera requise dans la plupart des cas […]

[25] Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’audience du Tribunal qui laisse entendre que la capacité de lire et d’écrire du demandeur était limitée. Au contraire, selon les conclusions relatives à la preuve tirées dans la décision du Tribunal, le demandeur était en mesure de communiquer efficacement par écrit, comme en témoignent les communications écrites antérieures avec l’intimé.

[26] En tout respect, je suis en désaccord avec la proposition voulant que la requête du demandeur pour rencontrer un coordonnateur du mieux-être revenait à accéder à des soins services de soins de santé. Le YMCA n’est pas un fournisseur de soins de santé. Le rôle du coordonnateur du bien-être est d’aider les clients à atteindre leurs objectifs en matière d’exercice. Ils ne sont pas des professionnels de la santé.

Voir également :

Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, 1993 CanLII 119 (CSC)

R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, 1989 CanLII 98 (CSC)

Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19 (CSC)

Forget c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 90, 1988 CanLII 51 (CSC)

R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII)

R. c. Simard, 1995 CanLII 1422 (ON CA)

Paquette c. Canada, 1987 ABCA 228 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Poulin c. Canada (Procureur Général), 2004 CF 1132 (CanLII)

Berezoutskaia c. British Columbia Human Rights Tribunal, 2005 BCSC 1170 (CanLII) [decision disponible en anglais seulement]

R. c. Pare, 1986 CanLII 1189 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Tremblay, 1985 CanLII 2711 (SK QB)

R. c. Breton (1995), 28 W.C.B (2nd) 525 (YK TC) [hyperlien non disponible]

Fretz c. BDO Canada LLP, 2015 HRTO 194 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Ndem c. General Accident Assurance Co. of Canada, [2000] O.F.S.C.I.D. No. 83 [hyperlien non disponible]

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions traitant de l’art. 15 de la Charte canadienne et des enjeux linguistiques.

 

Langues officielles du Canada (articles 16 à 22)

16. (1) Langues officielles du Canada

16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

16. (2) Langues officielles du Nouveau-Brunswick

16. (2) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. 

16. (3) Progression vers l'égalité

16. (3) (3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations – Généralités

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[22] La Loi sur les langues officielles de 1988 et l’art. 530.1 du Code criminel, introduit comme modification connexe par l’art. 94 de cette loi, illustrent la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le par. 16(3) de la Charte; voir Simard, précité, à la p. 105.  Le principe de la progression n’épuise toutefois pas l’art. 16 qui reconnaît officiellement le principe de l’égalité des deux langues officielles du Canada.  Il ne limite pas la portée de l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles.  L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique.  En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable.  Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien.  Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s’agit de l’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada.  Le Parlement et les législatures provinciales le savaient quand ils ont réagi à la trilogie (Débats de la Chambre des communes, vol. IX, 1re sess., 33e lég., 6 mai 1986, à la p. 12999) et ont reconnu que les dispositions de 1988 seraient promulguées par des mécanismes de transition, accompagnés d’une aide financière qui permettrait de fournir les services institutionnels nécessaires.

[…]

[24] […] L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée.  Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné. […]

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[123] Tel que mentionné au paragraphe 60, les lois sur les langues officielles sont interprétées selon les principes consacrés par la Charte. Le principe fondamental est la protection des minorités : voir Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 2001 CanLII 21164 (ON CA), 56 O.R. (3d) 505, 208 D.L.R. (4th) 577, au paragraphe 125 (C.A.) (« Lalonde ») et Kilrich Industries Ltd. c. Halotier, 2007 YKCA 12 (CanLII), 161 C.R.R. (2d) 331, au paragraphe 53 (« Halotier »). La juge de première instance a appliqué les principes issus de la jurisprudence sur les droits linguistiques, notamment Beaulac dans lequel la Cour suprême a confirmé, au paragraphe 22, que l’égalité réelle est la norme applicable. Nous sommes d’accord avec le CLOC [Commissaire aux langues officielles du Canada] pour dire que l’égalité réelle est le résultat visé par le législateur en adoptant l’article 16 de la Charte et les articles 4 et 5 de la LLO. Par conséquent, l’emploi par la juge de première instance de l’expression « obligations de résultat », était pertinent et étayé par Beaulac.

R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII)

[19] Notre Cour a conclu dans MacKenzie qu’un manquement à l’article 530 du Code [criminel] ne violait ni l’article 15 ni l’article 16 de la Charte. La langue ne constitue, ni une catégorie énumérée à l’article 15, ni un motif analogue de discrimination.  L’article 16 ne s’applique qu’aux « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada », institutions dont la Cour provinciale de la NouvelleÉcosse ne fait pas partie. Les garanties linguistiques du paragraphe 16(1) de la Charte ne s’appliquent pas aux procédures engagées en Cour provinciale et son paragraphe 16(3) ne constitutionnalise pas l’article 530 du Code.  Rien ne sert de répéter l’analyse ici. Pour les motifs donnés dans MacKenzie, ce moyen de l’appel du ministère public est accueilli. Il n’y a pas eu violation des droits constitutionnels de Mlle Schneider.

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[69] Comme on peut le constater, les juges de la Cour suprême se sont surtout attardés, avant l’arrêt Beaulac, à dégager des principes d’interprétation applicables à l’art. 16 de la Charte et à son objet mais ont vraiment peu discuté du contenu et de la portée de cette disposition. Par ailleurs, il faut reconnaître que ces mêmes questions visant d’abord l’égalité des langues officielles déclarée à l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles du Canada, S.R.C. 1970, c. O-2, qui serait l’ancêtre de l’art. 16, et ensuite visant la portée de l’art. 16 lui-même, ont fait l’objet d’un débat animé où ont pris part plusieurs auteurs d’ouvrages ou d’articles de doctrine. On a débattu deux thèses principales, à savoir les dispositions de l’art. 16 sont-elles déclaratoires ou mandatoires? Ont-elles un contenu autonome qui ferait naître en lui-même un droit à un redressement pour le motif que l’égalité n’est pas atteinte, et imposent-elles des obligations aux gouvernements? Compte tenu du tournant jurisprudentiel marqué dans l’arrêt Beaulac, il ne me paraît pas nécessaire de reprendre ce débat. (Voir B. Pelletier, Bilan des droits linguistiques au Canada (1995) 55 : 4 R. du B. 611; Tremblay, Les droits linguistiques dans Beaudoin et Tarnopolsky (éd.) Charte canadienne des droits et libertés (1982), Montréal, Wilson & Lafleur, 559; A. Braën, Les droits linguistiques dans M. Bastarache (éd.), Les droits linguistiques au Canada, Yvon Blais, Montréal, 1986; et M. Bastarache, Le principe d’égalité des langues officielles dans M. Bastarache (éd) Les droits linguistiques au Canada, Yvon Blais, Montréal, 1986, 519 (particulièrement à la page 524.) À mon sens, la Cour suprême a répondu à la plupart de ces questions en donnant un contenu au principe de l’égalité prévu à l’art. 16, l’égalité réelle devenant la norme constitutionnelle applicable, et en reconnaissant l’effet contraignant de cette disposition selon lequel les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent des obligations pour l’État.

R. c. Larcher (19 septembre 2002), Ontario (C.S. Ont.) J. Lalonde [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

L’article 16 de la Charte ne s’applique pas à l’obligation de divulgation de la Couronne, étant donné que cette obligation est issue de la common law et n’est pas le résultat d’une intervention du législateur. Je suis d’accord avec l’avocat de la Couronne pour dire que les droits à l’égalité linguistique protégés par l’article 16 doivent être interprétés en fonction de l’intention du législateur et non en s’appuyant sur les principes de la common law [...]

Annotations – Paragraphe 16(1)

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[24] […]  L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée.  Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné.  L’article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi.  Ce principe d’égalité réelle a une signification.  Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État; voir McKinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 229, à la p. 412; Haig c. Canada, 1993 CanLII 58 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 995, à la p. 1038; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, au par. 73; Mahe, précité, à la p. 365. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement.  Cela dit, il faut noter que la présente affaire ne porte pas sur la possibilité que des droits linguistiques d’origine constitutionnelle soient en conflit avec des droits particuliers prévus par la loi.

R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, 1988 CanLII 107 (CSC)

[44] Si on peut dire que la législation en matière de droits de la personne est fondamentale ou quasi constitutionnelle, c'est au moins tout aussi vrai de la loi [Loi sur la Saskatchewan, S.C. 1905] dont il est question en l'espèce; elle a été enchâssée pendant de nombreuses années dans la mesure où les habitants de cette région auxquels elle s'appliquait étaient concernés, puisqu'elle ne pouvait être supprimée non pas par l'assemblée législative locale, mais seulement par le Parlement qui, faut-il le rappeler, avait refusé de le faire. Elle faisait partie du droit fondamental d'une vaste région de ce pays depuis les premiers jours de la fondation de la nation et elle est enracinée dans une réalité profondément délicate reconnue dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui, parmi nos valeurs constitutionnelles fondamentales, établit que le français et l'anglais sont les langues officielles de ce pays (par. 16(1)).

Yamba c. Canada (Minister of Justice), 2016 BCCA 219 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[18] M. Yamba est d’avis que lorsque le droit à un procès en français au Canada, prévu à l’article 530 du Code criminel, est combiné à ceux établis à l’article 16 de la Charte en matière de langues officielles, il constitue alors un droit constitutionnel. M. Yamba soutient que la conclusion du ministre selon laquelle l’accès aux services d’un traducteur agréé répondra aux préoccupations soulevées concernant l’équité des procès aux États-Unis ne prend pas « dûment en considération » les droits linguistiques de M. Yamba au Canada.

[...]

[21] D’abord, il est loin d’être clair que le droit à un procès dans l’une de nos deux langues officielles, garanti par l’article 530 du Code criminel, est l’équivalent d’un droit constitutionnel. Même si en application du paragraphe 16(1) de la Charte, l’anglais et le français sont les « langues officielles du Canada », le droit d’employer l’une ou l’autre lors de procédures judiciaires s’applique seulement aux tribunaux du Nouveau Brunswick et à ceux établis par le Parlement (article 19 de la Charte). Dans R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII), 181 C.C.C. (3d) 485, demande de pourvoi refusée [2005] 1 R.C.S. xii, le tribunal a soutenu qu’une violation des droits énoncés à l’article 530 ne donne pas droit à une réparation constitutionnelle. Le juge Fichaud a affirmé ce qui suit :

[60] L’article 530 doit faire l’objet d’une interprétation téléologique large en raison de son statut quasi constitutionnel. Mais l’article 530 n’est pas une disposition qui a été enchâssée dans la Charte. Sa violation n’a pas pour effet de donner ouverture à un recours sous le paragraphe 24(1) de la Charte.

Voir aussi : R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII), au paragraphe 19, 192 C.C.C. (3d) 1, demande de pourvoi refusée [2005] 2 R.C.S. xi.

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[39] En bref, le paragraphe 16(1) de la Charte correspond aux articles 4 et 5 de la LLO [Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest]. Vraisemblablement, si la LLO comporte deux dispositions alors que la Charte n’en compte qu’une, c’est à cause du libellé restrictif de l’article 5 de la LLO : « dans la mesure et de la manière prévues par la présente loi ». Cette expression permet à la LLO de traiter les langues autochtones différemment du français et de l’anglais.

[…]

[123] Tel que mentionné au paragraphe 60, les lois sur les langues officielles sont interprétées selon les principes consacrés par la Charte. Le principe fondamental est la protection des minorités : voir Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 2001 CanLII 21164 (ON CA), 56 O.R. (3d) 505, 208 D.L.R. (4th) 577, au paragraphe 125 (C.A.) (« Lalonde ») et Kilrich Industries Ltd. c. Halotier, 2007 YKCA 12 (CanLII), 161 C.R.R. (2d) 331, au paragraphe 53 (« Halotier »). La juge de première instance a appliqué les principes issus de la jurisprudence sur les droits linguistiques, notamment Beaulac dans lequel la Cour suprême a confirmé, au paragraphe 22, que l’égalité réelle est la norme applicable. Nous sommes d’accord avec le CLOC [commissaire aux langues officielles du Canada] pour dire que l’égalité réelle est le résultat visé par le législateur en adoptant l’article 16 de la Charte et les articles 4 et 5 de la LLO. Par conséquent, l’emploi par la juge de première instance de l’expression « obligations de résultat », était pertinent et étayé par Beaulac.

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[42] Le paragraphe 16(1) s’applique uniquement aux « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ».

[43] La Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse n’est pas une institution du Parlement. Elle est établie par l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse, comme il a été mentionné plus haut. Le fait que la Cour provinciale applique les dispositions du Code criminel ne change en rien cette conclusion. La Cour provinciale applique également des lois en vertu desquelles des infractions sont commises à l’échelle provinciale.

[...]

[46] La mention expresse des institutions du Nouveau-Brunswick au paragraphe 16(2) confirme que les institutions provinciales sont exclues des « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada » dont il est question au paragraphe 16(1) : voir Moncton (Ville) c. Charlebois, [2001] A.N.-B. no 480 (QL) [NBCA], au paragraphe 59. Il n’y a aucune référence aux institutions de la Nouvelle-Écosse dans la Constitution équivalant à celle qui figure au paragraphe 16(2).

[...]

[48] Le juge Bastarache a déclaré [dans Beaulac] que le paragraphe 16(1) confirme l’égalité réelle des « droits linguistiques constitutionnels ». Les droits ainsi garantis par le paragraphe 16(1) s’appliquent aux « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ». La Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse ne fait pas partie de ces institutions.

[49] À mon avis, les garanties linguistiques offertes au paragraphe 16(1) ne s’appliquaient pas à l’interpellation ni au procès de Mme MacKenzie devant la Cour provinciale. Il n’y a pas eu violation du paragraphe 16(1).

Canada (Procureur général) c. Viola, [1990] A.C.F. No. 1052, [1991] 1 C.F. 373 (CAF) [hyperlien non disponible]

La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d'interprétation de cette Charte telles qu'elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. […]

Ringuette c. Canada (Attorney General), 1987 CanLII 3953 (NL CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[31] L’importance des droits relatifs au français et à l’anglais au Canada ne fait aucun doute. Le régime législatif adopté pour mettre en œuvre progressivement ces droits linguistiques dans le cadre de toute procédure criminelle dans les provinces du Canada, tel qu’il est énoncé à la partie XIV.1 du Code criminel et à l’article 6 de la Loi de 1985 modifiant le droit pénal, permet de promouvoir l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais au Canada et constitue le type de programme envisagé, et même encouragé, en vertu du paragraphe 16(3) de la Charte : [...]  

Association des Gens de l'Air du Québec Inc. c. Lang, [1978] 2 C.F. 371 (CAF) [hyperlien non disponible]

[11] Les appelants prétendent que l'Ordonnance [sur les normes et méthodes des communications aéronautiques] du ministre des Transports est illégale en ce qu'elle contrevient à la Loi sur les langues officielles [de 1969] entrée en vigueur le 7 septembre 1969. L'essentiel de leur argumentation sur ce point peut être facilement résumé. L'article 2 de la Loi sur les langues officielles proclame que le français et l'anglais jouissent d'un statut égal au Canada; l'Ordonnance contredit ce principe puisqu'elle prohibe l'usage du français en certains cas et ne prohibe pas l'usage de l'anglais. Les deux langues ne jouissent pas d'un statut égal, disent les appelants, s'il est permis de parler l'une alors qu'on ne peut utiliser l'autre sans commettre une offense pénale.

[…]

[14] La notion de "langue officielle" est assez imprécise. Elle se réfère à la langue utilisée par l'administration dans ses relations avec le public. Dire que l'anglais et le français sont langues officielles, c'est tout simplement affirmer que ces deux langues sont celles qui sont normalement utilisées dans les communications entre l'État et les citoyens. L'Ordonnance attaquée, à mon avis, ne contredit pas la première partie de l'article 2 de la Loi sur les langues officielles parce que, comme je l'ai déjà dit, une langue peut être officielle dans un pays même si, pour des motifs de sécurité, son usage est prohibé en certaines circonstances exceptionnelles.

[15] […] A ce sujet, il faut remarquer que l'égalité proclamée par l'article 2 ne peut être une égalité absolue qui supposerait nécessairement, entre autres choses, que les deux langues soient utilisées aussi fréquemment l'une que l'autre. Cette égalité est, à mon sens, une égalité relative qui exige seulement que les deux langues soient, dans des circonstances identiques, traitées de même façon. Si, comme certains le prétendent, il était plus dangereux d'utiliser le français que l'anglais dans les communications aériennes au Canada et au Québec, il me semble que l'on pourrait, sans contredire le principe d'égalité consacré par l'article 2, prohiber l'usage du français dans ce genre de communications. Car, le fait qu'il soit plus dangereux de parler français qu'anglais dans l'air serait une circonstance qui autoriserait à traiter les deux langues de façons différentes. Pour ces raisons, je ne pense pas que l'Ordonnance attaquée, du seul fait qu'elle interdise l'usage du français et permette l'usage de l'anglais, contrevienne à l'article 2 de la Loi sur les langues officielles.

[16] […] Je ne peux croire que le Parlement, en proclamant l'égalité du français et de l'anglais "dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada", ait entendu limiter le pouvoir du ministre des Transports d'édicter les règlements qu'il jugeait nécessaires pour assurer la sécurité de la navigation aérienne.

Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[79] Il m’apparaît clair également qu’un accès égal aux services dans les deux langues officielles signifie justement un traitement égal.  Pour les fins de la minorité francophone qui circule dans la région d’Amherst, le protocole mis en place par la GRC et décrit par le sergent-major Hastey me paraît tout à fait insatisfaisant.  Un automobiliste ne devrait pas avoir à se déplacer ni à communiquer par téléphone ou par radio lorsqu’il souhaite s’adresser en français à un membre de la GRC.  Un service qui laisse à désirer ne répond absolument pas aux objectifs de la LLO énoncés à son article 2, et va à l’encontre de l’article 16 de la Charte qui reconnaît l’égalité des deux langues officielles.

Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice), 2001 CFPI 239 (CanLII)

[68] La présente affaire se résume ainsi.  Le gouvernement fédéral a délégué au gouvernement de l’Ontario, par entente verbale, ses pouvoirs découlant de la LC [Loi sur les contraventions].  Ce faisant, le gouvernement fédéral n’a pas prévu de clause garantissant les droits linguistiques des contrevenants poursuivis en vertu de la LC.  Auparavant, les droits linguistiques étaient protégés par les articles 530 et 530.1 du Code criminel et l’article 16 de la Charte en ce qui concerne l’aspect « judiciaire » des poursuites et par la partie IV de la LLO [Loi sur les langues officielles] et l’article 20 de la Charte en ce qui concerne l’aspect « administratif » ou « extra-judiciaire » des poursuites. 

[112] […] La partie défenderesse est tenue, en vertu de la Charte, de s’assurer que les droits linguistiques sont respectés.  Avant l’adoption de la LC, la partie défenderesse était tenue de maintenir l’égalité en ce qui concerne les droits linguistiques garantis par la Charte et prévus à la LLO et au Code criminel.  Ce n’et pas en adoptant une loi, transférant l’administration de certaines poursuites aux provinces, que la partie défenderesse pourra limiter les droits linguistiques constitutionnels.  Dans la mesure où la partie défenderesse ne respecte pas les droits garantis dans la Charte lors de l’adoption et de l’application de la LC, elle viole la Charte. […]

[151] Quant au traitement judiciaire des poursuites relatives aux contraventions fédérales, avant les modifications apportées à la LC, les garanties linguistiques prévues à l’article 16 de la Charte étaient assurées par l’application des articles 530 et 530.1 du Code criminel.

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF PI)

[122] Compte tenu de la constitutionnalisation des droits linguistiques par les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte, des modifications apportées à la Loi sur les langues officielles et des indications données récemment par la Cour suprême dans l'arrêt Beaulac c. La Reine, précité, relativement aux principes applicables à l'interprétation de la portée et de l'application des droits linguistiques, je crois que la décision rendue par le juge Dickson dans l'affaire Kelso c. La Reine, précitée, n'est pas déterminante quant à la question de savoir si, sous le régime législatif et constitutionnel actuel, M. Schreiber a droit à une déclaration portant qu'il a été porté atteinte à ses droits. En particulier, au moment du prononcé de l'arrêt Kelso c. La Reine, précité, les droits linguistiques en cause n'étaient pas protégés par la Constitution et la Loi sur les langues officielles ne contenait aucune disposition analogue à l'article 82 qui établit la primauté de certaines parties de la Loi, dont les parties IV et V concernant les communications avec le public et la prestation de services ainsi que la langue de travail, sur toute autre disposition législative ou réglementaire incompatible. […] De plus, sa décision a été rendue avant la proclamation de la Charte, dont les paragraphes 16(1) et 20 (1) ont garanti l'égalité du français et de l'anglais comme langues officielles du Canada et le droit du public l'emploi de l'une ou l'autre langue pour communiquer avec les institutions fédérales ou pour en recevoir les services. Dans ces circonstances, les modifications législatives et constitutionnelles effectuées après le prononcé de l'arrêt Kelso c. La Reine, précité, sont importantes et rendent, selon moi, désuète la démarche interprétative adoptée par le juge Dickson.

[…]

[125] Sur le plan constitutionnel, les droits linguistiques constitutionnalisés dans les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte entrent en jeu en l'espèce. Quant à la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques en cause sont le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services, prévu par l'article 21, et celui conféré par l'article 34, selon lequel le français et l'anglais sont les langues de travail dans les institutions fédérales et le personnel a le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles conformément à la partie V. Les droits linguistiques prévus dans les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles font écho à ceux garantis par les paragraphes 20(1) et 16(1) de la Charte, respectivement. Les obligations correspondantes imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 de la Loi sur les langues officielles sont aussi pertinentes. 

NOTA – Cette décision a été confirmée en appel : Schreiber c. Canada, 2000 CanLII 16703 (CAF).

St-Jean c. La Reine et le Commissaire du Yukon, [1986] Y.J. No. 76, [1987] N.W.T.R. 118 (C.S. Yukon) [hyperlien non disponible]

Les auteurs des paragraphes 16(1) et 18(1) de la Charte, ainsi que du paragraphe 19(1), ne peuvent pas avoir voulu appliquer ces dispositions au territoire du Yukon, à son gouvernement ou à sa législature, et le silence délibéré de la Charte à cet égard doit être respecté. De plus, l'article 30 de la Charte va jusqu'à rendre le Yukon égal aux autres provinces afin que soient exécutoires dans le territoire du Yukon les articles de la Charte qui s'appliquent à toutes les provinces du Canada, même lorsque les droits linguistiques ne sont pas en jeu. 

Voir également :

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291 (CanLII)

McDonnell c. Fed. des Franco-Colombiens, 1986 CanLII 927 (BC CA) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

Poulin c. Canada (Procureur Général), 2004 CF 1132 (CanLII)

Annotations – Paragraphe 16(2)

Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74 (CanLII)

[13] Dans son préambule, la LLO [Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick] proclame que les objets de la Loi sont expressément liés aux garanties et aux obligations linguistiques consacrées dans la Constitution canadienne.  Personne ne conteste que la LLO est la réponse législative de la province aux obligations que la Charte lui impose en matière de bilinguisme institutionnel au NouveauBrunswick.  Pour en faciliter la consultation, je reproduis ici les dispositions de la Charte relatives aux langues officielles qui visent expressément la province du NouveauBrunswick : […]

[15] Le juge Bastarache estime qu’il aurait été préférable, en l’espèce, que la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick « adopte une attitude positive et vérifie s’il était nécessaire de limiter la portée du terme nouvellement défini à la lumière des difficultés soulevées par la façon dont la LLO est rédigée » (par. 32 (je souligne)).  Je ne suis pas d’accord.  Premièrement, il convient de souligner que l’arrêt Charlebois c. Moncton portait sur le para. 18(2) de la Charte; partant, la conclusion de la cour selon laquelle les municipalités sont des « institutions » pour l’application du para. 16(2) est une opinion incidente.  Notre Cour n’a jamais tranché la question de savoir si les municipalités sont des institutions au sens du para. 16(2), cette question n’est pas soulevée dans le présent pourvoi et je n’exprime aucune opinion sur la justesse de cette interprétation. Deuxièmement, il convient aussi de noter que les obligations constitutionnelles de la province, même selon la définition qu’en donne l’arrêt Charlebois c. Moncton, ne commandent pas une seule solution précise.  Comme l’a si bien fait remarquer la cour dans l’extrait précité, la province dispose d’une marge de manœuvre.  La LLO actuelle représente la réponse législative de la province à ses obligations constitutionnelles.  Il n’y a pas lieu de court-circuiter l’analyse au moyen d’une présomption générale de conformité à la Charte.  Le juge Daigle a donc eu parfaitement raison de poursuivre l’analyse.  Cela nous ramène à la question d’interprétation législative qui nous occupe : quelle approche la province du Nouveau-Brunswick a-t-elle adoptée à l’égard de ses municipalités pour satisfaire à ses obligations constitutionnelles?

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[16] Comme nous l’avons vu, l’appelant conteste la validité de l’arrêté municipal Z-4 de la ville de Moncton au motif que le Conseil municipal n’a pas satisfait à l’obligation constitutionnelle que lui impose le par. 18(2) de la Charte d’adopter, d’imprimer et de publier ses arrêtés dans les deux langues officielles de la province. Il invoque les par. 16(2) et 18(2) ainsi que l’art. 16.1 de la Charte et soutient que l’omission de la part de la ville de Moncton de satisfaire à cette obligation constitutionnelle ne peut qu’entraîner l’invalidité de l’arrêté municipal Z-4.

[17] C’est la première fois que cette Cour est appelée à interpréter les droits linguistiques prévus aux par. 16(2) et 18(2) et à l’art. 16.1 de la Charte. À l’exception du droit à l’instruction dans la langue de la minorité garanti à l’art. 23 de la Charte, les droits linguistiques ont rarement fait l’objet d’une interprétation judiciaire. La question de l’invalidité que soulève l’appelant en l’espèce commande l’examen du contenu et de la portée des droits linguistiques invoqués, notamment le sens qu’il convient de donner au par. 18(2) et la définition des objets plus larges des droits qui découlent du par. 16(2) et de l’art. 16.1 de la Charte.

[…]

[62] On ne peut comprendre la portée des garanties linguistiques prévues dans la Charte sans tenir compte du principe fondamental qui concrétise à la fois la politique linguistique mise en œuvre au Nouveau-Brunswick, et l’engagement du gouvernement envers le bilinguisme et le biculturalisme. Le principe constitutionnel de l’égalité des langues officielles et de l’égalité des deux communautés de langue officielle et de leur droit à des institutions distinctes constitue la clef de voûte sur laquelle repose le régime de garanties linguistiques au Nouveau-Brunswick.

[63] En effet, le par. 16(2) constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges de l’anglais et du français quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le par. 16(3) précise que la Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement du Canada et des législatures des provinces d’adopter des mesures pour favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Même si cette disposition n’impose aucune obligation positive au Parlement canadien ou aux provinces, elle reconnaît toutefois la possibilité pour le législateur de créer des droits linguistiques autres que ceux inscrits dans la Charte. En dernier lieu, le par. 16.1(1) déclare, d’une part, l’égalité de statut, de droits et de privilèges des communautés linguistiques francophone et anglophone, et d’autre part, le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion. Le paragraphe 16.1(2) reconnaît le rôle de la Législature et du gouvernement de la province de protéger et de promouvoir l’égalité de statut, de droits et de privilèges mentionnés au paragraphe 16.1(1). En somme, cet article constitutionnalise les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, précitée. L’égalité prévue à l’art. 16.1 repose, non plus sur l’égalité des langues comme le prévoit le par. 16(2), mais sur l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick. À la différence du par. 16(2), cette disposition comporte donc des droits collectifs dont les titulaires sont les communautés linguistiques elles-mêmes.

[64] Avant d’évaluer davantage le contenu et la portée de ces dispositions, il est utile d’examiner l’interprétation qu’a reçue dans les arrêts antérieurs de la Cour suprême le principe de l’égalité des langues officielles prévu à l’art. 16 de la Charte. Il importe de se rappeler que l’appelant invoque en l’espèce le principe de l’égalité des langues officielles prévue au par. 16(2) en tout premier lieu pour favoriser une interprétation large et généreuse de l’expression « lois de la Législature » utilisée au par. 18(2), mais également pour imposer au gouvernement provincial l’obligation de légiférer afin de donner plein effet à l’obligation qu’ont les municipalités en matière d’adoption et de publication bilingue des arrêtés municipaux.

[…]

[69] Comme on peut le constater, les juges de la Cour suprême se sont surtout attardés, avant l’arrêt Beaulac, à dégager des principes d’interprétation applicables à l’art. 16 de la Charte et à son objet mais ont vraiment peu discuté du contenu et de la portée de cette disposition. Par ailleurs, il faut reconnaître que ces mêmes questions visant d’abord l’égalité des langues officielles déclarée à l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles du Canada, S.R.C. 1970, c. O-2, qui serait l’ancêtre de l’art. 16, et ensuite visant la portée de l’art. 16 lui-même, ont fait l’objet d’un débat animé où ont pris part plusieurs auteurs d’ouvrages ou d’articles de doctrine. On a débattu deux thèses principales, à savoir les dispositions de l’art. 16 sont-elles déclaratoires ou mandatoires? Ont-elles un contenu autonome qui ferait naître en lui-même un droit à un redressement pour le motif que l’égalité n’est pas atteinte, et imposent-elles des obligations aux gouvernements? Compte tenu du tournant jurisprudentiel marqué dans l’arrêt Beaulac, il ne me paraît pas nécessaire de reprendre ce débat. (Voir B. Pelletier, Bilan des droits linguistiques au Canada (1995) 55 : 4 R. du B. 611; Tremblay, Les droits linguistiques dans Beaudoin et Tarnopolsky (éd.) Charte canadienne des droits et libertés (1982), Montréal, Wilson & Lafleur, 559; A. Braën, Les droits linguistiques dans M. Bastarache (éd.), Les droits linguistiques au Canada, Yvon Blais, Montréal, 1986; et M. Bastarache, Le principe d’égalité des langues officielles dans M. Bastarache (éd) Les droits linguistiques au Canada, Yvon Blais, Montréal, 1986, 519 (particulièrement à la page 524.) À mon sens, la Cour suprême a répondu à la plupart de ces questions en donnant un contenu au principe de l’égalité prévu à l’art. 16, l’égalité réelle devenant la norme constitutionnelle applicable, et en reconnaissant l’effet contraignant de cette disposition selon lequel les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent des obligations pour l’État.

[…]

[76] De l’analyse qui précède de l’arrêt Beaulac et de ses répercussions sur certaines conclusions énoncées dans le jugement majoritaire dans l’arrêt Société des Acadiens, on peut en dégager les principales observations qui suivent. D’abord, l’égalité n’a pas un sens restreint en matière linguistique. Le principe de l’égalité inscrit au par. 16(2) doit recevoir son sens véritable, c’est-à-dire l’égalité réelle est la norme applicable. Par égalité réelle, on entend que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leurs (sic) mise en œuvre et créent en conséquence des obligations pour le gouvernement.

[77] En second lieu, la Cour suprême, en réexaminant certaines conclusions énoncées dans l’arrêt Société des Acadiens, a atténué considérablement le principe de retenue judiciaire qui devait être exercé du seul fait que les droits linguistiques seraient issus de compromis politiques en affirmant que l’existence de tels compromis n’a aucune incidence sur l’étendue de ces droits. En outre, la Cour a carrément désavoué et rejeté l’idée que le par. 16(3) limite la portée de l’égalité inscrite au par. 16(2) parce qu’il énonce la notion d’un avancement vers l’égalité des langues officielles qui se réalise par le processus législatif. Enfin, la Cour suprême écarte expressément la notion que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation restrictive si on voulait prêter à l’arrêt Société des Acadiens une telle autorité. La Cour établit au contraire une règle d’interprétation portant que les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.

[…]

[105] Dans l’affaire R. c. Gautreau (1990), 101 R.N.-B. (2e) 1, infirmée en appel pour d’autres motifs, le juge en chef Richard de la Cour du Banc de la Reine conclut que le service de police de la province était une institution au sens des par. 16(2) et 20(2) de la Charte. Il s’est appuyé sur un passage d’un article des auteurs Foucher et Snow dans lequel ceux-ci proposent une approche et des critères pour déterminer si une entité quelconque est une institution de la législature ou du gouvernement au sens du par. 16(2). Parmi ces critères, ils retiennent que l’entité doit être « une créature de l’État et doive son existence même à une loi publique » et « que le facteur prépondérant demeure la source juridique de ses pouvoirs ». (Voir : Le régime juridique des langues dans l’administration publique au Nouveau-Brunswick (1983), 24 C. de D. 81.) À mon avis, les critères proposés par ces auteurs rejoignent essentiellement ceux retenus par le juge La Forest dans l’arrêt Godbout.

[106] De l’analyse qui précède, je conclus que les municipalités du Nouveau-Brunswick sont assujetties à la Charte et qu’en conséquence, les actes de la ville de Moncton, en l’occurrence son omission de respecter l’obligation prévue au par. 18(2), peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte. Bref, les municipalités au Nouveau-Brunswick sont des créatures de la province, exercent des pouvoirs gouvernementaux qui leur sont conférés par la législature ou le gouvernement, et tirent tous leurs pouvoirs de la loi. Elles doivent aussi agir dans les limites de leur loi habilitante et leurs fonctions sont clairement gouvernementales.

[107] Par l’application de ces mêmes critères qui visent à identifier les structures ou fonctions des entités gouvernementales au sens de l’al. 32(1)b) à l’expression « institutions de la législature et du gouvernement » utilisée au par. 16(2), j’estime que ces mêmes paramètres permettent d’établir la portée de cette dernière expression. D’après une interprétation large et généreuse fondée sur l’objet visé du par. 16(2), je conclus, pour les motifs déjà exposés, que les municipalités sont des « institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick » au sens du par. 16(2) de la Charte.

NOTA – Voir les commentaires de la Cour suprême du Canada dans Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74 (CanLII) au para 15 au sujet de cette décision.

International Association of Fire Fighters (IAFF), Local 999 c. Moncton (City), 2017 CanLII 20335 (NB LA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[119] L’avocat de l’employeur a consacré une bonne partie de son argumentation à l’assertion selon laquelle la Ville, qui est une corporation municipale, est une « institution » au sens du paragraphe 16(2) de la Charte et qu’elle est donc tenue d’appliquer cette disposition. La compétence d’un conseil d’arbitrage pour ce qui est d’examiner de telles questions n’est plus mise en doute depuis la décision rendue dans Weber c. Ontario Hydro, 1995 CanLII 108 (CSC), [1995] 2 RCS 929 (voir aussi Brown & Beatty, paragraphe 2:2051).

[...]

[121] S’il est établi que la Ville est liée par le paragraphe 16(2), sera-t-elle alors tenue d’offrir des services dans les deux langues officielles, en application du paragraphe 20(2) de la Charte? Cette disposition prévoit ce qui suit :

20(2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services. [Nos soulignements]

[122] Pour offrir de tels services linguistiques, la Ville doit exiger, de façon réaliste, que certains employés soient bilingues. L’employeur est d’ailleurs d’avis que les adjoints aux agents de prévention des incendies doivent être bilingues; en fait, tous les employés de première ligne du service des incendies de Moncton devraient l’être.

[...]

[129] La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a établi une distinction en ce qui a trait à l’interprétation du terme « institution », faite dans Mowat, dans la décision qu’elle a rendue en 2007 dans l’affaire R. c. McGraw, 2007 NBCA 11 (CanLII), 312 R.N.-B. (2e) 142, dans laquelle la Cour a indiqué que l’état du droit sur cette question n’était pas concluant.

[130] Il est reconnu que dans les cas où un tribunal dispose d’une compétence partagée pour interpréter les lois, y compris la Charte, les décisions judiciaires rendues antérieurement concernant le sens de ces lois ou d’autres énoncés de droit applicables sont reconnues comme devant être appliquées obligatoirement (voir Brown & Beatty, paragraphe 1:3000). La difficulté rencontrée par le conseil d’arbitrage en ce qui concerne les observations de l’employeur est que l’interprétation du terme « institution », au sens utilisé dans la Charte, a été considérée comme étant un obiter dictum dans les décisions judiciaires rendues ultérieurement au même échelon ou à un échelon supérieur. Le juge Daigle, dans l’arrêt Saint John, avait la possibilité d’expliquer les observations qu’il a faites dans Mowat, mais il a abordé la question d’un autre point de vue.

[131] Par conséquent, le conseil d’arbitrage estime que l’interprétation selon laquelle les municipalités sont effectivement des institutions au sein du paragraphe 16(2) de la Charte n’est pas une interprétation d’application obligatoire reconnue par les tribunaux du Nouveau-Brunswick. En outre, il conclut qu’il n’est pas raisonnable de présumer que toutes les municipalités du Nouveau-Brunswick, quelle que soit leur composition linguistique, sont actuellement tenues d’offrir les services municipaux dans les deux langues officielles, en vertu des dispositions de la Charte. Cette décision ne l’oblige assurément pas à exclure le service des incendies de Moncton ou encore ses services de prévention des incendies.

[132] Nous adoptons les observations de la juge Charron, qui précise qu’à l’heure actuelle, la province du Nouveau-Brunswick doit se tourner vers la Loi sur les langues officielles pour connaître ses obligations constitutionnelles. L’exclusion de ces éléments de la théorie de l’employeur fondée sur la Charte rend non exécutoire le principe dérivé selon lequel la Ville est tenue de fournir des services dans les deux langues à ses résidents, en vertu du paragraphe 16(2) ou du paragraphe 20(2) de la Charte. [...]

Voir également :

Charlebois c. Town of Riverview et Procureur Général du Nouveau-Brunswick, 2015 NBCA 45 (CanLII)

Charlebois c. Town of Riverview, 2014 CanLII 68479 (CA NB)

Charlebois c. Moncton (Ville), 2000 CanLII 26893 (CA NB)

Annotations – Paragraphe 16(3)

Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, [2013] 2 R.C.S. 774, 2013 CSC 42 (CanLII)

[55] Enfin, les appelants demandent à la Cour de se prononcer sur l’impact en l’espèce des valeurs de la Charte et des principes constitutionnels.  Selon eux, l’existence de la Charte fait en sorte qu’une loi, y compris une loi reçue, doit être interprétée conformément aux valeurs qui sous-tendent la Charte.  La Cour a évidemment souligné à maintes reprises le rôle des valeurs de la Charte dans l’évolution de la common law et dans l’interprétation des lois : SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., 1986 CanLII 5 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 573; R. c. Zundel, 1992 CanLII 75 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 731; R. c. National Post, 2010 CSC 16 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 477.  La Charte établit expressément que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada : art. 16.  La Cour a reconnu également l’importance des minorités linguistiques au Canada : Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 79. 

[56] Par contre, la Charte reconnaît aussi que le Canada est une fédération et que toutes les provinces participent à la défense et à la promotion des langues officielles du pays.  C’est ce qui ressort des art. 16 à 20, qui exigent le bilinguisme au sein du gouvernement, au Parlement et dans les tribunaux fédéraux, ainsi que dans la province du Nouveau-Brunswick.  La Charte n’oblige aucune province, sauf le Nouveau-Brunswick, à assurer le déroulement des instances judiciaires dans les deux langues officielles.  De plus, le par. 16(3) dispose que les législatures peuvent prendre des mesures pour promouvoir l’usage du français et de l’anglais.  Je suis donc d’avis que, même si elle reconnaît l’importance des droits linguistiques, la Charte reconnaît par ailleurs l’importance du respect des pouvoirs constitutionnels des provinces.  Le fédéralisme fait partie des principes qui sous-tendent la Constitution : Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 55-60.  Il n’est donc pas contraire aux valeurs de la Charte que la législature de la Colombie-Britannique décide que les instances judiciaires se déroulent uniquement en langue anglaise dans cette province.

[57] Cela dit, comme le par. 16(3) de la Charte établit expressément que les législatures provinciales peuvent favoriser la progression vers l’égalité de statut du français et de l’anglais, la législature de la Colombie-Britannique pourrait très bien adopter une loi similaire à celle proposée en 1971 afin que les instances civiles puissent se dérouler en langue française.  Nul doute qu’une telle loi serait de nature à promouvoir les valeurs consacrées au par. 16(3) de la Charte, lequel permet l’adoption de mesures législatives de nature à accroître l’égalité des langues officielles, mais ne confère pas — comme l’a déjà dit la Cour — de droits à cet égard.  Or, puisque la législature de la Colombie-Britannique n’a pas adopté pareilles mesures législatives, la Cour ne peut lui en imposer une.

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[22] La Loi sur les langues officielles de 1988 et l’art. 530.1 du Code criminel, introduit comme modification connexe par l’art. 94 de cette loi, illustrent la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le par. 16(3) de la Charte; voir Simard, précité, à la p. 105.  Le principe de la progression n’épuise toutefois pas l’art. 16 qui reconnaît officiellement le principe de l’égalité des deux langues officielles du Canada.  Il ne limite pas la portée de l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles.  L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique.  En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable.  Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien.  Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s’agit de l’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada.  Le Parlement et les législatures provinciales le savaient quand ils ont réagi à la trilogie (Débats de la Chambre des communes, vol. IX, 1re sess., 33e lég., 6 mai 1986, à la p. 12999) et ont reconnu que les dispositions de 1988 seraient promulguées par des mécanismes de transition, accompagnés d’une aide financière qui permettrait de fournir les services institutionnels nécessaires.

[…]

[24] Même si les droits linguistiques constitutionnels découlent d’un compromis politique, ceci n’est pas une caractéristique qui s’applique uniquement à ces droits.  A. Riddell, dans « À la recherche du temps perdu: la Cour suprême et l’interprétation des droits linguistiques constitutionnels dans les années 80 » (1988), 29 C. de D. 829, à la p. 846, souligne que l’adoption des art. 7 et 15 de la Charte résulte aussi d’un compromis politique et soutient, à la p. 848, que l’histoire constitutionnelle du Canada ne fournit aucune raison de penser qu’un tel compromis politique exige une interprétation restrictive des garanties constitutionnelles.  Je conviens que l’existence d’un compromis politique n’a aucune incidence sur l’étendue des droits linguistiques.  L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée.  Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné.  L’article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi. […] 

Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

[68] Je crois qu'il est exact d’affirmer que l’art. 16 de la Charte contient un principe d'avancement ou de progression vers l'égalité de statut ou d'usage des deux langues officielles.  Je considère toutefois qu'il est très significatif que ce principe de progression soit lié au processus législatif mentionné au para. 16(3) où se trouve consacrée la règle énoncée dans Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] R.C.S. 182.  Comme le processus législatif est, à la différence du processus judiciaire, un processus politique, il se prête particulièrement bien à l'avancement des droits fondés sur un compromis politique (p. 579).

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[104] Ce système incomplet mais précis [de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867] représente un minimum constitutionnel résultant d’un compromis historique intervenu entre les fondateurs quand ils se sont entendus sur les modalités de l’union fédérale. […] C’est un système qui, du fait qu’il constitue un minimum constitutionnel, et non un maximum, peut être complété par des lois fédérales et provinciales, comme on l’a conclu dans l’arrêt Jones. […] 

Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, 1974 CanLII 164 (CSC)

[p. 195] Le par. (1) de l’art. 91 mis à part, il n’y a aucune limitation expresse du pouvoir législatif du gouvernement fédéral d’étendre le champ de l’emploi privilégié ou obligatoire de l’anglais et du français dans les institutions ou les activités qui relèvent du contrôle législatif fédéral. Il ne s’y trouve non plus aucune limitation nécessairement implicite puisqu’il n’y a rien d’inconciliable ou d’incompatible avec l’art. 133, dans son rapport avec le Parlement du Canada et les tribunaux fédéraux, à améliorer la situation des deux langues au-delà de leur emploi privilégié ou obligatoire prévu à l’art. 133. La diminution par le Parlement de la protection donnée par l’art. 133 est une chose; cela requiert un amendement constitutionnel. C’est toute autre chose que d’étendre cette protection au-delà de ses limites actuelles.

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[51] Le paragraphe 16(3) codifie le « principe de progression » énoncé dans Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182. Dans Jones, le juge en chef Laskin, s’exprimant au nom de la Cour, a précisé aux pages 189 et 190 que la compétence non attribuée « pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada », en vertu du préambule de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, autorisait le Parlement à promulguer des lois sur les langues officielles afin de promouvoir l’usage de l’anglais et du français au sein des institutions fédérales.

[...]

[55] Le paragraphe 16(3) rend intra vires les lois du Parlement ou de toute législature provinciale qui favorisent la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Il n’inscrit pas de telles lois dans la Constitution ni ne les introduit dans la Charte. Le non-respect de ces lois ne permet pas d’invoquer le paragraphe 24(1) de la Charte.

[...]

[57] À mon avis, le paragraphe 16(3) de la Charte n’a pas conféré de statut constitutionnel à l’article 530 du Code criminel. La violation de cet article, en l’espèce, ne constituait donc pas une violation du paragraphe 16(3) de la Charte.

Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), 2001 CanLII 21164 (CA ON)

[89]  La Charte envisage que non seulement le Parlement, mais aussi les législatures des provinces peuvent favoriser la progression vers l’égalité de statut du français et de l’anglais :

16(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.

Le paragraphe 16(3) s’applique à l’Ontario

Deuxième question : Le paragraphe 16(3) de la Charte protège-t-il le statut de Montfort à titre d’institution francophone?

[90] Montfort fait sien un argument fondé sur le par. 16(3) de la Charte, proposé par deux intervenants, la Commissaire aux langues officielles du Canada et La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.  Ils prétendent qu’une fois que la province a fait de Montfort une institution homogène francophone, le par. 16(3) la revêt d’une protection constitutionnelle, limitant les droits de l’Ontario de modifier ou de réduire ce statut.  Le paragraphe 16(3) exprime un objectif constitutionnel : faire progresser l’égalité réelle des deux langues officielles du Canada.  On prétend que ce but sera atteint par l’application du principe dit d’« encliquetage ».  On affirme que lorsque l’Ontario fait avancer d’un cran l’égalité concrète du français, le par. 16(3) joue le rôle d’un cliquet qui bloque ce progrès au niveau d’un droit constitutionnel, empêchant tout retour en arrière.  Même si elles ne sont pas requises sur le plan constitutionnel, les mesures provinciales faisant progresser l’égalité linguistique répondent à une aspiration exprimée dans la Constitution.  Une fois accomplis, les progrès vers l’égalité linguistique concrète bénéficient d’une protection constitutionnelle, et le retrait d’un gain doit être convenablement justifié.  On soutient que cette interprétation du par. 16(3) se fonde sur le principe, développé ci-dessous, voulant que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation large et libérale.  On invoque aussi le principe constitutionnel non écrit de respect et de protection des minorités comme outils d’interprétation.

[…]

[92] Nous ne sommes pas convaincus que le par. 16(3) comprend un principe d' « encliquetage », qui conférerait une protection constitutionnelle aux mesures prises pour faire progresser l'égalité linguistique. Le paragraphe 16(3) repose sur le principe établi dans Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, selon lequel la Constitution garantit un "plancher" et non un "plafond"; il traduit l'aspiration d'une recherche de l'égalité concrète. Cette aspiration exprimée par le par. 16(3) revêt de l'importance pour interpréter la loi. Il nous semble cependant indéniable que l'effet de cette disposition est de protéger, et non pas de constitutionnaliser, les mesures prises pour faire avancer l'égalité linguistique. La portée juridique effective du par. 16(3) en est déterminée et limitée par les premiers mots: "La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures". Le paragraphe 16(3) n'est pas attributif de droit. Il s'agit plutôt d'une disposition destinée à prévenir toute contestation d'une action gouvernementale qui sinon contreviendrait à l'art. 15 ou outrepasserait les pouvoirs législatifs d'un palier de gouvernement. Voir André Tremblay et Michel Bastarache, "Les droits linguistiques", dans Gérald-A. Beaudoin et Ed Ratushny, dirs., Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd. (1989), à la p. 746:

Par cette disposition, on a vraisemblablement voulu s'assurer que le pouvoir de privilégier le français et l'anglais dans la législation ne puisse être contesté en vertu des normes anti-discriminatoires contenues à l'article 15 de la Charte. Le paragraphe 16(3) pourrait ainsi prévenir l'invalidation de mesures d'accès à l'égalité des langues officielles.

[93] Selon nous, le principe d’« encliquetage » n’est pas non plus étayé par la jurisprudence.  Le passage extrait de l’arrêt Société des Acadiens se trouve dans une opinion dissidente centrée sur le par. 19(2) et sur les obligations spécifiques que les art. 16 à 20 de la Charte imposent au Nouveau-Brunswick.

[94] Cet argument part de l’hypothèse que le gouvernement n’avait aucune obligation de créer Montfort.  Notre Cour a déjà statué dans un autre contexte qu’en l’absence d’un droit constitutionnel qui oblige le gouvernement à agir, il n’existe aucun droit constitutionnel à la préservation d’une mesure prise volontairement, même si cette mesure s’accorde avec les valeurs prônées par la Charte ou favorise ces valeurs.  Dans Ferrel c. Ontario (A.G.) (1998), 1998 CanLII 6274 (ON CA), 42 O.R. (3d) 97 (C.A.), une affaire portant sur l’abrogation d’une loi visant à combattre la discrimination institutionnelle dans l’emploi, le juge en chef adjoint Morden écrit ce qui suit, aux pp. 110 et 111 :

[TRADUCTION] S’il n’y a, au départ, aucune obligation constitutionnelle d’édicter la Loi de 1993, je crois alors qu’implicitement, en ce qui concerne les exigences constitutionnelles, la Législature est libre de remettre la législation de la province dans l’état où elle se trouvait avant l’adoption de la Loi de 1993, sans avoir à justifier l’abrogation de la loi en vertu de l’art. 1 de la Charte.

[…]

Il serait pour le moins étonnant, à mon avis, qu’une initiative législative comme la Loi de 1993, entraînant des coûts et la mise sur pied d’une structure administrative, ait pour effet, une fois promulguée, d’acquérir un statut immuable dans le droit de la province, susceptible uniquement d’élargissement et impossible à modifier ou à réviser sans justification aux termes de l’art. 1.

[95] En résumé, Montfort est un hôpital public qui procure des services en français.  Le paragraphe 16(3) de la Charte n’accorde pas à Montfort un statut constitutionnel, parce qu’il ne s’agit pas d’une disposition attributive de droit.  Étant donné que Montfort n’est pas constitutionnellement protégé par le par. 16(3), l’Ontario peut, sous réserve de ce qui suit, modifier le statut de Montfort en tant qu’hôpital communautaire sans contrevenir au par. 16(3).

[…]

[129] La L.S.F. [Loi sur les services en français] est un exemple d'utilisation, par la législature provinciale de l'Ontario, du par. 16(3), pour enrichir les droits linguistiques garantis par la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte pour faire progresser l'égalité de statut ou d'emploi du français. L'aspiration exprimée par le par. 16(3) - faire progresser le français vers une égalité effective avec l'anglais en Ontario - est d'une grande importance pour interpréter la L.S.F.

[…]

[140] Outre l'aspiration exprimée par le par. 16(3), le principe du respect et de la protection de la minorité francophone en Ontario, et l'interprétation large et téléologique que doivent recevoir les droits linguistiques, les principes généraux d'interprétation des lois s'appliquent également. [...]

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[63] En effet, le par. 16(2) constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges de l’anglais et du français quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le par. 16(3) précise que la Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement du Canada et des législatures des provinces d’adopter des mesures pour favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Même si cette disposition n’impose aucune obligation positive au Parlement canadien ou aux provinces, elle reconnaît toutefois la possibilité pour le législateur de créer des droits linguistiques autres que ceux inscrits dans la Charte. […] 

[…]

[77] En second lieu, [dans l’arrêt Beaulac] la Cour suprême, en réexaminant certaines conclusions énoncées dans l’arrêt Société des Acadiens, a atténué considérablement le principe de retenue judiciaire qui devait être exercé du seul fait que les droits linguistiques seraient issus de compromis politiques en affirmant que l’existence de tels compromis n’a aucune incidence sur l’étendue de ces droits. En outre, la Cour a carrément désavoué et rejeté l’idée que le par. 16(3) limite la portée de l’égalité inscrite au par. 16(2) parce qu’il énonce la notion d’un avancement vers l’égalité des langues officielles qui se réalise par le processus législatif. Enfin, la Cour suprême écarte expressément la notion que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation restrictive si on voulait prêter à l’arrêt Société des Acadiens une telle autorité. La Cour établit au contraire une règle d’interprétation portant que les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.

Westmount (Ville de) c. Québec (Procureur Général du), 2001 CanLII 13655 (CA QC)

[211] Celle-ci [la Commissaire aux langues officielles] plaide que la Loi 171 a pour effet de réduire les droits de la minorité anglophone et, de ce fait, contrevient à l'article 16(3) de la Charte canadienne qui cristallise les droits linguistiques des communautés minoritaires.

[212] Le procureur général intimé réplique que l'article 16(3) de la Charte canadienne ne crée pas de droit linguistique autonome et constitue, tout au plus, une invitation à améliorer le bilinguisme institutionnel dans les provinces autres que le Nouveau-Brunswick.  D'ailleurs, à l'audience, l'avocat de la Commissaire a reconnu que l'article 16(3) de la Charte canadienne ne permettait pas de créer un nouveau droit linguistique, mais avait seulement pour objet de protéger ceux qui avaient déjà concédé.

[213] En l'espèce, les villes qui détenaient « un statut bilingue » sont transformées en « arrondissements bilingues ».  La Loi 170 prévoit expressément que ce statut ne pourra leur être retiré si ce n'est à leur demande.

[214] Les appelants font voir que les villes « anglophones » offraient des services beaucoup plus étendus que ceux expressément autorisés par l'article 29.1 et les autres dispositions de la Charte de la langue française, ce qui est exact.  Par contre, la Loi 171 ne modifie aucunement leur situation juridique, puisque les arrondissements bilingues conservent les mêmes droits et privilèges qui appartenaient auparavant aux villes bilingues ou dites « anglophones » aux termes de la Charte de la langue française.

[215] Les appelants se plaignent qu'il sera plus facile de retirer le statut de ville bilingue dans l'avenir.  Il s'agit là d'une allégation qui n'est aucunement soutenue par la preuve.  En outre, si le gouvernement agissait ainsi, il serait alors possible de faire valoir les prétentions que la Commissaire soutient présentement.

[216] La situation juridique des villes appelantes demeure donc inchangée au chapitre des droits linguistiques, puisque la Charte de la langue française continue de régir l'usage de la langue française et de la langue anglaise dans les institutions municipales. On nous permettra ici d'ouvrir une parenthèse pour rappeler qu'il en est de même de l'article 1 de la Loi 170 qui a fait l'objet de vives critiques de la part des appelants.  Cet article déclare que Montréal est une ville de langue française.  Or, ce texte purement déclaratoire n'ajoute, ni ne retranche rien aux règles déjà établies par la Charte de la langue française, ce qui a d'ailleurs fait écrire au premier juge qu'il était superflu et inutilement « provocateur ».  Quoi qu'il en soit, on ne saurait en conclure, comme le plaident certains des appelants, que cet article démontre que le gouvernement ne recherche pas vraiment la réforme des structures municipales, mais poursuit un but inavoué, celui de priver la communauté anglophone de ses institutions.

[217] En conséquence, nous sommes d'avis, sous la réserve déjà exprimée relativement au locus standi de la Commissaire aux langues officielles que son argumentation au fond doit être rejetée mais, dans les circonstances, sans frais.

R. c. Simard, 1995 CanLII 1422 (CA ON)

[15] Ces articles [les articles 530 et 530.1 du Code criminel] constituent une illustration du principe de progression vers l'égalité de statut ou d'usage des deux langues officielles conformément à l’art. 16(3) de la Charte selon lequel le Parlement et les législatures ont le pouvoir de favoriser une telle progression.  Ils vont bien au-delà des exigences linguistiques minimales des dispositions constitutionnelles,  en reconnaissant le droit des accusés d'avoir un juge, un jury et un procureur qui parlent la langue officielle de l'accusé.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[pp. 26-27] Par conséquent, dans l’ensemble, nous sommes d’avis que la meilleure vision de l’affaire est celle-ci : le Parlement et les assemblées législatives possèdent indubitablement le pouvoir, en vertu du paragraphe 16(3), de définir des droits en matière de langues officielles qui vont au-delà de ceux enchâssés dans la Charte, mais ce faisant, ni l’un ni l’autre n’est libéré de l’obligation, aux termes du paragraphe 16(3), de respecter les libertés et les droits fondamentaux énoncés ailleurs dans la Charte. Bien entendu, cette dispense dont ils pourraient bénéficier en application des articles 1 et 33 constitue, en soi, une tout autre question, bien qu’il soit possible d’ajouter que ces articles existent dans le but d’éliminer certains obstacles à la promotion des langues officielles qui, eu égard à l’article 15 plus particulièrement, pourraient autrement se dresser.

Nous en venons donc à la conclusion que le Parlement avait la compétence voulue pour promulguer la Loi modifiant le droit pénal, en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, en dépit du fait que cette loi eût pour objet, notamment, de promouvoir le statut ou l’usage du français au-delà des obligations imposées par la Charte aux articles 16 à 20, mais qu’à tous les égards, la Loi demeure assujettie aux autres dispositions de la Charte, y compris à l’article 15.

R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII)

[31] Le paragraphe 16(3) formalise le principe d’avancement ou de progression vers l’égalité, du statut ou d’usage des deux langues officielles du Canada. Cette disposition met à l’abri d’éventuelles contestations des mesures gouvernementales qui pourraient autrement être jugées contraires au par.15(1). Les articles 16 et 20, comme les autres dispositions affirmant l’existence de droits linguistiques, ne sont pas sujet à l’application de la clause de dérogation inscrite à l’article 33. Cela veut dire que ni le Parlement ni la législature du Nouveau-Brunswick ne peuvent se soustraire à ces dispositions.

R. c. Pare, 1986 CanLII 1189 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[27] J'ai déjà conclu que la partie X1V.1 du Code criminel constituait un ensemble de dispositions législatives favorisant l'égalité de statut ou d'usage de l'anglais et du français au Canada, et j'ai, par conséquent, conclu que le paragraphe 16(3) de la Charte, considéré avec les autres dispositions linguistiques de la Charte et de la Loi constitutionnelle de 1982, rendait l'article 15 de la Charte inapplicable dans des circonstances comme celles-ci.

[28] La conclusion à laquelle je suis arrivé est appuyée par les jugements du juge Beetz et du juge d'appel Craig. Ces jugements confirment qu'il vaut mieux laisser la promotion des droits linguistiques au soin du législateur, lequel est mieux placé pour voir au développement des droits politiques que les tribunaux. Ils font remarquer en particulier que ce principe est reflété au paragraphe 16(3) qui lie la promotion des droits linguistiques au processus législatif. En soi, ce raisonnement indique qu'après avoir correctement identifié qu'un ensemble des dispositions législatives favorisait l'égalité de statut ou d'usage des deux langues officielles, on doit conclure que le paragraphe 16(3) établit que ces dispositions ne peuvent contrevenir aux dispositions de l'article 15 de la Charte. Si tel n'était pas le cas et que le paragraphe 16(3) ne mettait pas ces dispositions à l'abri des autres dispositions de la Charte, le résultat serait de décourager le Parlement de prendre des mesures destinées à faire appliquer progressivement les droits linguistiques dans l'ensemble du Canada, une approche qui semble réaliste étant donné la nature des droits en question et la répartition de la population de langue minoritaire dans l'ensemble du pays.

R. c. Gaudet, 2009 NBPC 8 (CanLII)

[18] Comme je l’ai indiqué précédemment,  l’accusation en vertu de l’article 253(b), à laquelle M. Gaudet fait face, est une poursuite engagée sous le régime du Code criminel du Canada.  Par conséquent, le recours appliqué par le Juge en chef Drapeau dans l’affaire McGraw n’est pas disponible dans la présente affaire.  Est-ce que je peux dans les circonstances faire appel aux dispositions du par. 20(2) et par conséquent aux recours prévus au par. 24(2) de la Charte pour remédier à la violation du par. 31(1) dans la présente affaire?  A mon avis, pour ce faire, il faut déterminer si le par. 20(2) de la Charte impose  implicitement l’obligation d’informer expressément prévue au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles et si le par. 16(3) de la Charte a donné un caractère constitutionnel à cette dernière disposition

[…]

[23]  À la lumière de ce qui précède, il serait pour le moins paradoxal que les autorités gouvernementales aient plus ou moins d'obligation selon que la poursuite est faite en vertu d'une loi provinciale ou en vertu du Code criminel ou, à l'opposé, que l'administré ait plus ou moins de droit selon qu'il a enfreint une loi provinciale ou une loi fédérale. A mon avis un tel résultat va à l’encontre du fondement même des droits linguistiques et d’une interprétation libérale des lois régissant ces droits.  La conclusion que  le par 20(2) de la Charte impose implicitement l’obligation d’informer expressément prévue au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles et que le paragraphe 16(3) a donné un caractère constitutionnel à cette dernière disposition est la conclusion qui respecte une interprétation libérale des droits linguistiques et le fondement même de ces droits.

Voir également :

R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, 2008 CSC 41 (CanLII)

Galganov c. Russell (Township), 2012 ONCA 409 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 R.C.F. 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII)

City of Toronto c. Braganza, 2011 ONCJ 657 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC), l’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280

 

16.1. (1) Communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick

16.1. (1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

16.1. (2) Rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick

16.1. (2) (2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraph (1) est confirmé. (83.1)

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations – Paragraphe 16.1(1)

Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74

[13] Dans son préambule, la LLO [Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick] proclame que les objets de la Loi sont expressément liés aux garanties et aux obligations linguistiques consacrées dans la Constitution canadienne.  Personne ne conteste que la LLO est la réponse législative de la province aux obligations que la Charte lui impose en matière de bilinguisme institutionnel au NouveauBrunswick.  Pour en faciliter la consultation, je reproduis ici les dispositions de la Charte relatives aux langues officielles qui visent expressément la province du NouveauBrunswick : […]

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

La portée du paragraphe 16(2) et de l’article 16.1 de la Charte

[62] On ne peut comprendre la portée des garanties linguistiques prévues dans la Charte sans tenir compte du principe fondamental qui concrétise à la fois la politique linguistique mise en œuvre au Nouveau-Brunswick, et l’engagement du gouvernement envers le bilinguisme et le biculturalisme. Le principe constitutionnel de l’égalité des langues officielles et de l’égalité des deux communautés de langue officielle et de leur droit à des institutions distinctes constitue la clef de voûte sur laquelle repose le régime de garanties linguistiques au Nouveau-Brunswick.

[63] En effet, le par. 16(2) constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges de l’anglais et du français quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le par. 16(3) précise que la Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement du Canada et des législatures des provinces d’adopter des mesures pour favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Même si cette disposition n’impose aucune obligation positive au Parlement canadien ou aux provinces, elle reconnaît toutefois la possibilité pour le législateur de créer des droits linguistiques autres que ceux inscrits dans la Charte. En dernier lieu, le par. 16.1(1) déclare, d’une part, l’égalité de statut, de droits et de privilèges des communautés linguistiques francophone et anglophone, et d’autre part, le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion. Le paragraphe 16.1(2) reconnaît le rôle de la Législature et du gouvernement de la province de protéger et de promouvoir l’égalité de statut, de droits et de privilèges mentionnés au paragraphe 16.1(1). En somme, cet article constitutionnalise les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, précitée. L’égalité prévue à l’art. 16.1 repose, non plus sur l’égalité des langues comme le prévoit le par. 16(2), mais sur l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick. À la différence du par. 16(2), cette disposition comporte donc des droits collectifs dont les titulaires sont les communautés linguistiques elles-mêmes.

[…]

La portée de l’article 16.1 de la Charte

[78] Enfin, il reste à considérer la portée de l’art. 16.1. Au même titre que le par. 16(2), le principe de l’égalité des deux communautés francophone et anglophone du Nouveau-Brunswick inscrit à l’art. 16.1 de la Charte constitue un indice révélateur de l’objet des garanties linguistiques et une source d’inspiration dans l’interprétation des autres dispositions de la Charte, y compris le par. 18(2). En décidant en 1993 d’inscrire dans la Charte le principe de l’égalité des deux communautés comme caractéristique fondamentale de la province, le constituant avait l’intention de démontrer son engagement envers la réalisation de l’égalité des communautés linguistiques officielles. Cette disposition réaffirme et concrétise l’engagement que le législateur de cette province avait pris en 1981 en adoptant la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick. (Voir Journal des débats de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, session de 1992, le 4 décembre 1992, aux pages 4708 à 4721.)

[79] Comme je l’ai déjà signalé, l’art. 16.1 comporte, contrairement au par. 16(2), un volet collectif et communautaire puisqu’il vise l’égalité des communautés. Également, il reconnaît expressément le rôle de la législature et du gouvernement de protéger et promouvoir l’égalité des communautés linguistiques officielles. En cela, il constitue un ensemble unique de dispositions constitutionnelles tout à fait particulier au Nouveau-Brunswick et lui réserve une place distincte au sein des provinces canadiennes.

[80] À mon avis, l’interprétation de l’art. 16.1 est liée à celle du par. 16(2) et les conclusions énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac quant à la nature et la portée du principe de l’égalité sont applicables à l’art. 16.1. Son objet me paraît clair. Compte tenu des droits différents qui découlent de la dimension collective de l’égalité garantie, son objet est similaire à celui que les tribunaux ont donné à l’art. 16. Cette disposition vise à maintenir les deux langues officielles, ainsi que les cultures qu’elles représentent, et à favoriser l’épanouissement et le développement des deux communautés linguistiques officielles. Elle est de nature réparatrice et entraîne des conséquences concrètes. Elle impose au gouvernement provincial l’obligation de prendre des mesures positives destinées à assurer que la communauté de langue officielle minoritaire ait un statut et des droits et privilèges égaux à ceux de la communauté de langue officielle majoritaire. L’obligation imposée au gouvernement découle à la fois de la nature réparatrice du par. 16.1(1), compte tenu des inégalités passées qui n’ont pas été redressées, et de l’engagement constitutionnel du gouvernement de protéger et de promouvoir l’égalité des communautés linguistiques officielles. Le principe de l’égalité des deux communautés linguistiques est une notion dynamique. Elle implique une intervention du gouvernement provincial qui exige comme mesure minimale l’égalité de traitement des deux communautés mais, dans certaines circonstances où cela s’avérait nécessaire pour atteindre l’égalité, un traitement différent en faveur d’une minorité linguistique afin de réaliser la dimension collective autant qu’individuelle d’une réelle égalité de statut. Cette dernière exigence s’inspire du fondement même du principe de l’égalité.

R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII)

[30] L’article 16.1 de la Charte, adopté en 1993, reconnaît l’égalité de statut, de droits et de privilèges de la communauté linguistique française et de la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick et il témoigne de l’engagement du constituant envers l’égalité des communautés de langue officielle. Il est un précieux indice de l’objet même des garanties linguistiques ainsi qu’une aide à l’interprétation des autres dispositions de la Charte.        

Small et Ryan c. Nouveau-Brunswick (Ministre de l’Éducation), 2008 NBBR 201 (CanLII)

Contestation fondée sur la Charte

[3] Les requérants soutiennent que la décision du Ministre porte atteinte à leurs droits garantis par les articles 16 (Langues officielles), 16.1 (Communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick) et 23 (Droits à l’instruction dans la langue de la minorité) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[4] La Cour suprême du Canada a clairement énoncé ce qui suit à l’égard du paragraphe 23(2) de la Charte :

[…] [I]l serait contraire à l’objet de la disposition d’assimiler les programmes d’immersion à l’enseignement dans la langue de la minorité.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 201, au par. 50; voir également Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 15 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 238, aux par. 28 à 34.

[5] À mon avis, le programme d'immersion précoce en français pour les anglophones du Nouveau-Brunswick, qui parlent la langue de la majorité dans la province, n'est donc pas protégé par la disposition de la Charte qui porte sur les droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Par ailleurs, je ne suis pas convaincu que le libellé général des articles 16 et 16.1 de la Charte, qui portent sur le bilinguisme et les communautés linguistiques, offre un fondement en droit pour contester la décision du ministre de l'Éducation à l'égard du programme d'immersion précoce en français.

Annotations – Paragraphe 16.1(2)

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[63]  En effet, le par. 16(2) constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges de l’anglais et du français quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le par. 16(3) précise que la Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement du Canada et des législatures des provinces d’adopter des mesures pour favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Même si cette disposition n’impose aucune obligation positive au Parlement canadien ou aux provinces, elle reconnaît toutefois la possibilité pour le législateur de créer des droits linguistiques autres que ceux inscrits dans la Charte. En dernier lieu, le par. 16.1(1) déclare, d’une part, l’égalité de statut, de droits et de privilèges des communautés linguistiques francophone et anglophone, et d’autre part, le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion. Le paragraphe 16.1(2) reconnaît le rôle de la Législature et du gouvernement de la province de protéger et de promouvoir l’égalité de statut, de droits et de privilèges mentionnés au paragraphe 16.1(1). En somme, cet article constitutionnalise les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, précitée. L’égalité prévue à l’art. 16.1 repose, non plus sur l’égalité des langues comme le prévoit le par. 16(2), mais sur l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick. À la différence du par. 16(2), cette disposition comporte donc des droits collectifs dont les titulaires sont les communautés linguistiques elles-mêmes.

[…]

La portée de l’article 16.1 de la Charte

[78] Enfin, il reste à considérer la portée de l’art. 16.1. Au même titre que le par. 16(2), le principe de l’égalité des deux communautés francophone et anglophone du Nouveau-Brunswick inscrit à l’art. 16.1 de la Charte constitue un indice révélateur de l’objet des garanties linguistiques et une source d’inspiration dans l’interprétation des autres dispositions de la Charte, y compris le par. 18(2). En décidant en 1993 d’inscrire dans la Charte le principe de l’égalité des deux communautés comme caractéristique fondamentale de la province, le constituant avait l’intention de démontrer son engagement envers la réalisation de l’égalité des communautés linguistiques officielles. Cette disposition réaffirme et concrétise l’engagement que le législateur de cette province avait pris en 1981 en adoptant la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick. (Voir Journal des débats de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, session de 1992, le 4 décembre 1992, aux pages 4708 à 4721.)

[79] Comme je l’ai déjà signalé, l’art. 16.1 comporte, contrairement au par. 16(2), un volet collectif et communautaire puisqu’il vise l’égalité des communautés. Également, il reconnaît expressément le rôle de la législature et du gouvernement de protéger et promouvoir l’égalité des communautés linguistiques officielles. En cela, il constitue un ensemble unique de dispositions constitutionnelles tout à fait particulier au Nouveau-Brunswick et lui réserve une place distincte au sein des provinces canadiennes.

[80] À mon avis, l’interprétation de l’art. 16.1 est liée à celle du par. 16(2) et les conclusions énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac quant à la nature et la portée du principe de l’égalité sont applicables à l’art. 16.1. Son objet me paraît clair. Compte tenu des droits différents qui découlent de la dimension collective de l’égalité garantie, son objet est similaire à celui que les tribunaux ont donné à l’art. 16. Cette disposition vise à maintenir les deux langues officielles, ainsi que les cultures qu’elles représentent, et à favoriser l’épanouissement et le développement des deux communautés linguistiques officielles. Elle est de nature réparatrice et entraîne des conséquences concrètes. Elle impose au gouvernement provincial l’obligation de prendre des mesures positives destinées à assurer que la communauté de langue officielle minoritaire ait un statut et des droits et privilèges égaux à ceux de la communauté de langue officielle majoritaire. L’obligation imposée au gouvernement découle à la fois de la nature réparatrice du par. 16.1(1), compte tenu des inégalités passées qui n’ont pas été redressées, et de l’engagement constitutionnel du gouvernement de protéger et de promouvoir l’égalité des communautés linguistiques officielles. Le principe de l’égalité des deux communautés linguistiques est une notion dynamique. Elle implique une intervention du gouvernement provincial qui exige comme mesure minimale l’égalité de traitement des deux communautés mais, dans certaines circonstances où cela s’avérait nécessaire pour atteindre l’égalité, un traitement différent en faveur d’une minorité linguistique afin de réaliser la dimension collective autant qu’individuelle d’une réelle égalité de statut. Cette dernière exigence s’inspire du fondement même du principe de l’égalité.

[…]

[115] Par ailleurs, le par. 16.1(2) de la Charte prévoit explicitement que c’est « [le] rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir » le statut, les droits et les privilèges égaux des deux communautés linguistiques officielles. Cette disposition comporte, à l’instar de l’art. 23 de la Charte, une dimension collective et impose au gouvernement l’obligation d’intervenir de façon positive pour assurer le respect et l’application réelle de ces garanties linguistiques. En outre, l’art. 3 de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, dont les principes ont été enchâssés à l’art. 16.1 de la Charte, est plus explicite quant à l’engagement du gouvernement et énonce que le gouvernement « dans les mesures législatives qu’il propose, dans la répartition des ressources publiques et dans ses politiques et programmes, encourage, par des mesures positives, le développement culturel, économique, éducationnel et social des communautés linguistiques officielles ».

[116] Cette disposition confirme, sur le plan législatif, l’obligation positive d’agir pour le gouvernement provincial. Par ses engagements législatifs et constitutionnels, le Nouveau-Brunswick a accepté qu’il est de son devoir de prendre toutes les mesures favorables au maintien et au développement des communautés de langue officielle. Il reconnaît ainsi que les deux langues et les deux cultures véhiculées par ces communautés constituent l’héritage commun de tous les néo-brunswickois et qu’elles doivent trouver un climat propice à leur développement. (Voir : Gouvernement du Nouveau-Brunswick, Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick, précité, à la p. 427.)

Voir également :

Sonier c. Ambulance Nouveau-Brunswick Inc., 2016 NBBR 218 (CanLII)

 

17. (1) Travaux du Parlement

17. (1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement.

17. (2) Travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick

17. (2) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

NOTA – Voir la jurisprudence portant sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.

Annotations – Généralités

New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, 1993 CanLII 153 (CSC)

[75] On peut dire la même chose des art. 17 et 18 de la Charte.  L'article 17, qui mentionne le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats, utilise le mot Parlement, et le par. 17(2), qui mentionne le même droit au sein de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, utilise le terme « Législature du Nouveau-Brunswick ».  L'article 18 utilise les mêmes mots concernant les « lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux » du Parlement et de la Législature du Nouveau-Brunswick. L'article 17 utilise le terme « Législature » pour désigner l'Assemblée, tandis que l'art. 18 utilise le mot « Législature » pour désigner à la fois la législature proprement dite (c'est-à-dire l'organisme qui adopte des lois) et l'Assemblée (l'organisme qui dresse des « comptes rendus » et des « procès-verbaux »).

[76] Si ces exemples montrent que l'emploi n'est pas tout à fait uniforme, ils ne dérogent en rien à la règle générale selon laquelle le terme « législature », à l'art. 32 [de la Charte], désigne l'organisme qui légifère. Il faut noter que le terme « législature » ne possède pas un sens unique applicable à la fois à l'art. 33, d'une part, et aux art. 5, 17 et 18, d'autre part. En fait, aucune interprétation unique du terme « législature » ne peut être utilisée avec une précision absolue à l'art. 18 lui-même. À l'article 33, le mot « législature » désigne clairement l'organisme ayant la capacité de légiférer, alors qu'aux art. 5 et 17 le contexte démontre clairement que c'est l'Assemblée elle-même qui est visée.  L'article 18 mentionne les « lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux » de la législature.  Mais, à vrai dire, la « législature » adopte des « lois », tandis que l'Assemblée dresse des « comptes rendus » et des « procès-verbaux ».  Ce manque d'uniformité n'est pas étonnant compte tenu de la nature de ces documents et particulièrement de leur tentative d'énoncer assez succinctement des concepts qui sont historiquement lourds de sens.  Il fait également ressortir la nécessité, dans l'interprétation de ces dispositions, de prêter une attention toute particulière aux considérations contextuelles et à celles relatives à l'objet visé, qui sont déjà soulignées dans les présents motifs.

[77] À cet égard, il faut garder à l'esprit, en ce qui concerne les art. 5, 17 et 18 de la Charte, des considérations historiques et structurales particulières.  Ces articles sont le prolongement des dispositions originales de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Quant à l'art. 5, il s'inspire de  l'art. 20 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, maintenant abrogé.  Cet article prévoyait la tenue d'une session du Parlement du Canada et, par conséquent, l'emploi de l'expression « Parlement du Canada » était évidemment utile en raison de l'obligation d'inclure à la fois le Sénat et la Chambre des communes.  L'emploi des mots « session » et « séance » dans cet article traduisait aussi très clairement l'intention du législateur de ne mentionner que la Chambre et le Sénat, bien que le terme utilisé, soit « Parlement », n'était pas à strictement parler juste.

[78] Quant aux art. 17 et 18, ils s'inspirent de l'art. 133 initial qui, fait plutôt intéressant, prévoyait que « [d]ans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif », et que « [l]es lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues ».  L'article original établissait une nette distinction entre les « travaux de la Chambre» et les «lois adoptées par la législature », clarté qui ne se retrouve pas dans les mises à jour.

[79] Les articles 5, 17 et 18 figurent dans les parties de la Charte qui sont exclues de l'application des dispositions dérogatoires de l'art. 33 de la Charte.  Cela donne à penser qu'ils ne font pas partie de la même catégorie que les droits contenus aux art. 2 et 7 à 15 et peut expliquer, sinon entièrement excuser, le manque d'uniformité entre la formulation de ces articles et celle d'autres articles de la Charte et de la Loi constitutionnelle en général.

[80] En résumé, la formulation, la structure et l'historique du texte constitutionnel donnent fortement à penser que le terme « législature » utilisé à l'art. 32 désigne en général l'organisme ayant la capacité de légiférer et non pas ses parties composantes prises individuellement. Le contexte particulier de certaines dispositions de la Charte, notamment les art. 5, 17 et 18, commande un sens différent. Toutefois, en l'espèce, il s'agit de savoir si les droits garantis par l'art. 2 de la Charte s'appliquent à l'assemblée législative et je conclus qu'une interprétation juste de l'art. 32 permet nettement de répondre par la négative.

Annotations – Paragraphe 17(1)

Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

[50] Sous réserve de variantes stylistiques mineures, les termes des art. 17, 18 et 19 de la Charte ont été empruntés clairement et délibérément à la version anglaise de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, dont une version française n'a pas encore été adoptée conformément à l'art. 55 de la Loi constitutionnelle de 1982. J'estime en conséquence qu'on ne saurait à bon droit trancher cette affaire sans tenir compte de l'interprétation donnée à l'art. 133, qui porte :

133. Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l'autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux du Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues.

Les lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

[51] Le texte quelque peu condensé et complexe de l'art. 133 a été abrégé et simplifié dans les art. 17 à 19 de la Charte, comme il convient au style d'un véritable document constitutionnel. Ainsi, la partie pertinente de l'art. 133 ("dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux ... ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage") est devenue "Chacun a le droit d'employer ... dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux ... et dans tous les actes de procédure qui en découlent". Or, j'estime que ce changement de pure forme ne revêt aucune importance particulière.

[…]

[53] À mon sens, les droits que garantit le par. 19(2) de la Charte sont de même nature et portée que ceux garantis par l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui concerne les tribunaux du Canada et ceux du Québec. Comme le conclut la Cour à la majorité, aux pp. 498 à 501 de l'arrêt MacDonald, il s'agit essentiellement de droits linguistiques qui n'ont aucun rapport avec les exigences de justice naturelle et qui ne doivent pas être confondus avec celles-ci. Ces droits linguistiques sont les mêmes que ceux qui sont garantis par l'art. 17 de la Charte relativement aux débats du Parlement. Ils appartiennent à l'orateur, au rédacteur ou à l'auteur des actes de procédure d'un tribunal, et ils confèrent à l'orateur ou au rédacteur le pouvoir, consacré dans la Constitution, de parler ou d'écrire dans la langue officielle de leur choix. En outre, ni l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ni l'art. 19 de la Charte ne garantissent, pas plus que l'art. 17 de la Charte, que la personne qui parle sera entendue ou comprise dans la langue de son choix ni ne lui confèrent le droit de l'être.

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[60] Le juge en chef adjoint Hugessen fait remarquer à juste titre, dans l'affaire Walsh, que les termes essentiels de l'art. 133 sont les mêmes en ce qui concerne la langue des débats parlementaires et la langue des procédures judiciaires, et qu'ils doivent donc recevoir la même interprétation. Il est clair que les droits garantis dans les débats parlementaires sont ceux de l'orateur uniquement. Ses auditeurs ne sauraient avoir le droit qu'on leur parle dans la langue de leur choix sans, par le fait même, porter atteinte au droit de l'orateur d'utiliser la langue de son choix et faire perdre tout leur sens à ces dispositions constitutionnelles. De même, il se pourrait que l'orateur soit unilingue et il lui serait alors impossible de s'adresser à ses auditeurs dans la langue de leur choix. En outre, il pourrait arriver que les auditeurs expriment des choix